Nullité du contrat de franchise et préjudices réparables

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10028, non publié au Bulletin

Consolidant une jurisprudence connue, l’arrêt commenté permet de dégager quatre enseignements…

Ce qu’il faut retenir : Consolidant une jurisprudence connue, l’arrêt commenté permet de dégager quatre enseignements : le dirigeant de la société franchisée assignant le franchiseur en nullité du contrat de franchise n’est pas recevable à solliciter le remboursement de son compte courant d’associé et de son apport en capital, un tel préjudice n’étant pas personnel (1er enseignement) ; la société franchisée est par nature mal fondée à réclamer l’indemnisation d’un préjudice financier correspondant au défaut d’obtention de résultats commerciaux (2ème enseignement) ; seule une faute de la victime ayant concouru à la production du dommage peut exonérer en tout ou partie l’auteur de ce dommage de sa responsabilité (3ème enseignement) ; lorsqu’il accorde d’office une indemnité, le juge doit inviter les parties à s’expliquer sur l’octroi de celle-ci (4ème enseignement).

Pour approfondir : Un franchiseur avait remis un document d’information précontractuelle, puis conclu un contrat de franchise ; la société franchisée, signataire de ce contrat, et sa gérante avaient assigné le franchiseur en nullité du contrat de franchise et en réparation de divers préjudices. La société franchisée avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire, le liquidateur reprenant l’action engagée par ladite société. Le liquidateur judiciaire et la gérante de la société franchisée faisaient grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande tendant à la condamnation du franchiseur au paiement d’une certaine somme en réparation de leur manque à gagner.

La décision rendue par la Cour de cassation emporte quatre enseignements qui, sans être véritablement nouveaux, n’en demeurent pas moins essentiels au plan pratique.

En premier lieu, il était fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait condamné la société franchiseur à payer à Mme X… le solde du compte courant d’associé et à rembourser le capital investi, tels que le liquidateur les établirait, et, statuant à nouveau de ce chef, dit Mme X… irrecevable en ses demandes relatives au remboursement de son apport en capital et de son compte courant d’associé.

Par la décision commentée, la Cour de cassation retient :

« Mais attendu que l’arrêt relève qu’aux termes des articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce dans leur rédaction applicable, le liquidateur judiciaire de la société A… a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif de ses créanciers ; que la cour d’appel en a exactement déduit que les demandes de Mme X…, au titre de son compte courant d’associée et de son apport en capital, en ce qu’elles ont trait à une fraction du préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers, sont distinctes de celles tendant à l’indemnisation de préjudices personnels ; que le moyen n’est pas fondé ».

Cette décision vient consolider une position jurisprudentielle déjà exprimée ; c’est en soi le premier apport intéressant – utile au plan pratique – de la décision commentée.

Il est de jurisprudence constante en effet que l’associé, même majoritaire ou dirigeant, est par nature irrecevable à agir à titre personnel contre le cocontractant de la société (ici le franchiseur) dès lors que le préjudice allégué trouve sa source dans un préjudice subi par la société, et que la réparation du préjudice subi par la société suffit à réparer par ricochet celui subi par l’associé ou le gérant.

Il a notamment été jugé que l’associé-gérant d’une société en liquidation judiciaire est irrecevable à se prévaloir des conséquences financières et morales de la liquidation judiciaire pour tenter d’engager la responsabilité du cocontractant de la société, dès lors que « le préjudice ainsi allégué ne se distingu[e] pas de celui subi par la personne morale du fait du prononcé de sa liquidation judiciaire » (Cass. com., 3 avril 2012, n° 11-11943) ; de même, les associés ne sont pas recevables à agir au titre du préjudice consistant en la perte de leur apport, dès lors que l’indemnisation de la société aurait suffi par ricochet à indemniser ce préjudice (Cass. civ. 2ème, 17 février 2011, n° 09-67906).

En deuxième lieu, il était fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait rejeté la demande de la société franchisée, prise en la personne de son liquidateur, tendant à la condamnation de la société franchiseur au paiement d’une somme de 7.828.884 euros en réparation de son manque à gagner, aux motifs que « le contrat annulé étant censé ne jamais avoir existé, [le liquidateur], ès qualités, ne peut utilement, sauf à méconnaître les conséquences mêmes de la nullité prononcée, réclamer l’indemnisation d’un préjudice financier correspondant au défaut d’obtention de résultats commerciaux, que la société [franchisée] eût été en droit d’attendre, de l’exploitation de la franchise sur une période de 9 ans ».

Par la décision commentée, la Cour de cassation retient : « la franchisée ne peut, sauf à méconnaître les conséquences de la nullité prononcée, réclamer l’indemnisation d’un préjudice financier correspondant au défaut d’obtention de résultats commerciaux qu’elle eût été en droit d’attendre de l’exploitation de la franchise en sorte que la demande relative au gain manqué doit être rejetée ; qu’ainsi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ».

Cette solution est classique. Il a été déjà jugé en effet que le préjudice réparable réside dans « la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses » et non dans la « perte de chance d’obtenir les gains attendus » (Cass. com., 17 mars 2015, n°14-10.595, et notre commentaire ; Cass. com., 25 novembre 2014, n°13-24.658, F-D : Juris-Data n°2014-028908, et notre commentaire ; Cass. com., 31 janvier 2012, n°11-10.834, et notre commentaire).

En troisième lieu, il était fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait condamné la société franchiseur à payer à la société franchisée, et pour elle Maître Z…, ès qualités, les pertes comptables au 30 octobre 2008, telles que Maître Z… les établirait et, statuant à nouveau de ce chef, d’avoir fixé la créance de Maître Z…, en qualité de liquidateur de la société franchisée, au passif de la procédure collective de la société franchiseur, à titre chirographaire, à 120.000 euros à titre de dommages-intérêts. Ce faisant, pour limiter le montant de la réparation du fait du manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle, l’arrêt critiqué, après avoir relevé que la société franchisée n’avait pas commis d’erreur de gestion, avait retenu qu’elle avait une part d’autonomie et d’initiative dans la gestion.

Par la décision commentée, la Cour de cassation retient : « En se déterminant ainsi, sans constater le caractère fautif de cette gestion, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ».

Par le principe ainsi énoncé, la décision est logique : seule une faute de la victime ayant concouru à la production du dommage peut exonérer en tout ou partie l’auteur de ce dommage de sa responsabilité.

En quatrième lieu et enfin, il était fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir accordé d’office une indemnité à la société franchiseur en contrepartie de la valeur des prestations non restituables qu’elle aurait fournies à la société franchisée, en exécution du contrat de franchise dont elle a prononcé l’annulation, sans inviter préalablement les parties à s’expliquer sur l’octroi d’une telle indemnité.

Par la décision commentée, la Cour de cassation retient : « En statuant ainsi, sans inviter préalablement les parties à s’expliquer sur l’octroi d’une telle indemnité alors que le franchiseur n’avait présenté aucune demande de ce chef, la Cour d’appel a violé les articles 4, 5 et 16 du Code de procédure civile ».

La solution est pleinement justifiée quoiqu’elle n’augure évidemment pas de la solution qui sera retenue de ce chef par la cour de renvoi.

A rapprocher : Cass. com., 27 janv. 2009, pourvoi n°07-21.616, Juris-Data n°046791

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