Le franchiseur n’est pas « débiteur légal » d’une obligation de fourniture d’une étude de marché

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, 22 novembre 2016, n°14/14778

La Cour d’appel de Paris vient de juger, par une décision erronée en droit, que le franchiseur se trouverait « débiteur légal » d’une obligation de fourniture d’une « étude de marché » au profit du franchisé.

Ce qu’il faut retenir : La Cour d’appel de Paris vient de juger, par une décision erronée en droit, que le franchiseur se trouverait « débiteur légal » d’une obligation de fourniture d’une « étude de marché » au profit du franchisé.

Pour approfondir : Statuant sur le recours formé contre une sentence arbitrale, la Cour d’appel de Paris a tout récemment retenu : « Considérant que, contrairement à ce que prétendent les recourantes, une telle décision, qui met la responsabilité du fait de l’insuffisance de l’étude de marché à la charge du franchiseur, débiteur légal de l’obligation de fourniture de ce document, ne méconnaît aucun principe d’ordre public ».

La décision commentée participe d’une confusion, qu’il convient de dissiper en rappelant l’état du droit positif.

En premier lieu, si le franchiseur est débiteur de l’obligation, de source légale (C. com., art. R.330-1, 4°), de fournir un « état général et local du marché », il n’est certainement pas débiteur légal d’une obligation de fournir une « étude de marché », ainsi que la Cour de cassation et les juridictions du fond s’attachent à le rappeler toutes les fois qu’un plaideur tente d’entretenir la confusion entre ces notions. Citons quelques exemples jurisprudentiels bien connus affirmant l’exact contraire de la décision commentée :

  • Cass. com., 25 mars 2014, n°12-29675 : « Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir rappelé à bon droit que, si les articles L. 330-3 et R 330-1 du code de commerce mettent à la charge du franchiseur la communication d’un état et des perspectives du marché concerné, elles ne lui imposent pas la fourniture d’une étude du marché local, l’arrêt, par motifs propres et adoptés, relève que le document d’information précontractuelle qui a été remis à M. X…mentionnait les principales enseignes présentes sur la zone ainsi que des données économiques, et qu’il comportait l’avertissement que l’évolution récente du réseau ne permettait pas la communication de chiffres significatifs pour les agences spécialisées de location, invitant les parties à une prudence particulière dans l’analyse des potentialités du marché ; (…) qu’en l’état de ces motifs déduits de son appréciation souveraine, d’où il ressort que la société M… avait, avant de signer le contrat de franchise, reçu les informations disponibles lui permettant de s’engager en connaissance de cause, la cour d’appel a pu rejeter la demande d’annulation fondée sur ce motif » ;
  • Cass. com., 28 mai 2013, n°11-27256 : « Mais attendu, d’une part, que l’arrêt retient que (…) s’il appartenait effectivement au franchiseur de présenter l’état général et local du marché, le candidat à la franchise devait réaliser lui-même une étude précise du marché local et que, compte tenu du temps dont M. X… avait disposé pour affiner son appréciation du marché local, les éventuels manquements à telle ou telle exigence légale n’auraient pu, de toute façon, être constitutifs d’un dol ou d’une erreur de nature à vicier son consentement ; que de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel a pu déduire que M. X… ne rapportait pas la preuve d’un vice du consentement » ;
  • Cass. com., 11 févr. 2003, n°01-03932 : « Mais attendu, d’une part, qu’ayant énoncé à bon droit, que la loi ne met pas à la charge du franchiseur une étude du marché local et qu’il appartient au franchisé de procéder lui-même à une analyse d’implantation précise, l’arrêt a fait l’exacte application de l’article (…) L. 330-3 du Code de commerce, en retenant, aux termes du motif critiqué, que, dans le cas où une telle information était donnée, ce texte met à la charge du franchiseur une présentation sincère du marché local ».

L’« état général et local du marché » prévu par le texte précité désigne des données brutes ne comportant aucune part d’analyse, alors que l’« étude de marché » consiste, tout au contraire, en une analyse poussée des données chiffrées propres à un marché, qui peut comprendre des observations réalisées sur la zone de chalandise, y mesurer l’impact de la concurrence, analyser le comportement des populations cibles, réaliser des différents sondages auprès de la clientèle locale, faire état d’enquêtes réalisées auprès de professionnels ou d’études émanant d’organismes spécialisés, voire formuler des recommandations permettant au franchisé de s’adapter aux spécificités éventuelles du marché considéré.

L’étude de marché  est le préalable utile, souvent même nécessaire, à la détermination d’un chiffre d’affaires prévisionnel, qu’elle évalue parfois. Pour le cas où le franchiseur, quoique non tenu légalement de le faire, aurait remis une telle étude au franchisé, celle-ci doit alors être sincère (Cass. com., 1er oct. 2013, n°12-23337). Tout cela est parfaitement cohérent.

En second lieu, le franchisé est débiteur d’une obligation, de source jurisprudentielle, d’établir une étude de marché. En effet, sauf accord contraire des parties, la jurisprudence fait peser sur le franchisé une obligation de procéder lui-même (ou de faire procéder) à une telle étude de marché.

L’obligation pesant ainsi sur le franchisé est constamment rappelée par la Cour de cassation et les juridictions du fond (Cass. com., 28 mai 2013, préc. ; v. aussi, par ex., CA Paris, 2 juill. 2014, n°11/19239 ; CA Paris, 7 oct. 2015, n°13/09827). Elle est le corollaire du devoir du franchisé de se renseigner.

A rapprocher : notre étude : « Le devoir du franchisé de se renseigner » (mai 2015) ; voir également la jurisprudence précitée : Cass. com., 25 mars 2014, n°12-29675 ; Cass. com., 28 mai 2013, n°11-27256 ; Cass. com., 11 févr. 2003, n°01-03932 ; Cass. com., 1er oct. 2013, n°12-23337 ; CA Paris, 2 juill. 2014, n°11/19239 ; CA Paris, 7 oct. 2015, n°13/09827 ; voir enfin les observations de notre confrère Serge Meresse relatives à l’arrêt commenté (à paraître à la Revue L’Essentiel, Droit de la Distribution et de la concurrence, Janvier 2017)

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