L’analyse juridique des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles par l’avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010

Avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010 de l’Autorité de la concurrence

L’avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire fournit un certain nombre de précisions sur le sort des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles.

L’avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire fournit un certain nombre de précisions sur le sort des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles.

On y relève tout d’abord les observations suivantes :

  • certains dispositifs contractuels et capitalistiques mis en œuvre par les groupes de distribution dans leurs relations avec leurs affiliés, comme des durées d’engagement relativement longues, des droits d’entrée au paiement différé, des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles et des droits de priorité, ont pour objet ou effet de dissuader l’affilié de sortir du réseau (Avis n° 10-A-26, §.83) ;
  • Plusieurs enseignes incluent également dans un ou plusieurs des contrats les liant à un magasin indépendant ou à son propriétaire des clauses de non-réaffiliation ou de non-concurrence post-contractuelles. La plupart des clauses de non-réaffiliation relevées ont vocation à ne s’appliquer qu’en cas de rupture anticipée du contrat et ce, pendant une durée allant d’un à deux ans à compter de la résiliation du contrat. D’autres clauses de non-réaffiliation présentes dans les contrats analysés ont vocation à s’appliquer, que le contrat soit arrivé à échéance ou qu’il ait été résilié avant son terme. Certaines enseignes emploient des clauses plus générales de non-concurrence tantôt applicables uniquement en cas de résiliation anticipée du contrat, tantôt applicables lors de son terme prévu. Ces clauses de non-concurrence sont toutes d’une durée post-contractuelle d’un an. Enfin, plusieurs enseignes ne recourent ni à des clauses non-réaffiliation ni à des clauses de non-concurrence post contractuelles (Avis n° 10-A-26, §.143) ;
  • Par ailleurs, l’étendue géographique de ces clauses varie selon les enseignes : il peut ainsi s’agir du territoire concédé, d’un rayon de 30 km (en zone rurale), 20 km, 15 km, 10 km (en zone urbaine) ou 5 km autour du magasin. Certaines clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles ne sont en revanche pas limitées géographiquement (Avis n° 10-A-26, §.144) ;
  • Les opérateurs justifient la présence de telles clauses par la nécessité de protéger le savoir-faire transmis aux magasins affiliés qui ont décidé de quitter le réseau (Avis n° 10-A-26, §.145) ;
  • Dans le secteur de la distribution alimentaire, le savoir-faire que les groupes s’engagent à transmettre à leurs affiliés consisterait en général en (Avis n° 10-A-26, §.146) :
    • des conseils relatifs à l’organisation générale de l’activité du magasin, et plus particulièrement à la politique commerciale et à l’agencement du magasin, aux budgets d’investissement et aux comptes d’exploitation souhaitables, aux actions promotionnelles à mener, à la gestion commerciale, administrative et financière, dont la fourniture de prix de vente aux consommateurs conseillés, de plans d’assortiment et d’implantation ;
    • des programmes de formation du personnel ;
    • une politique de communication et de publicité autour de l’enseigne ;
    • une aide à la recherche d’emplacements pour de nouveaux magasins ;
    • l’organisation de réunions sur les perspectives d’évolution de l’enseigne etc.

Ceci étant rappelé, l’avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010 de l’Autorité de la concurrence se livre à une analyse juridique des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles qui s’articule en quatre propositions (Avis n° 10-A-26, §.147 et suiv.).


1°) L’assimilation de la clause de non-réaffiliation à une clause de non-concurrence post-contractuelle

En substance, l’Autorité retient que dans ce secteur d’activité, les clauses de non-réaffiliation pourraient valablement être assimilées à des clauses de non- concurrence ; dès lors que l’interdiction de réaffiliation rend, non pas impossible, mais très difficile la poursuite de l’exploitation du fonds de commerce et sa rentabilité aléatoire, la clause de non-réaffiliation pourrait valablement être assimilée à une clause de non-concurrence. Selon l’IFLS, la quasi-totalité des supermarchés de proximité (97,8 % des magasins et 97,9 % des surfaces de vente) de plus de 400 m² sont ainsi liés à des grands groupes français de distribution, et le rôle des groupes de distribution sur les formats de plus petite taille irait également croissant, puisque 34 % des magasins de proximité d’une surface comprise entre 120 et 400 m², soit 43,5 % de la surface commerciale totale des magasins de cette superficie, seraient déjà affiliés à une enseigne.

 

2°) Les clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles doivent être nécessaires et proportionnées aux objectifs qu’elles poursuivent

 

L’Autorité rappelle que :

 

  • conformément à une jurisprudence communautaire et nationale constante, le Conseil de la concurrence a admis la présence de clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation dans les contrats de franchise, sous réserve qu’elles répondent à certaines conditions de nécessité et de proportionnalité. Dans ses décisions n° 96-D-36 du 28 mai 1996 et n° 97-D-48 du 18 juin 1997, le Conseil a précisé ces conditions :« Considérant que les clauses de non-affiliation ou de non-concurrence peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exclusivité ; que ces clauses doivent cependant rester proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent ; Considérant que le règlement (CEE) n°4087/88 prévoit qu’une obligation de non-concurrence ne peut être imposée aux franchisés après l’expiration du contrat que pour une durée raisonnable qui ne peut excéder un an et seulement dans la mesure où une telle obligation est nécessaire pour protéger les droits de propriété industrielle ou intellectuelle du franchiseur ou pour maintenir l’identité commune et la réputation du réseau ; »
  • en particulier, l’article 5.3 du règlement communautaire n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées prévoit que l’exemption par catégorie ne s’applique pas aux accords verticaux qui contiennent toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services, sauf si les conditions suivantes sont cumulativement remplies : a) l’obligation concerne des biens et des services qui sont en concurrence avec les biens ou services contractuels ; b) l’obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat ; c) l’obligation est indispensable à la protection du savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur, d) la durée de l’obligation est limitée à un an à compter de l’expiration de l’accord » ;
  • à cet égard, dans un arrêt du 9 juin 2009, la Cour de cassation, reprenant les exigences posées par le règlement communautaire n°2790/1999 (remplacé depuis par le règlement n°330/2010 précité) a cassé un arrêt de cour d’appel ayant déclaré valable une clause de non-concurrence post -contractuelle d’une durée d’un an et applicable dans un rayon de 30 km autour du point de vente, prévue dans un contrat de franchise conclu entre la société Distribution Casino France (le franchiseur) et la société Perrosdis (le franchisé) : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le bénéfice de l’exemption prévue à l’article 5 b) du règlement 2790/1999 en faveur des clauses de non-concurrence post-contractuelles est réservé uniquement à celles, d’une durée d’un an, qui sont limitées aux locaux et aux terrains à partir desquels celui qui l’a souscrite a opéré pendant la durée du contrat et qui sont indispensables à la protection du savoir-faire qui lui a été transféré par son cocontractant, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass.com. 9 juin 2009, n° 08-14301).


3°) Sur le caractère nécessaire à la protection du savoir-faire

L’Autorité indique qu’au regard des contrats d’affiliation transmis aux services d’instruction et des auditions menées avec les opérateurs, le savoir-faire transmis par les enseignes à leurs affiliés et adhérents présente trois caractéristiques :

 

  • premièrement, une part de ce savoir-faire est observable en magasin, notamment celui relatif à l’agencement du magasin, à son assortiment et aux plans d’implantation des produits. Il n’a donc pas lieu d’être protégé par des clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation.
  • deuxièmement, une autre part de ce savoir-faire est constituée d’éléments non-observables mais communs à toutes les enseignes et indispensables à l’exercice de la profession de commerçant. Il en va notamment ainsi des compétences du commerçant indépendant en matière de gestion financière ou d’implantation des magasins. Commun à tous les magasins, ce savoir-faire n’a donc pas non plus lieu d’être protégé, d’autant que la rentabilité de son transfert est assurée par les contrats d’affiliation de longue durée passés entre les magasins indépendants et leurs têtes de réseau. Enfin, ce savoir-faire est partie intégrante de l’expérience et de la compétence professionnelle du gérant de magasin, et il n’est donc pas possible de l’empêcher d’en faire usage à l’issue du contrat.
  • troisièmement, une dernière part du savoir-faire est constituée d’éléments spécifiques à l’enseigne et difficilement observables par les concurrents, comme le savoir-faire relatif à la politique de promotion de l’enseigne. Cette composante du savoir-faire peut justifier la présence de clauses de non-réaffiliation/non-concurrence post-contractuelles même si, dans la plupart des cas, cette composante du savoir-faire peut être parfaitement protégée par une clause de confidentialité. La plupart des contrats d’affiliation incluent d’ailleurs de telles clauses de confidentialité qui, contrairement aux clauses de non-réaffiliation/non-concurrence post-contractuelles qui interdisent à l’affilié d’exercer son activité pendant un certain laps de temps à l’issue du contrat, se bornent à interdire à l’affilié de réutiliser directement ou indirectement le savoir-faire transmis ou de le divulguer à un tiers, sous peine de poursuites judiciaires. En outre, il convient de remarquer que le magasin indépendant n’est bien souvent pas décisionnaire des stratégies susceptibles de s’appuyer sur ce type de savoir-faire, chaque enseigne disposant de ses propres orientations en la matière. En changeant d’enseigne, l’affilié abandonne de facto la majeure partie du savoir-faire, tant spécifique que général, transmis par le groupe auquel il était affilié jusqu’alors afin d’adopter celui transmis par le nouveau groupe auquel il sera affilié. Dès lors, l’éventuel transfert de savoir-faire d’une enseigne à une autre par le biais de ses magasins indépendants paraît limité.

Ainsi, au final, l’Autorité considère que le savoir-faire nécessitant ou pouvant effectivement faire l’objet d’une protection par le biais de clauses de non-concurrence ou de non-réaffiliation semble relativement limité.

 

4°) Sur le caractère nécessaire et proportionné au regard de l’objectif de protection de l’identité commune et de la réputation du réseau

L’Autorité souligne enfin que :

  • l’insertion d’une clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation post-contractuelle dans les pactes d’associés et dans les contrats de mise en location-gérance permet également de préserver l’identité et la réputation d’une enseigne en marquant une rupture dans l’exploitation du fonds de commerce, afin de s’assurer que l’ancien affilié n’emporte pas avec lui un élément important du fonds de commerce, en se réinstallant à son compte. De manière similaire, une clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation peut s’avérer nécessaire, lorsque l’affilié possède son fonds de commerce et les murs de son local, ou envisage de poursuivre son activité dans un autre local situé dans la même zone de chalandise, pour marquer une rupture dans l’exploitation, afin que l’affilié ne continue pas à bénéficier de la réputation et de l’image acquise auprès de ses clients grâce à son affiliation passée à une enseigne.
  • toutefois, compte tenu de la rapidité avec laquelle évoluent les concepts de vente, on peut valablement s’interroger sur la nécessité de marquer une rupture dans l’exploitation d’un local ou d’un fonds de commerce avec l’instauration d’une clause de non-concurrence post-contractuelle relativement longue. De plus, étant donné la relative faiblesse de la différenciation qui existe entre les différentes enseignes d’alimentation de proximité, il ne semble dès lors pas nécessaire d’imposer aux affiliés des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles de longues durées pour préserver l’image du réseau.
  • enfin, il convient de rappeler que conformément à l’article 5.3 du règlement n°330/2010 précité (cf. paragraphe 153) les clauses de non-concurrence post-contractuelles doivent, pour pouvoir bénéficier de l’exemption, à la fois être indispensables à la protection du savoir-faire et limitées aux locaux à partir desquels l’affilié a exercé ses activités pendant la durée du contrat d’une part, et limitées à une durée de un an à compter de l’expiration de l’accord, d’autre part.

Ainsi, au final, l’Autorité considère que la plupart des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles relevées dans les contrats d’affiliation étudiés ne remplissent pas les conditions de nécessité et de proportionnalité au regard des objectifs poursuivis, érigées par le droit de la concurrence.

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