L’étiquetage de denrées alimentaires ne doit pas induire le consommateur en erreur

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ALBARIC Cristelle

Avocat associée - Docteur en droit

CJUE, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraudcherverbände v. Teekanne, 4 juin 2015

Le 4 juin 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a répondu à une question préjudicielle provenant de la Cour fédérale de justice allemande statuant sur l’affaire Teekanne…

Le 4 juin 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a répondu à une question préjudicielle provenant de la Cour fédérale de justice allemande statuant sur l’affaire Teekanne. En effet, une association allemande de protection des consommateurs a assigné la société Teekanne afin qu’elle cesse de faire la promotion d’une infusion aux fruits, appelée « Felix aventure framboise-vanille », promotion que l’association considérait comme contraire à la Directive 2000/13 du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard.

En l’espèce, l’emballage de l’infusion comportait les mentions « avec des arômes naturels » et « ne contient que des ingrédients naturels » ainsi que des images de framboises et de fleurs de vanille. En réalité, la liste d’ingrédients n’indiquait pas la présence de composants de framboises ou de fleurs de vanille, ni même d’arômes de framboises ou de vanille.

La CJUE a jugé que l’étiquetage d’une denrée alimentaire ne doit pas induire le consommateur en erreur en suggérant la présence d’un ingrédient qui est en réalité absent du produit, absence qui n’est révélée que par la liste d’ingrédients figurant sur l’emballage.

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence communautaire constante protectrice des consommateurs : en vertu d’un arrêt de la CJUE, Commission européenne c/ République italienne, du 25 novembre 2010, le consommateur doit disposer « d’une information correcte, neutre et objective qui ne l’induise pas en erreur » lorsqu’il achète des denrées alimentaires.

Le renvoi préjudiciel est une procédure prévue à l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne. Grâce à cette procédure, une juridiction nationale de l’Union Européenne saisie d’un litige peut interroger la CJUE sur l’interprétation du droit de l’Union. La CJUE ne tranche pas le litige national qui lui a été présenté. En revanche, la juridiction nationale sera liée par son interprétation.

Dans cet arrêt, une Cour allemande a posé à la CJUE la question préjudicielle suivante : « L’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard peuvent-ils suggérer, au moyen de l’apparence, de la description ou d’une représentation graphique, la présence d’un ingrédient déterminé alors que, en fait, cet ingrédient y est absent et que cette absence ressort uniquement de la liste des ingrédients visée à l’article 3, paragraphe 1, point 2, de la directive 2000/13 ? ».

I. Fondements textuels

La Directive 2000/13 est relative à l’étiquetage et à la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard. Son principal objectif est la protection des consommateurs : ils doivent être informés de la nature exacte et des caractéristiques des produits. On retrouve cet objectif dans le droit français, à travers la notion de transparence du marché (Livre Ier du Code de la consommation).

Elle a été abrogée par le Règlement européen n°1169 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires mais elle était toujours applicable en l’espèce (à la date des faits du litige, la Directive était en vigueur).

La Cour a rappelé les dispositions nécessaires à la résolution du litige :

– Considérant 6
– Considérant 8
– Considérant 14
– Article 1, paragraphes 1 et 3, sous a)
– Article 2, paragraphe 1, sous a), i)
– Article 3, paragraphe 1
– Article 6

En vertu de cette Directive, les consommateurs ne doivent pas être induits en erreur par un étiquetage (mentions, indications, marques de fabrique ou de commerce, images ou signes se rapportant à une denrée alimentaire…). Ainsi, tout étiquetage de denrées alimentaires doit comporter la dénomination de vente ainsi que la liste d’ingrédients.

Cette Directive a été complétée par le Règlement n°178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

La Cour a rappelé deux articles importants du Règlement n°178/2002 :

  • l’article 8 qui dispose que la législation alimentaire protège les intérêts du consommateur en prévenant les pratiques frauduleuses, la falsification des denrées alimentaires et toute pratique pouvant induire le consommateur en erreur ;
  • et l’article 16 qui indique les manières dont les distributeurs peuvent induire en erreur le consommateur.

Enfin, la Cour s’est référée au droit allemand, afin de permettre à la juridiction nationale qui l’a saisie de trancher le litige. Deux lois sont citées :

  • la loi relative à la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb – l’UWG) qui définit cette pratique comme l’infraction à « une disposition légale destinée […] à réglementer le comportement sur le marché dans l’intérêt des opérateurs du marché », soit « toute pratique commerciale trompeuse », c’est-à-dire le fait d’impliquer des allégations inexactes ou de nature à induire en erreur. Par exemple, le fait d’induire le consommateur en erreur sur la composition exacte d’un bien ; et
  • le Code allemand relatif aux denrées alimentaires (Lebensmittel, Bedarfsgegenstände und Futtermittelgesetzbuch – le LFGB) qui interdit en son article 11 la commercialisation de denrées alimentaires « sous une dénomination trompeuse ou avec des indications ou une présentation trompeuses ».

II. Procédure nationale

1. Jugement rendu en première instance

En l’espèce, l’association allemande Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraudcherverbände (BVV) a saisi le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) afin que la société Teekanne soit contrainte à cesser la promotion de l’infusion aux fruits « Felix aventure framboise-vanille ».

L’association s’est fondée sur la Directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 qui dispose que l’étiquetage des denrées alimentaires doit permettre au consommateur « d’opérer son choix en toute connaissance » (considérant 8) et ainsi l’étiquetage ne saurait « induire l’acheteur en erreur » (considérant 14).

Par décision du 16 mars 2012, le Landgericht de Düsseldorf a accueilli la demande de l’association.

2. Jugement en appel

La société défenderesse a interjeté appel auprès de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) qui a infirmé, le 19 février 2013, le jugement du Landgericht au motif que les informations données dans la liste d’ingrédients suffisaient à écarter tout risque de tromperie du consommateur : en effet, selon le tribunal, les dispositions légales allemandes (les lois UWG et LFGB) s’interprètent comme protégeant le consommateur moyen, que la CJUE définit dans le paragraphe 36 comme le consommateur « normalement informé et raisonnablement attentif et éclairé » (on parle au Royaume-Uni de « reasonable man »). Ainsi, un consommateur moyen sait, en lisant la liste d’ingrédients, que l’infusion est composée d’arômes « au goût » framboise et vanille et non obtenus à partir de ces fruits.

Selon le tribunal, « l’information exacte et complète qui ressort de la liste des ingrédients figurant sur l’emballage suffirait à écarter le risque de tromperie du consommateur ».

3. Jugement en dernier ressort

L’association a formé un recours contre cette décision devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice). La juridiction de renvoi a jugé que les mentions et images apposées sur l’emballage « suggèrent que le goût de cette infusion serait déterminé notamment par des arômes obtenus à partir de framboises et de fleurs de vanille ». Selon elle, cette suggestion serait de nature à dissuader le consommateur de s’intéresser à la liste exacte des ingrédients qui, ajoute-t-elle, figure sur l’emballage « en caractères plus petits ».

La Cour fédérale s’en est remise à l’interprétation de la Directive 2000/13 par la CJUE : elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE une question préjudicielle.

III. Raisonnement de la CJUE

En délimitant le cadre juridique, la CJUE s’est posée la question suivante : un étiquetage de denrées alimentaires induit-il les consommateurs en erreur s’il présente des mentions contradictoires par rapport à la liste des ingrédients ?

Après avoir rappelé qu’il ne lui appartient pas de trancher le litige au fond, la CJUE s’est reportée au précédent Alberto Severi c. Regione Emilia Romagna du 10 septembre 2009 dans lequel elle avait jugé que l’appréciation de la capacité d’un étiquetage à induire en erreur se fonde « sur l’attente présumée d’un consommateur moyen […] quant à l’origine, la provenance et la qualité liée à la denrée alimentaire, l’essentiel étant de ne pas induire le consommateur en erreur et de ne pas l’amener à considérer, de façon erronée, que le produit a une origine, une provenance ou une qualité différentes de ce qu’elles sont en réalité ».

La jurisprudence semble d’accord pour dire que le consommateur souhaitant acheter un produit va avant tout lire la liste d’ingrédients, et qu’ainsi si la liste est exacte, il ne devrait pas être induit en erreur. Cependant, cette position est à tempérer dans le cas où un étiquetage est composé de mentions ou d’images influençant le consommateur. En effet, la présence d’une liste d’ingrédients exacte – obligatoire en vertu de l’article 3 paragraphe 1 de la Directive 2000/13 – n’exonère pas le distributeur de denrées alimentaires d’appliquer le même standard d’information exacte aux autres mentions figurant sur l’emballage.

Ainsi, la CJUE a jugé qu’une liste d’ingrédients, certes exacte et exhaustive, ne suffit pas à corriger des mentions inexactes figurant sur l’emballage : la présence de mentions contradictoires conduit le consommateur à se faire une impression erronée du produit, susceptible de l’induire en erreur quant à sa composition exacte.

Reste à savoir si le Bundesgerichtshof tranchera le fond du litige de la même façon.

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