Clause pénale et clause de dédit : attention à la qualification

Cass. com., 5 décembre 2018, n°17-22.346

La clause ayant pour objet de contraindre un cocontractant à exécuter le contrat jusqu’à son terme et d’évaluer de manière forfaitaire le préjudice subi par l’autre partie en cas de rupture anticipée du contrat, s’analyse en une clause pénale et non de dédit permettant au cocontractant de dénoncer le contrat moyennant le versement de la somme stipulée.

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il rappelle les critères permettant de distinguer la clause pénale de la clause de dédit, précision qui n’est pas inutile compte tenu de la confusion fréquemment opérée entre les deux clauses :

  • la première consiste pour les parties à évaluer forfaitairement et par avance l’indemnité à laquelle donnera lieu le retard ou l’inexécution par l’une des parties de ses obligations contractuelles ; la clause pénale qui a la nature d’une peine privée, remplit une fonction indemnitaire et une fonction comminatoire ; elle participe de la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle du débiteur. Il appartient donc au créancier, et à lui seul, s’il est victime d’une inexécution, de mettre ou non en œuvre la responsabilité du débiteur et, partant, de réclamer le montant de la pénalité ;
  • la seconde, quant à elle, a pour objet de permettre à une partie de se libérer unilatéralement de ses engagements (en principe avant que le contrat ait commencé à être exécuté), en payant le cas échéant une somme convenue ; il appartient donc cette fois au débiteur, et à lui seul, de se dédire (ou non).

La distinction entre clause de dédit et clause pénale est importante : la clause de dédit ne peut en effet pas être révisée (et a fortiori réduite) par le juge (Cass. com., 22 janvier 2013, n°11-27.293).

Dans l’affaire ayant donné lieu au présent commentaire, une société, qui assure la gestion d’un club de rugby professionnel, a contracté avec un équipementier des contrats successifs de partenariat depuis 2002. Le dernier contrat, conclu en juillet 2010 pour une durée de trois saisons sportives, du 1er juillet 2010 au 30 juin 2013, comporte un article 5 intitulé « Résiliation anticipée du contrat », prévoyant, notamment, la faculté pour l’équipementier de résilier le contrat dans l’hypothèse où le club changerait de marque d’équipements sportifs avant le terme du contrat et, en ce cas, le droit pour l’équipementier de réclamer une pénalité d’un maximum de 450 000 euros hors taxes.

Après plusieurs mises en demeure adressées à l’équipementier restées sans effet, la société gérant le club a résilié de manière anticipée le contrat en invoquant divers manquements imputables à l’équipementier ; ce dernier a assigné la société gérant le club en indemnisation de son préjudice.

La Cour de cassation a confirmé l’interprétation de la Cour d’appel et a considéré que la clause rédigée de la manière suivante : « au cas où le Club change de marque d’équipements sportifs en cours de contrat, la société sera en droit de lui réclamer une pénalité d’un maximum de 450 000 euros HT » s’analysait bien en une clause pénale, de sorte que c’est à bon droit que la Cour d’appel a condamné la société gérant le club et ayant mis un terme de manière anticipée au contrat, à payer la somme de 450 000 € à l’équipementier.

A l’appui de sa décision, la Haute juridiction a considéré que :

  • la clause litigieuse est insérée dans un article relatif à la résiliation anticipée du contrat à l’initiative de la société gérant le club ;
  • la somme prévue en cas de changement d’équipementier est suffisamment élevée pour montrer que les parties ont entendu lui conférer un caractère comminatoire afin de dissuader la société de rompre avant le terme les relations contractuelles ;
  • la clause stipule expressément qu’il s’agit là d’une somme due à titre de « pénalité ».

Ayant ainsi fait ressortir que cette clause avait pour objet de contraindre la société à exécuter le contrat jusqu’à son terme et d’évaluer de manière forfaitaire le préjudice subi par l’équipementier, la Cour de cassation en a conclu que la Cour d’appel en avait exactement déduit qu’elle s’analysait en une clause pénale et non de dédit permettant à la société de dénoncer le contrat moyennant le versement de la somme de 450 000 euros. Le juge a également la faculté d’accorder des dommages et intérêts complémentaires, en plus de la clause pénale mais, encore faut-il, dans ce cas, selon la Cour de cassation, que le créancier démontre qu’il résulte de l’inexécution un préjudice distinct de celui qui a vocation à être indemnisé par la clause pénale, ce qui faisait défaut en l’espèce. La Haute juridiction, pour casser l’arrêt d’appel sur ce point, a en effet relevé que la Cour d’appel, pour condamner la société gérant le club, n’expliquait pas en quoi le préjudice résultant du changement d’équipementier avant le terme du contrat serait distinct de celui causé par le défaut d’exécution du contrat par la société gérant le club pour les deux années qui restaient à courir ; la Cour de cassation en déduit qu’il n’y a donc pas lieu de condamner la société gérant le club à payer diverses sommes en sus de celle prévue par la clause pénale.

A rapprocher :  Cass. civ. 1ère, 10 oct. 1995, n°93-16.869, Bull. civ., I, n°347

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