Concurrence déloyale et compétence internationale – Cass. com., 26 février 2013, pourvoi n°11-27.139

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

La société Emilio Pucci, spécialisée dans le domaine de la création et de la distribution d’articles de prêt à porter, avait employé un directeur artistique de 2005 à 2008 ; une collection de vêtements conçue par ce dernier pour le groupe H&M avait été diffusée en avril 2009 sous la dénomination « Matthew Williamson pour H&M ».

Faisant valoir que des annonces promotionnelles pour cette collection présentaient les articles comme émanant de la maison « Pucci » et que certains reproduisaient des modèles « Pucci », la société Pucci a fait assigner la société de droit suédois H&M Hennes et Mauritz AB et la société de droit français H&M Hennes et Mauritz, ainsi que M. Williamson devant le TGI de Paris pour contrefaçon de droits d’auteur et concurrence déloyale et parasitaire. Pour grief à l’arrêt d’avoir rejeté l’exception d’incompétence territoriale qu’elles avaient soulevée, les sociétés H&M Hennes et Mauritz et H&M Hennes et Mauritz AB, demanderesses au pourvoi, faisaient valoir successivement devant la Cour de cassation :

1°/ que l’article 2, 1 du Règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 (ci-après le « Règlement ») dispose que les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre doivent en principe être attraites devant les juridictions de cet Etat ; que si par exception, ces mêmes personnes peuvent aussi être attraites, en vertu de l’article 6, 1 du Règlement, lorsqu’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, c’est à la condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ; que d’éventuelles divergences entre les décisions rendues par les différentes juridictions nationales ne les rendent pas pour autant contradictoires lorsqu’elles ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une même situation de fait et de droit ; qu’il ne peut être conclu à l’existence d’une même situation de fait lorsque les défendeurs sont différents et que les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qui leur sont reprochés sont matériellement distincts et ont été commis sur le territoire d’Etats différents ; qu’il ne peut être conclu à l’existence d’une même situation de droit lorsque les actions en contrefaçon doivent être appréciées au regard de droits substantiels différents ; que pour déclarer la juridiction française compétente, par application de l’article 6, 1 précité, pour statuer sur les demandes formées contre la société suédoise H&M AB, la Cour d’appel s’est fondée sur le seul fait que les demandes, mettant en cause des droits relatifs à des modèles sur lesquels la société Pucci prétendait détenir des droits d’auteur, étaient dirigées contre la société suédoise H&M AB et sa filiale française et a retenu que ces demandes, qui reposaient sur la contrefaçon et la concurrence déloyale, avaient un fondement juridique similaire ; qu’en statuant ainsi, en ignorant que les demandes, dirigées contre deux personnes morales distinctes, ne tendaient pas aux mêmes fins, la contrefaçon par reproduction des modèles n’étant imputée qu’à la société suédoise H&M AB, que les actes de concurrence déloyale étaient eux-mêmes matériellement différents, la société Pucci ayant reproché à la filiale française H&M d’avoir commercialisé les vêtements de la collection « Matthew Williamson pour H&M » et à la société H&M AB de les avoir fournis, et que les demandes devaient être examinées par le juge français et le juge suédois au regard de législations différentes, la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les décisions qui seraient rendues par les juridictions nationales respectives des deux sociétés défenderesses s’inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, a violé les articles 2, 1 et 6, 1 du Règlement ;

2°/ que dans des conclusions demeurées sans réponse, les sociétés H&M faisaient valoir que les actes de contrefaçon, consistant en la reproduction, dans le cadre d’une campagne promotionnelle dans la presse française et dans le magazine H&M été 2009 accessible sur le site internet de la société suédoise H&M AB, des droits d’auteur portant sur deux modèles de vêtements dont la société Pucci se disait titulaire ne pouvaient être imputés qu’à la seule société de droit suédois H&M AB, à l’initiative de laquelle avait été réalisée la campagne publicitaire et qui était seule propriétaire du nom de domaine, la société de droit français H&M n’ayant eu aucune part dans la commission de ces actes ; qu’elles faisaient valoir en outre que les actes de concurrence déloyale allégués, tenant à la commercialisation en France par la société de droit français H&M de vêtements de la collection « Matthew Williamson pour H&M » n’étaient pas imputables à la société de droit suédois H&M AB, les sociétés H&M ayant contesté que ces vêtements aient été fournis par la société de H&M AB ; qu’en n’apportant aucune réponse à ces conclusions propres à démontrer que les décisions qui seraient rendues respectivement par les juridictions françaises et suédoises ne s’inscrivaient pas dans une même situation de fait et qu’il n’existait aucun risque que des décisions inconciliables, au sens de l’article 6, 1 du Règlement, soient rendues, la cour d’appel a violé l’article 455 du CPC ;

3°/ que devant la Cour d’appel, la société Pucci n’imputait qu’à la seule société suédoise H&M AB d’avoir eu l’initiative de la campagne publicitaire dans la presse à l’occasion de laquelle auraient été reproduits les modèles sur lesquels elle revendiquait des droits et de la diffusion du magazine H&M été 2009 ayant servi de véhicule à la même reproduction sur le site internet dont cette société était le seul titulaire ; qu’elle n’imputait en revanche qu’à la seule société française H&M d’avoir commercialisé les vêtements de la collection « Matthew Williamson pour H&M », la société suédoise H&M AB ayant selon elle fourni ces produits ; qu’en énonçant que les demandes présentées contre les sociétés française et suédoise étaient les mêmes et que les demandes formées contre ces deux sociétés portaient sur la reproduction de deux modèles PUCCI et la commercialisation de vêtements de M. Williamson, à l’origine d’une même situation de fait, la Cour d’appel a méconnu l’article 4 du CPC ;

4°/ que l’action en contrefaçon et l’action en concurrence déloyale procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins ; qu’en retenant l’existence d’un lien de connexité entre les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale respectivement formées contre la société H&M AB et la société H&M, justifiant qu’il soit fait application de la compétence exceptionnelle prévue par l’article 6, 1 précité, pour la raison que les fondements juridiques des actions à l’encontre de ces deux sociétés était « similaires », la Cour d’appel a violé ce texte, ensemble l’article 1382 du code civil ;

5°/ que la compétence prévue par l’article 6, 1 du Règlement, en faveur du tribunal du domicile d’un codéfendeur et au détriment de la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur, est une compétence exceptionnelle qui ne peut être retenue qu’en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice ; que le choix de la juridiction en fonction des seuls intérêts du demandeur, est de nature à exclure qu’il soit dérogé à la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur et qu’il soit fait application de la compétence prévue par l’article 6, 1 précité ; qu’en déclarant inopérants les développements des sociétés H&M portant sur la volonté de la société Pucci, en vue de la seule satisfaction de ses intérêts personnels, de priver la société H&M AB de son for de compétence naturelle, la cour d’appel a violé les articles 2, 1 et 6, 1 du Règlement ;

6°/ qu’après avoir constaté que la réparation réclamée à la filiale française H&M était incluse dans la réparation « mondiale » réclamée à la société de droit suédois H&M AB et faisait partie de cette réparation, la Cour d’appel devait en déduire que le lien étroit entre la juridiction et le litige, qui peut justifier qu’il soit fait exception, au profit du tribunal du domicile d’un codéfendeur, à la compétence de principe du tribunal du domicile du défendeur, désignait les juridictions suédoises comme seules compétentes, sans que la vue de faciliter une bonne administration de la justice justifie que la société de droit suédois H&M AB soit soustraite à son for naturel ; qu’en retenant la compétence des tribunaux français, la Cour d’appel a violé les articles 1,1 et 6, 1 du Règlement ;

La Cour de cassation, retient, en premier lieu, que la société italienne ayant imputé des actes de contrefaçon des mêmes modèles de vêtements aux deux sociétés et fait état de ce que ces deux sociétés avaient cherché volontairement à créer une confusion dans l’esprit du public avec le style Pucci et à profiter du savoir-faire et des investissements que la société Pucci consacrait chaque année à la création, à la présentation et à la promotion de plusieurs lignes de couture, c’est sans méconnaître les termes du litige que la cour d’appel a retenu que les demandes présentées contre les sociétés défenderesses s’inscrivaient dans une même situation de fait.

Elle ajoute, en deuxième lieu, que l’article 6, du Règlement s’applique lorsqu’il y a intérêt à instruire et à juger ensemble des demandes formées contre différents défendeurs afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, sans qu’il soit nécessaire en outre d’établir de manière distincte que les demandes n’ont pas été formées à la seule fin de soustraire l’un des défendeurs aux tribunaux de l’Etat membre où il est domicilié. L’arrêt attaqué, qui relève que chacune des sociétés H&M était accusée séparément de contrefaçon des mêmes modèles de vêtements et des mêmes actes de concurrence déloyale et parasitaire, a pu en déduire, en l’absence d’harmonisation du droit d’auteur et de la concurrence déloyale au sein de l’Union, qu’il existait un risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément.

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