Réduire le risque de rupture brutale par le choix de l’international

TOUSSAINT-DAVID Gaëlle

Avocat

Cass. com., 20 septembre 2017, n°16-14.812, Publié au Bulletin

La Cour de cassation ouvre la possibilité pour les entreprises d’écarter contractuellement la compétence du juge français concernant la rupture brutale des relations commerciales dans les relations internationales.

Ce qu’il faut retenir : La Cour de cassation ouvre la possibilité pour les entreprises d’écarter contractuellement la compétence du juge français concernant la rupture brutale des relations commerciales dans les relations internationales.

Pour approfondir : Le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales en matière internationale est mouvant et l’arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre dernier en est une parfaite illustration. En effet, par cette décision – dans un contexte particulier de relations internationales ayant lieu au sein de l’Union européenne – la Cour de cassation renverse le principe établi depuis 2011, selon lequel le contentieux lié à la rupture brutale des relations commerciales en application de l’article L. 442-6, I., 5° du code de commerce, relèverait de la matière délictuelle et non contractuelle.

En vertu de ce principe, l’interdiction des ruptures brutales des relations commerciales avait donc vocation à s’appliquer y compris aux relations internationales pour lesquelles les parties auraient prévu contractuellement (parfois dans la perspective d’échapper au texte) l’application d’un droit étranger à leur relation et/ou la compétence d’un juge étranger aux litiges découlant de leur relation commerciale.

Pourtant, appliquant les principes dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt CJUE du 14 juillet 2016, aff. C-196/15, Granolo SpA c. Ambroisi Emmi France SA), tenant compte du fait qu’il existait dans l’affaire en cause une relation contractuelle, la Cour de cassation décide que le litige relève de la matière contractuelle, conformément aux dispositions du Règlement dit « Bruxelles I bis » (Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale).

Ainsi, au vu du contenu du contrat qui prévoyait la livraison des marchandises hors de France (en Belgique), en application des dispositions du Règlement « Bruxelles I bis », la Cour de cassation confirme l’incompétence du juge de commerce parisien, au profit des juridictions belges.

Dès lors, il apparaît que la rédaction des clauses contractuelles dans les relations internationales (au moins communautaires) prend une importance toute particulière, dès lors qu’en y prévoyant les conditions attribuant compétence aux juridictions d’un autre Etat membre, les parties peuvent soustraire leur relation au contrôle des juridictions françaises spécialisées.

On peut imaginer alors que, sans préjuger de la qualité des juges étrangers, le risque de condamnation pour rupture brutale des relations commerciales soit réduit dès lors qu’il sera soumis à ces derniers, qui n’ont pas de compétence spécifique pour en juger.

On précisera ici que cette jurisprudence est applicable à la fois aux relations formalisées dans un contrat écrit et aux relations contractuelles tacites, toujours en application des dispositions du règlement communautaire précité.

L’incertitude désormais porte sur l’ampleur du revirement opéré par la Cour de cassation, contrainte par les dispositions communautaires dans l’affaire en cause.

En effet, les relations internationales impliquant un partenaire situé hors de l’Union européenne et les relations intra-communautaires insusceptibles d’être qualifiées de contractuelles pourraient continuer à se voir appliquer la position de principe d’une qualification délictuelle, ce qui permettrait alors au droit français et aux juridictions françaises de continuer à appréhender les situations internationales.

Il conviendra donc sur ce point d’attendre la position de la Cour de cassation, qu’elle soit favorable à une uniformité d’application du texte dans un contexte international, ou à une application différenciée, avec un traitement spécifique aux relations contractuelles intra-communautaires.

Dans l’attente, il est très vivement recommandé aux entreprises de porter une attention particulière à la rédaction de leurs contrats, en particulier si elles ont la volonté d’écarter dans la mesure du possible la compétence du juge français en cas de rupture brutale de leur relation.

A toutes fins utiles, on précisera qu’une décision de la Cour d’appel de Paris rendue il y a quelques jours seulement (CA Paris, 25 oct. 2017, n°17/03925), a réitéré, dans un contexte purement interne, l’inefficacité des clauses contractuelles prévoyant l’attribution du contentieux de rupture brutale des relations commerciales à une autre juridiction que les juridictions spécialisées (en l’espèce, les parties avaient attribué compétence au Tribunal de grande instance de Paris pour juger des litiges en relation avec leur contrat de distribution).

A rapprocher : CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-196/15, Granolo SpA c. Ambroisi Emmi France SA

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