Contrat de franchise et violation de l’obligation précontractuelle d’information

Cass. com., 20 mars 2007, n°06-11.290 (et aspects pratique et contentieux liés)

La sanction attachée à la violation de l’obligation précontractuelle d’information n’est pas automatiquement la nullité du contrat de franchise.

Ce qu’il faut retenir : La sanction attachée à la violation de l’obligation précontractuelle d’information n’est pas automatiquement la nullité du contrat de franchise. L’annulation du contrat de franchise suppose en effet que le manquement à l’obligation d’information précontractuelle ait eu pour conséquence de vicier le consentement du franchisé, et ne peut donc se déduire de l’existence de ce seul manquement. Cette solution est rappelée avec force par l’arrêt commenté, qui s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence désormais bien établie par la Cour de cassation, au demeurant parfaitement logique, et qui n’est pas sans conséquence aux plans pratique et contentieux.

Pour approfondir :

1/ La solution. Avant la conclusion de tout contrat de franchise comportant une clause d’exclusivité ou de quasi-exclusivité, la société tête de réseau est tenue de fournir au candidat franchisé un document, dont le contenu est précisé par décret (C. com., art. R. 330-1), donnant des informations sincères, censés permettre au second de s’engager en toute connaissance de cause avant de régulariser son contrat de franchise (C. com., art. L. 330-3). Cette information précontractuelle, exigée depuis 1989 (L. n° 89-1008, 31 déc. 1989, article 1er, disposition connue sous le nom de « Loi Doubin »), ainsi que le projet de contrat doivent être communiqués vingt jours au moins avant la signature du contrat (C. com., art. L. 330-3). Ces dispositions s’appliquent certes au contrat de franchise ; elles s’appliquent aussi, de manière plus générale, à tout contractant se trouvant dans la situation prévue à l’article L. 330-3 du code de commerce.

Lorsque le franchiseur n’a pas (ou pas totalement) rempli son obligation précontractuelle d’information, le franchisé peut-il obtenir – de ce seul fait – l’annulation du contrat de franchise qu’il a conclu ? La réponse de la Cour de cassation est très claire : il ne suffit pas de constater un manquement à cette obligation pour que le contrat soit frappé de nullité. L’annulation du contrat de franchise suppose que le manquement à l’obligation légale d’information précontractuelle ait eu pour effet de vicier le consentement du franchisé, et ne peut se déduire de ce seul manquement, ainsi que l’arrêt commenté le rappelle clairement.

2/ L’arrêt commenté. C’est le sens même de la solution que rappelle ici la Cour de cassation par l’arrêt commenté. En l’espèce, en effet, pour annuler les contrats de franchise et d’approvisionnement conclus entre M. X… et les sociétés P et, l’arrêt retient :

  • qu’il n’est pas vraisemblable que le document pré-contractuel d’information prévu par les textes ait été remis à M. X… dans le délai légal, que l’article L. 330-3 du code de commerce ne prévoit pas la nullité automatique du contrat, qu’il s’agisse d’un contrat de franchise ou d’un autre type de contrat,
  • qu’il y a lieu de rechercher si l’irrégularité a vicié le consentement de M. X…,
  • qu’avant de signer le contrat de franchise, ce dernier a été libéré de son contrat de travail pour se rendre dans différents magasins S de la région et rencontrer d’autres franchisés, que les sociétés P et L rappellent que le projet ne consistait pas en la création d’un magasin, avec les risques y afférents, mais en la simple reprise d’une activité existante, que le fait de visiter des magasins et de rencontrer des franchisés a certes permis à M. X… de se rendre compte de ce qu’impliquait, de manière générale, en termes de contraintes quotidiennes, mode de vie, relations avec les fournisseurs, l’exploitation en franchise d’un magasin s, mais que cela ne lui donnait aucune indication sur la situation économique spécifique du magasin et ses perspectives d’avenir, qu’il n’est même pas établi qu’il ait obtenu par ce biais des informations précises sur le contenu du contrat, que le document d’information intitulé « avant-contrat », pour l’examen duquel M. X… aurait dû disposer d’au moins vingt jours, indiquait la durée, les sanctions en cas de résiliation, les conditions résolutoires, qu’y étaient annexés un état général du marché, une étude de marché, un compte d’exploitation prévisionnel et le détail des coûts spécifiques à la mise aux normes S,
  • que ces éléments étaient particulièrement importants pour l’appréciation économique, que si M. X…, chef d’un rayon boucherie, salarié sans expérience de la gestion d’entreprise, avait eu des difficultés à en apprécier la portée, il aurait pu consulter un expert-comptable, que l’article V de l’avant-contrat prévoit d’ailleurs expressément que le « candidat franchisé » fasse contrôler par le cabinet ou le conseil de son choix l’étude de marché réalisée par la société P, cette contre-étude devant être remise au plus tard dans les dix jours précédant la signature du contrat de franchise, que cette clause n’a pu être exécutée, faute de remise de l’avant-contrat et de ses annexes dans le délai légal ;
  • que M. X… n’a pu « s’engager en connaissance de cause », comme le dit l’article L. 330-3 du code de commerce, qu’il s’ensuit que le contrat de franchise doit être annulé, ce qui entraîne la nullité du contrat d’approvisionnement.

La solution consacrée par l’arrêt commenté est aussi limpide que catégorique : « Attendu qu’en déduisant un vice du consentement du franchisé du seul manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Un tel manquement ne suffit donc pas, par lui-même, à emporter le prononcé de la nullité du contrat de franchise.

3/ Caractère établi de la solution. Cette solution est désormais parfaitement établie en jurisprudence, en témoigne l’assez longue liste des décisions rendues en ce sens ces dernières années par la Cour de cassation, qui subordonnent la nullité du contrat de franchise à la preuve d’un vice du consentement du franchisé (Cass. com., 14 juin 2005 (2 arrêts), n°04-13.947 et n°04-13.948, Juris-Data n°028996 ; Cass. com., 11 mars 2003 (2 arrêts), n°97-14.366 et 97-14.367 ; Cass. com., 14 janv. 2003, n°01-11.010 ; Cass. com., 22 oct. 2002, n°00-22.174 ; Cass. com., 5 déc. 2000, n°97-21.631, Juris-Data n°007354 ; Cass. com., 21 nov. 2000, pourvoi n°98-12.527, Juris-Data n°007008, Contrats, conc. consom. 2001, comm. 20, note L.L. ;  Cass. com., 19 oct. 1999, n°97-14.366 ; Cass. com., 10 févr. 1998 : Juris-Data n° 1998-000524 ; Contrats, conc. consom. 1998, com. 55, note L.L. ; D. 1998, somm. 334, obs. D. Ferrier ; Defrénois 1998, p. 733, obs. Ph. Delebecque). Ainsi, le contrat de franchise ne peut être annulé qu’en cas de vice du consentement.

4/ Logique de la solution. Il est opportun que la nullité du contrat de franchise ne soit pas retenue en tant que sanction « automatique », alors que la loi ne l’a pas prévue, et que des manquements à l’obligation légale peuvent s’être produits sans pour autant avoir engendré de conséquences sur la qualité du consentement donné. Annuler un contrat de franchise au motif de l’existence d’un tel manquement n’aurait aucun sens toutes les fois que ce manquement est sans incidence sur la volonté du candidat de contracter.

5/ Conséquences de la solution aux plans pratique et contentieux. La solution emporte de multiples conséquences ; nous en évoquerons deux dans le cadre de ce commentaire, conséquences qui nous semble indispensables à la compréhension des problématiques liées à la question de l’annulation du contrat de franchise.

Au plan pratique. La première conséquence concerne la nature des échanges devant intervenir entre le franchiseur et le candidat franchisé au cours de la période précontractuelle proprement dite, avant la conclusion du contrat de franchise donc. Le franchiseur doit respecter le texte des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, ce qui se traduit, préalablement à la signature du contrat de franchise, par la remise d’un DIP complet, dans le délai légal de 20 jours au moins. Le manquement à cette obligation légale peut se manifester de différentes manières, que l’examen des contentieux et la pratique courante du développement des réseaux organisés révèlent régulièrement : le DIP n’a pas été remis, le DIP a été remis mais comporte des informations inexactes, le DIP a été remis mais omet de mentionner certaines informations visées à l’article R. 330-1 du code de commerce, le DIP a été remis – et s’avère irréprochable – mais d’autres informations (erronées celles-là) ont été remises au franchisé en marge du DIP, etc. Dans cette litanie de possibilités potentiellement susceptibles de tromper la vigilance du candidat, le manquement à l’obligation d’information précontractuelle n’a pas nécessairement eu pour effet de vicier le consentement du franchisé et d’entraîner ainsi la nullité du contrat de franchise.

Ce faisant, afin de se prémunir d’une action en nullité consécutive à un manquement à son obligation d’information précontractuelle, le franchiseur pourra prendre soin de respecter trois consignes. Entendons-nous bien. Le fait de ne pas respecter ces consignes n’est pas constitutif d’une faute ; en revanche, le fait de les respecter est de nature à « chasser » l’existence même d’un vice du consentement affectant la validité du contrat de franchise. C’est là l’un de leurs intérêts.

Ces trois consignes sont les suivantes :

  • consigne n°1 : laisser au candidat franchisé un délai suffisant entre la date de remise du DIP et la date de signature du contrat de franchise, pour lui permettre de procéder aux démarches de vérifications pouvant s’imposer  : le respect du délai légal de 20 jours est une chose (il ne suffit évidemment pas d’avoir respecté ce délai pour que l’annulation du contrat de franchise soit nécessairement exclue) ; l’écoulement d’un délai plus long entre ces deux dates en est une autre. Plus le temps de réflexion laissé au candidat est long, plus il devient possible à ce dernier de constater les erreurs ou carences du DIP qui lui a été remis ; plus le temps de réflexion laissé au candidat est long, plus il sera en mesure de se renseigner sur l’état du réseau.
  • consigne n°2 : mettre le candidat franchisé en mesure de pouvoir rencontrer les autres franchisés membres du réseau : on le sait, selon l’article R. 330-1-5° du code de commerce, le DIP doit contenir « la liste des entreprises » faisant partie du réseau avec l’indication pour chacune d’elles du mode d’exploitation convenu, ainsi que « l’adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée », du moins pour ce qui concerne « les cinquante entreprises les plus proches du lieu de l’exploitation envisagée », lorsque le réseau compte plus de cinquante exploitants. Cette liste n’est pas anodine. Elle doit permettre le candidat à la franchise de prendre connaissance de l’existence des franchisés déjà en place, du moins les plus proches, pour pouvoir, le cas échéant, les rencontrer et/ou mesurer leur rentabilité, donc d’apprécier l’opportunité de signer ou non le contrat de franchise. L’avènement de l’internet – qui n’existait pas lorsque le décret du 4 avril 1991 a inséré l’article dans le Code de commerce –  accroît l’intérêt de cette liste : il suffit désormais à tout candidat à la franchise de consulter cette liste et de procéder lui-même (ou de faire procéder) aux vérifications utiles, par exemple en consultant les sites dédiés à la communication financières des entreprises (infogreffe ou autre). Cette consigne trouve échos en jurisprudence, en particulier lorsque l’annulation du contrat de franchise est sollicitée pour manquement du franchiseur à son obligation d’information précontractuelle (CA Nîmes, 23 juin 2005, n°03-02399, Juris-Data n°2005-282018 : tenant compte du fait que le franchisé « avait la possibilité, qu’elle a manifestement négligée, de contacter la quinzaine d’autres magasins franchisés du réseau français I…. dont elle avait reçu les coordonnées dans les informations précontractuelles »).

  • consigne n°3 : inviter le candidat franchisé à réaliser lui-même une véritable étude de marché : rappelons tout d’abord à quoi correspond une étude de marché et son utilité dans la phase qui précède la régularisation du contrat de franchise. L’étude de marché peut se définir comme l’ensemble des recherches permettant d’appréhender l’ensemble des informations relativement à l’offre et à la demande sur un marché considéré. Elle contient une grande quantité d’informations concernant l’opportunité du projet donc la pertinence de signer (ou non) le contrat de franchise : la zone de chalandise (qui converge le plus souvent avec la zone d’exclusivité déterminée par le contrat de franchise, le nombre de magasins concurrents existants dans la zone, les flux et l’accessibilité, la population, la cible, la politique de prix, etc… En pratique, rares sont les candidats à la franchise qui, avant de signer le contrat de franchise, entreprennent de réaliser une véritable étude de marché ; l’absence de réalisation de l’étude de marché peut s’expliquer par la volonté du candidat à la franchise d’engager des frais supplémentaires. Et pourtant, une telle étude de marché est le seul document d’analyse, propre à déterminer en détail la faisabilité du projet, donc l’opportunité de signer le contrat de franchise. Sa réalisation ne relève pas du domaine réservé du franchiseur ; elle relève du travail du franchisé qui, en sa qualité de commerçant indépendant, doit à tout le moins faire l’effort de s’intéresser à la faisabilité du projet qu’il entend mener à bien. La réalisation de l’étude de marché par le franchisé (ou par une société de géomarketing) est donc normale et raisonnable ; pour tout dire, elle nous paraît même indispensable en pratique. Elle correspond d’ailleurs au comportement normalement diligent de tout commerçant qui – dans le cadre d’un contrat de franchise ou même en dehors d’un tel contrat – entreprend de se lancer. Dans ce contexte, quoi de plus normal pour un franchiseur, que de rappeler à son candidat la nécessité de procéder (ou de faire procéder) à une telle étude dès que possible, en tout cas avant la signature du contrat de franchise, dans l’intérêt même du candidat au demeurant et donc, à travers lui, du réseau tout entier. Selon les cas en effet, l’étude de marché conduira parfois le candidat :
    • (i) à ne pas réaliser le projet, à l’abandonner ; il en va ainsi plus particulièrement lorsque l’étude de marché comporte l’indication d’un chiffre d’affaires prévisionnel, ce qui reste assez fréquent en pratique), donc à ne pas signer le contrat de franchise,
    • (ii) ou encore à signer le contrat de franchise selon des modalités (financières ou autres) différentes ;
    • (iii) ou encore à mener les actions correctives tenant compte des avertissements que l’étude aura formulés.

Ici, l’idée force est de permettre au candidat à la franchise de se faire sa propre opinion et de s’engager en connaissance de cause avant de conclure un contrat de franchise.

Au plan contentieux. La seconde conséquence concerne la manière dont la preuve du vice du consentement doit être rapportée au cours de la phase contentieuse lorsque, comme en l’espèce, le franchisé sollicite du juge l’annulation du contrat de franchise qu’il a conclu. Au vu de ce qui vient d’être dit et de la solution dégagée en jurisprudence, il ne faut pas perdre de vue que :

  • il appartient au franchisé de rapporter la preuve de l’existence d’un vice du consentement : concrètement, le franchisé doit, dans un premier temps, préciser le ou les manquement(s) à l’origine du vice invoqué et, dans un second temps, indiquer pour quelle(s) raison(s) ce manquement l’a effectivement induit en erreur ce qui, autrement dit, revient à démontrer que le manquement en cause l’a conduit à signer un contrat de franchise qu’il n’aurait pas signé s’il avait eu connaissance de la réalité des choses ;
  • il appartient au franchisé de se renseigner : dans la phase contentieuse, lorsque le franchisé sollicite le prononcé de l’annulation du contrat de franchise, le franchiseur a tout intérêt à pouvoir démontrer que le franchisé était effectivement en mesure de se renseigner. Cette démonstration sera d’autant plus aisée que, dans la phase qui précède la signature du contrat de franchise, le franchiseur aura suivi les consignes rappelées plus haut.

A rapprocher : Le devoir du franchisé de « se » renseigner

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