Contrat de franchise et droit du travail

GUILLÉ Jérôme

Avocat

CA Limoges, 3 février 2020, n°18/01198

Les procédures de contrôle, qui ont pour objectif de contrôler la fidélité au modèle défini par la tête de réseau, ne portent pas atteinte à l’indépendance du franchisé qui bénéficie de l’image de la franchise et se doit d’en respecter les termes et conditions.

Un franchisé du réseau de restauration La Pataterie entre septembre 2013 et juillet 2016 a saisi le conseil de prud’hommes de Limoges par une demande reçue au greffe le 29 mai 2017 aux fins de voir requalifier le contrat de franchise en contrat de travail, et à titre subsidiaire de se voir appliquer le statut de gérant de succursales de l’article L.7321-1 du Code du travail ainsi que d’obtenir la condamnation du franchiseur au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire, congés payés afférents, remboursement du droit d’entrée, outre intérêts, ainsi qu’à titre indemnitaire.

Par jugement en date du 13 novembre 2018, le conseil de prud’hommes de Limoges a débouté l’ancien franchisé de ses demandes ; ce dernier a régulièrement interjeté appel de cette décision le 13 décembre 2018.

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Limoges est l’occasion de rappeler les critères d’application (ou non) des dispositions du droit du travail à un franchisé.

Sur la première demande du franchisé tendant à voir requalifier le contrat de franchise en contrat de travail, la cour rappelle la nécessité pour le franchisé de démontrer un lien de subordination « caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

Après avoir rappelé que le contrat de franchise signé par l’ancien franchisé contenait une clause stipulant « que le franchisé est un commerçant indépendant totalement responsable de son exploitation et qui n’est pas habilité à agir au nom et pour le compte du Master franchisé, à le représenter ou à souscrire des engagements en son nom, n’étant ni son agent, ni son représentant commerce, ni son mandataire, ni son salarié, ni son associé », la cour d’appel de Limoges retient que les normes et obligations suivantes imposées par le franchiseur ne permettent pas de caractériser l’existence d’un contrat de travail :

  • L’obligation de respecter un prix maximum conseillé, dès lors que le franchisé conserve sa liberté de fixation de sa carte et de ses prix dans cette limite, l’édition par la tête de réseau des cartes n’y faisant pas échec dans la mesure où cette carte est modifiable selon les besoins locaux, pas plus que le logiciel de caisse qui permet au franchisé de sortir du tronc commun sans passer par le franchiseur ;
  • Le respect des règles d’hygiène et de sécurité incluant une politique d’audit de la tête du réseau, dès lors que cela permet au franchiseur d’adapter son organisation en conformité avec les normes et standards commerciaux du concept franchisé ;
  • La remontée d’information, dès lors que « ces procédures de contrôle, qui ont pour objectif de contrôler la fidélité au modèle défini par la tête de réseau, ne portent pas atteinte à l’indépendance du franchisé qui bénéficie de l’image de la franchise et se doit d’en respecter les termes et conditions » ;
  • Le respect de normes et standards (agencement, ambiance musicale, ouverture des restaurants) ;
  • La clause de résiliation anticipée en ce qu’elle constitue une clause classique dans un contrat commercial qui vient sanctionner une inexécution des stipulations contractuelles et permet de garantir les droits du co-contractant.

En définitive, pour la cour d’appel, l’ensemble de ces contraintes est en adéquation avec le principe même de la franchise qui consiste en la reproduction par les franchisés du modèle de réussite du franchiseur, le contrat de franchise comportant la transmission d’un savoir-faire original et l’octroi d’un droit d’user d’une marque en conformité avec le concept du franchiseur

tout au long de l’exécution du contrat, moyennant le paiement d’une redevance et est exclusif de tout lien de subordination juridique avec le franchiseur.

L’ancien franchisé est donc débouté de sa demande de requalification en contrat de travail faute de démontrer qu’il a été soumis dans l’exécution de son travail à l’autorité d’un employeur, en l’occurrence du franchiseur, ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives et de sanctionner les manquements.

Sur la demande tendant à voir appliquer le statut de gérant de succursales de l’article L.7321-1 du Code du travail, la cour rappelle que l’application de ce régime nécessite de démontrer la réunion des critères suivants :

  • La vente de marchandises, de toute nature, fournies exclusivement ou presque exclusivement par le partenaire,
  • L’exercice de la profession dans un local fourni ou agréé par le partenaire,
  • L’imposition des conditions et prix par le partenaire.

Après avoir admis qu’au cas d’espèce, la condition d’agrément du local pouvait être considérée comme remplie, elle retient que les deux autres conditions sont manquantes. En effet :

  • Il n’est pas démontré ni même soutenu que la plateforme logistique en charge de l’approvisionnement est intégrée au groupe du franchiseur ou limite son activité d’approvisionnement à celui des restaurants appartenant au groupe ;
  • L’environnement est standardisé de manière à permettre l’identification de la franchise, l’usage du logiciel imposé est destiné au contrôle du respect des normes de la franchise, seul est recommandé un prix maximum pour respecter l’esprit familial et bon marché de la restauration de la franchise, le franchisé restant maître dans cette limite des prix qu’il pratique ;
  • Quant à la vente des marchandises de toute nature, le franchisé ne vend pas d’objets ou de matières bruts tels qu’ils lui sont livrés par la plateforme logistique puisque, s’agissant de restauration et non de vente des produits finis, les produits sont ensuite assemblés ou transformés pour constituer les plats proposés à la vente.

En définitive, rappelant que les conditions de travail à proprement parler, à savoir les rémunérations, le temps de travail et l’organisation des tâches, ressortissent du pouvoir de direction de l’exploitant et ne sont pas imposées par le franchiseur, sauf pour le franchisé, à respecter l’ouverture quotidienne prévue par le concept qui en tout état de cause ne conditionne pas tous les autres éléments, la cour d’appel de Limoges déboute le franchisé de sa demande au titre de l’application du statut de gérant de succursales.

A rapprocher : Cass. com., 4 mai 2017, n°15-20.689

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