Incompatibilité de l’action du gérant d’affaires avec l’exécution d’une obligation contractuelle

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SAADOUN Claire

Avocat

Cass. civ. 1ère, 15 mai 2019, n°18-15.379

Le remboursement, par un tiers qui n’est pas caution des engagements souscrits, d’une partie d’un prêt contracté par une société auprès d’une banque, constituant une obligation contractuelle née d’un protocole d’accord conclu entre l’établissement de crédit et ce tiers, ne peut caractériser une gestion d’affaires dans la mesure où il a été fait en exécution d’un contrat.

Dans cette affaire, le 29 juillet 2004, une banque a consenti à une société un prêt professionnel d’un montant de 100 000 euros.

Par acte séparé du 17 mars 2004, le gérant de la société et les parents de son épouse se sont portés cautions en garantie de ce prêt.

La société a cessé de payer les échéances du prêt en juin 2005 et a été placée en liquidation judiciaire.

Le gérant et les parents de son épouse, pris en leurs qualités de cautions, ont été condamnés à rembourser la banque à hauteur du montant de leur engagement de caution.

Un protocole d’accord a ensuite été conclu le 22 avril 2011 entre (i) la banque ayant consenti le prêt, (ii) le gérant de la société cautionnée, (iii) le père du gérant et (iv) les parents de l’épouse du gérant, aux termes duquel la banque a consenti une remise de dette et accepté de ramener le montant de l’engagement des cautions à la somme totale de 75 000 €.

Le père du gérant a par la suite assigné les parents de l’épouse de son fils, pour les voir condamner à lui rembourser chacun la somme de 25 000 € qu’il a soutenu avoir payée à la banque en exécution du protocole d’accord susvisé, sur le fondement de l’article 1375 (ancien) du Code civil et la gestion d’affaires.

Il a notamment relevé qu’il n’avait été animé d’aucune intention libérale à l’égard des époux, que son intervention dans le cadre du protocole a été utile, puisqu’elle a permis de réduire leur dette, de mettre fin au cours de intérêts et d’éviter la saisie de leur patrimoine immobilier, etc.

Les parents ont quant à eux opposé le fait que la gestion d’affaires ne pouvait être invoquée en l’espèce par le père dès lors qu’il se prévaut du protocole transactionnel litigieux, alors que la gestion est un quasi contrat, c’est-à-dire un engagement qui se forme sans convention.

La cour d’appel a considéré que les conditions relatives à la gestion d’affaires étaient bien réunies en l’espèce et a accueilli l’argumentation soulevée par le père du gérant ; elle a en conséquence condamné les parents de l’épouse du gérant à payer, chacun, le tiers des sommes dont le père s’est acquitté dans le cadre du protocole.

A cet effet, la cour a retenu que la gestion d’affaires, dont ce dernier revendique le bénéfice, consiste à s’être engagé, sans y être tenu, par le protocole d’accord signé le 22 avril 2011, et non dans le fait d’avoir procédé à des règlements en exécution de ce protocole.

Or, en l’espèce, le père du gérant n’était pas tenu de s’immiscer dans le litige opposant la banque, son fils, ainsi que les parents de l’épouse de son fils, ni de s’engager en leurs lieu et place.

La cour a en outre ajouté que l’intervention volontaire du père du gérant a été utile aux parties en ce qu’elle a permis une diminution importante de leur dette.

Saisi d’un pourvoi, la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel au visa de l’article 1372 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Selon la Haute juridiction, « la gestion d’affaires, qui implique l’intention du gérant d’agir pour le compte et dans l’intérêt du maitre de l’affaire est incompatible avec l’exécution d’une obligation contractuelle ».

Elle a ajouté que la cour d’appel, qui, pour considérer que la gestion d’affaires était bien caractérisée en l’espèce, n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations : qu’« en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le paiement litigieux était intervenu en exécution d’un protocole signé entre la banque, [le gérant], [le père du gérant], ainsi que [les parents de l’épouse du gérant], la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé le texte susvisé ».

En principe, l’esprit de la gestion d’affaires est d’ordre moral : l’intention de gérer l’affaire d’autrui par altruisme.

Toutefois, cet élément n’est nullement suffisant pour caractériser la gestion d’affaires. L’intervention du gérant doit être également faite de manière spontanée, c’est-à-dire sans être missionné ou être tenu d’aucune manière.

Ainsi, il ne saurait y avoir gestion d’affaires lorsque l’intervenant accomplit une des quatre obligations suivantes : naturelle, légale, contractuelle, ou délictuelle.

C’est tout le sens de la portée du présent arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Dans cette affaire, la Cour de cassation ne fait que rappeler un principe très ancien, à savoir que la gestion d’affaires ne peut être caractérisée en cas d’accomplissement d’une obligation résultant d’un contrat (Cass. com., 16 nov. 1976, n°71-13.681, Cass. com., 14 oct. 1997, n°95-19.468).

Or, en l’espèce, le gérant agit très précisément en exécution d’une obligation contractuelle découlant d’un protocole d’accord. En conséquence, la gestion d’affaires ne peut être constituée.

En toute logique, la Haute juridiction a été indifférente devant l’altruisme dont a fait preuve le gérant en réglant la dette des gérés. En effet, la gestion d’affaires est avant tout un quasi-contrat, à savoir un fait purement volontaire de l’homme. Ainsi, peu important les intentions psychologiques du gérant, tant que ce dernier agit en exécution d’une obligation, la gestion d’affaires ne peut être caractérisée, et ne le pourra jamais.

A rapprocher : Article 1372 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du Code civil ; Article 1301 du Code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016

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