Le projet de loi Macron : vers un droit spécial des contrats de distribution

Le projet de Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n°2447) a été déposé le 11 décembre 2014 à l’Assemblée Nationale par Emmanuel MACRON, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

Avertissement : depuis la publication de cet article, le 12 février 2015, consacré au projet de loi, la loi Macron a été définitivement adoptée (loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) ; un commentaire spécifique à son article 31, relatif aux relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail, a été publié sur notre site : CLIQUEZ ICI pour en prendre connaissance.

 

Le projet de Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n°2447) a été déposé le 11 décembre 2014 à l’Assemblée Nationale par Emmanuel MACRON, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Selon son instigateur, ce projet a vocation à renouer avec une croissance durable en tendant à « assurer la confiance, à simplifier les règles qui entravent l’activité économique et à renforcer les capacités de créer, d’innover et de produire ». Un projet ambitieux.

Parmi les secteurs d’activités appréhendés par le projet figure la distribution. Dans la version initiale du projet, deux articles y avaient trait ; ceux-ci ont été complétés par cinq autres issus de l’amendement n°1681, déposé par M. le député François Brottes, président de la commission des affaires économiques, et adopté par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2015.

Nous analyserons ici les dispositions de ce projet susceptibles d’influencer significativement le régime de la distribution, en rappelant successivement les articles initialement prévus par le texte d’origine et son évolution actuelle à travers l’amendement n°1681, qui a déjà suscité de multiples réactions.

 

I/ ARTICLES INITIAUX PREVUS DANS LE PROJET DE LOI

1/ Article 10 : consultation de l’Autorité de la concurrence sur l’urbanisme commercial

Cet article prévoit que, sur demande du ministre chargé de l’économie ou du préfet, ou d’office, l’Autorité de la concurrence peut émettre un avis sur les projets ou les modifications des documents d’urbanisme commercial, à savoir les schémas de cohérence territoriale, plan local d’urbanisme, plan local d’urbanisme intercommunal ou Schéma de développement Régional d’Ile de France.

Cette disposition autorise ainsi l’Autorité à agir au niveau du droit d’installation, avant l’ouverture de nouveaux magasins, et avant même la délivrance des permis de construire. L’objectif recherché par les rédacteurs du texte est d’offrir la possibilité à l’Autorité de la concurrence de vérifier notamment si les documents d’urbanisme commercial ne contiennent pas des clauses empêchant l’arrivée de nouveaux entrants dans une zone de chalandise, ayant pour effet contrevenir au libre jeu de la concurrence. 

Cette consultation prend uniquement la forme d’un avis mais ne peut en aucun cas conduire l’Adlc à s’opposer aux textes incriminés.

2/ Article 11 : injonction structurelle à l’initiative de l’Autorité de la concurrence

Cet article concerne plus particulièrement le secteur du commerce de détail. La finalité avouée du texte est de lutter contre un manque de concurrence identifié dans l’étude d’impact réalisée en décembre 2014 dans ce secteur, et prenant la forme d’une trop forte concentration de certaines zone de chalandise.

Les mesures dictées par le texte visent expressément les cas d’existence de situation de position dominante et de détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail d’une part de marché supérieure à 50 % dans la zone de chalandise concernée.

Afin de contrer ses atteintes alléguées à la concurrence, ce texte octroie à l’Autorité de la concurrence le pouvoir d’enjoindre à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause de procéder à « la cession d’actifs si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective ». En d’autres termes, cela autorise l’Autorité de la concurrence  à contraindre les enseignes à une vente forcée de leurs magasins dans l’hypothèse d’une situation de position dominante. Ce modèle n’est pas sans rappeler celui utilisé lors des opérations de concentration.

Toutefois, la mise en œuvre de cette mesure de cession contrainte est subordonnée à la constatation par l’Autorité de la concurrence de prix ou de marges plus élevés que la moyenne dans les zones où l’enseigne est en position dominante, et que l’enseigne refuse d’apporter un correctif.

 

II/ LE PROJET DE LOI APRES L’AMENDEMENT N°1681

Selon son auteur, l’objectif de cet amendement n° 1681 est de « fluidifier l’activité de commerce, quel qu’il soit, pas seulement alimentaire, pour permettre un changement de réseau ou la prise d’autonomie car la notion d’indépendance dans ce domaine peut appeler certaines nuances. […] Cet amendement vise […] à assouplir les conditions dans lesquelles on peut changer de réseau ou devenir indépendant, au bout d’un délai raisonnable ».

En d’autres termes, suite à l’étude d’impact réalisée, le législateur a constaté des disparités significatives dans la durée des contrats en vigueur dans le secteur de la distribution, et notamment, des contrats de durées excessivement longues. Selon lui, de telles durées conduisent certains partenaires à se retrouver captifs durant plusieurs décennies, de manière parfois injustifiée. De ce fait, le gouvernement a entendu par cet amendement offrir la possibilité à ceux qui souhaitent sortir du réseau de pouvoir y parvenir plus facilement, et notamment lorsque l’expérience qu’ils ont acquise leur permet de changer d’enseigne ou de créer leur propre réseau. Une telle mesure est présentée comme ayant vocation à permettre une plus grande concurrence entre les réseaux. Monsieur le ministre Emmanuel Macron résume ses motivations en fin de cession des débats parlementaires : « L’on sait bien que le groupement Leclerc applique des contrats d’une durée très longue, tandis que des groupements tels que Système U recourent à des contrats à durée très courte. Le problème tient aux comportements de cannibalisation que nous observons de la part de certaines enseignes à l’égard de certaines autres, les unes recourant à des contrats très longs tandis que les autres utilisent des contrats très courts. »

Ainsi que nous le verrons ci-après, l’amendement s’applique toutefois à tous les réseaux de distribution, et non seulement ceux du secteur alimentaire, en dépit de l’impression donnée par les débats parlementaires.

Le texte pose donc une durée maximale de 9 ans aux contrats de distribution visés. Selon le gouvernement cette durée est convenable compte tenu de la durée d’amortissement d’un certain nombre d’investissements engagés par le réseau. Le gouvernement se défend d’inciter par cette mesure les partenaires à partir au bout des neuf années, mais seulement à permettre à ceux qui le souhaitent d’être autorisés à le faire. Au terme de cette durée, soit les deux partenaires sont satisfaits de la situation et de leur relation et dans ce cas la remise en cause des contrats n’est pas nécessaire, soit ceux qui se sont engagés veulent sortir du réseau et la nouvelle disposition leur permet de revoir leur signature. Le législateur souhaite mettre de la transparence, de la moralité et de la démocratie dans un système qui a selon lui parfois connu des excès et où l’Autorité de la concurrence, malgré les éléments jurisprudentiels existants, n’a jamais pu saisir ces situations.

Entrons dans le détail, pour s’apercevoir que le législateur envisage ainsi d’instituer un droit spécial propre à certains contrats de distribution, sans d’ailleurs même s’en cacher, puisque Monsieur le ministre résume tout au contraire sa volonté de voir le législateur de prendre le dessus sur la jurisprudence : « Quand la loi peut le faire, mieux vaut ne pas laisser la jurisprudence officier ». Un projet ambitieux, mais projet intrusif.

En effet, cinq principales séries de mesures sont issues de l’actuel projet :

– le champ d’application du régime nouveau institué par ce texte,

– l’avènement d’un régime imposant un ensemble contractuel en cas de pluralité de contrats,

– la très controversée durée maximale de 9 ans,

– l’impossibilité d’une reconduction tacite,

– l’interdiction des clauses post-contractuelles restrictives de la liberté d’exercice de l’activité commerciale.

 

1/ Le champ d’application du texte

Il convient tout d’abord examiner le champ d’application du projet de loi, qui suscite les commentaires, et parfois même – déjà – les controverses.

L’article 10 A, dans sa rédaction postérieure  à l’adoption par l’Assemblée nationale, concerne explicitement les réseaux de distribution. Nulle tentative de dissimulation de l’objectif poursuivi par son rédacteur ; ce texte propose d’inclure un nouveau titre au livre III du Code de commerce, limpidement intitulé : « Titre IV – Des réseaux de distribution commerciale ». Sous cette apparente simplicité, se dissimulent (à peine) plusieurs séries de critères de nature à influer sur le champ d’application du texte.

a/ La nature du contrat

Le premier critère concerne la nature du contrat. En son temps, le projet de Loi Lefebvre du 1er juin 2011 (n°3508) entendait encadrer les relations contractuelles entre les magasins indépendants et la société tête de réseau, afin de faciliter les changements d’enseigne, spécifiquement dans le secteur de la distribution alimentaire.

Pour parvenir à cet objectif, le législateur définissait pour la première fois la notion de « convention d’affiliation » : « est considérée comme une convention d’affiliation un contrat, conclu entre une personne physique ou morale de droit privé réunissant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier, ou mettant à disposition des services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3, et toute personne exploitant pour son compte ou pour le compte d’un tiers au moins un magasin de commerce de détail à dominante alimentaire ».

Cette définition visait ainsi toute forme de relation contractuelle et toute forme de réseau.

La définition utilisée dans le projet de loi Lefebvre pour la convention d’affiliation est en fait reprise presque in extenso dans l’amendement n°1681, aux fins de délimiter les relations contractuelles concernées par le texte.

Le texte vise en effet « l’ensemble des contrats conclus entre, d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier,  ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, au moins un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l’exploitation d’un de ces magasins et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale ».

Le champ d’application du texte est même élargi par rapport à celui prévu dans le projet de loi Lefebvre puisque ce dernier n’avait vocation qu’à réguler le secteur de la distribution alimentaire. Aucune restriction de cette sorte dans le projet de Loi Macron ; la référence à un commerce de détail « à dominante alimentaire » a ainsi été supprimée.

Toutes les formes de relations contractuelles rencontrées dans le secteur d’activité de la distribution sont donc in fine concernées par ce texte : contrats entre les enseignes de distribution et leurs adhérents ou franchisés, contrat d’approvisionnement en centrale d’achat, contrat d’enseigne etc. indépendamment des spécificités et des modalités propres à chacun.

Les débats parlementaires confirment que l’objectif recherché consiste à englober la totalité des engagements souscrits entre les deux parties.

b/ Les personnes concernées

Le deuxième critère vise les personnes concernées. Sont visés par les dispositions de ce texte les contrats conclus entre :

– d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 du code de commerce ;

– et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, au moins un magasin de commerce de détail.

Toutes les formes de réseaux rencontrées dans le secteur d’activité de la distribution sont donc également in fine concernées par ce texte.

Les débats intervenus au Parlement sur l’amendement n°1681 montrent que nombre de parlementaires ont semble-t-il confondu franchise et coopérative. La rédaction du texte crée de la confusion par l’assimilation qu’elle opère entre la franchise à la coopérative, qui constituent pourtant deux systèmes et deux mécanismes contractuels qui diffèrent singulièrement. Ils n’ont en commun que le regroupement à l’achat et la vente aux consommateurs sous une enseigne.

Le franchisé est lié au franchiseur par un contrat instituant les droits et obligations régissant leurs relations. Les commerçants coopérateurs sont quant à eux associés de manière volontaire. Ils ne sont pas liés par un contrat mais sont librement associés, à parts égales. Dès lors, même si un certain nombre d’éléments peuvent être de nature contractuelle, le système coopératif repose avant tout sur la libre association de co-investisseurs sur un projet commun.

L’intégration à une société coopérative centrale d’achat et/ou de référencement relève d’un double mécanisme : une mise en commun de moyens dans le cadre de statuts et règlement intérieur et un contrat d’approvisionnement.

Malgré les spécificités de ces systèmes de distribution, l’amendement n’opère aucune distinction entre le commerce associé, la coopérative, les chaînes de grande distribution regroupant 500 ou 800 franchisés ou les commerces de proximité ne comptant que quelques dizaines d’acteurs.

c/ Les dérogations

Le troisième critère (négatif celui-là) détermine un certain nombre de dérogations.

  • Les personnes morales exclues

Seules les personnes morales mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du Code de commerce, c’est-à-dire les magasins collectifs de commerçants indépendants et les sociétés de caution mutuelle, sont exclues de son champ d’application.

Cette disposition se comprend par la volonté du législateur de limiter l’application des dispositions de l’amendement à de grandes enseignes de la distribution alimentaire. Dès lors, son intention va être de limiter au maximum l’application du texte, en commençant par exclure les catégories de personnes morales faisant l’objet de dispositions légales spécifiques.

  • Instauration d’un seuil de chiffre d’affaires

Ce choix retenu par l’amendement poursuit la recherche du législateur de limiter l’application de la Loi à une certain type de structure. L’amendement prévoit qu’un décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, définira si besoin, les seuils de chiffres d’affaires en deçà desquels des dérogations aux dispositions prévues par ce texte seront possibles.

La décision de laisser au pouvoir réglementaire le pouvoir de fixer le montant du seuil de chiffre d’affaires est plus que critiquable, compte tenu de la gravité des conséquences qu’impliquent les dispositions prévues par l’amendement. Le seuil choisi traduira les motivations du gouvernement.

Selon les premières déclarations du gouvernement à ce propos, la portée de la mesure a vocation à être limitée aux magasins réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.

Malgré l’ajout d’un seuil de chiffre d’affaires les coopératives ne sont pas explicitement exclues du champ d’application du texte, en dépit des allégations de M. le ministre Emmanuel Macron. Ce dernier a en effet déclaré à l’occasion des débats parlementaires sur l’amendement n°1681 : « appliquer la mesure à partir d’un certain chiffre d’affaire car certains systèmes de coopératives justifient un délai très long, surtout les petites qui n’impliquent que quelques acteurs – contrairement à des structures plus importantes. »

L’atteinte du seuil est l’élément déclencheur de l’application des dispositions sévères de l’amendement. Le pouvoir octroyé celui chargé de l’établir est donc très important. La détermination de ce critère est pourtant laissée à la discrétion du pouvoir réglementaire. L’influence de considérations politiques est donc à craindre. Le seuil risque d’évoluer au gré des conjonctures économiques, politiques ou sociales et créer de l’insécurité juridique dans un domaine dont l’équilibre est déjà extrêmement fragile.

Hormis ces dérogations, le législateur s’assure de l’effectivité des règles édictées dans cet amendement en prévoyant que les règles statutaires et les décisions collectives adoptées conformément aux dispositions législatives relatives aux associations, aux sociétés civiles, commerciales ou coopératives ne peuvent déroger à ces nouveaux articles. Certains experts en matière de distribution, et notamment spécialisés dans la défense des affiliés et franchisés, avaient en effet regretté que le projet de loi Lefebvre ait laissé de côté ces aspects qui permettent pourtant, selon eux, de conserver des clauses emprisonnant les affiliés et franchisés dans le réseau.

d/ La période transitoire

Le dernier critère est temporel. Comme souvent, le texte prévoit un régime transitoire. Pour ce qui concerne en effet les contrats en cours dont la durée restant à courir est supérieure à six ans, les dispositions de l’amendement ne s’appliquent qu’à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date de promulgation de la loi. S’agissant des contrats en cours dont la durée restant à courir est inférieure à six ans, les dispositions de l’amendement s’appliquent quatre ans après la promulgation de la loi. Tout un programme.

Selon les débats parlementaires cette mesure a été décidée afin de permettre aux réseaux concernés de s’organiser et de s’adapter. A l’aide d’un rapide calcul, M. François Bottes, auteur de l’amendement, explique que compte tenu de ces mesures transitoires, la durée des contrats en cours sera limitée non à neuf ans, mais à onze, voire à treize ans en fonction de la durée restant à courir. En conséquence, selon lui, « il n’y a pas d’urgence, et il est inutile de paniquer ». Ne paniquons pas, le raz de marée arrive, mais pas tout suite.

Il faut dire en effet que de telles mesures ne suppriment pas l’atteinte portée à la liberté contractuelle ; l’immixtion caractérisée dans un domaine relevant de la seule volonté des parties n’en est pas atténuée. Le risque pesant sur les réseaux et leurs partenaires est toujours aussi prégnant.

 

2/ Le principe d’un ensemble contractuel

Il convient ensuite d’examiner un aspect peu commenté du projet, au demeurant l’un des moins critiquable.

Le projet de Loi Lefebvre prévoyait que dès lors que les conditions tenant à la nature du contrat étaient remplies, en découlait l’obligation pour les parties de formaliser la relation contractuelle dans un document unique, appelée « convention d’affiliation ». La convention avait pour objet de réunir les divers contrats commerciaux régissant en pratique la relation commerciale en un seul document, et de reprendre les principales stipulations applicables du fait de l’affiliation. Le projet fixait un régime spécifique à la convention, imposant l’application de règles de forme et de fond inédites.

L’amendement n°1681 au projet de Loi Macron prévoit quant à lui non l’exigence d’une convention unique, mais que tous les contrats régissant la relation contractuelle forment un ensemble indivisible : « L’ensemble des contrats conclus entre […], ayant pour but commun l’exploitation d’un de ces magasins et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune. » 

Le législateur adjoint à ces contrats une indivisibilité légale de sorte que la résiliation de l’un entraîne la résiliation des autres. De cette manière, le législateur entend s’assurer que plus aucun engagement d’aucune sorte ne lie l’affilié au réseau. Se retrouve à cet égard la volonté affirmée par les rédacteurs de ce texte de permettre au partenaire affilié de remettre en cause sa relation contractuelle et de sortir du réseau au bout d’une durée moins longue.

La proposition de résiliation de l’ensemble des contrats composant l’ensemble en cas de résiliation de l’un des contrats pourrait cependant au contraire aboutir à un résultat strictement opposé de l’objectif que visait le législateur et ne protéger aucune des parties. La résiliation d’un contrat, provoquée par l’un des cocontractants, doit en effet pouvoir être contestée devant le juge, voire l’exécution forcée recherchée. La résiliation automatique de l’ensemble contractuel, entraînée par la résiliation de l’un des contrats le composant, conduit à priver une partie de rechercher l’exécution de ces conventions, voire une indemnisation résultant du préjudice causé par la rupture. De même, cette disposition conduit à se poser la question dans cette configuration de la place de la protection conférée par la sanction de la rupture brutale de relations commerciales établies (art. L.442-6, I, 5° C. com.). L’affilié ou le franchisé, « partie faible » que le législateur entendait protéger par cette disposition, pourrait subir la perte de l’ensemble de ses contrats en cas de résiliation pour inexécution par exemple. Le franchiseur est quant à lui privé de recours en cas de résiliation abusive.

 

3/ La durée de 9 ans

Il convient de s’attarder ensuite sur l’un des aspects particulièrement commenté du projet : le principe de l’instauration d’une durée maximale – qui fait débat –, et la durée proprement dite, également chahutée.

a/ Le principe de l’instauration d’une durée maximale

Le texte prévoit tout d’abord que « l’ensemble des contrats conclus entre […] prévoient une échéance commune. » Le groupe de contrat a une échéance unique.

Selon la FCA, cet amendement non seulement ne prend pas en compte les spécificités des différentes formes de réseaux indépendants, mais de surcroît fragilise le commerce coopératif et associé au profit des réseaux de commerce intégrés.

L’originalité du système coopératif est précisément de permettre aux associés de fixer, en dehors de tout lien de subordination des uns par rapport aux autres, la durée de leurs engagements, en fonction de leurs projets communs et de leurs besoins. Leur fonctionnement est régi par les règles classiques s’imposant aux sociétés dont ils ont choisi la forme.

L’amendement, en institutionnalisant une renégociation périodique des contrats à échéance fixe, porte atteinte à la liberté d’association. La limitation de l’objet dans une coopérative à une courte durée, alors que les associés d’une société anonyme peuvent par exemple rester associés 99 ans paraît alors paradoxal. De même, les pactes d’actionnaires liant les adhérents sont visés par cette limitation de durée.

Nombreux sont ceux à penser que l’instauration d’une échéance de renégociation périodique risque de mettre en péril l’équilibre économique d’un certain nombre de groupements de commerçants associés.

De nombreux commerçants souhaitent rester au sein de leur réseau parce qu’il fonctionne bien, correspond à leurs attentes et apporte soutien et pérennité à leur propre entreprise : la renégociation possible de ces conditions à chaque échéance créera alors périodiquement un climat d’insécurité pour leur propre commerce comme pour le réseau dans son ensemble.

Plus encore, la mise en place d’une échéance peut avoir un effet pervers. Michel-Edouard Leclerc décriait à cet égard que « les coopératives de commerçants indépendants n’ont pas à être une auberge espagnole où chacun entrerait et sortirait à sa guise sans se soucier des conséquences collectives de sa décision individuelle. Elles n’ont pas non plus à être des pépinières dans lesquelles viendraient se servir les enseignes intégrées une fois nos magasins devenus trop performants ou trop concurrents ».

b/ Le choix de la durée maximale

Le texte précise par ailleurs que ces contrats ne peuvent être conclus pour une durée supérieure à 9 ans, c’est-à-dire que leur durée doit être inférieure ou égale à 9 ans.

La durée décidée est elle-même erronée. Un certain nombre de groupements de commerçants associés ont fixé la base des investissements effectués, notamment en termes de logistique et de réseau, sur une périodicité supérieure à 9 ans, de 12 ans, voire même pour certains de 15 ans. Plus encore, la durée de 9 ans est inférieure aux délais accordés par l’administration fiscale pour la durée d’amortissement applicable à certains investissements. Quelle banque accepterait de financer un projet sur quinze ans si l’activité est promise à la seule durée de 9 ans ?

La durée maximale des contrats avait initialement été fixée à 6 ans dans l’amendement déposé par M. Bottes. Un sous-amendement, adopté par les parlementaires, a, par la suite, ramené cette durée à 9 ans. La justification à cette durée elle-même des plus obscures. Interrogé sur les raisons qui l’ont conduit à choisir ce chiffre, M. Bottes explique avoir retenu, « suite à une réflexion menée depuis longtemps par l’Autorité de la concurrence », un « délai raisonnable ». Pour autant, lorsque le gouvernement propose d’étendre cette durée à 9 ans, pour permettre de « mieux s’organiser et de préserve les financements en cours », la durée de 6 ans leur semblant « trop restrictive », la modification est immédiatement adoptée.

Dès lors, le scepticisme des professionnels se comprend.

Ainsi, à la fois le principe d’une échéance, ainsi que la durée retenue pour celle-ci, est vivement critiquée.

En guise de conclusion, nous reprendrons les propos tenus par des représentants du Groupement des Mousquetaires qui résument très bien la situation à laquelle les réseaux de distribution sont aujourd’hui confrontés avec cet amendement : « En adhérant au groupement les Mousquetaires, les commerçants indépendants recherchent la sécurité économique et juridique, une protection contre les risques de prédation. Ils veulent des liens de solidarité qui permettent d’obtenir des banques les financements nécessaires aux investissements et au développement. Ces liens de solidarité permettent aussi d’acquérir une puissance d’achat suffisante pour négocier efficacement avec les industriels. Cet amendement prive les commerçants indépendants du droit de se regrouper pour faire face à la concentration capitalistique des groupes cotés en bourse. Les groupements indépendants n’auront plus les moyens de lutter à armes égales pour empêcher les transferts de magasins vers les groupes intégrés. La loi imagine davantage d’intervenants sur le marché, elle va aboutir en fait à la disparition de certaines enseignes ».

 

4/ L’impossibilité d’une reconduction tacite

Le projet de loi comprend un quatrième volet : le renouvellement par tacite reconduction de n’importe lequel des contrats visés par le texte est expressément exclu. A nouveau le législateur s’assure qu’à échéance fixe le partenaire aura la possibilité de remettre en cause son engagement vis-à-vis du réseau. Cependant, cette mesure est en contradiction avec certains comportements constatés en pratique.

 

5/ L’interdiction des clauses post-contractuelles restrictives de la liberté d’exercice de l’activité commerciale

Le projet de loi comprend un cinquième et dernier volet, qui achève la dégénérescence commencée du dispositif envisagée.

Le texte prévoit qu’est réputée non écrite toute clause qui a pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats visés par le texte, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant. La formule vise les diverses clauses de non concurrence et ses dérivés dont les clauses de non-réaffiliation. En revanche, le texte ne fait pas de référence explicite aux clauses de préférence ou de préemption, sauf à les considérer comme de telles limitations à l’exercice de l’activité commerciale. Une telle interprétation n’est pas exclue.

La stipulation de clause de non-concurrence post-contractuelle, de clauses de non-réaffiliation et autres clauses visant le même objectif, en cas de sortie d’un franchisé du réseau, est d’importance primordial dans les contrats de franchise. Ces clauses ont pour objet de protéger le savoir-faire développé par le franchiseur. Les conditions essentielles de la franchise sont en effet, au-delà de l’enseigne, l’existence et la transmission d’un savoir-faire substantiel. Sans ces clauses, le franchiseur est empêché de protéger à l’issue d’un contrat, d’une part le résultat de son innovation commerciale, et d’autre part les membres de son réseau, puisqu’un ancien membre franchisé pourrait ainsi facilement concurrencer les franchisés du réseau qu’il quitte et mettre ce savoir-faire acquis au profit d’un réseau concurrent. Interdire au franchiseur d’intégrer ces clauses dans les contrats de franchise conduit fatalement à une remise en cause du fondement même de la franchise. Cela ne peut que décourager les franchiseurs à investir et ne garantit plus aux franchisés de bénéficier d’un savoir-faire réservé aux seuls membres du réseau. Bref, tout le monde y perd.

L’intervention du législateur n’est d’ailleurs absolument pas requise en la matière. La jurisprudence est déjà abondante et bien établie sur la question des clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation : ces types de clauses sont autorisés dès lors qu’elles sont limitées dans le temps, dans l’espace et la durée. Leur validité est enfin soumise au principe de nécessité et de proportionnalité aux intérêts légitimes du franchiseur, à savoir la protection du savoir-faire.

 

CONCLUSION :

L’analyse approfondie des dispositions prévues par le projet de Loi Macron, dans leur rédaction après l’adoption de l’amendement n°1681, nous confirme le manque de pertinence criant de celui-ci.

Les dispositions qui y sont prévues constituent une immixtion caractérisée du pouvoir législatif et réglementaire dans la sphère contractuelle qui relève de la seule volonté des parties. Cette intervention n’est pas fondée sur une dynamique d’ordre public de protection d’une partie faible comme un consommateur, un assuré ou encore un salarié. Les relations en cause relèvent du plus pur domaine de la liberté contractuelle.

L’immixtion du pouvoir législatif se conteste d’autant plus qu’il est justifié par la volonté du gouvernement de ne pas laisser la faculté à l’ordre judiciaire de pouvoir trancher les litiges.

« Quand la loi peut le faire, mieux vaut ne pas laisser la jurisprudence officier ». Tels ont été les mots prononcés au cours des débats parlementaires par M. le ministre Emmanuel Macron pour appuyer la nécessité d’une intervention législative.

Le droit français compte d’ores et déjà des moyens de revendiquer la sortie du réseau et de dénoncer une clause exorbitante : qualification d’abus de droit qui permet aux tribunaux de trancher, dispositions relatives au déséquilibre significatif, etc. L’intervention du législateur n’était pas requise, sous réserve d’accorder sa confiance aux tribunaux. En l’espèce l’impression du texte est au contraire celle d’une défiance vis-à-vis des juridictions. Nous soulignerons encore que certains réseaux, déstabilisés par la sortie de nombreux franchisés ou affiliés, pourraient être amenés à se retourner contre l’Etat, responsable à leurs yeux de l’effondrement de leur modèle économique (responsabilité des lois devant le Conseil d’Etat). Par ailleurs, des parlementaires ont déjà annoncé, à l’occasion des débats sur l’amendement, qu’ils comptaient saisir le Conseil constitutionnel : l’étude d’impact réalisée portait sur le texte initial tel que déposé en décembre 2014, mais non sur le texte modifié tel qu’il sortira à l’issu de l’ajout des différents amendements. M. Macron s’est engagé à compléter l’étude d’impact réalisée pour les dispositions ajoutées, avant que le texte ne soit soumis au Sénat.

Ce texte ambitieux, intrusif et totalement inadapté est loin d’être définitivement adopté.

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Le règlement d’exemption 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022   Le nouveau Règlement d’exemption (n°2022/720) de la Commission est entré en vigueur le 1er juin 2022 (Règlement d’exemption n°2022/720, art. 11, Publié au JOUE du 11 mai 2022).…