Exploitation illicite : attention aux modifications apportées aux projets commerciaux en cours de réalisation !

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ESPEISSE Anne

Avocat

CAA Marseille, 15 février 2021, Association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes, req. n°19MA00852

Par un arrêt en date du 15 février 2021, la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par l’Association En Toute Franchise, a censuré le refus d’un Préfet de mettre en œuvre les pouvoirs de police qu’il détient en matière d’aménagement commercial en vue de constater l’illicéité des surfaces de vente d’un centre commercial.

Après avoir relevé que le centre commercial en cause, qui avait fait l’objet d’une autorisation pour la création de trente-neuf cellules, dont seulement deux moyennes surfaces d’équipement de la maison de 2 000 et 830 mètres carrés, comportait depuis son ouverture un magasin de 5 755 m² dédiée au bricolage, la Cour estime que ce projet avait ainsi fait l’objet d’une modification substantielle au cours de sa réalisation qui n’avait pas été autorisée. Elle en déduit que la surface de vente de ce magasin était illicite, en tant qu’elle excède celle de 2 000 m² autorisée pour cette moyenne surface, et qu’il appartenait au Préfet d’exercer ses pouvoirs de répression, peu important que l’article L.752-23 du Code de commerce, dans sa version antérieure à la Loi ELAN, lui conférait à ce titre un pouvoir discrétionnaire.

Et, pour l’exécution de sa décision, la Cour administrative d’appel de Marseille enjoint au Préfet de constater l’illicéité de l’exploitation à compter de la réouverture du magasin, pour l’heure fermé à raison de la crise sanitaire, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Bien plus, elle lui impose, au vu de ce constat, de mettre effectivement fin à l’exploitation illicite, sauf pour le bailleur de pouvoir justifier de sa régularisation, sous astreinte de 5 000 euros par jour d’ouverture des surfaces exploitées illicitement, à compter de l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de réouverture effective.

***

Evolution du contexte local et commercial, contraintes liées à la commercialisation, impératifs économiques, souci de répondre aux attentes des futurs preneurs… sont autant de raisons qui, dans la pratique, imposent bien souvent au promoteur de modifier son projet, dans le temps souvent long – à raison notamment des multiples recours – qui sépare l’obtention d’une autorisation d’exploitation commerciale de l’ouverture effective de l’équipement considéré.

La question de la distorsion entre les projets commerciaux autorisés et ceux réalisés n’est pas nouvelle, et elle fait régulièrement l’objet d’interpellations parlementaires (Question écrite n°20926, JO Sénat, 18 février 2021, p.1069 ; Rép. Min., JO Sénat, 1er novembre 2018, p.5580 « Exploitation illicite de surfaces par les grandes surfaces » ; Question orale sans débat n°1622, JOAN, 24 janvier 2017).

Cette problématique est d’ailleurs l’une des raisons qui a contribué à l’instauration du permis de construire valant autorisation d’exploitation commercial par la loi Pinel (Amendement n°156, Résumé des débats, 16 avril 2014, p. 3310. ; Rép. Min. JOAN Q 15 janvier 2013, p.518), comme à la création du certificat de bon achèvement ou le renforcement des contrôles par la loi ELAN (L.752-23 du Code de commerce).

Il reste qu’en principe, en droit, rien n’interdit au porteur de projet d’apporter quelques ajustements à son projet. En effet, l’article L.752-15 du Code de commerce impose l’obtention d’une nouvelle autorisation uniquement « lorsque le projet, en cours d’instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l’article L.752-6 ».

De sorte qu’une nouvelle autorisation est requise, si et seulement si, la modification résulte « du fait du pétitionnaire » (CAA Paris, 11 février 2021, req. n°17PA23292), d’une part, touche aux critères de l’article L.752-6 du Code de commerce (CAA Douai, 12 juillet 2018, SAS Cora, req. n°17DA01691), d’autre part, et qu’elle est substantielle c’est-à-dire qu’elle modifie la nature de l’équipement commercial tel qu’il a été autorisé (TA Melun, 24 mars 2011, Mme X, req. n°1008695/4) ou en altère l’économie générale (TA Saint Denis, 30 juillet 2013, Mme X, req. n°1200055), enfin.

A charge toutefois pour le porteur de projet d’apprécier l’importance des adaptations qu’il entend opérer en sollicitant, ou pas, une autorisation. Ce choix n’est toutefois pas sans risque puisque la mise en œuvre, sans autorisation, d’un projet substantiellement modifié s’analyse comme une exploitation illicite, justiciable des mêmes sanctions en matière civile (CA Pau, 19 février 2008, req. n°06/00468) et administrative (v. Cass. crim., 28 septembre 1999, n°98-82.288 sous l’empire de l’ancienne législation prévoyant des sanctions pénales).

La décision commentée en constitue une parfaite illustration puisque le porteur de projet avait cru possible de créer un magasin de 5 755 m² surface de vente, en lieu et place de deux moyennes surfaces autorisées, et de reliquats supplémentaires provenant d’autres cellules. La Cour estime que cette importante modification dans la répartition des surfaces de vente s’analyse bien comme une modification substantielle pour les surfaces adjointes à la moyenne surface autorisée (CE, 20 mars 2005, SCI Bercy Village, req. n°258061).

En outre, cet arrêt démontre que le risque auquel se soumet le porteur de projet est important puisque la Cour précise que le Préfet a l’obligation de constater l’infraction et d’y mettre un terme, sauf à ce que l’exploitant parvienne à obtenir une autorisation, et ce, sous une astreinte non négligeable de 5 000 euros par jour d’ouverture.

A rapprocher : Cass. crim., 28 septembre 1999, n°98-82.288 ; CA Pau, 19 février 2008, req. n°06/00468

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