Conflit de lois en matière contractuelle

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ALBARIC Cristelle

Avocat associée - Docteur en droit

Cass. civ. 1ère, 16 septembre 2015, pourvoi n°14-10.373

Lorsqu’un contrat est conclu par des parties n’ayant pas la même nationalité, un choix relatif à la loi applicable peut être effectué en amont selon la Convention de Rome du 19 juin 1980 (la « Convention de Rome »)…

Ce qu’il faut retenir : Lorsqu’un contrat est conclu par des parties n’ayant pas la même nationalité, un choix relatif à la loi applicable peut être effectué en amont selon la Convention de Rome du 19 juin 1980 (la « Convention de Rome »). En l’absence de choix, la Convention de Rome admet comme loi applicable celle du pays avec lequel il existe les liens les plus étroits.

Pour approfondir : En l’espèce, une banque italienne conclut un contrat de prêt le 19 avril 2006 avec une personne résidant habituellement en Italie, son garant réside habituellement en France. Après déchéance du terme, la banque assigne l’emprunteur et le garant en paiement des sommes restant dues.

La Cour d’appel déboute la banque, laquelle forme un pourvoi en cassation.

 

   I – Détail de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation détaille trois moyens.

Concernant le premier relevé d’office, l’arrêt d’appel ne reconnait pas la loi italienne comme applicable audit contrat de prêt puisque « aucun justificatif sérieux du montant de la créance dont elle se prévaut à l’encontre de l’emprunteur n’est fourni ».

En revanche, la Cour de cassation soutient qu’il incombe au juge français de « rechercher la loi compétente, puis de déterminer son contenu, et de l’appliquer ». S’agissant du quatrième moyen pris en sa première branche, la Cour d’appel retient que « les textes du droit français relatifs à la protection de la caution et au formalisme de son engagement ont un caractère impératif ».

La Cour de cassation infirme cette décision, au motif que les mentions prévues par ces textes sont    destinées à assurer une meilleure protection de la personne qui s’engage mais ne déterminent pas pour autant l’applicabilité de la loi française telle que loi de police. 

L’essentiel de l’arrêt se trouve dans le moyen qui suit. En effet le troisième moyen pris en sa quatrième branche traite du conflit de lois lors d’une obligation contractuelle.

D’après l’arrêt d’appel, la loi française est applicable au contrat puisque « le cautionnement est un contrat autonome et que c’est avec la France que le contrat litigieux présentait les liens les plus étroits puisque le garant résidait en France au moment de la signature ».

Sur le fondement de l’article 4 de la Convention de Rome, la Cour de cassation relève qu’en l’absence de choix par les parties, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. Par ailleurs, le pays présumé présenter de tels liens est celui dont la partie devait fournir la prestation caractéristique qui a sa résidence habituelle au moment du contrat.

Ainsi, la Cour de cassation conclut que le contrat est régie par la loi italienne puisque, le contrat est rédigé en Italie, le prêteur détient son siège en Italie, la résidence habituelle de l’emprunteur se situe en Italie et que le contrat de prêt dont l’acte de cautionnement constituait la garantie était régi par la loi italienne.

 

   II – Rappel de la Convention de Rome

La Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles a été conclue le 19 juin 1980 par les neufs Etats membres de la Communauté Européenne de l’époque (la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande et le Danemark). La Convention de Rome est entrée en vigueur le 1er avril 1991. Par la suite, tous les nouveaux Etats adhérents à la Communauté Européenne sont invités à y adhérer.

Un premier protocole a été rédigé concernant l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la Convention de Rome. (Journal officiel n° C 027 du 26/01/1998 p. 0047 – 0051).

Un second protocole attribue à la CJUE une compétence pour interpréter la Convention de Rome. (Journal officiel n° C 027 du 26/01/1998 p. 0052 – 0053) ».

Les deux protocoles ont été signés le 19 décembre 1988, ratifiés par la France le 1er décembre 1995, entrés en vigueur le 1er août 2004, publiés par le décret n°2005-17 du 5 janvier 2005.

Par ailleurs le texte de la Convention de Rome est complété par plusieurs déclarations communes  relatives à l’harmonie entre les mesures à adopter par les pays membres de la Communauté européenne en termes de règles de conflit notamment avec les dispositions de la Convention de Rome.

La Convention de Rome détaille deux situations, la détermination de la loi applicable (i) par un choix des contractants, ainsi (ii) qu’en l’absence de choix des contractants.

  • La détermination de la loi applicable en présence d’un choix de la part des contractants

Selon l’article 1 de la Convention de Rome, « le contrat est régi par la loi choisie par les parties». Il n’y a aucune contrainte concernant le choix de la loi. Ainsi, une loi d’un Etat tiers aux parties peut être appliquée. Le choix de la loi applicable doit être « exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ».

Par ailleurs, les parties sont libres de « désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat », tout en veillant bien entendu à la cohérence du contrat.

Les parties sont également libres de modifier la loi applicable lorsqu’elles le souhaitent d’un commun accord.

En cas de conflit le juge ne pourra contester le choix de la loi applicable retenue par les parties.

  • La détermination de la loi applicable en l’absence d’un choix de la part des contractants

En l’absence de choix de la loi applicable par les parties, le contrat est régi en principe par « la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits » conformément à l’article 4 de la Convention de Rome.

La détermination des « liens les plus étroits » se fait par le principe de proximité c’est-à-dire du lieu de la résidence habituelle ou de l’administration centrale pour les personnes morales. Toutefois, lorsque le contrat est conclu dans l’exercice d’une activité professionnelle, le lieu déterminant est celui du principal établissement.

La Convention de Rome distingue les contrats ayant pour objet un droit réel immobilier en disposant qu’à défaut de choix par les parties, la loi applicable est celle du pays où se situe l’immeuble.

Les contrats de transport de marchandises sont également soumis à un régime spécifique visé par la Convention de Rome laquelle établit que la loi applicable est déterminée en fonction du lieu de chargement, de déchargement de l’établissement de l’expéditeur.

Enfin, la Convention de Rome contient des dispositions particulières s’agissant des contrats conclus par les consommateurs et des contrats de travail.

Contrat de consommation

S’agissant des contrats conclus par des consommateurs, la Convention de Rome s’applique seulement aux contrats conclus à des fins personnelles : fourniture d’objets meubles corporels ou de services, ainsi que tous les contrats ayant trait au financement de ces objets (article 5).

Dans les cas où les parties ont préalablement choisi la loi applicable, ce choix prévaut. Cependant, ce choix ne peut avoir pour effet de « priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle ». A défaut de choix, le contrat de consommation sera régi par la loi du pays où se situe « la résidence habituelle du consommateur ».

Contrat de travail

Concernant les contrats de travail, la loi applicable est présumée être celle du pays de l’exécution habituelle du travail (article 6). En présence d’un choix des parties, les règles sont les mêmes qu’en matière de contrat de consommation, c’est-à-dire que le choix est valable mais ne peut priver le « travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable ».

 

   III – Mise en place d’un instrument communautaire : le règlement européen n°593/2008

Le programme de La Haye de 2004 réaffirme l’importance de poursuivre les travaux sur les règles de conflits de lois pour les obligations contractuelles dans le cadre de son plan d’action en faveur de l’adoption de la proposition «Rome I». Le règlement qui en découle remplace la convention de Rome de 1980 concernant la loi applicable aux obligations contractuelles. Il en fait un instrument communautaire et le modernise.

Le règlement n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 Juin 2008 établit ainsi un ensemble de règles contraignantes de droit international privé pour les obligations contractuelles et non contractuelles avec le règlement de Bruxelles I et de Rome II.

Cela implique ainsi une uniformisation du droit international privé pour les Etats membres ainsi qu’une compétence d’interprétation à la Cour de justice.

Le règlement n°593/2008 s’applique aux obligations contractuelles en matière civile et commerciale lors de conflit de lois et s’agissant des contrats conclus depuis le 17 décembre 2009. Il est construit de la même manière que la convention de Rome mais apporte plus de précisions concernant certains points particuliers.

Aux termes de l’article 12 du règlement n°593/2008, la loi considérée comme applicable au contrat devra régir : son interprétation, l’exécution des obligations qu’il engendre, les sanctions en cas de non-respect des obligations, l’évaluation des dommages, l’extinction des obligations, les mesures d’exécution et les sanctions en cas d’invalidité du contrat. 

  • Loi applicable à défaut de choix

Lorsque les parties n’ont pas choisi la loi applicable, le règlement n°593/2008 vise en article 4 les modalités des lois applicables en fonction des types de contrats quand la Convention de Rome restait beaucoup plus vague :

–        concernant les contrats de vente de biens, de prestation de services, de franchise ou de distribution, la loi applicable sera celle du pays de résidence du principal exécutant du contrat ;

–        la loi applicable en matière de bail d’un bien immeuble est celle du pays où le bien se situe, à l’exception d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs. Le cas échéant, la loi applicable est celle du pays de résidence du propriétaire ;

–        s’agissant de la vente de biens aux enchères, la loi applicable est celle du pays ou l’enchère a lieu.

D’autre part, le règlement renforce les modalités de sélection de la loi applicable en l’absence de choix concernant les contrats de transport (article 5), de consommation (article 6), d’assurance (article 7), et enfin les contrats individuels de travail (article 8).

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