La conformité douteuse de l’article L. 341-2 du Code de commerce au droit européen de la concurrence

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Etude et prospective

L’article L. 341-2 du Code de commerce qui répute non écrite toute clause qui restreint la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant à moins que certaines conditions ne soient remplies, conduit à sanctionner des clauses qui pourtant sont valables au regard du droit européen de la concurrence. Partant, la conventionnalité du texte français est douteuse.

1. Droit européen. Le Règlement d’exemption n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, prévoit, en son article 5, que l’exemption ne s’applique pas à :

« Toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services » (art. 5§1, b)

A moins que :

« a) l’obligation concerne des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou services contractuels ; b) l’obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré́ pendant la durée du contrat ; c) l’obligation est indispensable à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur ; d) la durée de l’obligation est limitée à un an à compter de l’expiration de l’accord » (art. 5§ 3), étant précisé que « le paragraphe 1, point b), ne porte pas atteinte à la possibilité́ d’imposer, pour une durée indéterminée, une restriction à l’utilisation et à la divulgation d’un savoir-faire qui n’est pas tombé dans le domaine public » (art. 5§ 3)

Il est important de rappeler que le Règlement n° 330/2010, souvent appliqué en franchise (V. not. Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14301) ne pose pas des conditions de validité, mais des conditions d’exemption. Dès lors, ce n’est pas parce qu’une clause, telle une clause de non-concurrence post-contractuelle, ne remplit pas les conditions d’exemption posées par le Règlement qu’elle est per se illicite. De fait, à deux titres, une telle clause pourrait néanmoins être considérée comme licite.

En premier lieu, une clause peut ne pas même relever de l’article 101§1 du TFUE, en vertu de la théorie des restrictions accessoires. L’idée générale est la suivante : chaque fois qu’une opération principale n’est pas restrictive de concurrence, mais qu’accessoirement, elle comporte des clauses restrictives, ces dernières ne relèvent pas de l’article 101§1 du TFUE dès lors que « la restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre » (CJUE, 23 janv. 2018, n° C 179/16, Roche et Novartis, pt. 68 ; CJUE, 11 sept. 2014, n° C 382/12 P, MasterCard, pt. 89). La Cour de Justice, dans le célèbre arrêt Pronuptia (CJCE, 17 déc. 1986, n° C-161/84) avait fait une application remarquable de la théorie des restrictions accessoires au contrat de franchise. Elle avait considéré que la franchise (de distribution), « qui permet au franchiseur de tirer parti de sa réussite, ne porte pas atteinte en soi à la concurrence » (pt. 15), avant de souligner que, pour fonctionner, la franchise suppose que le franchiseur transmette aux franchisés savoir-faire et assistance sans risquer qu’ils profitent aux concurrents (pt. 16) et que le franchiseur puisse prendre des mesures propres à préserver l’identité́ et la réputation du réseau qui est symbolisé par l’enseigne (pt. 17). En conséquence, la Cour avait estimé que les clauses « indispensables » à la protection du savoir-faire et de l’assistance (telles les clauses de non-concurrence), de même que les clauses qui organisent le contrôle « indispensable » à la préservation de l’identité́ et de la réputation du réseau (telles les clauses d’application du savoir-faire, d’aménagement des locaux, d’approvisionnement) ne constituent pas des restrictions de concurrence (pt 16 et s.). En particulier, la Cour avait considéré qu’est indispensable à la protection du savoir-faire « l’interdiction faite au franchisé d’ouvrir, pendant la durée du contrat ou pendant une période raisonnable après l’expiration de celui-ci, un magasin ayant un objet identique ou similaire, dans une zone où il pourrait entrer en concurrence avec un des membres du réseau ». Toutes ces clauses constituent des restrictions accessoires, même si l’expression n’est pas encore expressément employée (V. auj. les Lignes directrices concernant l’application de l’article 81, § 3, du traité : « la notion de restriction accessoire couvre toute restriction alléguée de la concurrence qui est directement liée et nécessaire à la réalisation d’une opération principale non restrictive de concurrence et qui lui serait proportionnée » (pt 29)). Et récemment encore, la Cour de cassation faisait application de cette théorie pour reconnaître la validité une clause d’approvisionnement exclusif dont la durée était néanmoins supérieure à la limite fixée par le Règlement n° 330/2010 (Cass. com. 20 décembre 2017, n° 16-20500, et Cass. com. 20 décembre 2017, n° 16-20501 : « en matière de franchise, les clauses qui organisent le contrôle indispensable à la préservation de l’identité et de la réputation du réseau, symbolisé par l’enseigne, ne constituent pas des restrictions de concurrence au sens des articles 101, paragraphe 1 [du TFUE] et L. 420-1 [du Code de commerce] » et le commentaire de ces arrêts sous LDR, 6 mars 2018).

En second lieu, à supposer que la clause ne puisse être validée comme restriction accessoire ou au titre du Règlement n° 330/2010, elle pourrait encore être « sauvée » par une exemption individuelle (V. CJUE, ord., 7 févr. 2013, aff. C-117/12, La Retoucherie de Manuela, SL c/ La Retoucherie de Burgos, SC. : un accord qui contient des clauses « qui ne remplissent pas les conditions fixées par un règlement d’exemption par catégories, est susceptible de ne pas relever du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. En outre, le fait qu’une clause ne relève pas d’une exemption par catégories ne préjuge pas de l’application éventuelle d’une exemption individuelle » (pt 39)), dès lors que sont remplies les conditions posées par l’article 101§3 TFUE : la clause contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, à réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, à imposer aux entreprises intéressées des restrictions indispensables pour atteindre ces objectifs, et à ne pas éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.

2. Droit français. En vertu de l’article L. 341-2 du Code de commerce, issu de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques :

« Toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats mentionnés à l’article L. 341-1 [qui sont ceux “conclus entre, d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du présent code, ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, un magasin de commerce de détail”], de restreindre la liberté́ d’exercice de l’activité́ commerciale de l’exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite » (art. L. 341-2, I C. com., nous soulignons).

Néanmoins, échappent à cette sanction :

« (…) les clauses dont la personne qui s’en prévaut démontre qu’elles remplissent les conditions cumulatives suivantes : 1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat mentionné au I ; 2° Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité́ pendant la durée du contrat mentionné au I ; 3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat mentionné au I ; 4° Leur durée n’excède pas un an après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats mentionnes à l’article L. 341-1 » (art. L. 341-2, II C. com.).

Cette disposition n’est pas un texte qui sanctionne une pratique anticoncurrentielle, mais un texte de droit commercial général.

Elle est, à un triple titre, plus sévère que les règles européennes du droit de la concurrence.

En premier lieu, l’application de l’article L. 341-2 du Code de commerce conduit, en franchise, à déclarer nulles des clauses qui n’en respecteraient pas les conditions posées, alors même qu’elles pourraient être déclarées valables en tant que restrictions accessoires.

En deuxième lieu, l’application de l’article L. 341-2 du Code de commerce conduit, en franchise, à déclarer nulles des clauses qui n’en respecteraient pas les conditions posées, alors même qu’elles pourraient être déclarées valables en vertu du Règlement n° 330/2010. De fait, les conditions posées par ledit Règlement et l’article L. 341-2 diffèrent. Au titre du Règlement, est exemptée la clause qui est indispensable « à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur », sachant que le savoir-faire est défini comme « un ensemble secret, substantiel et identifié d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du fournisseur et testées par celui-ci » ; au titre de l’article L. 341-2, est valable la clause qui est indispensable « à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis ». La difficulté concerne le terme « spécifique ». Si la jurisprudence y voyait une condition réellement autonome venant s’ajouter aux précédentes, l’application du Règlement n° 330/2010 s’en trouverait contrariée puisque la clause de non-concurrence protégeant un savoir-faire qui n’est pas spécifique (suivant le sens que la jurisprudence donnera à ce terme) serait valable au regard du Règlement, non de l’article L. 341-2.

En troisième lieu, l’application de l’article L. 341-2 du Code de commerce conduit, dans les rapports verticaux en général, à déclarer nulles des clauses qui n’en respecteraient pas les conditions posées, alors même qu’elles pourraient être déclarées valables en vertu d’une exemption individuelle.

3. Rapport entre le droit européen et le droit français. Le Règlement n° 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102] du traité comporte un article 3 important relatif au « rapport entre les articles [101] et [102] du traité et les droits nationaux de la concurrence ». Cet article prévoit notamment :

  • que les États membres ne peuvent interdire par leur « droit national de la concurrence » des ententes qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101§1, qui satisfont aux conditions énoncées à l’article 101§3 ou qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l’application de l’article 101§3, tel le règlement n° 330/2010.
  • mais que les États membres peuvent adopter des dispositions « qui visent à titre principal un objectif différent de celui visé par les articles [101] et [102] du traité » (nous soulignons)

Ainsi que l’explicite le Considérant n°9 du Règlement n°1/2003 :

« Les articles [101] et [102] du traité ont pour objectif de préserver la concurrence sur le marché. Le présent règlement, qui est adopté en application des dispositions précitées, n’interdit pas aux États membres de mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales destinées à protéger d’autres intérêts légitimes, pour autant que ces dispositions soient compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire. Dans la mesure où les dispositions législatives nationales en cause visent principalement un objectif autre que celui consistant à préserver la concurrence sur le marché, les autorités de concurrence et les juridictions des États membres peuvent appliquer lesdites dispositions sur leur territoire. Par voie de conséquence, les États membres peuvent, eu égard au présent règlement, mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales interdisant ou sanctionnant les actes liés à des pratiques commerciales déloyales, qu’ils aient un caractère unilatéral ou contractuel. Les dispositions de cette nature visent un objectif spécifique, indépendamment des répercussions effectives ou présumées de ces actes sur la concurrence sur le marché. C’est particulièrement le cas des dispositions qui interdisent aux entreprises d’imposer à un partenaire commercial, d’obtenir ou de tenter d’obtenir de lui des conditions commerciales injustifiées, disproportionnées ou sans contrepartie. »

Dès lors que l’article L. 341-2 n’est pas un texte de « droit national de la concurrence », la question se pose de déterminer s’il « vise à titre principal » un objectif différent de celui poursuivi par les pratiques anticoncurrentielles, à savoir la préservation de la concurrence sur le marché.

On commencera par relever qu’il est curieux que l’effectivité de la primauté du droit européen de la concurrence dépende d’un critère aussi subjectif que celui des objectifs poursuivis par le législateur, alors même que ce seraient les objectifs réels et non ceux affichés qui importent. Est-il admissible qu’une même règle puisse être jugée ou non conforme au droit européen en fonction des objectifs poursuivis par le législateur ? N’est-il pas plus pertinent de scruter l’objet ou les effets de la règle, critères autrement plus objectifs ? A ce titre, comment ne pas voir la proximité qui confine à l’identité entre les pratiques visées par l’article 5§3 du Règlement n° 330/2010 et l’article L. 341-2 du Code de commerce ? Partant, comment se satisfaire, au vu du principe de primauté, que ce dernier interdise des pratiques qui ne le sont pas par le premier ?

Toutes ces considérations conduisent à penser que la fortune de l’article L. 341-2 du Code de commerce est très incertaine (sinon que son destin est scellé, comme l’est probablement celui de l’interdiction de la revente à perte, pour des raisons comparables, V. C. Grimaldi, « Revente à perte et prix minima imposés », obs. ss. Cass. crim., 16 janvier 2018, no 16-83457, in LEDICO, mars 2018, n° 111b9, p. 3) et que l’on attend rapidement qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de Justice !

A rapprocher : Numéro spécial Loi Macron – Volet relatif aux relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail, LDR 12 août 2015

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