Les restitutions après l’annulation d’un contrat de franchise

YVER Katia

Avocat

CA Paris, 17 janvier 2018, n°15-17.647

Par un arrêt rendu le 17 janvier 2018, la Cour d’Appel de Paris rappelle que la nullité d’un contrat emporte son effacement rétroactif. Il est donc censé n’avoir jamais existé et a pour effet de mettre les parties dans leur état initial même s’il est à exécution successive.

Ce qu’il faut retenir : Par un arrêt rendu le 17 janvier 2018, la Cour d’Appel de Paris rappelle que la nullité d’un contrat emporte son effacement rétroactif. Il est donc censé n’avoir jamais existé et a pour effet de mettre les parties dans leur état initial même s’il est à exécution successive. Elle a cependant refusé de tirer les conséquences de la nullité d’un contrat de franchise, en considérant qu’il n’y a pas lieu de déduire l’avantage retiré par le franchisé des services fournis par le franchiseur « dès lors que seule la partie de bonne foi au contrat annulé peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé ».

Pour approfondir : Souhaitant créer sa propre entreprise, Madame M.H., exerçant la profession de coiffeuse, s’est rapprochée de la société S.A., appartenant à un groupe de coiffure regroupant une dizaine d’enseignes, exploitant notamment un réseau de franchise de salons de coiffure sous la marque « C. & Co ». Le 28 octobre 2011, la société S.A. lui a remis un document d’information précontractuelle, ainsi qu’une étude d’implantation sur la ville de Poitiers. Le 6 décembre 2011, les parties ont conclu un contrat de franchise pour l’exploitation d’un salon de marque « C. & Co » dans un local neuf situé dans une galerie commerciale à Poitiers.

La galerie commerciale ne souhaitant pas l’implantation d’une enseigne « C. & Co », la société S.A. a proposé à Madame M.H. d’acquérir un fonds de commerce situé dans le centre-ville de Poitiers auprès d’un membre du réseau de franchise qui l’exploitait sous une autre enseigne du groupe de coiffure. Madame M.H. a créé la société N’R, qui s’est substituée à elle dans ses engagements de franchise, a racheté le fonds de commerce auparavant exploité sous une autre enseigne du groupe et a ouvert un salon sous l’enseigne « C. & Co ».

L’exploitation de ce salon a rencontré des difficultés. Après avoir bénéficié d’une procédure de sauvegarde par jugement du 19 février 2013, puis d’un plan de continuation par jugement du 25 février 2014, la société N’R a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 8 juillet 2014.

Entre temps, la société N’R n’ayant pas réglé ses redevances de franchise pendant la période d’observation et, après mise en demeure et négociations infructueuses entre les parties, la société S.A. a prononcé la résiliation du contrat de franchise, à effet immédiat, par courrier recommandé du 25 novembre 2013, réitérée le 27 janvier 2014.

Par exploit du 11 mars 2014, le liquidateur judiciaire de la société N’R a assigné la société S.A. devant le Tribunal de Commerce de PARIS, qui a accueilli partiellement ses demandes en constatant que le document d’information précontractuelle remis à madame M.H. ne contenait pas toutes les informations requises par le décret n° 91-337 du 4 avril 1991 et a condamné la société S.A. à verser une somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts au liquidateur de la société N’R, le déboutant pour le surplus de ses demandes. Ce dernier a interjeté appel du jugement.

Par un arrêt en date du 17 janvier 2018, la Cour d’Appel de Paris a prononcé l’annulation du contrat de franchise et a donc statué sur les restitutions consécutives à l’annulation.

C’est seulement sur ce dernier point, concernant les restitutions consécutives à l’annulation du contrat de franchise, que nous commenterons l’arrêt rendu le 17 janvier 2018 par la Cour d’Appel de Paris.

Le franchisé a sollicité le remboursement du droit d’entrée à hauteur de 7.000 euros et de l’intégralité des redevances de franchise versées à hauteur de 5.000 euros.

Le franchiseur a demandé à la Cour d’ajuster et de réduire les demandes du franchisé en tenant compte de l’avantage retiré par ce dernier des prestations fournies par le franchiseur.

La Cour a fait droit aux seules demandes du franchisé en considérant que :

« La nullité d’un contrat emporte son effacement rétroactif. Il est donc censé n’avoir jamais existé et a pour effet de mettre les parties dans leur état initial même s’il est à exécution successive. Par suite, il y a lieu de restituer à Maître Blanc, ès-qualités, les sommes versées au franchiseur dans le cadre du contrat annulé, dont la preuve est rapportée. Il y a lieu de lui allouer à ce titre les sommes non contestées de 7 000 euros versés au titre du droit d’entrée et de 5.000 euros au titre des redevances versées, soit la somme totale de 12.000 euros de laquelle il n’y a pas lieu de déduire comme le soutient vainement la société S.A. l’avantage retiré par la société N’R des services fournis par le franchiseur en cours d’exécution du contrat dès lors que seule la partie de bonne foi au contrat annulé peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé ».

Cette jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris est critiquable à de nombreux égards.

Il convient, en effet, de rappeler que la nullité emporte, par principe, l’anéantissement rétroactif du contrat (Cass., civ. 1ère, 16 juill. 1998, n° 96-18404, Bull. Civ. I, n°251).

Le contrat dont la nullité est prononcée étant considéré, par le jeu d’une fiction, n’avoir jamais existé, la nullité a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de l’acte annulé.

En présence d’un contrat synallagmatique, toutes les parties au contrat doivent se restituer mutuellement ce qu’elles ont reçu en application du contrat annulé.

Tel est le cas du contrat de franchise, qui comporte des obligations croisées du franchiseur à l’égard du franchisé et réciproquement du franchisé à l’égard du franchiseur.

Le prononcé de la nullité d’un contrat de franchise doit donc entraîner la remise en état de chacune des parties : le franchisé naturellement, mais aussi le franchiseur.

La Cour de Cassation a clairement rappelé ce principe :

« Attendu que pour condamner [le franchiseur] à restituer au franchisé la somme de 65.068 francs versée en exécution du contrat de franchise et rejeter la demande de restitution présentée par [le franchiseur], la Cour d’appel constate que ledit contrat est nul pour indétermination du prix.

Attendu qu’en se déterminant ainsi par un motif insuffisant à établir que [le franchiseur], dont l’arrêt avait constaté qu’il avait exécuté ses obligations résultant des contrats litigieux, ne pouvait bénéficier d’aucune restitution ou compensation pécuniaire à des prestations fournies, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » (Cass. com. 21 février 1995, n° 93-12-805).

Toute la difficulté en matière de franchise réside dans le fait que si les restitutions faites au franchisé portent essentiellement sur des sommes d’argent (droit d’entrée, redevances), les prestations fournies par le franchiseur (telles que la mise à disposition d’un savoir-faire, d’une marque, d’une enseigne, d’une assistance, de formations, de publicités) sont par nature insusceptibles d’être restituées.

La règle est donc la restitution par équivalent.

La jurisprudence a, en effet considéré, que la restitution matérielle des prestations reçues par le franchisé étant impossible « cette restitution devait se faire sous la forme d’une indemnité » (Cass. civ. 1ère 16 juillet 1998, Bull. civ. I, n°251 et Cass. civ. 1ère, 11 juin 2002, n° 00-15297, Bull. civ. I, n°163).

Pour valoriser ces prestations, la jurisprudence se réfère parfois à ce qui a été prévu contractuellement, en dispensant le franchiseur de restituer au franchisé les sommes correspondantes.

La Cour d’appel de Montpellier a ainsi jugé que :

« Force est de constater que le franchisé se trouve dans l’impossibilité de restituer les prestations reçues par application du contrat (…), lequel a été exécuté pendant 16 mois. En effet, le franchisé ne peut à l’évidence restituer les prestations d’utilisation de la marque et des produits, de publicité, de formation, d’information ou d’exécution des modèles de coiffure.

Dès lors, comme ces restitutions s’avèrent matériellement impossible, il convient de préciser que le franchiseur ne sera pas tenu d’en restituer la contrepartie » (CA Montpellier, 3 octobre 2000, Juris-data n°128551 ; Cf. également CA Paris, 10 septembre 2014, n° 10/14533).

Dans d’autres cas, la jurisprudence a condamné le franchisé à restituer au franchiseur une somme d’argent « à titre d’indemnité, en contrepartie des prestations non restituables, dont elle a bénéficié » (CA Montpellier, 9 juin 2015, n° 14/00125 ; Cf. également CA Paris, 9 avril 2009, N° 06/14632).

Dans le présent cas d’espèce, la Cour d’Appel de Paris a considéré que « la nullité d’un contrat emporte son effacement rétroactif. Il est donc censé n’avoir jamais existé et a pour effet de mettre les parties dans leur état initial même s’il est à exécution successive ». Elle a cependant refusé de tirer les conséquences de la nullité à l’égard du franchiseur en considérant qu’il n’y a pas lieu de déduire l’avantage retiré par le franchisé des services fournis par le franchiseur « dès lors que seule la partie de bonne foi au contrat annulé peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé ».

Cette solution revient à créer, sous couvert de « restitutions », une situation totalement déséquilibrée qui n’existait pas avant le contrat de franchise, puisque le franchisé pourra conserver gratuitement tout le bénéfice du savoir-faire qu’il a acquis auprès du franchiseur, tandis que ce dernier aura restitué au franchisé toutes les sommes perçues en contrepartie des prestations qu’il lui a fournies.

Cette situation a également pour effet de procurer un enrichissement sans cause (ou injustifié) au franchisé ayant effectivement bénéficié de prestations du franchiseur sans la moindre contrepartie pour ce dernier. Or, la Cour de cassation a rappelé, au visa de l’article 1371 du Code Civil et du principe de l’enrichissement sans cause, que « la bonne foi de l’enrichi ne prive pas l’appauvri du droit d’exercer contre celui-là, l’action de in rem verso » (Cass. civ. 1ère, 11 mars 2014, n° 12-29304).

Par son raisonnement, la Cour nous semble opérer une confusion entre :

  • les restitutions, qui ont pour seule vocation de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de la convention annulée,
  • et l’indemnisation des préjudices découlés des fautes éventuellement commises par le franchiseur, que le franchisé ne pourra solliciter que sur le fondement d’une action en responsabilité délictuelle dès lors que le contrat a été annulé.

Il est sommes toutes peu probable que le raisonnement de la Cour d’Appel de Paris tienne dans l’éventualité d’un pourvoi.

La Cour de cassation a en effet cassé, au visa de l’article 1304 ancien du Code Civil, un arrêt de la Cour d’Appel de Paris ayant rejeté, après avoir annulé des contrats de fourniture, la demande du fournisseur de conserver, au titre de la restitution par équivalent de sa prestation de maintenance, les redevances versées par son cocontractant en retenant que :

« suite à l’annulation d’un contrat, les restitutions consécutives à cette annulation relèvent des seules règles de la nullité énonçant que les parties doivent être remises en leur état antérieur, que seule la partie de bonne foi au contrat annulé peut demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé, que (le fournisseur) est mal fondé à soutenir que les sommes payées au titre du contrat de maintenance sont acquises en contrepartie des prestations de maintenance accomplies ».

La Cour a, en effet, considéré « qu’en statuant ainsi, alors que, dans le cas où un contrat nul a été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant cette exécution et que, lorsque cette remise en état se révèle impossible, la partie qui a bénéficié d’une prestation qu’elle ne peut restituer doit s’acquitter d’une restitution en équivalent, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-12447).

A rapprocher : Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-12447 ; v. plus généralement, sur la question des restitutions consécutives à l’anéantissement du contrat de franchise, F.-L SIMON, Théorie et pratique du droit de la franchise, éd. JOLY 2009, spéc. §§. 221-223

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