Secret des affaires : adoption de la directive par le Parlement européen

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Directive du 14 avril 2016

Le Parlement européen a adopté le 14 avril 2016 la directive assurant le secret des affaires. Cette directive vise à instaurer un cadre juridique européen harmonisé protégeant les entreprises du vol ou de la divulgation illicite de leurs données relevant du secret des affaires.

Ce qu’il faut retenir : Le Parlement européen a adopté le 14 avril 2016 la directive assurant le secret des affaires. Cette directive vise à instaurer un cadre juridique européen harmonisé protégeant les entreprises du vol ou de la divulgation illicite de leurs données relevant du secret des affaires.

Pour approfondir : Cette directive constitue une véritable nouveauté dès lors qu’il n’existe pas de définition légale du secret d’affaires en France (en dépit de plusieurs tentatives) et que les définitions issues des autres pays membres de l’Union Européenne sont disparates et sans véritable homogénéité ; tout au plus, relève-t-on une définition des « renseignements non divulgués » résultant de l’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Cette situation est d’autant plus singulière que, contrairement aux droits de propriété intellectuelle classiques, le secret d’affaires n’ouvre actuellement aucun droit exclusif au profit de ses détenteurs, alors que la notion même de secret d’affaires est régulièrement invoquée dans le cadre de contentieux pouvant opposer, dans ce qui constitue une forme moderne de concurrence déloyale, des clients et des fournisseurs, des partenaires commerciaux entre eux, des employeurs et des salariés, etc. Cette situation dénote avec certains pays industrialisés hors de l’UE ayant légiféré de longue date. Cette directive, qui devra être transposée dans les pays membres d’ici deux ans, innove donc par le vide juridique qu’elle vient combler. Pour ne pas se méprendre sur la pertinence et la portée de ce texte, il convient de revenir sur son champ d’application avant d’envisager le dispositif de protection qu’il institue.

I/ Champ d’application de la Directive

Le « secret d’affaires » constitue la notion centrale de la directive et veut regrouper ce qui jusqu’à présent était indistinctement qualifié, par une sémantique foisonnante, de secret commercial, savoir-faire, renseignements non divulgués, informations commerciales confidentielles, secret de fabrique ; la liste est presque sans fin. Cette notion fait l’objet d’une définition, qui figure à l’article 2-1 de la directive.

Selon le texte, le « secret d’affaires » est constitué par l’ensemble des informations répondant aux trois conditions cumulatives suivantes, à la suite desquelles nous formulerons quelques remarques :

a) « ces informations sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles » (Directive, article 2-1-a°) ;

Cette première condition est voisine de celle figurant à l’article 39 §. 2 de l’accord sur les ADPIC ; elle comporte un double critère :

  • le premier critère est intrinsèque à l’information en ce qu’il concerne la substance même de celle-ci : selon le texte en effet, la nature même de l’information considérée n’a pas d’importance en soi ; toute information peut potentiellement entrer dans le champ d’application de ce texte ; le caractère secret doit en revanche découler soit de l’information proprement dite, soit de la manière dont plusieurs informations (qui prises isolément ne seraient pas secrètes) sont organisées entre elles ; une recette ou un procédé de fabrication, les plans d’un nouveau produit, un prototype, une liste de clients, etc.
     
  • le second critère est en revanche extrinsèque à l’information en ce qu’il concerne la représentation que les acteurs doivent se faire de l’information considérée : selon le texte en effet, l’information ou l’ensemble d’informations doit être soit inconnue, soit difficilement accessible à des tiers. A cet égard, cette exigence est très proche de la définition du terme « secret », posée à l’article 1.g du règlement (UE) n°330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, ce texte précisant que le « secret » attaché à la notion de savoir-faire signifie que celui-ci n’est pas généralement connu ou facilement accessible. Toutefois, le texte commenté ne vise pas n’importe quel tiers ; le secret doit s’apprécier au regard des informations que l’homme de l’art, spécialiste du domaine considéré, est réputé connaître, et non pas en considération des connaissances d’un individu lambda. De ce fait, ne pourront donc entrer dans le champ d’application de ce texte, et bénéficier de la protection qu’il institue, que les informations méconnues (ou peu accessibles) aux hommes de l’art. On retrouve là la logique de la définition de « l’homme de l’art » utilisée en droit des brevets.

b) « ces informations ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes » (Directive, article 2-1-b°) ; cette deuxième condition suscite deux remarques : en premier lieu, cette exigence n’est pas sans rappeler l’avis n°384892 formulé le 31 mars 2011 par le Conseil d’Etat à propos de la proposition de loi « Carayon », tendant à ajouter l’exigence d’une « valeur commerciale » ; en second lieu, cette exigence se justifie dans la mesure où il paraît opportun de limiter l’application du texte aux seules informations dignes de protection, donc aux informations dont le caractère secret est source de valeur commerciale. Cette valeur commerciale n’est en revanche ni définie, ni même qualifiée ; elle peut être effective ou potentielle ; aucun seuil minimum n’est par ailleurs requis. L’information sera secrète si elle a du prix, autrement dit si une personne (physique ou morale) est prête à payer pour l’avoir.

c) « ces informations ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes » (Directive, article 2-1-c°). Cette condition fait écho à la définition de « détenteur de secret d’affaires » qui, selon la directive, vise « toute personne physique ou morale qui a licitement le contrôle d’un secret d’affaires » (Directive, article 2-2). La notion de contrôle n’est pas définie, mais évoque la notion de garde connue des civilistes. Le texte ne fournit aucune illustration ni aucune indication quant aux dispositions raisonnables destinées à conserver le caractère confidentiel des informations.

Ne l’éludons pas : cette définition est déjà contestée. Même si les députés européens ont voté le texte proposé par la Commission européenne à une très large majorité (77 %), plusieurs voix s’élèvent déjà et soulignent que presque toutes les informations internes d’une entreprise seraient ainsi susceptibles d’être considérées comme des secrets d’affaires. Il est également fait valoir qu’avec ce texte, les entreprises ne doivent pas identifier activement les informations qu’elles considèrent comme étant des secrets d’affaires, à l’instar des états apposant la mention « secret défense » ou « confidentiel » sur leurs documents. Ce faisant, d’aucuns regrettent que les employés, les journalistes, les consommateurs – qui ont aussi parfois besoin d’accéder à ces informations – pourraient se trouver ainsi menacés de poursuites judiciaires en le faisant.

Il appartiendra à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’user de son pouvoir d’interprétation pour tracer les contours plus précis de cette définition. Cette tâche n’est pas sans intérêt si l’on considère l’importance du dispositif de protection que la directive institue.

II/ Dispositif de protection issu de la Directive

L’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires donne droit à son détenteur de solliciter l’application des mesures et réparations prévues par la Directive.

La Directive prévoit en son Chapitre II les circonstances dans lesquelles l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaires est ou non considérée comme illicite. Plus précisément, elle dresse deux listes d’actes : une première liste pour les actes constitutifs d’une atteinte illicite aux secrets d’affaires (Article 3) et une deuxième liste pour ceux où elle considère que l’atteinte est licite (Article 4).

L’article 3.2 de la Directive détermine les cas dans lesquels l’obtention d’un secret d’affaires sans le consentement de son détenteur est considérée comme illicite. Il vise non seulement des actes pénalement répréhensibles comme le vol, l’abus de confiance ou la corruption, mais encore des comportements considérés comme illicite d’un point de vue civil tel que le fait de ne pas respecter une obligation de confidentialité ou d’avoir un comportement « contraire aux usages commerciaux honnêtes ».

L’article 3.3 de la Directive, quant à lui, énumère les conditions dans lesquelles toute utilisation ou divulgation d’un secret d’affaires sans le consentement de son détenteur est considérée comme illicite. Il suffit que l’utilisation ou la divulgation soit notamment le fait d’une personne, intentionnellement ou suite à une négligence grave, qui ait agi en violation d’une obligation de confidentialité ou de non utilisation.

Autrement dit, pour que ces actes soient considérés comme illicites, le critère déterminant est celui de l’absence de consentement du détenteur du secret d’affaires.

Un secret d’affaires qui aurait été obtenu, utilisé ou divulgué de façon illicite peut encore servir à concevoir, fabriquer ou commercialiser un produit ce que la Directive appelle des « produits en infraction ». Autrement dit, le procédé, le modèle, la commercialisation, etc. de ces produits repose sur un secret d’affaires obtenu, utilisé ou divulgué de manière illicite.

C’est pourquoi les articles 3.4 et 3.5 de la Directive permettent de poursuivre des personnes qui décideraient de produire ou de commercialiser « des produits en infraction » ou encore de divulguer ou d’utiliser un secret d’affaires alors qu’elles savaient ou auraient dû savoir que ce secret avait été divulgué ou utilisé de manière illicite.

Toutefois, l’article 4 de la Directive prévoit les cas dans lesquels l’obtention d’un secret d’affaires peut être considérée comme licite. Il en va ainsi notamment lorsqu’elle résulte d’une découverte indépendante ou de l’ingénierie inverse, « de l’exercice du droit des représentants des travailleurs à l’information et à la consultation, conformément aux législations et pratiques nationales et à celles de l’Union », ou encore « de toute autre pratique qui, eu égard aux circonstances, est conforme aux usages commerciaux honnêtes ».

Toujours selon cet article, l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaires peut encore être considérée comme licite si elle est justifiée par un usage légitime du droit à la liberté d’expression, par le fait que le secret servait à dissimuler les agissements frauduleux du détenteur, par une obligation générale ou encore par la protection d’un intérêt légitime.

Cette obtention, utilisation ou divulgation illicite d’un secret d’affaires permettra alors à son détenteur de solliciter les mesures, procédures et réparations que la Directive prévoit en son Chapitre III.

La Directive pose en son article 5 une obligation générale à la charge des Etats membres consistant à mettre en place des procédures et réparations justes et équitables, simples et peu coûteuses, rapides, effectives et dissuasives.

Selon l’article 6, elles doivent également être proportionnées et ne pas servir dans un but anti-anticoncurrentiel. C’est la raison pour laquelle cet article sanctionne tout usage abusif de celles-ci.

L’article 7 de la Directive instaure un délai de prescription : un an au moins et deux ans au plus à compter de la date à laquelle le demandeur a (ou aurait dû) avoir connaissance du dernier fait donnant lieu à l’action.

La Directive impose aux Etats membres, en son article 8, de prévoir des mesures destinées à garantir la confidentialité des procédures relatives à la violation d’un secret d’affaires. Ces mesures doivent au moins inclure la possibilité, notamment, de restreindre l’accès aux éléments de preuve, aux audiences et rapport d’audience ou encore de ne publier que les éléments non confidentiels des décisions judiciaires. Ces mesures de confidentialité devraient être appliquées, elles-aussi, de manière proportionnée afin qu’elles ne nuisent pas au droit des parties à un procès équitable. Enfin, elles doivent s’appliquer pendant et après l’action en justice et, ceci, aussi longtemps que les informations en question demeurent un secret d’affaires.

La Directive prévoit trois types de mesures qui peuvent être ordonnées par un jugement au fond :

  • des mesures provisoires et conservatoires sous la forme d’ordonnances de référé ou de saisies conservatoires (Article 9), lesquelles sont accompagnées de mesures de sauvegarde afin de garantir le caractère équitable et proportionné de celles-ci (Article 10) ;
  • des injonctions, notamment l’interdiction de l’utilisation ou de la divulgation du secret d’affaires, ainsi que des mesures conservatoires comme la destruction par le contrevenant du support contenant les informations confidentielles (Article 11), injonctions et mesures qui sont également accompagnées de mesures de sauvegarde (Article 12) ;
  • l’octroi de dommages-intérêts au détenteur du secret d’affaires pour le préjudice subi en raison de l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite de son secret (Article 13).

Pour ce qui concerne ce dernier point, l’indemnisation doit prendre en considération le manque à gagner ainsi que les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant, voire même le préjudice moral. Les dommages-intérêts peuvent aussi être calculés sur la base d’un montant de redevances qui auraient pu être perçues si une licence avait été conclue entre le contrevenant et le détenteur du secret d’affaire.

Enfin, la Directive prévoit en son article 14 la possibilité pour les autorités compétentes de prendre des mesures de publicité si le demandeur en fait la demande, mais à condition que le secret d’affaires ne soit pas divulgué par cette publication et que le caractère proportionné de la mesure ait été vérifié.

A rapprocher : Communiqué de Presse du Parlement européen du 14 avril 2016

Sommaire

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