Clause abusive et personne morale « non-professionnelle »

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. civ. 3ème, 7 novembre 2019, n°18-23.259, Publié au Bulletin

Selon les articles L.212-1 et L.212-2 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. A cet égard, la qualité de non-professionnel d’une personne morale s’apprécie au regard de son activité, appréhendée in concreto.

Selon l’espèce commentée (CA Dijon, 26 juin 2018, n°16/01677), une SCI confie à un architecte, par contrat, la maîtrise d’œuvre complète de la construction d’un bâtiment à usage professionnel, ce contrat prévoyant que les honoraires seraient dus et réglés en totalité au maître d’œuvre, même en cas d’abandon du projet, pour quelque raison que ce soit. Voilà que la SCI abandonne son projet, et que l’architecte l’assigne alors en paiement de l’intégralité des honoraires prévus au contrat.

Se posait la question de savoir si une telle clause relevant ou non du champ d’application de l’article L.132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (applicable aux faits litigieux).

Or, une personne morale est un non-professionnel, au sens de ce texte, lorsqu’elle conclut un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle (v. encore réc., sur ce point : Cass. civ. 3ème, 17 octobre 2019, n°18-18.469 : « Qu’en statuant ainsi, alors que la qualité de non-professionnel d’une personne morale s’apprécie au regard de son activité et non de celle de son représentant légal, la cour d’appel a violé le texte susvisé »).

L’intérêt de l’arrêt commenté réside en réalité dans le traitement des critères distinctifs de la notion de « non-professionnel » au sens du texte précité. La Haute juridiction retient en effet « qu’ayant relevé que la SCI avait pour objet social l’investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location d’immeubles dont elle avait fait l’acquisition, qu’elle était donc un professionnel de l’immobilier, mais que cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l’occasion du contrat de maîtrise d’œuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu’à des compétences techniques spécifiques distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que la SCI n’était intervenue au contrat litigieux qu’en qualité de maître de l’ouvrage non professionnel, de sorte qu’elle pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l’article L.132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ».

Deux observations s’imposent alors selon nous.

Un critère « négatif » : l’objet social ne constitue pas en soi un critère suffisant ; tout au plus, serait-il possible d’y voir un premier indice.

Un critère « positif » : seule une appréciation in concreto permet de répondre à la question de savoir si – oui ou non – le cocontractant est un « non-professionnel ». Ainsi, au cas présent, est-il considéré que « le domaine de la construction faisa[nt] appel à des connaissances ainsi qu’à des compétences techniques spécifiques distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière », la seule connaissance de « l’investissement et la gestion immobiliers » ne peut suffire. Dit autrement, un professionnel de l’immobilier – et non de la construction – doit être considéré comme un « non-professionnel » vis-à-vis du maître d’œuvre.

Ainsi, la Cour de cassation rejette le pourvoi et retient que l’arrêt critiqué a pu retenir à bon droit qu’une telle clause constituait une clause abusive (cf. sur ce point : « Après avoir relevé que la clause litigieuse avait pour conséquence de garantir au maître d’œuvre, par le seul effet de la signature du contrat, le paiement des honoraires prévus pour sa prestation intégrale, et ce quel que fût le volume des travaux qu’il aurait effectivement réalisés, sans qu’il n’en résultât aucune contrepartie réelle pour le maître de l’ouvrage, qui, s’il pouvait mettre fin au contrat, serait néanmoins tenu de régler au maître d’œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme (…) »).

Enfin, et pour mettre les choses en perspective, force est de constater que la clause litigieuse aurait pu relever, sous l’empire du droit positif, de l’article R.212-1 du Code de la consommation issu du décret n° 2016-884 du 29 juin 2016, visant 12 clauses « noires » interdites (cf. cas n°5 : est interdite la clause qui « contraint le consommateur à exécuter ses obligations alors que le professionnel n’exécute pas les siennes »), aux côtés des 10 clauses « grises » présumées abusives en application de l’article R.212-1 du même code).

A rapprocher : Cass. civ. 3ème, 17 octobre 2019, n°18-18.469 ; v. aussi, Cass. com., 4 juillet 2019, n°18-10.077, LDR 10 septembre 2019 ; décret n°2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du Code de la consommation

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