La protection des consommateurs renforcée en matière de vente et de garantie des biens

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ALBARIC Cristelle

Avocat associée - Docteur en droit

CJUE, Froukje Faber v. Autobedrijf Hazet Ochten, 4 juin 2015

Dans cette décision, la CJUE a adopté une position protectrice du consommateur en jugeant notamment que les juridictions nationales doivent examiner d’office si un acquéreur a la qualité de consommateur, alors même que celui-ci n’a pas revendiqué ce statut.

Le 27 mai 2008, un particulier – Madame Faber – a acquis une voiture d’occasion auprès d’un vendeur – le garage Hazet (Autobedrijf Hazet Ochten BV). Le véhicule ayant pris feu lors d’un déplacement le 26 septembre 2008, Mme Faber a assigné le garage en indemnisation de son préjudice sur le fondement de la garantie du bien due par le vendeur.

Le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden aux Pays-Bas) a posé sept questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne (la « CJUE ») afin que celle-ci puisse l’éclairer sur l’interprétation des articles 1er, paragraphe 2, sous a), et 5 de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relative à certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation.

La CJUE a adopté une position protectrice du consommateur en jugeant notamment que les juridictions nationales doivent examiner d’office si un acquéreur a la qualité de consommateur, alors même que celui-ci n’a pas revendiqué ce statut. L’avantage pour un acquéreur d’être qualifié de consommateur est d’être soumis à des dispositions souples, comme par exemple un allégement de la charge de la preuve du défaut de conformité.

Le renvoi préjudiciel est une procédure prévue à l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. Grâce à cette procédure, une juridiction nationale de l’Union Européenne saisie d’un litige peut interroger la CJUE sur l’interprétation du droit de l’Union. La CJUE ne tranche pas le litige national qui lui a été présenté. En revanche, la juridiction nationale sera liée par son interprétation.

Dans cet arrêt, une cour néerlandaise a posé à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :

«1) Le juge national est-il tenu soit en raison du principe d’effectivité, soit en raison du haut niveau de protection des consommateurs que la directive 1999/44 vise dans l’Union [européenne], soit en raison d’autres dispositions ou normes de droit de l’Union, d’examiner d’office si, dans un contrat, l’acheteur est (un) consommateur au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 1999/44?

2) Si la première question appelle une réponse affirmative, en va‑t‑il de même si le dossier de procédure ne comporte pas d’éléments de fait (ou comporte des éléments de fait insuffisants ou contradictoires) permettant de déterminer la qualité de l’acheteur?

3) Si la première question appelle une réponse affirmative, en va‑t‑il de même dans une procédure d’appel dans laquelle l’acheteur n’a pas fait grief au premier juge de ne pas avoir fait (d’office) cet examen dans son jugement et n’y a expressément pas examiné plus avant si l’acheteur peut être qualifié de consommateur?

4) L’article 5 de la directive 1999/44 doit-il être considéré comme une règle équivalente aux règles nationales qui sont d’ordre public dans l’ordre juridique interne?

5) Le principe d’effectivité, ou le haut niveau de protection des consommateurs que la directive 1999/44 vise dans l’Union ou d’autres dispositions ou règles de droit de l’Union, s’oppose‑t‑il au droit néerlandais en ce qu’il impose à l’acheteur consommateur une obligation d’alléguer et une charge de la preuve portant sur l’obligation d’informer (en temps utile) le vendeur du vice supposé de la chose livrée?

6) Le principe d’effectivité ou le haut niveau de protection des consommateurs que la directive 1999/44 vise dans l’Union, ou d’autres dispositions ou règles de droit de l’Union, s’oppose‑t‑il au droit néerlandais en ce qu’il impose à l’acheteur consommateur d’alléguer et de prouver que la chose n’est pas conforme et que cette non-conformité s’est manifestée dans les six mois de la délivrance? Que signifient les termes «les défauts de conformité qui apparaissent» figurant à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 1999/44 et, en particulier, dans quelle mesure l’acheteur consommateur doit‑il alléguer des faits et circonstances qui concernent (la cause de) la non‑conformité? Suffit-il que l’acheteur consommateur allègue et, en cas de contestation motivée, prouve que la chose achetée ne fonctionne pas (bien) ou doit-il aussi alléguer et, en cas de contestation motivée, prouver quel défaut de la chose vendue est la cause (a été la cause) expliquant qu’elle ne fonctionne pas (bien)?

7) L’assistance d’un avocat auquel Mme Faber a recouru dans les deux instances de la présente procédure a-t-elle une incidence sur la réponse aux questions précédentes?»

I. Fondements textuels

La directive n°1999/44/CE du 25 juin 1999 est relative à certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Son principal objectif est la protection des consommateurs dans leurs relations contractuelles avec des professionnels de la vente. Cette protection se traduit par une responsabilité du professionnel en cas de défaut de conformité du bien livré par rapport au bien convenu.

La directive vise à s’assurer que les Etats membres respectent le principe d’effectivité. Selon la Cour de cassation française, « le principe d’effectivité, intimement lié au droit à la protection juridictionnelle effective, reconnu par la Cour [de Justice de l’Union Européenne] comme un principe général du Droit communautaire, présuppose que si un droit est reconnu aux particuliers en vertu du Droit communautaire, les Etats membres ont la responsabilité d’en assurer la protection effective, ce qui implique en principe l’existence d’un recours juridictionnel. »

Si le consommateur constate un défaut de conformité du bien livré par rapport au bien convenu, dans un délai de deux ans à compter de la délivrance de celui-ci, la responsabilité du vendeur pourra être engagée pour le préjudice causé. En vertu de l’article 5, paragraphe 2 de la directive, sa responsabilité est conditionnée à l’information par le consommateur du défaut dans un délai de deux mois à compter de la constatation de celui-ci.

Cependant, il existe une règle dérogatoire à l’article 5 paragraphe 3 : si le défaut est apparu moins de six mois après la délivrance du bien, le bien sera présumé avoir été affecté du défaut dès la délivrance. Ce sera ainsi au vendeur de prouver que le défaut n’existait pas lors de la délivrance.

La CJUE a aussi rappelé des dispositions du droit néerlandais, notamment les articles 7:17 et suivants du code civil néerlandais (Burgerlijk Wetboek, « le BW ») : l’article 7:17 dispose que la chose livrée doit être conforme au contrat ; l’article 7:18 paragraphe 2 a transposé l’article 5 paragraphe 3 de la directive et dispose que la chose est non conforme au contrat « si la discordance par rapport à la chose convenue se manifeste dans un délai de six mois à compter de la délivrance, à moins que la nature de la chose ou la nature de la discordance s’y oppose » ; l’article 7:23 paragraphe 1 dispose quant à lui que « l’acheteur ne peut plus se prévaloir de la non-conformité de la chose livrée au contrat s’il n’en a pas informé le vendeur en temps utile après l’avoir constaté ou après qu’il eut raisonnablement dû la constater ». La notion de « temps utile » correspond à un délai de deux mois.

II. Procédure nationale

Après avoir pris feu, le véhicule a été détruit par une entreprise de démolition le 8 mai 2009, rendant toute expertise impossible. Le 11 mai 2009, l’acheteuse a informé le vendeur par lettre qu’elle le tenait pour responsable du préjudice résultant de l’incendie ayant détruit son véhicule. Le 26 octobre 2010, l’acheteuse a assigné le vendeur devant le Rechtbank Arnhem (tribunal d’Arnhem) afin de se voir indemnisée de son préjudice.

1. Jugement rendu en première instance

Le 27 avril 2011, le Rechtbank Arnhem a débouté l’acheteuse de sa demande au motif que le vendeur pouvait se prévaloir de l’article 7:23 puisque l’acheteuse l’avait informé du défaut de conformité plus de trois mois après l’incendie.

De plus, le tribunal a jugé que la question de savoir si l’acheteuse avait la qualité de consommatrice ou non ne se posait pas en l’espèce.

Le tribunal a ainsi fait une application stricte du droit néerlandais, sans prendre en compte les dispositions communautaires relatives aux contrats de vente de biens de consommation. 

Le 26 juillet 2011, la demanderesse en première instance a interjeté appel devant le Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden (cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden).

2. Jugement en appel

L’appelante a formulé deux griefs contre la décision de premier ressort. Elle a contesté l’appréciation faite par le tribunal des délais de recours et a précisé que les policiers et pompiers présents lors de l’incendie avaient eu connaissance de l’existence d’un « vice technique affectant le véhicule en cause » (en France, on applique le régime de la garantie des vices cachés). Elle ne s’est cependant pas prévalue de sa qualité de consommatrice.

Face à ces griefs, la cour d’appel a décidé de surseoir à statuer afin de permettre à la CJUE de livrer son interprétation de la directive 1999/44.

III. Raisonnement de la CJUE

La CJUE a répondu aux sept questions préjudicielles en quatre temps :

Premièrement, elle a précisé que la directive imposait aux juridictions nationales d’examiner d’office si un acquéreur, dans le cadre d’un litige portant sur un contrat de vente de biens de consommation tel que visé par la directive 1999/44, avait la qualité de consommateur.

La CJUE s’est fondée sur le principe d’effectivité pour livrer son interprétation de la directive. En vertu de ce principe, il appartient aux juges des Etats membres d’appliquer les modalités procédurales nationales tant que celles-ci « ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union ».

En l’espèce, même s’il appartenait aux juges néerlandais d’apprécier les circonstances de fait permettant de qualifier Madame Faber de consommateur qui n’avait pas fait valoir cette qualité, il était trop sévère d’exiger de l’acheteuse qu’elle revendique d’elle-même son statut.

Deuxièmement, la CJUE a décidé que le juge national pouvait soulever d’office l’article 5 paragraphe 3 de la directive qui dispose que « sauf preuve contraire, les défauts de conformité qui apparaissent dans un délai de six mois à partir de la délivrance du bien sont présumés exister au moment de la délivrance, sauf lorsque cette présomption n’est pas compatible avec la nature du bien ou la nature du défaut de conformité ». En effet, l’importance de l’intérêt public en matière de protection des consommateurs est telle qu’elle justifie que cette disposition soit d’ordre public.

Troisièmement, la CJUE a jugé que l’article 7:23 du BW, disposant que l’acquéreur doit informer le vendeur du défaut de conformité « en temps utile » était compatible avec la directive, à condition que le consommateur dispose d’un délai d’au moins deux mois à compter de la constatation du défaut, que l’information ne porte que sur l’existence d’un défaut et non sur son origine et que les règles de preuve auxquelles l’information est soumise ne rendent pas « impossible ou excessivement difficile l’exercice de ses [le consommateur]droits ».

Dernièrement, la CJUE a éclairé la juridiction nationale en explicitant la répartition de la charge de la preuve incombant au consommateur.

Un consommateur bénéficie de la règle dérogatoire selon laquelle le défaut de conformité est présumé avoir existé au moment de la délivrance du bien s’il prouve que le bien délivré n’est pas conforme au bien convenu et que la non-conformité s’est révélée moins de six mois après la livraison du bien.

Il n’est ainsi pas tenu de rapporter la preuve que le vendeur est à l’origine du défaut. Le vendeur ne pourra écarter cette règle que s’il établit que le défaut a été causé par un évènement postérieur à la délivrance du bien.

L’interprétation protectrice des consommateurs apportée par la CJUE a certes une force contraignante mais il appartiendra aux cours néerlandaises de statuer sur le fond et de décider si l’acheteuse a en l’espèce la qualité de consommateur ou non, et si le contrat de vente doit être résolu.

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