Expulsion du locataire-gérant franchisé par le juge des référés – TC Paris, 26 juin 2012, inédit

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Le développement d’un réseau au moyen du mécanisme de la location-gérance est chose fréquente. Ce succès s’explique par les avantages indéniables que la location-gérance offre à chacun des partenaires.

Le développement d’un réseau au moyen du mécanisme de la location-gérance est chose fréquente depuis plusieurs années. Ce succès s’explique par les avantages indéniables que la location-gérance offre à chacun des partenaires concernés, avantages qu’il nous faut rappeler ici – pour les plus « classiques » d’entre eux –, avant d’aborder la question plus spécifique découlant de la décision commentée.

La location-gérance présente tout d’abord l’avantage de permettre à la tête de réseau de faire accéder les candidats disposant de peu de fonds propres à une activité entrepreneuriale en les mettant à la direction de l’un des points de vente de l’enseigne. Le phénomène concerne parfois les meilleurs salariés de l’enseigne décidant de se « lancer » à la tête d’un point de vente ; il ne s’agit plus ici, pour ces derniers, d’exercer une activité salariée supposant l’existence d’un lien de subordination et d’une rémunération fixe, mais d’intervenir au contraire à la tête d’un point de vente, en tant qu’entrepreneur indépendant percevant une rémunération variant selon le chiffre d’affaires réalisé. La formule est donc intéressante à la fois :

– pour ce partenaire, qui pourra devenir entrepreneur sans fonds propres significatifs tout en percevant une rémunération potentiellement plus attractive que sa rémunération salariée,

– pour la tête de réseau qui, en présence d’anciens salariés, intègrera ainsi dans son réseau des personnes dont elle a pu déjà vérifier les qualités de rigueur et de sérieux, favorisant en cela le respect du concept.

La location-gérance présente ensuite l’avantage de permettre à la tête de réseau de conserver la propriété commerciale du fonds de commerce. Cet avantage se manifeste essentiellement lorsque le réseau entend conserver tel ou tel emplacement stratégique, plutôt que de risquer le départ du partenaire au profit d’une enseigne concurrente en cas de résiliation anticipée du contrat ou de survenance de son terme ; l’évolution récente de la jurisprudence a d’ailleurs encore montré les limites des clauses de non-réaffiliation post-contractuelle (Cass. com., 3 avr. 2012, pourvoi n°11-16.301).                         

Cet avantage se manifeste encore lorsque le propriétaire du fonds, constatant des fautes commises par le locataire-gérant, entend résilier le contrat qui les lie afin de récupérer l’exploitation dudit fonds.

Dans cette perspective, la décision commentée met en lumière un autre avantage attaché à la location-gérance : la possibilité pour la tête de réseau de faire expulser le locataire-gérant membre du réseau par le juge des référés en présence d’un comportement fautif. A ce titre, les faits de l’espèce étaient simples, ce qui donne à la décision commentée une portée générale (I), qu’il conviendra de situer dans le contexte plus général du droit positif (II).

  • La décision commentée

Les faits de l’espèce étaient simples. L’exploitant du fonds de commerce avait signé le 1er juin 2010 :

– un contrat de franchise d’une durée de cinq ans lui permettant de bénéficier de signes distinctifs, d’un savoir-faire et d’une assistance continue,

– un contrat de location-gérance, pour la même durée, lui conférant le droit d’exploiter un fonds de commerce.

Quelques jours après la résiliation des contrats, le locataire-gérant avait refusé de restituer le fonds de commerce et avait, au surplus, persisté à commettre les fautes à l’origine desquelles les contrats s’étaient trouvés résiliés.

L’exploitant avait pris les devants au plan judiciaire en saisissant immédiatement le juge des référés, devant lequel il contestait la validité de la résiliation du contrat de franchise et du contrat de location-gérance, et demandait en conséquence au juge de l’évidence d’ordonner la poursuite de certains de leurs effets, notamment l’accès au fonds de commerce et l’accès aux commandes des produits nécessaires à cette exploitation. Parallèlement, l’exploitant avait également saisi le juge du fond, d’une demande tendant à contester la validité de la résiliation des contrats en cause.

Dans le cadre de l’instance de référé, la tête de réseau avait, à titre reconventionnel, sollicité l’expulsion du locataire-gérant en raison :

– du trouble manifestement illicite,

– du dommage imminent.

L’ordonnance commentée statue tour à tour sur les deux séries de demandes.

Pour débouter l’exploitant de l’ensemble de ses demandes, le juge des référés retient que la tête de réseau avait résilié le contrat de franchise suivant les conditions de forme (Lettre RAR) et de délai (mise en demeure impartissant un délai de 15 jours) figurant audit contrat, et que l’exploitant ne démontrait pas le caractère illégitime de la résiliation en cause.

Pour faire droit à l’ensemble des demandes de la tête de réseau, le juge des référés retient que le contrat de franchise et le contrat de location-gérance sont indissociables, et que la résiliation du contrat de franchise a donc entraîné la résiliation du contrat de location-gérance, qui justifie la restitution immédiate du fonds de commerce, sous astreinte.

  • Le droit positif

Plusieurs points de droit doivent être distingués les uns des autres pour bien cerner l’état du droit positif et déterminer les cas dans lesquels le locataire-gérant peut être expulsé par la voie du référé.

En premier lieu, comme l’indique le juge des référés dans la décision commentée, la résiliation du contrat de location-gérance justifie la demande d’expulsion. Cette résiliation peut intervenir :

– soit directement, lorsque le locataire-gérant a commis une faute la justifiant tel que par exemple le non-paiement d’une redevance de location-gérance,

– soit, comme en l’espèce, indirectement, lorsque le contrat de location-gérance est lié à un contrat (ici de franchise) lui-même résilié.

En deuxième lieu, la question de savoir si la résiliation du contrat de location-gérance est valable ou non est indifférente à la solution du litige. En effet, dès lors que le contrat de location gérance a été résilié, le fait pour le locataire-gérant de refuser de restituer le fonds de commerce à son propriétaire, cause nécessairement à ce dernier un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser en ordonnant la restitution du fonds, et ce, peu important le bien fondé de la résiliation du contrat de location gérance (Cass. com., 20 sept. 2011, pourvoi n°10-19.031(Mc Donald’s)).

La Cour de cassation a ainsi cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait refusé à tort d’accorder en référé la restitution du fonds à son propriétaire, au motif qu’il existait une contestation sérieuse quant à la mise en œuvre de la clause résolutoire du contrat :

« Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la société Sodexaub ayant refusé de restituer à la société McDonald’s son fonds de commerce postérieurement à la résiliation du contrat, ce dont il résultait un trouble manifestement illicite, peu important le bien fondé de cette résiliation, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (nous soulignons).

(Cass. com., 20 sept. 2011, pourvoi n°10-19.031(Mc Donald’s)).

Il en va de même en l’espèce : la motivation de l’ordonnance commentée considère implicitement mais nécessairement que le caractère justifié (ou non) de la résiliation du contrat de location-gérance est indifférent à la constitution du trouble manifestement illicite et, donc, au prononcé de la décision d’expulsion ; en effet, la lecture de la motivation de l’ordonnance relative à la demande « reconventionnelle » n’envisage pas la question de la validité de la résiliation ; comme on l’a vu, ce n’est qu’au titre de la demande « principale », formulée par le locataire-gérant, qu’il est relevé que celui-ci ne justifie pas du caractère illégitime de la résiliation critiquée.

En troisième lieu, la circonstance que l’une ou l’autre des parties ait pu saisir le juge du fond est indifférente à l’exercice par le juge des référés de son office qui peut ainsi ordonner l’expulsion en cas de trouble manifestement illicite (CA Rennes, 7 septembre 2010, RG n°10/00552 (Yves Rocher) : à propos d’un gérant mandataire).

Le droit positif comme la décision rendue ont de quoi sécuriser les têtes de réseaux appelées à se développer en location-gérance.

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