Location-gérance et décision de gestion

CA Rennes, 10 mai 2016, RG n°15/06789

La location-gérance peut être autorisée antérieurement au délai de 2 ans d’exploitation personnelle requis par l’article L.144-3 du Code de Commerce, lorsque, en dehors de toute intention spéculative, le juge reconnait que la requête en autorisation s’inscrit dans le cadre d’une « décision de gestion interne », en vue de la « continuité d’exploitation d’un même établissement ».

Ce qu’il faut retenir : La location-gérance peut être autorisée antérieurement au délai de 2 ans d’exploitation personnelle requis par l’article L.144-3 du Code de Commerce, lorsque, en dehors de toute intention spéculative, le juge reconnait que la requête en autorisation s’inscrit dans le cadre d’une « décision de gestion interne », en vue de la « continuité d’exploitation d’un même établissement ».

Pour approfondir : L’article L.144-3 du Code de commerce énonce que « les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l’établissement artisanal mis en gérance ».

Le propriétaire du fonds, locataire du bail, ne peut alors déroger à cette obligation que par autorisation, lorsqu’il démontre de son impossibilité d’exploiter personnellement, ou via des préposés, son fonds.

Ainsi, qu’en est-il lorsque le locataire, propriétaire d’un fonds de commerce, souhaite permettre la succession à deux locataires gérants différents ? L’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 10 mai 2016 laisse imaginer que le renouvellement de l’autorisation établie en vertu de l’article L.144-3 du Code de commerce doit nécessairement être accepté, malgré la précédente autorisation : en l’espèce, la société SAS France QUICK avait obtenu une première autorisation pour concéder son fonds en location-gérance auprès de la société SANTANA. Lorsque celle-ci se termine néanmoins, le Tribunal rejette, par ordonnance, sa requête en autorisation émise en vue de concéder en location-gérance, le fonds à une autre société, avant le délai de 2 ans d’exploitation personnelle.

L’arrêt en question est significatif en matière de location-gérance à plusieurs titres. Il rappelle les avantages de ce régime, pour les deux parties : autant pour le locataire-gérant, qui peut lancer son activité économique bien que « ne disposant pas de la capacité d’investissement nécessaire à une rentabilité suffisante », mais aussi pour le propriétaire du fonds de commerce, qui peut ainsi «  conserver l’intégrité de son réseau ». Mais il rappelle aussi le risque qui en découle, et qui justifie ce régime de soumission de la location-gérance à autorisation en cas de non exploitation personnelle du fonds pendant deux ans : le risque de spéculation.

Ce régime porte en effet le risque de voir le locataire concéder en location-gérance un local n’étant pas ou peu exploitable, sans en supporter les risques, et en recevant, en contrepartie, des redevances de la part du locataire-gérant. Ce serait alors pour éviter cette « intention spéculative » que se justifierait l’article L.144-3 du Code de commerce précité.

Au-delà de ces rappels généraux sur la location-gérance, l’arrêt en question interpelle en ce que la Cour d’appel juge que l’autorisation requise par la SAS France QUICK doit être accueillie, non tant en vertu de l’impossibilité pour cette dernière d’exploiter le fonds personnellement ou par ses seuls préposés, mais en vertu de la « conserv[ation de] l’intégrité de son réseau ». Ce que la Cour reconnait, c’est l’absence d’intention spéculative de la part de la société – absence révélée par le fait que sa demande s’inscrit dans une « décision de gestion interne assurant la continuité d’exploitation d’un même établissement ». Ainsi, dès lors que le risque de spéculation justifiant une autorisation préalable à la location gérance n’est pas avéré, le juge serait susceptible de dispenser le propriétaire du fonds de commerce de l’autorisation d’exploitation personnelle pendant 2 ans, et d’autoriser le locataire à donner son fonds de commerce en location gérance avant ce terme. Cette analyse structurelle de la location-gérance, du réseau dans lequel elle s’inscrit, a déjà été employée dans d’autres arrêts (CA Paris 1er déc. 1994, RJDA 1995, n° 279 ; CA Versailles 18 janvier 1988, D. 1988, IR 77) ; vient-elle poser comme critère de la licéité de la location-gérance, l’intention de spéculer ?  Il est peut-être tôt pour le dire, d’autant que ce n’est pas le seul motif retenu par la Cour d’appel ici, mais il conviendra d’y porter attention. Il faut souligner d’ailleurs que la spéculation reste l’essence même de ce régime puisque le propriétaire peut espérer, à terme, l’enrichissement de son fonds de commerce, sans supporter les risques liés à l’exploitation, ni indemniser le locataire-gérant de la plus-value clientèle qui pourrait en découler.

A rapprocher : Voir aussi notre article sur le contrat de location gérance

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