Cessation du contrat d’agent commercial et délai de préavis – Cass. com., 20 avril 2012, pourvoi n°11-13.27

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies de l’art. L.442-6-I-5° du C. com., relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies, ne s’applique pas lors de la cessation des relations commerciales ayant existé entre un agent commercial et son mandant.

Le statut des agents commerciaux est précisément défini aux article L.134-1 et suivants du code de commerce. Le régime juridique applicable à ces intermédiaires se caractérise notamment par un délai de préavis en cas de cessation du contrat d’agent commercial et par l’indemnité de fin de contrat à laquelle peut prétendre l’agent commercial. On pouvait toutefois se demander, lorsque les relations avec l’agent commercial avaient duré de nombreuses années, si le délai de préavis à respecter ne devait pas être défini en tenant compte de la règle  posée à l’article L. 442-6-I-5° du code de commerce relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies.

Par son arrêt du 3 avril 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme que le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies de l’article L.442-6-I-5° du code de commerce ne s’applique pas lors de la cessation des relations commerciales ayant existé entre un agent commercial et son mandant. La solution est clairement posée dans cet arrêt et ne souffre désormais d’aucune ambigüité.

En l’espèce, une société ayant rompu les relations qui la liaient à une autre, cette dernière l’assigna pour obtenir le bénéfice du statut d’agent commercial et le paiement d’indemnités de préavis et de cessation de contrat. La cour d’appel condamna la société mandante à payer à la société mandataire une indemnité compensatrice de rupture du contrat d’agent commercial et une indemnité de préavis. La société mandante forma alors un pourvoi en cassation en soutenant d’une part, que la société mandataire n’avait pas la qualité d’agent commercial et, d’autre part, qu’à défaut, si la qualité d’agent commercial était reconnue, alors l’article L.134-11 du code de commerce devait s’appliquer et non l’article L.442-6-I-5°.

La Cour de cassation, après avoir confirmé la qualité d’agent commercial de la société mandataire (I.), casse l’arrêt d’appel au visa des articles L.442-6-I-5° et L.134-11 du code de commerce.

L’attendu de l’arrêt est sans détour :  la règle de l’article L.442-6-I-5° ne s’applique pas à la cessation du contrat d’agent commercial et seules les règles relatives au préavis minimum posées par l’article  L.134-11 du code de commerce doivent être respectées (II).

I. La qualification d’agence commerciale

L’article L.134-1 du code de commerce dispose que « l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. […] ». L’agent commercial est donc un indépendant qui négocie et conclut des contrats pour le compte et au nom de son mandant.

La requérante faisait grief à la cour d’appel d’avoir retenu la qualification d’agence commerciale et violé ledit article notamment en n’ayant pas considéré que l’agent n’était en l’espèce investi d’aucun pouvoir de négociation des contrats et en ayant constaté que le prétendu agent commercial visitait des clients auxquels il proposait les produits négociés par son mandant, et non par lui. Enfin, elle fait grief à la cour d’appel de ne pas avoir donné de base légale à sa décision en se fondant sur la circonstance inopérante que la société prouvait également avoir été chargée d’organiser des animations afin de promouvoir la vente des produits de la société mandante.

Toutefois, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu la qualification d’agence commerciale en constatant que la société mandataire avait conduit des réunions de négociation des prix avec des clients de la société mandante, et leur avait proposé à la vente des produits de cette société au nom et pour le compte de celle-ci. Elle confirme, ce faisant, la qualité d’agent commercial de la société mandataire, conformément à l’article L.134-1 du code de commerce.

La qualité d’agent commercial étant reconnue, force est d’appliquer le régime adéquat. Or, dans cette affaire, la cour d’appel avait cru pouvoir considéré qu’eu égard à l’ancienneté des relations entre les parties, le préavis de deux mois accordé à l’agent était insuffisant et devait être porté à quatre mois. Le pourvoi reprochait l’application de l’article L.442-6-I-5° sur lequel les juges du fond s’étaient fondés pour allonger la durée de préavis à respecter au moment de la cessation des relations avec ledit agent. 

II. La primauté de l’article L.134-11 du code de commerce sur le « droit commun » de la rupture des relations commerciales

En raison du préavis de deux mois accordé par la société mandante à la société mandataire lors de la rupture du contrat qui les liait, la cour d’appel a condamné la société mandante, sur le fondement de l’article L.442-6-I-5° du code de commerce, à payer une indemnité de préavis considérant que le préavis qui aurait du être respecté était de quatre mois.

Rappelons que cet article prohibe le fait pour « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ». La jurisprudence enseigne que la notion de « relation commerciale » doit être interprétée largement pour être assimilée à toute relation professionnelle et que peu importe le statut juridique de la victime du comportement incriminé. La rupture brutale est celle qui ne respecte pas un préavis suffisant lequel est apprécié en fonction de la durée des relations entre les parties, plus ces relations ont duré, plus le préavis doit être long. La durée n’est pas le seul critère, même s’il reste essentiel, pour apprécier le caractère établi des relations, celui-ci peut également être établi au regard de l’intensité du flux d’affaires entre les parties, la stabilité et régularité des relations en cause notamment.

Or, il existe une disposition spécifique concernant la fin des relations commerciales de l’agent commercial. En effet, l’article L.131-4 du code de commerce dispose que « la durée du préavis est d’un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. […] Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l’agent ».

C’est au visa de cet article que la Cour de cassation s’est prononcée en jugeant que l’article L. 442-6-I-5° du code de commerce ne s’applique pas lors de la cessation des relations ayant existé avec l’agent commercial, pour lesquelles la durée de préavis qui doit être respectée est fixée par l’article L. 134-11 du code de commerce en fonction du nombre d’années d’exécution du contrat.

La durée de préavis d’un agent commercial ne peut excéder trois mois, quelque soit la durée des relations ayant existé entre les parties (à moins bien entendu qu’elles aient prévu une durée plus longue dans le contrat) et le juge ne peut, sous couvert d’une prétendue rupture brutale, accorder un délai plus long que ces trois mois lorsque la relation a duré trois ans ou plus.

La présente décision fait primer le régime de l’article L.134-11 du code de commerce  sur celui de l’article L.442-6-I-5° (v. déjà, Cass.com., 10 mai 2011, pourvoi n°10-17.952). Outre le respect de l’adage « specialia generalibus derogant », cette solution a le mérite de mettre un frein à l’expansion jurisprudentielle de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce ; initialement prévu pour lutter contre les déréférencements abusifs dans le secteur de la grande distribution, la règle a connu une application jurisprudentielle extensive pour toucher, plus largement, la cessation de toute relation (pas nécessairement organisée contractuellement) dite établie.

L’efficacité de l’article L.442-6-I-5° du code de commerce cède donc devant l’article L.134-11 du même code, comme elle avait déjà cédé auparavant devant d’autres dispositions législatives. Ce fut en effet le cas pour la loi d’orientation des transports intérieurs de 1982 qui instituaient des contrats-types contenant des conditions de préavis particulières, trois mois en l’occurrence (Cass. com. 4 oct. 2011, pourvoi n° 10-20240 ; Cass. com., 22 janv. 2008, pourvoi n° 06-19.440). Dans ces hypothèses, seules les parties sont maîtres d’augmenter conventionnellement la durée du préavis, le juge ne pouvant, a posteriori, opposer l’article L.442-6-I-5° du code de commerce.

La solution emporte donc des conséquences pratiques importantes car, en faisant primer le régime de l’agent commercial sur le droit commun de la rupture des relations commerciales, l’agent commercial ne pourra se prévaloir d’un préavis excédant trois mois et ce, quelque soit la durée des relations auxquelles il est mis un terme. 

 

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