L’engagement de Booking.com devant l’Autorité de la concurrence : la fin des clauses de parité ?

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ALBARIC Cristelle

Avocat associée - Docteur en droit

Décision n°15-D-06 du 21 avril 2015 de l’Autorité de la concurrence française

La plateforme de réservation hôtelière en ligne Booking.com s’est engagée à cesser de stipuler des clauses de parité dans ses contrats avec les hébergements partenaires à partir du 1er juillet 2015.

Ce qu’il faut retenir : La plateforme de réservation hôtelière en ligne Booking.com s’est engagée à cesser de stipuler des clauses de parité dans ses contrats avec les hébergements partenaires à partir du 1er juillet 2015.

Pour approfondir : Le 21 avril 2015, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision contraignant la plateforme de réservation hôtelière en ligne (Online Travel Agency ou OTA) Booking.com à cesser de stipuler dans ses contrats avec les hôtels référencés sur son site des clauses de parité.

Les clauses de parité interdisent à un hôtelier de proposer, elle-même ou par le biais d’autres OTA, des conditions plus favorables que celles proposées par une OTA spécifique à ses clients. 

En l’espèce, le site Booking.com avait l’habitude de soumettre ses hébergements partenaires à une obligation de parité des tarifs, des conditions et des disponibilités : ainsi les hébergements ne pouvaient proposer à leurs clients des tarifs, conditions ou disponibilités plus avantageux que ceux proposés par  Booking.com sur son site.

Le groupe hôtelier Accor et plusieurs syndicats hôteliers français ont saisi l’Autorité de la concurrence afin que celle-ci se prononce sur la conformité des pratiques de Booking.com aux articles 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) ainsi qu’aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

L’Autorité a jugé que les pratiques de Booking.com ne soulevaient pas de préoccupations de concurrence et n’a pas engagé de procédure au fond.

Elle a cependant eu recours à la procédure d’engagements, contraignant ainsi Booking.com à s’engager à ne plus stipuler de telles clauses dans les contrats conclus avec les hébergements. Booking.com a mis en œuvre ses engagements le 1er juillet 2015.

En l’espèce, cinq syndicats hôteliers français – l’UMIH, le GNC, la CPIH, le SYNHORCAT et la FAGIHT – ainsi que le groupe hôtelier Accor, ont saisi l’Autorité de la concurrence, qui a joint l’instruction des affaires le 25 février 2015.

I. Les griefs soulevés par les parties saisissantes

Les parties saisissantes ont exposé six griefs à l’encontre du site de réservation et de référencement en ligne des hôtels Booking.com, lui reprochant d’imposer aux hôteliers dans ses Conditions Générales de Prestations (les « CGP ») :

–    « des clauses contractuelles dites «de parité», en vertu desquelles les plateformes exigent des hôteliers de bénéficier d’un tarif, d’un nombre de nuitées et de conditions d’offre (conditions de réservation, inclusion ou non du petit-déjeuner, etc.) au moins aussi avantageux que ceux proposés sur les plateformes concurrentes ainsi que sur l’ensemble des autres canaux de distribution (en ligne et hors ligne), parmi lesquels les canaux de distribution propres à l’hôtel (site Internet, téléphone, e-mail, au comptoir de l’hôtel, etc.) ;

–    des commissions (directes ou indirectes) prohibitives ;

–    des clauses contractuelles donnant le droit aux plateformes d’utiliser le nom de l’hôtel, ce qui leur permettrait ainsi d’améliorer leur référencement au détriment de celui des sites Internet de réservation des hôtels et de lancer des campagnes marketing sur Internet ;

–    des clauses contractuelles interdisant à l’hôtelier de contacter directement les clients obtenus via ces intermédiaires, ce qui permettrait aux plateformes de garder la mainmise sur les clients de l’hôtel ;

–    des clauses de suspension et/ou résiliation unilatérale ;

–    des clauses d’exonération de responsabilité. »

Les parties saisissantes considéraient que ces clauses constituaient, d’une part, des « restrictions verticales de concurrence », prohibées par l’article L. 420-1 du code de commerce et l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (le « TFUE »), et, d’autre part, un « abus de position dominante », prohibé par l’article L. 420-2 du code de commerce et l’article 102 du TFUE.

II. Les moyens de Booking.com

L’Autorité de la concurrence s’est particulièrement intéressée aux problèmes que posent les clauses de parité. Elle a ainsi exposé les justifications apportées par Booking.com pour l’utilisation de telles clauses.

Tout d’abord, Booking.com explique que ces clauses permettent de « limiter le parasitisme » : en effet, les plateformes telles que Booking.com se rémunèrent par une commission perçue sur le prix de séjour dépensé par un client ayant réservé sur la plateforme. Si aucune réservation n’est faite, Booking.com n’est pas rémunéré pour le référencement en ligne procuré aux hébergements partenaires. Ainsi, si la clause de parité venait à disparaître, Booking.com craint que les clients ne se servent de la plateforme qu’à titre de site de référencement d’hôtels, sans jamais effectuer de réservation sur Booking.com, préférant ainsi réserver par le biais d’autres plateformes ou les canaux en ligne et hors ligne de l’hôtel, qui proposeraient des prix ou disponibilités plus avantageux.

Deuxièmement, Booking.com ajoute que les clauses de parité permettent de « garantir le meilleur prix et limiter les coûts de recherche » : les clients potentiels verraient leurs coûts de recherches augmentés si les plateformes ne garantissaient plus le « meilleur prix ». Une conséquence possible serait l’augmentation du tarif des nuitées, notamment puisque les hôtels pourraient considérer que les clients ne seront plus en mesure d’identifier des tarifs avantageux.

Enfin, Booking.com indique que les clauses de parité permettent d’« éviter une distorsion de concurrence entre petits et grands hôtels ».  Booking.com argumente que la disparition des clauses de parité atténuerait fortement la distinction entre les fonctionnalités de recherche et de comparaison offertes par les plateformes de réservation en ligne et par des moteurs de recherche ou sites comparateurs. Les grands hôtels bénéficieraient dans cette hypothèse d’une plus grande visibilité que les petits, puisqu’ils sont en mesure de référencer directement leur site sur les moteurs de recherche et sites comparateurs. 

III. La décision de l’Autorité de la concurrence

En vertu de l’article L. 464-2 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence peut mettre en œuvre une procédure d’engagements, c’est-à-dire une procédure par laquelle elle va accepter que l’entreprise ou l’organisme auquel on reproche une activité anticoncurrentielle s’engage à cesser toute pratique soulevant de telles préoccupations.

C’est la procédure que l’Autorité a engagée en l’espèce.

Les engagements initialement proposés par Booking.com ont été révisés par l’Autorité, assistée d’autres autorités nationales de la concurrence de l’Union Européenne.

En effet, ces autorités ont mis en place, avec le soutien de la Commission européenne, une coopération renforcée afin de traiter d’affaires similaires présentées devant les juridictions nationales.

L’Autorité a jugé que les clauses insérées par Booking.com dans ses CGP ne soulevaient, à l’exception des clauses de parité, aucune préoccupation de concurrence.

Quant aux clauses de parité, l’Autorité a accepté les engagements de Booking.com : la plateforme de réservation en ligne s’est engagée à supprimer les clauses de parité tarifaire, de conditions et de disponibilités de ses CGP. 

Concrètement, cela signifie que Booking.com s’engage à ne plus obliger les hébergements partenaires à proposer, eux-mêmes ou par le biais d’autres plateformes de réservation en ligne :

–    des tarifs au moins équivalents à ceux proposés sur le site de Booking.com ;

–    des conditions (par exemple le petit-déjeuner inclus ou le spa) au moins aussi avantageuses que celles proposées sur le site ; et

–    des disponibilités qui n’apparaissent pas sur le site.

Cependant, l’Autorité fait une distinction entre les canaux en ligne et hors ligne des hôteliers dans le cas des clauses de parité tarifaire.

En effet, Booking.com ne s’est pas engagée à supprimer les clauses de parité obligeant les hôteliers à ne proposer sur leurs canaux en ligne (site internet) que des tarifs de nuitées supérieurs ou équivalents à ceux proposés par Booking.com. Seuls les tarifs avantageux proposés sur les canaux hors ligne (par exemple, lorsque des réservations sont effectuées par téléphone, par le biais d’une agence de voyage ou en personne à la réception) échappent à la stipulation d’une clause de parité.

En acceptant ces engagements, l’Autorité considère que toute préoccupation de concurrence est éliminée et il ne pourrait être reproché à Booking.com d’appliquer des pratiques anticoncurrentielles.

Cette décision s’inscrit dans un contexte national et européen de suppression des clauses de parité.

En effet, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances (dite loi Macron) prévoit en son article 33 octies A la modification de l’article L. 311-5-1 alinéa 2 en ces termes : « L’hôtelier conserve la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage tarifaire, de quelque nature que ce soit, toute clause contraire étant réputée non écrite ».

De plus, cette condamnation des clauses de parité n’est pas cantonnée au milieu hôtelier. Le 11 juin 2015, la Commission Européenne a ouvert une procédure formelle d’examen à l’encontre d’Amazon, qui avait également inséré des clauses de parité dans ses contrats avec des maisons d’éditions. En effet, ces clauses stipulent au profit d’Amazon :

–    « Le droit d’être informée de toutes conditions différentes, voire plus favorables, accordées à ses concurrents ; et/ou

–    Le droit de bénéficier de modalités et de conditions analogues à celles qui sont accordées à ses concurrents ».

La Commission entend ainsi examiner si de telles pratiques contractuelles constituent un abus de position dominante ou des pratiques commerciales restrictives.

A rapprocher : Décision n°15-D-06 du 21 avril 2015 de l’Autorité de la concurrence française

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