La compétence juridictionnelle en matière de concession commerciale

CJUE, 8 mars 2018, aff. C-64/17

La CJUE se prononce sur la juridiction compétente pour connaitre d’une demande indemnitaire relative à la résiliation d’un contrat de concession commerciale conclu entre deux sociétés établies dans deux Etats membres différents pour la commercialisation de produits sur le marché national d’un troisième Etat membre.

Ce qu’il faut retenir : Dans son arrêt du 8 mars 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) se prononce sur la juridiction compétente pour connaitre d’une demande indemnitaire relative à la résiliation d’un contrat de concession commerciale conclu entre deux sociétés établies dans deux Etats membres différents pour la commercialisation de produits sur le marché national d’un troisième Etat membre. De plus, cet arrêt enrichit la jurisprudence de la CJUE en matière de clauses attributives de juridiction.

Pour approfondir : En l’espèce, une société belge et une société portugaise ont conclu un contrat, non écrit, portant sur une concession commerciale dont l’objet était la promotion et la distribution en exclusivité de produits sur le territoire espagnol. Aucune des deux sociétés contractantes ne possédait d’établissement ou succursale en Espagne.

Le contrat a été exécuté pendant quelques mois avant que la société belge ne mette fin aux relations contractuelles. Estimant subir un préjudice, la société portugaise a assigné la société belge devant les tribunaux portugais pour en obtenir réparation.

La société belge a soulevé une exception d’incompétence en faisant valoir que « d’une part, les produits concernés ont été chargés en Belgique et que [la société portugaise] s’est occupée du transport et, d’autre part, que le point 20 des conditions générales auxquelles étaient soumises les ventes de ces produits contenait une clause attributive de juridiction précisant que les litiges seraient tranchés par les tribunaux de Kortijk (Belgique) ».

Le Tribunal portugais a rejeté cette exception d’incompétence en estimant être internationalement compétent ; la société belge a donc interjeté appel. La juridiction d’appel a considéré qu’il convenait de déterminer la juridiction compétente entre la juridiction belge, portugaise et espagnole en application du Règlement Bruxelles I Bis n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Le juge d’appel a ainsi décidé de sursoir à statuer afin de saisir la CJUE de treize questions préjudicielles. La Cour a répondu à ces questions en deux temps en se prononçant tout d’abord sur la clause attributive de juridiction puis sur la qualification du contrat.

  • Sur les questions relatives à la clause attributive de juridiction

La volonté de la Cour de répondre tout d’abord à la question relative à la clause attributive de juridiction est logique car comme elle le rappelle : une telle clause « est selon le libellé de l’article 25, paragraphe 1, du règlement 1215/2012, en principe exclusive » (nous soulignons).

Rappelant sa jurisprudence constante concernant l’interprétation stricte d’une clause attributive de juridiction (CJUE 28 juin 2017, Leventis et Vafeias, C-436/16), la Cour vérifie si la clause d’espèce répond bien aux exigences du Règlement n°1215/2012.

Tout d’abord, la clause attributive peut être conclue par écrit ou oralement avec une confirmation écrite. Le juge saisi doit ensuite examiner si la clause a effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties qui doit se manifester d’une manière claire et précise (CJUE 28 juin 2017, Leventis et Vafeias, C-436/16). Enfin, si la clause attributive est stipulée dans des conditions générales, elle n’est licite « dans le cas où, dans le texte même du contrat signé par les deux parties, un renvoi exprès est fait à des conditions générales comportant ladite clause » (CJUE 7 juillet 2016, Höszig, C-222/15).

En l’espèce, le contrat n’étant pas un contrat écrit, les conditions générales contenant la clause attributive de juridiction concernée n’étaient mentionnées que dans les factures émises par la société belge.

La Cour conclue donc sur cette onzième question en indiquant que « sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, une clause attributive telle que celle en cause au principal, stipulée dans les conditions générales de vente mentionnées dans des factures émises par l’une des parties contractantes, ne satisfait pas aux exigences » de l’article 25 du Règlement n°1512/2012 (nous soulignons).

  • Sur les questions relatives à la qualification du contrat

Dans un second temps, la Cour s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 7 du Règlement n°1215/2012 qui dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande et que, sauf convention contraire, ce lieu est, (i) pour la vente de marchandises, le lieu de l’Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées et (ii) pour la fourniture de services, le lieu de l’Etat membre où en vertu du contrat les services ont été ou auraient dû être fournis.

La Cour a dû déterminer au regard de ces principes la juridiction compétente pour connaitre d’une demande indemnitaire relative à la résiliation d’un contrat de concession commerciale, conclu entre deux sociétés établies et opérant chacun dans un Etat membre différent, pour la commercialisation de produits sur le marché national d’un troisième Etat membre, sur le territoire duquel aucune de ces sociétés ne dispose de succursale ou d’un établissement.

La Cour a dû à titre préalable déterminer si le contrat de concession commerciale constituait un contrat de vente de marchandises ou un contrat de fourniture de services.

La Cour a ensuite raisonné en deux temps et a dû :

  • établir l’obligation caractéristique du contrat en tant que critère de rattachement ;
  • déterminer le lieu d’exécution de l’obligation caractéristique.

Ainsi dans un premier temps, la Cour, comme elle avait déjà eu l’occasion de le préciser, a indiqué que le contrat dont l’obligation caractéristique est la livraison d’un bien, doit être qualifié de vente de marchandises (CJUE 14 juillet 2016, Granarolo, C196/15). Concernant le contrat de fournitures de service, la Cour rappelle la notion de « service » qui « implique que la partie qui le fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération » (CJUE 15 juin 2017, Kareda, C-249/16).

Dans notre espèce, la Cour a maintenu sa jurisprudence en énonçant que le « contrat de concession exclusive ou quasi exclusive relève, en principe, de la notion de contrat de fourniture de services » (CJUE 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12).

Une fois la qualification retenue, la Cour a du déterminer le lieu d’exécution de l’obligation caractéristique.

En cas de pluralité de lieux d’exécution de l’obligation caractéristique, il faut entendre par lieu d’exécution de celle-ci « le lieu qui assure le lien de rattachement le plus étroit entre ce contrat et la juridiction compétente, ce lien de rattachement le plus étroit se vérifiant, en règle générale, au lieu de fourniture principale de services tel qu’il découle des dispositions du contrat ainsi qu’à défaut de telles dispositions, de l’exécution effective de ce contrat et en cas d’impossibilité de le déterminer sur cette base, celui du domicile du prestataire » (CJUE 11 mars 2010, Wood Floor Solutions Andreas Domberger, C-19/09).

La Cour de Justice de l’Union Européenne a retenu que cette approche devait s’appliquer en l’espèce et a conclu en énonçant que la juridiction compétente en vertu de l’article 7 du Règlement n°1512/2012 pour connaitre d’une demande indemnitaire relative à la résiliation d’un contrat de concession commerciale, conclu entre deux sociétés établies et opérant dans deux Etats membres différents, pour la commercialisation de produits sur le marché national d’un troisième Etat membre, sur le territoire duquel aucune de ces sociétés ne dispose de succursale ou d’établissement, est celle de l’Etat membre où se trouve le lieu de la fourniture principale des services, tel qu’il découle des dispositions du contrat ainsi que, à défaut de telles dispositions, de l’exécution effective de ce contrat et, en cas d’impossibilité de le déterminer sur cette base, celui du domicile du prestataire.

En conséquence, le juge d’appel portugais devra, pour établir la compétence juridictionnelle de ce litige, identifier le lieu de fourniture principale des services, à défaut de l’exécution effective du contrat (Espagne) et s’il est dans l’impossibilité de le déterminer, il demeurera compétent puisqu’étant le juge du territoire sur lequel le prestataire a son domicile.

Dans cet arrêt, la CJUE vient enrichir sa jurisprudence en matière de clause attributive de juridiction en énonçant qu’une telle clause qui n’est pas stipulée dans un contrat écrit mais dans des conditions générales qui sont référencées seulement dans les factures, ne constitue pas au sens de l’article 25 du Règlement n°1215/2012 une clause attributive de juridiction.

A rapprocher : CJUE 11 mars 2010, Wood Floor Solutions Andreas Domerger, C-19/09

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