Contrôle des investissements étrangers : patriotisme économique vs libéralisme ?

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ALBARIC Cristelle

Avocat associée - Docteur en droit

Décret n°2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable

Le gouvernement français a adopté le décret n°2014-479 le 14 mai dernier, baptisé « décret Alstom », relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable (le « Décret »).

En marge du projet de rachat par le géant américain General Electric (GE) d’Alstom, le gouvernement français a adopté le décret n°2014-479 le 14 mai dernier, baptisé « décret Alstom », relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable (le « Décret »). Le Décret a été publié au JORF n°0112 du 15 mai 2014.

Secteurs d’activités concernés Ce décret étend le champ d’application de l’article R.153-2 du Code monétaire et financier, lequel date du 31 décembre 2005, actualisé par décret du 7 mai 2012. Jusqu’ici, étaient concernés les jeux d’argent (sauf les casinos), la sécurité privée, les moyens de lutte contre le terrorisme, les activités d’écoute, la sécurité des technologies de l’information et des échanges sur Internet, la défense et les armes et tout ce qui est soumis au secret de la défense nationale. Désormais, sont ajoutés aux secteurs susvisés, les domaines (i) de l’eau, (ii) de la santé, (iii) de l’énergie, (iv) des transports et (v) des télécommunications.

Notion d’investisseur étranger – Sont soumis à autorisation préalable du Ministre chargé de l’économie (qui dispose d’un délai de deux mois pour répondre à la demande, à défaut, l’autorisation est réputée acquise (article R 153-7 du Code monétaire et financier)) :
– les investissements étrangers,
– réalisés par (i) une personne physique qui n’est pas ressortissante d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace Economique Européen ayant conclu une convention d’assistance administrative avec la France en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, (ii) par une entreprise dont le siège social ne se situe pas dans l’un de ces mêmes Etats ou (iii) par une personne physique de nationalité française qui n’y est pas résidente,
– dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève de l’un des domaines susvisés.

Commission européenne – La Commission européenne a aussitôt mis en garde contre « la tentation protectionniste ». En effet, le traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’Union Européenne (UE), entré en vigueur le 1er décembre 2009, interdit (Titre IV relatif à la liberté de circulation des personnes, des services et des capitaux – article 63) les restrictions de capitaux entre États membres et pays tiers à l’UE. De ce fait, les États ne peuvent intervenir pour limiter les mouvements de capitaux qu’au regard de considérations liées à la défense nationale. La Commission européenne n’exige pas non plus la réciprocité dans ses relations économiques avec les pays tiers et n’a pas, à ce jour, proposé l’élaboration d’une législation permettant de contrôler les investissements extra-communautaires portant sur des secteurs qui doivent demeurer sous contrôle européen.

Quid de l’existence de législations relatives à la protection des intérêts stratégiques dans d’autres pays ? – La France n’est pas un cas isolé. Les deux grands pays concurrents de l’Europe, les Etats-Unis et la Chine, contrôlent les investissements dans les domaines qu’ils jugent stratégiques, et ce ne sont pas les seuls pays à avoir adopté cette position. Le récent rapport d’information publié par la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale en janvier 2014, sur les investissements extracommunautaires et le contrôle des intérêts stratégiques européens, fournit un état des lieux intéressant sur ce sujet. Ainsi, ce rapport rappelle que :

Aux USA – Depuis 2007 avec le Foreign Investment and National Security Act (FINSA), les États-Unis ont intégré, dans le cadre de leurs contrôles des investissements étrangers, les opérations dans les infrastructures essentielles et ressources stratégiques. Suite à l’adoption du FINSA, la procédure d’enquête prévue par la CFIUS (Comité sur les investissements étrangers) devient obligatoire, dès lors qu’une acquisition est réalisée par une entreprise contrôlée par un gouvernement étranger (quel que soit le niveau d’inquiétude a priori vis-à-vis de la sécurité nationale).

Elle est également obligatoire dans le cas d’une opération qui mettrait sous contrôle étranger une infrastructure critique ou un bien énergétique important. Par ailleurs, il revient à l’investisseur étranger de faire la démonstration du bien-fondé économique de son investissement et du fait que ce dernier ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale.

En Chine – Selon le rapport sur les investissements mondiaux publié en juin 2013 par la CNUCED, la Chine était, en 2012, la 2ème destination des flux d’investissements directs étrangers dans le monde (avec 121 Mds USD), après les États-Unis (avec 168 Mds USD), la France se plaçant, pour mémoire, à la 16ème position avec 25 Mds USD.

La Chine va plus loin que les USA dans le contrôle des investissements directs étrangers. Elle ne se limite pas à vérifier les investissements touchant à la sécurité nationale, mais vérifie systématiquement les investissements susceptibles d’avoir un lien avec la sécurité économique.

Ainsi, les investissements directs étrangers sont-ils soumis à un double filtre. Le premier permet aux autorités d’interdire tout investissement étranger dès lors qu’il est de nature à affecter la sécurité économique du pays, à impliquer un secteur industriel majeur ou déboucher sur un transfert de marques traditionnelles chinoises à l’étranger. Le second consiste à vérifier si l’investissement ne vise pas un secteur qui est prohibé ou restreint conformément à une liste établie en fonction des objectifs de la politique économique chinoise.

Des contrôles spécifiques à certains secteurs, tels que les télécommunications ou les services financiers, viennent s’ajouter à ces deux niveaux de contrôle préalable, rendant le système particulièrement opaque. Au total, la Chine possède plus de 200 lois réglementant les investissements étrangers. Le Ministère du commerce (« MOFCOM ») et la Commission nationale pour le développement et la réforme (« NDRC ») publient un décret dénommé « Catalogue des investissements industriels étrangers » dont la dernière mise à jour date du 30 janvier 2012. Il prévoit des restrictions sectorielles et des seuils de détention du capital par les investisseurs étrangers et les regroupent en 3 catégories : les activités encouragées (363 activités), les activités restreintes (79 activités) et les activités interdites (36 activités). Les projets d’investissements n’étant pas expressément visés par le catalogue sont réputés autorisés. Parmi les activités encouragées et les activités restreintes, celles que le gouvernement chinois considère comme stratégiques sont limitées à des joint-ventures, voire des joint-ventures contrôlées par l’associé chinois. Le Catalogue 2012 facilite l’accès des investisseurs aux activités de services et de capital-risque, ainsi qu’aux activités qui contribuent à la protection environnementale. Les investissements encouragés peuvent permettre aux sociétés tant chinoises qu’étrangères de bénéficier de certains avantages et notamment fiscaux ou douaniers.

En Allemagne – Depuis la réforme de la loi sur le commerce extérieur intervenue en 2009, le Ministère de l’économie allemand peut vérifier et interdire, au regard de l’ordre public et de la sécurité, tous les investissements étrangers (hors UE) dans tous les secteurs de l’économie, dès lors qu’il s’agit d’une prise de participation supérieure à 25 %.

En Espagne – Pour certains investissements, une autorisation administrative préalable est exigée. Il s’agit des domaines sensibles dans lesquels l’investisseur doit obtenir le feu vert du Conseil des ministres, des intérêts publics considérés comme essentiels (étant en cause : audiovisuel ; transport aérien ; jeux et loteries ; activités directement liées à la défense nationale (y compris les télécommunications)). Une autorisation préalable, cette fois-ci de la Direction générale des transactions extérieures, est encore exigée pour les compagnies d’assurance et les sociétés anonymes sportives. Au Canada – Depuis les années 1980, le Canada prévoit un contrôle préalable sur les investissements étrangers et les prises de contrôle de groupes canadiens par l’étranger.

Au Royaume-Uni – Même s’il n’existe pas de législation sur les investissements directs étrangers, d’autres dispositifs permettent un contrôle, par le biais de l’Enterprise Act (2003), qui introduit une application spécifique du contrôle des concentrations aux secteurs affectant les intérêts publics, sans que ceux-ci ne soient listés.

En Corée du Sud – Mouvement inverse : limitation des régulations sur le commerce et les investissements – Alors que l’on constate une tendance au développement d’un patriotisme économique dans certains pays, conséquence parfois de la crise économique, la Corée du Sud, souhaiterait diviser par trois le nombre de régulations liées au commerce extérieur et aux investissements étrangers afin de favoriser les flux de capitaux, a annoncé le Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Energie.

Parmi les 62 régulations en vigueur dans les domaines du commerce extérieur et des investissements étrangers, 19 à 30% d’entre elles devraient disparaître avant la fin du mandat de la Présidente Park Geun-hye, en février 2018.

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