Annulation du contrat de franchise pour dol

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Colmar, 30 sept. 2015, n°14/02315

Un contrat de franchise doit être annulé lorsque le franchiseur s’est livré sciemment à une présentation trompeuse et tronquée de l’ensemble du réseau et que les franchisés ne se seraient pas engagés s’ils avaient eu connaissance d’informations sincères, complètes et conformes aux dispositions des articles L.330-3 et R.330-1 du code de commerce.

Ce qu’il faut retenir : Un contrat de franchise doit être annulé lorsque le franchiseur s’est livré sciemment à une présentation trompeuse et tronquée de l’ensemble du réseau et que les franchisés ne se seraient pas engagés s’ils avaient eu connaissance d’informations sincères, complètes et conformes aux dispositions des articles L.330-3 et R.330-1 du code de commerce.

Le présent article a par ailleurs été publié aux éditions Dalloz.

Pour approfondir : Insatisfaits des résultats obtenus par l’exploitation de leur activité, des franchisés avaient sollicité l’annulation de leur contrat de franchise pour dol, au motif que le document d’information précontractuelle (DIP) qui leur avait été remis ne respectait pas les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce. Ils estimaient avoir été victimes d’une présentation volontairement incomplète et trompeuse du réseau de franchise et faisaient valoir qu’ils ne se seraient pas engagés s’ils avaient eu connaissance d’informations sincères, complètes et conformes aux dispositions précitées. Pour annuler le contrat de franchise au cas d’espèce, la Cour d’appel retient quatre séries de griefs à l’encontre du franchiseur. La motivation de cette décision est marquée par plusieurs imprécisions, qui suscitent ce commentaire.

En premier lieu, la Cour d’appel reproche au franchiseur d’avoir remis un DIP dont l’état général du marché comportait des données trop anciennes. La Cour d’appel relève à ce titre « qu’il est constant que les informations et données communiquées par le document d’information précontractuelle datent pour l’essentiel des années 2003 et 2004 alors que les contrats de partenariat ont été signés en 2009 et 2010 ». Effectivement, la circonstance que les données soient anciennes est critiquable au regard des exigences de l’article R.330-1, 4° du code de commerce. La motivation de l’arrêt n’explicite pas toutefois la raison pour laquelle il est indiqué par ailleurs, comme pour tempérer le grief, « qu’il doit être observé que certaines données datent de l’année 2002 alors qu’il y est précisé qu’il était mécaniquement impossible de fournir des informations plus récentes ». De deux choses l’une : soit il n’était pas possible de fournir des informations plus récentes et, dans ce cas, le grief n’a pas lieu d’être (ce d’autant qu’à la lecture de l’arrêt, cette information semble même avoir été finalement portée à la connaissance des franchisés) ; soit il était possible de fournir des informations plus récentes et, dans ce cas, le grief était justifié. On notera que la Cour d’appel n’indique pas avoir vérifié l’hypothèse dans laquelle les parties se trouvaient exactement.

En deuxième lieu, il est fait grief au franchiseur de n’avoir remis aucun état local du marché, au mépris de l’article R.330-1, 4° du code de commerce. Le franchiseur ne contestait pas cette omission mais faisait valoir que les franchisés n’avaient eux-mêmes pas procédé à l’étude de marché que la jurisprudence leur impose pourtant de réaliser, au nom du devoir de se renseigner qui pèse sur tout commerçant indépendant (v. not., CA Montpellier, 21 oct. 2014, n°13/03207 ; CA Paris, 19 mars 2014, n°12/13346 ; CA Lyon, 7 Juin 2012, n°10/05159). Les parties se trouvaient donc dans la situation, assez particulière, où elles avaient failli à ce qui constitue une obligation de source légale (pour le franchiseur) et un devoir de source jurisprudentielle (pour le franchisé). Ce faisant, se posait donc la question de savoir si le franchiseur pouvait encore reprocher à son franchisé de n’avoir pas réalisé d’étude de marché ? On le sait, en pareil cas, la jurisprudence réserve des solutions apparemment divergentes (CA Paris, 19 févr. 2014, n°11/19999 ; CA Paris, 14 sept. 2011, n°09/02320 : considérant que, faute d’étude de marché, l’absence de présentation du marché local n’a pas été un élément déterminant pour le franchisé – V. en sens contraire : CA Paris, 10 sept. 2014, n°10/14533 : considérant que, s’il appartient au franchisé, sur la base des éléments communiqués par le franchiseur, de réaliser lui-même une analyse d’implantation précise, encore faut-il que les éléments essentiels fournis par celui-ci pour éclairer son cocontractant soient exacts et lui permettent de se déterminer en toute connaissance de cause). La divergence de ces solutions s’explique par des considérations d’ordre factuel, échappant par nature au contrôle de la Cour de cassation (Cass. com., 28 mai 2013, n°11-27.256). A ce titre, l’arrêt commenté retient successivement « que ces informations sont essentielles puisque seul le concédant est en mesure de fournir une évaluation de la clientèle locale potentielle », puis qu’il « ne peut être utilement reproché aux candidats à la franchise de ne pas s’être livré eux-mêmes à cette étude en l’absence de données préalables pour ce faire ». Deux remarques s’imposent. Tout d’abord, la Cour d’appel ne répond pas à l’argumentation du franchiseur, qui soulignait pourtant que les franchisés avaient disposé d’un délai de réflexion important, laissant supposer qu’ils n’avaient pas pu être trompés ou, à tout le moins, que l’absence d’état local du marché n’avait pas été déterminante de leur consentement. Ensuite, on notera que, par l’emploi des termes « cette étude », la Cour d’appel semble confondre l’état local du marché (que le franchiseur doit remettre) avec l’étude de marché (que le franchisé doit réaliser).

En troisième lieu, il est fait grief au franchiseur de n’avoir « fait état d’aucun établissement pilote au sein duquel le concept aurait été éprouvé ». Si l’existence d’une ou plusieurs unités pilote est évidement préférable, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, contrairement à ce que la Cour d’appel semble indiquer, l’exploitation d’une unité pilote par le franchiseur n’est pas indispensable, aucun texte à valeur contraignante ne l’exigeant (v. en ce sens, CA Versailles, 24 nov. 2005, n°04/04461 ; CA Versailles, 27 mai 1993, Juris-Data n°1993-045068). Ensuite, le franchiseur n’encourt aucun grief dès lors que le franchisé savait qu’il n’existait aucune unité pilote (CA Aix-en-Provence, 22 juin 2007, n°05/05513 ; CA Rouen, 14 mai 1992, Juris-Data n°048824), ce qui semble avoir été le cas en l’espèce.

En quatrième lieu, il est reproché au franchiseur d’avoir remis un DIP comprenant une présentation incomplète et trompeuse du réseau. Telle est l’appréciation souveraine à laquelle se livre la Cour d’appel. On peut toutefois regretter, à la lecture de la motivation de l’arrêt, que les dispositions de l’article R.330-1, 5° du code de commerce ne soient pas visées, ni qu’on sache exactement si les mentions requises par ce texte avaient été reprises ou non par le franchiseur dans le DIP.

A rapprocher : Le devoir du franchisé de « se » renseigner (Etude d’ensemble – Mai 2015)

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