Délai de prescription et délai de garantie différents en matière de biens d’occasion

CJUE, 13 juillet 2017, aff. C-133/16

La réduction du délai d’action en responsabilité contre le vendeur d’un bien d’occasion n’a aucune incidence sur le délai de prescription qui ne peut être inférieur à deux ans.

Ce qu’il faut retenir : La réduction du délai d’action en responsabilité contre le vendeur d’un bien d’occasion n’a aucune incidence sur le délai de prescription qui ne peut être inférieur à deux ans.

Pour approfondir : En l’espèce, un ressortissant néerlandais résidant en Belgique, Monsieur X, a acquis une voiture d’occasion auprès de la société Y moyennant le prix de 14.000 euros. Le 22 septembre 2010, la direction de l’immatriculation de Belgique a refusé de procédé à l’immatriculation du véhicule, ce dernier ayant été signalé comme volé dans le système d’information Schengen. Un défaut de conformité a par conséquent été constaté. Le 7 octobre 2010, l’assureur de Monsieur X a signalé le défaut de conformité à la société Y. L’assureur de Monsieur X a mis en cause la responsabilité du vendeur, la société Y, au motif que « le véhicule en cause était affecté d’un vice caché fonctionnel » et l’a mis en demeure de « reprendre le véhicule ainsi que de rembourser le prix de vente ». A la suite de démarches entreprises par le vendeur, il est apparu que ce sont les documents du véhicule, et non le véhicule lui-même, qui avaient été volés « afin de « maquiller » une voiture similaire d’origine frauduleuse en Italie ».

Le 7 janvier 2011, le véhicule acheté par Monsieur X a pu être immatriculé. Le 21 octobre 2011, le conseil de Monsieur X a mis en demeure la société Y d’indemniser Monsieur X des « dommages subis en raison du défaut de conformité dont le véhicule en cause était affecté ». La société Y a contesté la demande d’indemnisation en soulevant le caractère tardif de cette dernière. Monsieur X a par conséquent saisi le Tribunal de commerce de Mons (Belgique) « afin d’obtenir une indemnisation des dommages subis en raison du défaut de conformité du véhicule en cause. Il a sollicité le remboursement des frais afférents à la location d’un véhicule de remplacement et des frais administratifs encourus, ainsi qu’une réduction du prix au titre de la moins-value du véhicule acquis, majorés des intérêts compensatoires et judiciaires depuis le 7 octobre 2010 ».

Par jugement en date du 9 janvier 2014, le Tribunal de commerce de Mons a débouté Monsieur X de ses demandes. Monsieur X a interjeté appel de ce jugement et le 8 juin 2015, la Cour d’appel de Mons a jugé que « le véhicule vendu était affecté d’un défaut de conformité au sens des articles 1649 bis et suivants du code civil, mais que ce défaut semblait avoir été résolu à la suite de l’immatriculation de ce véhicule. Néanmoins, la réouverture des débats a été ordonnée d’office afin de permettre aux parties de conclure, notamment, sur la prescription de l’action. ».

La Cour d’appel indique que s’agissant du délai de prescription il convient de distinguer le « délai de garantie » du « délai de prescription » :

  • le délai de garantie prévu à l’article 1649 quater paragraphe 1 du code civil belge est de 2 ans à compter de la délivrance du bien. Ce délai peut être réduit d’un commun accord des parties à 1 an pour les biens d’occasion.
  • le délai de prescription prévu à l’article 1649 quater paragraphe 3 du code civil belge est de 1 an à compter du jour « où le défaut de conformité a été constaté par le consommateur, sachant que ce délai ne peut expirer avant la fin du délai de deux ans prévu au paragraphe 1 de cet article ».

Il apparait que les parties ont réduit le délai de garantie à 1 an.

L’action en justice a été intentée le 12 mars 2012 soit plus d’un an après :

  • la livraison du véhicule en cause qui a eu lieu le 21 septembre 2010,
  • la constatation du défaut de conformité de ce véhicule intervenue le 22 septembre 20110.

La société Y soutient que « la prolongation du délai de prescription jusqu’à l’expiration du délai de deux ans ne se justifie pas lorsque le délai de garantie a été valablement réduit à une durée d’un an. Dans une telle situation, cette disposition devrait être interprétée en ce sens que le délai de prescription de l’action en justice pouvant être engagée par le consommateur peut expirer avant la fin du délai de deux ans à compter de la délivrance du bien d’occasion. ». Monsieur X soutient quant à lui que « la directive 1999/44 et, plus précisément, l’article 5, paragraphe 1, ainsi que l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, de celle-ci, ne permet pas aux États membres de prévoir, pour l’action du consommateur, en ce qui concerne la vente d’un bien d’occasion, un délai de prescription inférieur à deux ans à compter de la délivrance de ce bien. ». La Cour d’appel de Mons a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question de savoir si « « les dispositions combinées de [l’article 5, paragraphe 1,] et [de l’article 7, paragraphe 1, second alinéa], de la directive [1999/44] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une disposition du droit national interprétée en ce sens qu’elle permet, pour les biens d’occasion, que le délai de prescription de l’action du consommateur expire avant la fin du délai de deux ans à compter de la délivrance du bien non conforme lorsque le vendeur et le consommateur ont convenu d’un délai de garantie inférieur à deux ans ? »

La question qui se pose est donc celle de savoir si le droit de l’Union européenne s’oppose « à une règle d’un Etat membre qui permet que le délai de prescription de l’action du consommateur soit d’une durée inférieure à deux ans à compter de la délivrance du bien » (point 32). L’article 5 paragraphe 1 de la Directive 1999/44/CE du Parlement Européen et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation prévoit que « La responsabilité du vendeur prévue à l’article 3 est engagée lorsque le défaut de conformité apparaît dans un délai de deux ans à compter de la délivrance du bien. Si, en vertu de la législation nationale, les droits prévus à l’article 3, paragraphe 2, sont soumis à un délai de prescription, celui-ci n’expire pas au cours des deux ans qui suivent la délivrance. ».

Deux délais ont ainsi été instaurés par la Directive 1999/44/CE :

  • le délai de responsabilité du vendeur d’une durée de 2 ans à compter de la délivrance du bien,
  • le délai de prescription de l’action engagée par le consommateur d’une durée de 2 ans à compter de la délivrance du bien.

La Cour de Justice de l’Union Européenne estime que « ladite disposition ne fait pas dépendre la durée de l’éventuel délai de prescription de celle du délai de responsabilité du vendeur. » (Point 40).

L’article 7 paragraphe 1 de cette même Directive prévoit quant à lui : « Les clauses contractuelles ou les accords conclus avec le vendeur, avant que le défaut de conformité ne soit porté à l’attention de celui-ci et qui écartent ou limitent directement ou indirectement les droits résultant de la présente directive, ne lient pas, dans les conditions prévues par le droit national, le consommateur. Les États membres peuvent prévoir que, dans le cas de biens d’occasion, le vendeur et le consommateur peuvent convenir de clauses contractuelles ou passer des accords prévoyant, pour la responsabilité du vendeur, un délai plus court que celui prévu à l’article 5, paragraphe 1. Ce délai ne peut être inférieur à un an. ».

Concernant les biens d’occasion, la Directive 1999/44/CE prévoit donc la possibilité de mettre en place un délai de responsabilité du vendeur réduit, ne pouvant être inférieur à 1 an. Cette possibilité ne concerne que le délai de responsabilité du vendeur et en aucun cas le délai de prescription.

La CJUE considère que les Etats membres « doivent respecter le niveau minimal de protection prévu par la directive 1999/44 ». Or, le droit national belge en permettant « la limitation du délai de responsabilité du vendeur, à une durée d’un an, implique un raccourcissement du délai de prescription dont bénéficie le consommateur » et porterait donc « atteinte aux garanties dont il bénéficie conformément à la directive 1999/44. En effet, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 93 de ses conclusions, le consommateur serait alors privé de toute voie de droit avant même l’échéance des deux ans suivant la délivrance du bien, durée qui lui est pourtant garantie aux termes de l’article 5, paragraphe 1, seconde phrase, de cette directive. »

La CJUE a déduit de ce qui précède qu’une réduction du délai d’action en responsabilité contre le vendeur n’a aucune incidence sur le délai de prescription, qui ne peut en aucun cas être inférieur à deux ans.

A rapprocher : Directive 1999/44/CE du Parlement Européen et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation

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