Des risques de requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Approche pratique et aperçu jurisprudentiel

En pratique, trois niveaux de risque sont à appréhender afin d’éviter la requalification du contrat de gérance-mandaten contrat de travail. 

Ce qu’il faut retenir : En pratique, trois niveaux de risque sont à appréhender afin d’éviter la requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail. La distinction du contrat de gérance-mandat et du contrat de gérance salariée impose en effet de prendre en considération le contenu du contrat de gérance-mandat proprement dit, les normes d’exploitation du réseau annexées au contrat de gérance-mandat, ainsi que le comportement des opérationnels dans le cadre de l’exécution du contrat de gérance-mandat.


Pour approfondir : 

1. La distinction du contrat de gérance-mandat et du contrat de gérance salariée tient à la subordination juridique dans laquelle est placé le gérant salarié, à la différence du gérant-mandataire qui demeure indépendant. Et, selon une jurisprudence constante, cette « subordination juridique » est caractérisée par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir :

  • de donner des ordres et des directives,
  • d’en contrôler l’exécution,
  • et de sanctionner les manquements.

La difficulté n’est donc pas de comprendre cette règle – aussi connue que constante – mais plutôt d’appréhender sa mise en œuvre, délicate de l’avis général, dans la mesure où la notion même de « subordination juridique » demeure bien souvent subjective, comme en témoigne une jurisprudence lancinante illustrant de nombreux cas de requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail.

2. Mais, en réalité, au plan pratique, trois niveaux de risque doivent être appréhendés de manière distincte : la rédaction du contrat de gérance-mandat lui-même (I°), le contenu de ses annexes (II°), le comportement des opérationnels une fois le contrat de gérance-mandat signé (III°).

I°/ Premier niveau de risque : le contrat de gérance-mandat proprement dit

3. Une distinction doit être faite toutefois entre :

  • d’une part, les clauses du contrat de gérance-mandat soulignant la parfaite autonomie du gérant-mandataire, qui n’ont aucun impact sur le risque considéré. Certes, de telles clauses semblent de nature à exclure la qualification de contrat de travail, raison pour laquelle il est conseillé de conserver les mentions formulées en ce sens dans un contrat de gérance-mandat ; c’est d’ailleurs la pratique la plus courante d’insérer de telles clauses dans ce type de contrat ; mais, n’oublions pas néanmoins que la jurisprudence considère que le contrat de gérance-mandat peut parfaitement être requalifié en contrat de travail alors même qu’il comporterait une ou plusieurs clauses de ce type (CA Orléans, 15 janvier 2015, n° 14/00479) ; la solution est fondée en droit dès l’instant que, d’une manière ou d’une autre, les conditions du contrat de travail sont réunies.
  • d’autre part, les clauses du contrat de gérance-mandat tendant à souligner l’absence d’autonomie du gérant-mandataire, qui emportent sinon favorisent la requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail. C’est ce que confirme – sans surprise – la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 15 déc. 2010, n°09-40.478, inédit : « après une formation imposée, n’avait pas le choix du mobilier ni du matériel d’exploitation, qu’il ne pouvait modifier les prix des chambres et petits déjeuners, que sa liberté d’engager du personnel était, de fait, limitée par cette politique de prix, que les instructions relatives à l’entretien et la maintenance de l’hôtel ne lui laissaient pas de liberté d’organisation, qu’il ne pouvait contracter pour une somme supérieure à 3 049 euros et que les conditions d’engagement étaient strictement définies, que les horaires d’ouverture et de présence étaient imposés, que la société mandante, qui avait le contrôle de la comptabilité et des données informatisées, avait un pouvoir de sanction pécuniaire et de résiliation de plein droit du contrat »). Au regard de la question traitée, de telles clauses ne seront donc pas « neutre » à la différence de celles évoqués au tiret précédent.

4. Pour compléter ce qui précède, il convient de s’inspirer de plusieurs décisions écartant une telle requalification (CA Lyon, 21 juin 2017, n°15/01975 et n°15/01972 [concernant un contrat postérieur à la loi n°2005-882 du 2 août 2005 mais antérieur à la loi n°2010-853 du 23 juillet 2010] ; CA Agen, 18 novembre 2014, n°14/00800 [concernant un contrat postérieur à la loi n°2005-882 du 2 août 2005 mais antérieur à la loi n°2010-853 du 23 juillet 2010] ; CA Rennes, 1er avril 2015, n°16/08787 [concernant un contrat antérieur à la loi n°2005-882 du 2 août 2005]). En effet, dans ces différentes affaires, il a été jugé, d’une part, que le gérant-mandataire disposait d’une autonomie certaine dans la gestion et, d’autre part, que les normes et procédures applicables ainsi que les contrôles effectués n’excédaient pas ceux s’inscrivant dans la logique d’un contrat de gérance-mandat au sein d’un réseau, de sorte que le lien de subordination juridique, condition du contrat de travail, faisait défaut.

II°/ Deuxième niveau de risque : les normes d’exploitation du réseau annexées au contrat de gérance-mandat

5. Souvent, le contrat de gérance-mandat comporte également une annexe détaillant les méthodes et procédures à suivre dans le cadre de l’exploitation : les normes d’exploitation du réseau. Le détail de ces normes peut potentiellement révéler (ou favoriser) l’existence du lien de subordination, propre à requalifier le contrat de gérance-mandat en contrat de travail. A cet égard, il convient d’appréhender la jurisprudence en distinguant selon que le texte relatif à la gérance-mandant est antérieur ou postérieure à la loi de 2010. Ce texte a introduit un nouvel alinéa 2 à l’article L.146-1 du Code de commerce afin d’intégrer la pratique courante d’imposer un certain nombre de normes, et a posé une présomption simple de commercialité du contrat de gérance-mandat ayant notablement modifié le droit positif.

6. Avant la loi n°2010-853 du 23 juillet 2010, la jurisprudence tenait déjà compte de la teneur des normes d’exploitation du réseau pour requalifier le contrat de gérance-mandat en contrat de travail (Cass. Soc., 8 juin 2010, 08-44.965 : requalifiant un contrat de gérance-mandat en contrat de travail en tenant compte du comportement des opérationnels, mais également du contenu des normes à respecter par le gérant-mandataire : « la cour d’appel après avoir relevé que ces personnes travaillaient sous l’autorité et le contrôle direct de la société B & B, qu’elles devaient impérativement respecter les normes et standards de la chaîne, selon le livret annexé sans pouvoir y déroger, qu’elles ne disposaient d’aucune liberté en matière de fixation des prix et de choix des clients, de procédure d’accueil, de promotion, de publicité et de tenue de la comptabilité, qu’elles devaient suivre les directives de la société B … qui en contrôlait la bonne exécution en pratiquant des inspections suivies de remontrances et en menaçant de représailles ceux qui ne respecteraient pas ces instructions » ; v. aussi, CA Paris, 28 juin 2007, n°06/13743 : caractérisant un lien de subordination (avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2005) : « Considérant en conséquence que les pratiques résultant des « procédures d’exploitation », mises en œuvre dans les relations « gérant mandant-gérant mandataire » ne visaient en définitive qu’à laisser les propriétaires des hôtels, totalement maîtres de la gestion de leurs hôtels, sous couvert de mandataires qui en réalité n’agissaient que comme leurs délégataires » ; CA Paris, 15 novembre 2007, n°07/02167 : caractérisant un lien de subordination (avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2005) : « que compte tenu de la contractualisation des procédures d’exploitation, les défenderesses au contredit ne peuvent sérieusement prétendre qu’il ne se serait agi là que de simples recommandations de leur part »).

Cette jurisprudence est antérieure à la loi n°2010-853 du 23 juillet 2010, qui a introduit un nouvel alinéa 2 à l’article L.146-1 du Code de commerce afin d’intégrer la pratique courante d’imposer un certain nombre de normes ; ce texte dispose en effet : « La mission précise, le cas échéant, les normes de gestion et d’exploitation du fonds à respecter et les modalités du contrôle susceptible d’être effectué par le mandant. Ces clauses commerciales ne sont pas de nature à modifier la nature du contrat ».

7. La loi n°2010-853 du 23 juillet 2010 a mis fin aux dérives de certaines juridictions analysant comme un lien de subordination les contraintes liées à l’existence d’un réseau de distribution (qui implique une homogénéité des process) et à la conservation de la propriété du fonds.

Toutefois, il serait inexact de considérer que de telles normes peuvent réduire à outrance la marge de manœuvre qui doit être laissée au gérant-mandataire. C’est pourquoi la doctrine continue de rappeler que l’intégration du gérant-mandataire dans un service organisé constitue un « indice du lien de subordination » lorsque les conditions de travail sont unilatéralement déterminées par le mandant (Contrat de gérance-mandat, Juris-Cl., Fasc. 1420, §. 8, mise à jour 15 mai 2018) ; la position exprimée par cette doctrine est sans doute exagérée si l’on considère, ainsi que le rappellent les travaux préparatoires à la loi de 2010, que « le fait d’indiquer dans la loi que les normes de gestion et d’exploitation du fonds et les modalités du contrôle constituent des clauses commerciales signifie seulement qu’il y a une présomption simple de leur caractère commercial, cette présomption pouvant être levée par le juge à l’examen des faits d’espèce ». Autrement dit, en posant cette présomption simple de commercialité du contrat de gérance-mandat, le législateur de 2010 n’empêche pas la jurisprudence de requalifier le contrat de gérance-mandat en contrat de travail, s’il est établi une absence d’autonomie de gestion du gérant-mandataire, ce qui sera le cas chaque fois que les normes d’exploitation du réseau seront trop précises et trop coercitives.

8. Ainsi, plus l’annexe contenant les normes d’exploitation du réseau laissera une marge de manœuvre importante au gérant-mandataire dans l’exécution de ses missions, plus le risque de requalification évoqué pourra lui-même être écarté.

III°/ Troisième niveau de risque : le comportement des équipes opérationnelles 

9. Ce point demeure fondamental car si, en pratique, les équipes opérationnelles formulent des directives contraignantes pour le gérant-mandataire, le contrat de gérance-mandat pourra encore être requalifié en contrat de travail ; le soin apporté à traiter les niveaux de risques signalés aux points I° et II° qui précèdent pourront alors ne pas suffire, tout dépendant de l’intensité des directives qui seraient alors malencontreusement formulées par les équipes opérationnelles.

10. La jurisprudence – y compris récente – abonde de situations où le contrat se trouve requalifié du fait du comportement observé en pratique par les opérationnels (CA Lyon, 25 mai 2018, n°16/07091 ; Cass. Soc., 19 septembre 2013, 12-17.494, inédit, et CA Orléans, 16 février 2012, n° 11/01939 – v. aussi, Cass. Soc., 8 juin 2010, 08-44.965 : « le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ; que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs »).

Il est donc vivement recommandé de sensibiliser les équipes opérationnelles sur ce point.

A rapprocher : CA Lyon, 25 mai 2018, n°16/07091

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