Application de l’article L. 341-2 du Code de commerce

CA Paris, 22 novembre 2018, n°18/06688

La décision commentée retient que l’article L. 341-2 du Code de commerce s’applique aux contrats en cours le 6 août 2016.

L’article 31 V de la loi du 6 août 2015 énonce que le « I » de l’article L. 341-1 du Code de commerce « s’applique à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi ». Ce faisant, la question de savoir si les dispositions de ce texte s’appliquent aux contrats en cours à l’expiration de ce délai d’un an a été posée dès la promulgation de ce texte, les articles L. 341-2 et L. 342-2 du code de commerce ne répondant pas expressément à cette question (v. notre Etude, LDR, 12 août 2015, n° Spécial Loi Macron, Volet relatif aux relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail, spéc. dern. §. « régime transitoire »).

La décision commentée est, à notre connaissance, la première à se prononcer sur cette question.

Elle inspire trois séries de remarques.

En premier lieu, la solution retenue est claire : les articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce s’appliquent aux contrats en cours à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi. En l’espèce, la Cour d’appel de Paris retient en effet que « les dispositions précitées issues de la loi du 6 août 2015 sont bien applicables aux contrats en cours à la date de la publication de cette loi de sorte que la validité de la clause litigieuse en l’espèce, insérée dans un contrat conclu le 13 décembre 2012 et non expiré à la date d’entrée en vigueur de la loi précitée, doit être appréciée au regard des nouveaux articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce ».

Il est à noter que la tête de réseau faisait valoir en substance que :

  • les parties ne se sont pas opposées quant à la qualification de la clause de non réaffiliation contractuelle mais uniquement sur ses conséquences, les intimés ayant prétendu que cette clause ne pouvait avoir de validité que dans la limite où elle concerne les locaux objets de l’exploitation de la franchise ;
  • cette clause n’avait fait l’objet d’aucune contestation pendant l’exécution du contrat ;
  • l’antériorité de la clause contractuelle à l’entrée en vigueur de la loi Macron est un argument supplémentaire en faveur de sa validité étant observé que les dispositions de cette loi ne sont pas d’ordre public et ne peuvent remettre en cause le principe de sécurité juridique ;
  • le débat porte sur des faits de concurrence déloyale commis par le franchisé en application de la clause contractuelle de non affiliation mais également en application des dispositions de l’article 1241 du code civil ;
  • le franchisé est passé dès le lendemain de la fin du contrat de franchise sous une franchise concurrente ainsi qu’il a été constaté, par exploits d’huissier et par d’autres franchisés, en agence comme sur divers supports internet ; ils ont accepté cette clause et ne l’ont depuis 2003 jamais contestée ; ils sont malvenus à la remettre en cause après la fin du contrat ; la clause est toujours valable, même après l’entrée en vigueur de la loi Macron ; elle est parfaitement valable puisque ses effets sont limités dans le temps et dans l’espace et puisque destinée précisément à la protection du réseau ; il n’y a pas de restriction injustifiée à la libre concurrence; les faits constitutifs de concurrence déloyale et de non-respect des clauses d’affiliation sont caractérisés ; il existe un trouble manifestement illicite.

Il est à noter que le franchisé faisait valoir en substance que :

  • il n’y a lieu à référé le débat au fond sur la clause de non réaffiliation étant en cours devant le tribunal de commerce de Paris, à la suite d’une assignation délivrée le 6 mars 2018 et la procédure visant à faire consacrer la nullité de la clause de non concurrence et à obtenir réparation du préjudice du franchisé ;
  • subsidiairement, la clause est réputée non écrite dès lors qu’elle s’applique sur l’ensemble du département des Alpes-Maritimes au lieu d’être limitée aux locaux où était exploitée l’activité et qu’elle n’est pas indispensable à la protection du savoir-faire étant précisé que selon la loi Macron qui est applicable aux contrats en cours la clause est inexistante dès lors qu’elle porte au-delà des locaux ; cette clause est également nulle en application du règlement d’exemption du 20 avril 2010 de la Commission européenne et en application de la jurisprudence dans la mesure où elle n’est pas limitée dans l’espace et non indispensable et proportionnelle à la protection du savoir-faire du franchiseur.

Ce faisant, la Cour d’appel de Paris retient que :

  • en l’espèce, il convient de relever que la clause litigieuse a pour effet d’interdire au franchisé de « s’affilier, d’adhérer, de participer directement ou indirectement à un réseau d’agences immobilières national ou régional concurrent ou d’en créer un lui-même ou encore de représenter ou de se lier à tout groupement, organisme, association ou société concurrent de ERA France, et ce, dans le département de la ville désignée au présent contrat » ;
  • ce faisant, la clause ne satisfait pas à la condition posée par le 2° du I de l’article L. 341-2 du code de commerce en ce qu’elle n’est pas limitée aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant a exercé son activité pendant la durée du contrat mais couvre l’ensemble du département des Alpes-Maritimes et qu’elle est susceptible d’être considérée comme non écrite pour ce seul motif ;
  • en outre, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, juge de l’évidence, de considérer cette clause licite pour autant que son application ne serait sollicitée que dans les limites des terrains et locaux à partir desquels l’exploitant a exercé son activité alors précisément que le législateur a prévu une période transitoire pour permettre l’adaptation des clauses au contrat en cours à cette fin ;
  • il convient en conséquence au regard de ces éléments qui fragilisent la validité de la clause dont la violation est alléguée au soutien de l’existence d’un trouble manifestement illicite de considérer qu’aucun trouble manifestement illicite, fondé sur le non-respect de ladite clause, ne peut être considéré comme caractérisé.

En deuxième lieu, la motivation justifiant cette solution se fonde successivement sur les travaux parlementaires, la décision n°2015-715 DC du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel et son communiqué de presse ; en effet :

  • d’une part, la Cour d’appel de Paris indique que la « lecture des travaux parlementaires relatifs à la loi du 6 août 2015 et notamment les débats devant l’Assemblée nationale permettent de relever que cette période transitoire a manifestement été souhaitée par le législateur précisément pour permettre l’adaptation des contrats en cours, de sorte que la volonté du législateur était bien de voir appliquer ces dispositions auxdits contrats, ce qu’au demeurant, l’amendement parlementaire initial à l’origine de ce texte (amendement n°1681 du député M. B.) précisait expressément («’II. ‘ Les dispositions du I s’appliquent, y compris aux contrats en cours, à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi’»), même si le dernier état du texte ne l’a pas repris mais a conservé le principe de la période transitoire rendue nécessaire selon les parlementaires pour accompagner cette application aux contrats en cours » ;
  • d’autre part, la Cour d’appel de Paris souligne que « cette interprétation est confirmée par la décision n°2015-715 DC du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel qui, après avoir rappelé « qu’en adoptant les articles L. 341-1 et L. 341-2, le législateur a entendu assurer un meilleur équilibre de la relation contractuelle entre l’exploitant d’un commerce de détail et le réseau de distribution auquel il est affilié ; qu’il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général », considère que « au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, les dispositions des articles L. 341-1 et L. 341-2 ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté contractuelle et aux conventions légalement conclues » » ;
  • enfin, la Cour d’appel de Paris rappelle que cette solution ressort de la lecture qu’en donne le communiqué de presse émanant du Conseil constitutionnel et diffusé à l’occasion de la publication de cette décision (Commun. presse Décis. 2015-715 DC du 5 août 2015) « qui précise que « L’article 31 encadre les relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail. Il prévoit l’exigence d’une échéance commune, fixe comme règle que la résiliation de l’un des contrats visés par le législateur vaut résiliation de l’ensemble des contrats et impose la mise en conformité des contrats en cours un an après la promulgation de la loi. Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions, qui ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté contractuelle et aux conventions légalement conclues, conformes à la Constitution » ».

En troisième lieu, en matière contractuelle, le principe de non rétroactivité (C. civ., art. 2) s’apprécie en distinguant :

  • les conditions de validité d’un contrat ou d’une clause : les conditions de validité d’un contrat sont appréciées au regard de la loi en vigueur au jour de la conclusion du contrat (voir par exemple : pour la législation sur les clauses abusives : Cass. civ. 2ème, 5 juillet 2006, Bull. civ. II, n° 180), sauf si la loi dispose expressément le contraire et que l’application aux contrats en cours est justifiée par des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses (Cass. com., 3 mars 2009, n° 07-16527 ; v. aussi, Cass. civ. 1ère, 17 mars 1998, Bull. civ. I n° 115 ; RTD civ. 1999, p. 378, obs. J. Mestre ; Cass. civ. 2ème, 5 juillet 2006, Bull. civ. II, n° 180 : le caractère « particulièrement impérieux » est d’autant plus important que le fait qu’une loi soit d’ordre public ne suffit pas à la rendre applicable aux contrats en cours) ;
  • les effets légaux d’un contrat : les effets légaux d’un contrat sont soumis à la loi en vigueur au jour où l’effet légal du contrat à vocation à se produire (Cass. civ. 3ème, 3 juillet 2013, n° 12-21541 : en matière de bail commercial, les règles entourant les délais dans lequel le congé doit être donné sont régies par la loi en vigueur au jour du congé).

Il nous semble que cette jurisprudence (v. aussi, TC Bordeaux, 26 janvier 2018, n°2016F00694) prend des libertés difficilement admissibles avec le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle (C. civ., art. 2). Dès lors que la loi nouvelle ne prévoit pas son application rétroactive, elle ne saurait remettre en cause la validité de clauses valables au moment de leur stipulation.

Enfin, la conventionnalité de l’article L. 341-1 du Code de commerce nous semble douteuse (v. notre étude, F.-L. Simon et C. Grimaldi, La conformité douteuse de l’article L. 341 -2 du Code de commerce au droit européen de la concurrence, LDR 10 septembre 2018 : soulignant notamment que l’application de l’article L. 341-2 du Code de commerce conduit (i) en franchise, à déclarer nulles des clauses qui n’en respecteraient pas les conditions posées, alors même qu’elles pourraient être déclarées valables en tant que restrictions accessoires ; et (ii) de manière plus générale, dans les rapports verticaux, à déclarer nulles des clauses qui n’en respecteraient pas les conditions posées, alors même qu’elles pourraient être déclarées valables en vertu d’une exemption individuelle) et l’on attend impatiemment qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de Justice.

A rapprocher :  La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution (Panorama de jurisprudence et Prospective), LDR 9 janvier 2019 ; Décision n°2015-715 DC du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel ; Communiqué de presse Décis. 2015-715 DC du 5 août 2015

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