La faute séparable du dirigeant dans les réseaux de distribution

Interview de François-Luc SIMON par Lettre des Réseaux

Engage sa responsabilité personnelle vis-à-vis des tiers le dirigeant d’une entreprise qui commet ce qu’il est convenu d’appeler une « faute séparable ».

LDR : Qu’est-ce qu’une faute séparable ?

FLS : La jurisprudence de la Cour de cassation a établi les contours de la notion de faute séparable dans son arrêt Sati (Cass. com., 20 mai 2003, n°99-17.092, Bull. civ. 2003, IV, n°84), arrêt de référence, pour avoir défini le premier la notion de faute séparable.

La faute séparable est constituée « lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».

Concrètement, cela signifie que la « faute séparable » suppose la réunion de quatre conditions ; la faute doit être « personnelle », c’est-à-dire imputable à la personne du dirigeant, ce qui exclut les décisions collectives prises par les organes de direction type conseil d’administration ou directoire ; elle doit être « intentionnelle », et ne pas résulter d’une erreur ; elle doit être « d’une particulière gravité » et, enfin, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales de son auteur pour un dirigeant.

 

LDR : Que faut-il savoir en ce qui concerne la notion de faute « intentionnelle » ?

FLS : Deux paramètres entrent en ligne de compte.

Le premier paramètre conduit tout d’abord à s’interroger sur le point de savoir si la faute en question résulte d’un acte positif ou d’une omission. En présence d’une omission (Par exemple : omettre de souscrire à une police d’assurance), la preuve de l’intention ne va pas de soi : la jurisprudence a d’ailleurs consacré des situations contraires d’un cas à l’autre. A l’inverse, en présence d’un acte positif (Par exemple : créer une société concurrente de celle dans laquelle on travaille), la preuve de l’intention va de soi le plus souvent. L’acte positif traduit l’intention.

Le second paramètre conduit ensuite à s’interroger sur le point de savoir si la faute en question constitue par ailleurs (ou non) ce que le droit pénal appelle une infraction pénale intentionnelle. En présence d’un comportement ne constituant pas une infraction pénale intentionnelle (Par exemple : la remise d’un DIP non conforme), la preuve de l’intention ne va pas de soi. A l’inverse, en présence d’un comportement constituant une infraction pénale intentionnelle (Par exemple : la remise de faux bilans), le caractère intentionnel de la faute va de soi.

Ajoutons par ailleurs que comme l’indique nettement un arrêt récent rendu par la Cour de cassation (Cass. com., 18 septembre 2019, n°16-26.962) et publié au Bulletin, « la faute pénale intentionnelle du dirigeant est par essence détachable des fonctions ».

 

LDRQue faut-il savoir en ce qui concerne la notion de faute d’une « particulière gravité » ?

FLS : Depuis l’arrêt Sati (Cass. com., 20 mai 2003, Bull. IV, n°84), la Cour de cassation évoque régulièrement il est vrai la « faute d’une particulière gravité » (Cass. com., 4 juillet 2006, n°05-13.930, Bull. 2006, IV, n°166). D’autres décisions, plus rares, évoquent la « faute d’une extrême gravité » (Cass. civ. 2ème, 1er juillet 2010, n°09-66.404), ce qui revient strictement au même.

Il faut savoir que la nature même de la faute est indifférente : elle peut consister en un manquement à une obligation de source légale ou contractuelle ; il peut s’agir encore d’un manquement à des obligations d’ordre professionnel et déontologique (Cass. crim., 18 juin 2013, n°12.-87.538, Bull. 2013, n°142).

Il faut savoir également que l’appréciation de l’intensité de la faute relève du pouvoir souverain d’appréciation des juridictions du fond. Se pose la question de savoir si le caractère de « gravité » concerne la nature même de la faute ou les conséquences qu’elle emporte. La Cour de cassation n’a pas répondu à cette question, qu’aucun pourvoi n’a formulé à ce jour. Il est permis d’avoir une opinion personnelle ; et en ce qui me concerne, le caractère de « gravité » peut découler aussi bien de la nature de la faute que des conséquences qui en ont résulté.

 

LDRLe dirigeant d’une société franchisée peut-il commettre une faute séparable?

FLS : OUI. Commettrait une faute séparable le dirigeant d’une société franchisée ayant :

  • créé une société concurrente de la société franchisée (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 13 novembre 2019, n°19/00499),
  • trompé un fournisseur sur la solvabilité de l’entreprise qu’il dirige pour s’approvisionner en marchandises auprès de ce dernier (Cass. com., 20 mai 2003, Bull. IV, n°84),
  • et, de manière plus générale, qui aurait « volontairement » dissimulé des informations concernant sa situation ou celle de son entreprise.
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