Méthode d’appréciation des comptes prévisionnels

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 16 janvier 2019, n° 16/25655

La méthode d’appréciation des comptes prévisionnels s’articule autour de deux idées forces essentielles…

Ce qu’il faut retenir : La méthode d’appréciation des comptes prévisionnels s’articule autour de deux idées forces essentielles : d’une part, lorsque les comptes prévisionnels ont été établis à partir de ratios-type, il appartient au franchisé de démontrer le caractère erroné de ces ratios ; d’autre part, l’écart observé entre les comptes prévisionnels et les chiffres d’affaires réels du franchisé est par principe insuffisant en soi à qualifier l’existence d’un vice du consentement (erreur ou dol).

Pour approfondir : La décision commentée est intéressante à plusieurs titres. Intéressante, d’abord, parce que les faits objets du litige ne prêtaient pas à des difficultés d’interprétation sur la nature du rôle respectif du franchiseur et du franchisé : il était établi en effet que les comptes prévisionnels avaient été réalisés par les deux parties, de manière « contradictoire » est-il indiqué, de sorte que la responsabilité du franchiseur pouvait potentiellement, en tout cas pour partie, être engagée à ce titre. Intéressante, ensuite, parce que les faits du litige permettaient d’envisager la question des ratios en considération desquels les comptes prévisionnels peuvent être réalisés : il était établi en effet que les comptes prévisionnels avaient été arrêtés sur la base de ratios et critères financiers retenus par le franchiseur à partir des remontées de chiffres observées au sein du réseau. Intéressante, enfin, parce que la motivation de la Cour d’appel envisage également la question – aussi connue que classique – de l’appréciation de la qualité des comptes prévisionnels au regard des chiffre d’affaires réels ultérieurement constatés : il était établi en effet que les comptes prévisionnels étaient très largement inférieurs aux chiffres d’affaires ; au cas présent, le franchisé n’avait réalisé en effet que 39 % de l’objectif fixé par le prévisionnel au titre de la première année et 59 % de l’objectif au titre de la seconde). Ainsi, tous les ingrédients étaient réunies pour qu’une décision éclairée et éclairante soit rendue, pour qui s’intéresse à la méthode d’appréciation portant sur les comptes prévisionnels. 

Sur cette question, l’attendu principal de la décision commentée indique : 

« En l’espèce, la société S… a communiqué des comptes prévisionnels d’activité sur 3 ans. Alors qu’il était prévu dans le prévisionnel pour les deux premières années, 2011 et 2012 la réalisation de chiffres d’affaires de 355.000 euros et 391.000 euros, la société L… a enregistré des chiffres d’affaires de 114.742 euros sur l’exercice de 2011 ayant duré 13 mois et de 183.140 euros sur l’exercice de 2012 ayant duré 12 mois, soit des chiffres sans commune mesure avec les prévisions. Mais s’il apparaît que ces chiffres réalisés par le franchisé sont très éloignés de la tendance générale qui se dégage du document « Présentation S2 ‘ L’enseigne chaussure du groupe S… » communiqué à tous les futurs franchisés et que la société S… soutient avoir transmis à la société L…, qui prévoit un chiffre d’affaires moyen au m2 de 6.000 euros, soit un chiffre d’affaires moyen de 240.000 euros pour un magasin ayant une surface de vente de 40 m2 tel que celui de la société L…, la société S… relève à juste titre que les chiffres prévisionnels ont été établis de manière contradictoire, sur la base d’échanges avec son futur franchisé et sur la base de ratios et critères financiers au titre desquels aucune erreur grossière n’a été relevée et que la différence entre les chiffres prévisionnels et les chiffres réels résulte des différents aléas de la vie des affaires et des capacités commerciales et de gestion de son franchisé, les appelants ne démontrant pas le caractère mensonger des précisions données, la seule confrontation des résultats effectifs aux prévisions ne pouvant suffire à caractériser le dol ou l’erreur sur la rentabilité ». 

Au regard de cet attendu, la méthode d’appréciation par le juge de la qualité des comptes prévisionnels réalisés par le franchiseur suscite deux séries d’observations, concernant les deux idées forces évoquées au début de ce commentaire.

En premier lieu, la qualité des comptes prévisionnels s’apprécie en considération de ratios lorsque, comme en l’espèce, le franchiseur a communiqué au candidat les chiffres-clés du réseau. Les chiffres-clés du réseau désignent les ratios traduisant une moyenne des unités du réseau ; ils participent donc d’une démarche empirique. En l’espèce, la Cour d’appel souligne que les chiffres prévisionnels ont été établis « sur la base de ratios et critères financiers au titre desquels aucune erreur grossière n’a été relevée » et que le franchisé « ne démontr[e] pas le caractère mensonger des précisions données ». Cette solution doit être approuvée. Ainsi, lorsque les comptes prévisionnels ont été établis à partir de ratios-type, il appartient au franchisé de démontrer le caractère erroné de ces ratios (voir, sur la question : L’établissement de comptes-types par la tête de réseau : Analyse jurisprudentielle et conseils pratiques, LDR, 17 janvier 2019 ; v. dans le même sens : CA Aix-en-Provence, 21 février 2013, n°10/18237).

En second lieu, la qualité des comptes prévisionnels s’apprécie également en considération des chiffres réels du franchisé lorsque, comme en l’espèce, ce dernier a réalisé des chiffres d’affaires nettement inférieurs à ceux que la prévision envisageait initialement, avant le démarrage de l’activité. Sur ce point, l’arrêt commenté précise à fort juste titre que « la seule confrontation des résultats effectifs aux prévisions ne p[eut] suffire à caractériser le dol ou l’erreur sur la rentabilité ». Il est utile de souligner qu’au cas présent la tête de réseau – en tout cas à la lecture de l’arrêt – ne faisait pas même valoir que le franchisé avait commis des fautes de gestion. La formule précitée prend alors tout son sens : le franchiseur n’a pas à démontrer l’existence d’une ou plusieurs fautes imputables au franchisé, de nature à expliquer l’écart entre les comptes prévisionnels et les chiffres réels. Ainsi, l’écart observé entre les comptes prévisionnels et les chiffres d’affaires réels du franchisé est par principe insuffisant en soi à qualifier l’existence d’un vice du consentement. Cette idée force est parfaitement justifiée car, ainsi que le souligne la Cour d’appel de Paris, « la différence entre les chiffres prévisionnels et les chiffres réels résulte des différents aléas de la vie des affaires et des capacités commerciales et de gestion de son franchisé ». Cette solution doit donc être approuvée (v. dans le même sens : CA Paris, 24 janvier 2018, n°15/15812 : « Les appelants déduisent de la seule discordance entre les chiffres d’affaires prévisionnels et les chiffres d’affaires qu’ils ont réalisés, une erreur déterminante de leur engagement sur la rentabilité du concept. Or, comme l’ont considéré à juste titre les premiers juges, ils ne démontrent, par la production d’aucune pièce, que les chiffres d’affaires prévisionnels fournis par le franchiseur étaient manifestement disproportionnés, irréalistes et non adaptés, les premiers juges relevant notamment qu’il n’était produit aucun élément susceptible, à cette époque, de remettre en cause la pérennité et la rentabilité du réseau de franchisés et que, de surcroit, les époux P… pouvaient être considérés comme suffisamment avertis en raison de leur expérience antérieure en leur qualité d’exploitants d’un fonds de commerce à usage de tabac-presse pendant dix ans »).

A rapprocher : CA Aix-en-Provence, 21 février 2013, n°10/18237 (à propos de comptes-type) ; CA Paris, 24 janvier 2018, n°15/15812 (à propos de l’écart observé entre les comptes prévisionnels et les chiffres d’affaires réels du franchisé).

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