Contrat d’agent commercial et aménagement contractuel du montant de l’indemnité de rupture

CA Paris, 2 novembre 2017, n°16/13857

Les clauses prévoyant le montant de l’indemnité de rupture perçue par l’agent commercial en cas de rupture du contrat d’agent commercial sont licites dès lors que celles-ci assurent la réparation intégrale du préjudice subi par l’agent commercial.

Ce qu’il faut retenir : Les clauses prévoyant le montant de l’indemnité de rupture perçue par l’agent commercial en cas de rupture du contrat d’agent commercial sont licites dès lors que celles-ci assurent la réparation intégrale du préjudice subi par l’agent commercial. Le quantum de l’indemnité de rupture n’est pas réglementé. S’il existe un usage reconnu consistant à accorder une indemnité correspondant à deux années de commissions, cet usage ne lie toutefois pas les Juges. Il convient de statuer selon les circonstances spécifiques de la cause, de façon à assurer la réparation de l’entier préjudice subi par l’agent commercial du fait de la perte de son mandat.

Pour approfondir : Monsieur D., agent commercial, a conclu avec la société X. un contrat non daté prenant effet en février 2003 pour une durée indéterminée. Aux termes de ce contrat, Monsieur D. s’est vu confier par la société X. le mandat non exclusif de commercialiser les produits de la société X. dans le secteur de la région parisienne.

Le 25 juillet 2008, avec l’accord préalable de la société X., le secteur d’intervention de Monsieur D. s’est élargi à la Bretagne à la suite du rachat à cette date de la clientèle d’un de ses confrères.

A partir de février 2009, la société X. a reproché à plusieurs reprises à Monsieur D. ses mauvaises performances en Bretagne en raison de son inorganisation, ce que ce dernier a contesté.

Par courrier du 28 septembre 2010, Monsieur D. a proposé à sa cocontractante de lui céder le secteur « Nord-Ouest » compte tenu de ses propres difficultés sur ce secteur. La société X. n’a pas répondu à ce courrier.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 16 avril 2014, la société X. a notifié à Monsieur D. la résiliation de son contrat d’agent commercial, en raison de la dégradation constante de ses performances malgré ses avertissements, et ce avec un préavis de trois mois et l’octroi d’une indemnité de rupture égale à six mois de commissions, conformément aux stipulations du contrat d’agent commercial.

Par acte du 21 août 2014, Monsieur D. a assigné en paiement la société X. devant le Tribunal de commerce de Paris, considérant que l’indemnité de rupture octroyée était trop faible.

Par jugement du 10 février 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :

  • dit que la société X. était fondée à résilier le contrat avec un préavis de 3 mois,
  • dit que l’indemnité compensatrice de préavis devait être fixée à 6 mois de commissions calculées sur les 6 derniers mois d’activité d’agent, soit 19.310 euros,
  • condamné la société X. à payer à Monsieur D. la somme de 19.310 euros au titre de l’indemnité de rupture.

Le Tribunal de commerce de Paris a ainsi fait application des stipulations contractuelles susvisées.

Monsieur D. a interjeté appel de ce jugement.

La Cour a infirmé le jugement en ce qu’il a fixé à la somme de 19.310 euros l’indemnité de rupture due par la société X à Monsieur D.

La Cour rappelle que l’article L.134-16 du Code de Commerce prévoit qu’est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant, au détriment de l’agent commercial, aux dispositions d’ordre public de l’article L. 134-12 du code de commerce indiquant qu’« en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits. Les ayants droit de l’agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l’agent. ».

Elle rappelle également le principe selon lequel les parties à un contrat d’agent commercial peuvent licitement convenir dans le contrat d’une indemnité de rupture, tant que cette indemnité de rupture assure la réparation intégrale du préjudice subi par l’agent commercial.

Elle rappelle enfin que l’article L. 134-13 précise toutefois que la réparation prévue à l’article L.134-12 n’est pas due notamment en cas de cessation du contrat provoquée par la faute grave de l’agent commercial, qu’il est admis que la faute grave, privative d’indemnité de rupture, se définit comme celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et rend impossible le maintien du lien contractuel, et que la faute grave se distingue du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat

En l’espèce, la société X. ne se prévaut d’aucune faute grave privative du droit à indemnité de rupture, mais entend limiter le montant de cette indemnité à la somme de 19.310 euros en faisant ainsi une stricte application des dispositions du contrat d’agent commercial signé entre les parties.

La question qui se pose est donc celle du montant de l’indemnité de rupture qui doit assurer la réparation de l’entier préjudice subi par l’agent commercial du fait de la résiliation.

La Cour d’appel de Paris rappelle que s’il existe un usage reconnu dans ce domaine  consistant à octroyer une indemnité correspondant à deux ans de commissions, cet usage ne lie toutefois pas la Cour, qui peut décider d’accorder des indemnités de rupture supérieures ou inférieures à ce délai de deux ans en fonction des circonstances spécifiques de la cause, et notamment de la durée de la relation.

La Cour d’appel relève en l’espèce que compte tenu de la durée de la relation contractuelle de douze ans et de l’absence de faute avérée de Monsieur D., le montant de l’indemnité prévue au contrat, qui est de 6 mois, est insuffisant.

En effet, les griefs formulés par la société X. entre 2009 et 2014 ne justifient pas selon la Cour de réduire le montant de l’indemnité de rupture en dessous de deux ans, compte tenu de leur étalement dans le temps et de leur caractère collectif (certains griefs concernant plusieurs agents) qui réduisent leur portée. A cet égard, il est intéressant de souligner que même en l’absence de faute grave commise par l’agent commercial, la Cour a examiné les différents griefs invoqués par la société X. à l’encontre de son agent commercial. Cette analyse était lourde de conséquences, puisque si les griefs s’étaient avérés fondés, ils auraient pu justifier une diminution du montant de l’indemnité de rupture.

C’est la voie qu’avait déjà suivie la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 30 mars 2017, en énonçant que bien qu’« il existe un usage reconnu qui consiste à accorder une indemnité correspondant à deux années de commissions » il convenait en l’occurrence « de s’écarter de cet usage » au regard des circonstances spécifiques de la cause. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris avait réduit à douze mois de commissions l’indemnité de rupture accordée à l’agent commercial en raison de la durée de la relation (7 ans) et des manquements constatés sur la dernière année (CA Paris 30 mars 2017 n° 15/15977).

En l’espèce, la Cour d’appel considère ainsi que la demande d’indemnité de Monsieur D., équivalente à 2 ans de commissions, s’avère fondée et fixe par conséquent le montant de l’indemnité de rupture à la somme de 162.085 euros. La clause prévoyant le montant de l’indemnité de rupture, bien que licite en soi, ne trouvera donc à s’appliquer qu’à la condition que « celle-ci assure la réparation intégrale du préjudice subi par l’agent commercial ».

Cette clause ne pourra donc en aucun cas limiter drastiquement le montant de l’indemnité de rupture pouvant être perçue par l’agent commercial. Il conviendra par conséquent de lier le montant de l’indemnité de rupture à la durée de la relation contractuelle par exemple, ou encore de prévoir les possibles minorations de ce montant en cas de faute non-grave de l’agent commercial.

En l’espèce, même en absence de faute grave commise par l’agent commercial, la Cour d’appel de Paris a en effet examiné les différents griefs soulevés dans le courrier de rupture ; il conviendra par conséquent, de pouvoir justifier de ces griefs afin de bénéficier d’une éventuelle minoration du montant de l’indemnité de rupture.

A rapprocher : CA Paris 30 mars 2017 n° 15/15977

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