L’auteur revient sur les associations de franchisés en particulier sur la possibilité pour les associations de franchisés d’agir en justice et sur les sujets en droit d’être abordés sur le terrain judiciaire par ces dernières.
Les franchisés d’un même réseau se réunissent parfois en association. Les statistiques en la matière demeurent incertaines : « Selon les franchiseurs, 12% des réseaux disposent d’une association de franchisés, alors que de leur côté, 49 % des franchisés déclarent qu’il en existe une dans le réseau » (Enquête annuelle 2011 menée par le groupe Banque populaire et la fédération française de la franchise).
Ce phénomène s’explique par une volonté des entrepreneurs de faire entendre collectivement leur voix. Si cette initiative apparaît positive lorsqu’elle a pour finalité l’échange et la concertation au sein du réseau, elle est critiquable dès lors qu’elle est le fruit d’intention belliqueuse.
Lorsqu’elle est un lieu d’initiative et de réflexion, l’association des franchisés peut présenter un intérêt pour le réseau. S’illustrant comme un outil de dialogue, l’association permet d’anticiper les difficultés et de faciliter les remontées d’informations pour améliorer le fonctionnement du réseau. Ainsi, l’association des franchisés complète les instances d’animation et de dialogue (animateurs, commissions de travail..) parfois mises en place par les franchiseurs.
Inversement, quand l’association est vécue comme un lieu de contre-pouvoir, son rôle et sa légitimité sont discutables. Il faut rappeler qu’il n’appartient pas aux associations d’imposer à la tête de réseau les revendications des franchisés ou de décider des évolutions à apporter au réseau ; c’est au franchiseur seul qu’il revient de développer et de structurer ce dernier.
Or, il est régulièrement fait état, notamment en jurisprudence, du climat hostile et de la motivation conflictuelle à l’origine du regroupement des franchisés en association.
Dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Versailles, les juges retiennent qu’aux termes de sa motivation le franchisé expose que « le réseau (…) s’est détérioré, que les franchisés qui ont d’ailleurs mis en place une association, ont attiré l’attention de leur franchiseur sur ses manquements et leurs conséquences » (CA Versailles, 21 mars 2012, RG n° 11/03437).
Ainsi, le franchisé témoigne du fait que l’association a vu le jour à l’occasion d’un conflit avec le franchiseur. Dans ces conditions, les associations de franchisés vont parfois jusqu’à intenter directement des actions en justice à l’encontre des têtes de réseau.
Dans l’hypothèse où le litige opposant l’association et le franchiseur résulte de la défense d’intérêts personnels, la recevabilité de leur action ne pose pas de difficulté, mais il en va autrement quand l’action vise à défendre l’intérêt des franchisés.
Récemment, les juridictions ont d’ailleurs eu à se prononcer sur la question de la recevabilité d’actions d’associations de franchisés qui avaient pour finalité d’assurer la défense non pas d’un intérêt personnel mais de l’intérêt des franchisés (Trib. com. Bobigny, 29 janv. 2008, RG n° 2007F00373 ; CA Paris, 20 nov. 2008, RG n° 03/07603).
Les actions en justice de ces associations soulèvent en effet des interrogations quant à leur recevabilité, notamment en ce qu’elles heurtent deux exigences de l’action civile : l’existence d’un préjudice personnel et direct et le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur ».
A ce titre, il importe de s’interroger sur la possibilité pour les associations de franchisés d’agir en justice et, plus particulièrement, sur les sujets en droit d’être abordés sur le terrain judiciaire par ces dernières.
- La recevabilité de l’action des associations de franchisés
Le principe en droit français est le refus des actions des associations pour la défense d’un intérêt collectif. En effet, l’article 31 du Code de procédure civile dispose : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »
La recevabilité de l’action est ainsi soumise à la démonstration d’un intérêt légitime, né et actuel, direct et personnel.
Or, n’ayant pas d’intérêt direct et personnel, l’action des associations pour la défense d’un intérêt collectif apparaît irrecevable en vertu de l’article 31 du CPC.
Toutefois, l’article 31 du CPC réserve l’hypothèse où une habilitation législative a permis d’agir en donnant « qualité », la qualité palliant ainsi le défaut d’intérêt direct et personnel. En conformité avec cet article, la loi habilite parfois certaines associations pour agir en justice afin de défendre un intérêt collectif. En outre, même hors habilitation législative, la jurisprudence a admis la recevabilité de l’action exercée par une association dans l’intérêt collectif.
Mais, l’accueil de l’action des associations n’est pas sans limite, elle se doit de respecter un certain nombre de conditions.
En premier lieu, l’association de franchisés devra être dotée de la personnalité morale. Selon la procédure prévue par la loi du 1er juillet 1901, celle-ci doit avoir été préalablement déclarée à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où elle aura son siège social et faire l’objet d’une insertion au Journal Officiel. Cette déclaration lui confère la capacité juridique, c’est-à-dire l’aptitude à être titulaire d’un droit.
A défaut de déclaration, l’association existerait licitement, mais serait dépourvue d’existence juridique et du droit d’agir en justice. Il ressort de l’article 32 du CPC que toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. On doit donc en conclure que, dès lors qu’une association de franchisés n’est pas déclarée, elle est irrecevable à agir.
Il faut toutefois relever que la jurisprudence n’est pas claire sur la question de la sanction du défaut de déclaration. Elle sanctionne parfois l’action pour nullité pour vice de fond, d’autre fois à raison d’une fin de non-recevoir ce qui est plus logique car il y a défaut du droit d’agir (Cass. civ. 2ème, 20 mars 1989, pourvoi n° 88-11585).
Mais, lorsqu’elle retient qu’il s’agit d’un vice de fond, la Cour de cassation considère que l’irrégularité ne peut être couverte (Cass. civ. 3ème, 15 déc. 2004, pourvoi n° 03-16.434).
Il faut donc considérer que l’action d’une association non déclarée est soit irrecevable, soit irrégulière et ne pouvant être régularisée. En tout état de cause, l’absence de déclaration de l’association constitue un obstacle à son action en justice.
Cette absence de déclaration est aussi un obstacle à l’exercice d’une action à son encontre. Sur le fondement de l’article 32 du CPC, la jurisprudence retient qu’une action émise contre une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable (Cass. soc., 12 juill. 2010, pourvoi n° 09-41.402).
Inversement, pourvue de la personnalité juridique, l’association peut aussi faire l’objet d’une action en justice.
Ainsi, par exemple, une tête de réseau peut-elle parfaitement agir à l’encontre d’une association de franchisés et d’ex-franchisés qui utiliserait et reproduirait sur son site internet un logotype lui appartenant (CA Versailles, 6 avr. 2011, RG n° 10/01935).
En deuxième lieu, l’objet social de l’association détermine son champ d’action. Selon qu’elle agit pour la défense d’intérêt collectif ou l’intérêt individuel de ses membres, les exigences jurisprudentielles diffèrent.
Dans l’hypothèse où l’association agit pour défendre l’intérêt collectif, l’objet social de l’association doit prévoir la défense de l’intérêt collectif de ses membres. La recevabilité d’une pareille action est donc subordonnée au respect d’une condition : l’intérêt que l’association se propose de défendre par son action en justice doit entrer dans son objet social.
A ce titre, la Cour de cassation a très récemment reproché aux juges du fond d’avoir déclaré l’action d’une association irrecevable sans rechercher si sa demande entrait dans le cadre de l’objet social donnant mission à ladite association, notamment, de prendre toute initiative judiciaire nécessaire à la défense des intérêts collectifs de ses membres (Cass. civ. 3ème, 4 mai 2011, pourvoi n°10-11.863).
En tout état de cause, l’action suppose une atteinte à cet objet social. L’appréciation de l’atteinte est toutefois sujette à discussion. La question qui se pose est de savoir si les associations peuvent défendre les intérêts particuliers à certains de leurs membres qui ne s’identifieraient pas à l’intérêt de tous.
Sur ce point la jurisprudence est hésitante, elle admet parfois que l’intérêt collectif ne recouvre pas nécessairement celui de tous ses adhérents (Cass. civ. 3ème, 17 juill. 1997, pourvoi n° 95-18.100), d’autre fois elle retient que l’intérêt collectif est celui éprouvé par l’ensemble de ses membres (Cass. civ. 3ème, 4 nov. 2004, pourvoi n° 03-11.377).
Dans l’hypothèse où l’association agit pour l’intérêt individuel de ses membres, plusieurs conditions doivent être réunies pour que l’action soit recevable.
D’abord, l’association doit rapporter la preuve que son action entre dans le prolongement des atteintes subies par ses membres, cette preuve devant être faite par référence à l’objet statutaire de l’association (Cass. civ. 1ère, 27 mai 1975, pourvoi n° 74-11.480). Autrement dit, lorsqu’elle agit pour la défense collective d’intérêts individuels, le pacte social doit indiquer que l’association peut agir en justice pour la défense des intérêts individuels de ses membres.
Ensuite, il est nécessaire que les statuts fassent expressément référence, au titre des moyens d’action retenus, à la possibilité d’ester en justice pour assurer la défense des intérêts individuels de ses membres (Cass. civ. 3ème, 10 oct. 1978, pourvoi n° 77-11.979).
Enfin, l’action n’est possible que si les intérêts individuels des membres sont atteints (Cass. civ., 25 nov. 1929), mais contrairement à l’action dans l’intérêt collectif, il n’est pas nécessaire que l’intérêt de tous ses membres soit atteint.
En troisième lieu, l’association doit obligatoirement être représentée par une personne physique pour introduire son action en justice conformément à l’article 416 du CPC.
En l’absence de stipulations dans les statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action en justice, une action ne peut être régulièrement engagée que par la personne tenant des mêmes statuts le pouvoir de représenter en justice cette association.
Dans le silence desdits statuts sur ce point, l’action ne peut être régulièrement intentée qu’après décision prise par l’assemblée générale (Cass. soc., 16 janv. 2008, pourvoi n° 07-60.126 ; CA Grenoble, 23 avr. 2012, RG n°07/04625). L’association doit en outre justifier du consentement exprès de ses membres de les représenter.
- Les sujets en droit d’être mis sur le terrain judiciaire par les associations de franchisés
Lorsqu’elles sont recevables à agir, les associations de franchisés se voient autorisées à formuler des demandes devant les juridictions. Il importe alors de s’intéresser aux sujets qu’elles sont en droit de mettre sur le terrain judiciaire.
D’un point de vue temporel, il convient de préciser qu’il importe peu que le préjudice invoqué par les associations de franchisés soit antérieur à la date de leur création.
La Cour de cassation l’a admis expressément le 14 février 1958 (Cass. civ. 2ème, 14 février 1958, pourvoi n° 5.739) et réaffirmé dans son arrêt du 27 mai 1975 où elle a retenu :
« Qu’en se constituant en comité de défense les intéressés n’ont pas entendu « rompre avec le passé » mais « au contraire continuer l’action entreprise en confiant à l’association la charge de soutenir les intérêts de chacun, tels qu’ils existaient déjà, au même titre que celle des intérêts qui apparaitraient ultérieurement » » (Cass. civ. 1ère, 27 mai 1975, pourvoi n°74-11.480).
Autrement dit, les associations de franchisés sont en droit de solliciter tant la réparation d’un dommage subi postérieurement qu’antérieurement à leur constitution.
D’un point de vue matériel, doivent être distinguées les hypothèses selon lesquelles l’association de franchisés agit pour la défense de l’intérêt collectif ou de l’intérêt individuel de ses membres.
Lorsque l’action a pour finalité d’assurer la défense de l’intérêt collectif, l’association agit en vue d’obtenir la réparation d’un préjudice subi par l’ensemble de ses adhérents. Les questions soumises à la juridiction doivent donc résulter d’une atteinte à l’intérêt collectif.
Il s’agit alors pour l’association de rapporter la preuve de l’existence d’un préjudice collectif, distinct de celui subi par chaque membre pris individuellement.
Ainsi, selon la jurisprudence de la troisième chambre civile, l’association doit nécessairement justifier « d’un préjudice collectif, direct et personnel, distinct des dommages propres à chacun de ses associés » (Cass. civ. 3ème, 4 nov. 2004, pourvoi n° 03-11.377 ; v. aussi, en ce sens, Cass. civ. 3ème, 4 mai 2011, pourvoi n° 10-11.863).
Ainsi, seules les demandes formées au titre d’une atteinte à l’intérêt collectif peuvent être soumises au juge. Sur ce fondement, la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs pu juger qu’une association de franchisés était recevable à solliciter « la réparation du préjudice collectif subi par l’ensemble des membres du réseau du fait de la désorganisation de celui-ci » (CA Paris, 20 nov. 2008, RG n°03/07603).
La désorganisation du réseau s’appréhende ici comme un préjudice collectif, bien distinct de celui subi par les sociétaires.
Le Tribunal de commerce de Bobigny a lui admis, sur le fondement de l’atteinte à l’intérêt collectif, qu’une association de franchisés puisse solliciter que le franchiseur soit contraint à se conformer au contrat conclu avec chacun de ses membres (Trib. com. Bobigny, 29 janv. 2008, RG n° 2007F00373).
Il reste toutefois des domaines où, indépendant d’un intérêt collectif, les associations ne sont pas fondées à intervenir.
A l’instar des procédures collectives, la Cour de cassation a décidé qu’une association de franchisés n’était pas un « cocontractant » au sens de l’article 174 alinéa 4 de la loi du 25 janvier 1985 et qu’en conséquence son appel du jugement ayant ordonné la cession des contrats de franchise était irrecevable (CA Paris, 15 déc. 1992, RG n°92/015762).
Une telle décision doit être approuvée au plan de la technique juridique.
Dans l’hypothèse où l’action a pour finalité la défense de l’intérêt personnel de ses membres, l’association va agir en lieu et place de ses adhérents afin d’obtenir la réparation du préjudice subi personnellement par chacun d’eux.
Dans ce cas de figure, l’association peut, selon un principe ancien en procédure civile « faire par voie d’action collective ce que chacun de ses membres peut faire à titre individuel » (Cass. civ., 23 juill. 1918).
Il semblerait ainsi que les associations de franchisés soient en droit de mettre sur le terrain judiciaire les mêmes sujets que les franchisés. Par exemple, une association de franchisés pourrait agir sur le fondement d’un contrat de franchise à l’égard du franchiseur, comme le peut le franchisé à titre individuel.
Or, cette faculté n’est pas sans soulever des difficultés, notamment au regard du principe de l’effet relatif des contrats.
En outre, une difficulté apparait eu égard à la possibilité de faire coexister l’action associationnelle et l’action individuelle des membres.
L’adhésion à l’association n’implique de la part des sociétaires, aucune abdication de leurs droits, chacun d’eux conservant le libre exercice de leur action individuelle (Cass. civ. 23 juillet 1918 et 25 novembre 1929).
Ajoutons que la défense collective de l’association peut alors s’ajouter aux initiatives individuelles prises par les adhérents.
Or, dans la mesure où ces associations sont constituées pour la défense des intérêts de leurs membres, et qu’elles paraissent agir en qualité de mandataire, elles ne devraient pouvoir porter sur le terrain judiciaire que les droits que leurs mandants n’ont pas eux-mêmes exercés.
D’ailleurs, en matière sociale, lorsque le syndicat a agi à la place d’un salarié et que ce dernier intervient en cours d’instance, le salarié devient partie au procès et le syndicat perd alors sa qualité à agir, sauf à agir également sur le fondement de l’intérêt de la profession.
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On le voit, la question de l’action en justice engagée par les associations de franchisés a de quoi soulever maintes questions d’ordre juridique, auxquelles la jurisprudence apporte des solutions désormais fournies et utiles à la compréhension de ces contentieux souvent techniques.
L’examen des décisions qui viennent d’être rappelées montre les écueils à éviter et l’importance que peut revêtir la procédure civile dans la conduite du procès, si l’on en doutait encore …