Cession d’un réseau entre franchiseurs : validité et opposabilité aux franchisés

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ZANETTE Alissia

Avocat

CA Montpellier, 5 septembre 2017, RG n°15/04903

Même sans les formalités de l’article 1690 du Code civil, la cession des contrats de franchise au nouveau franchiseur est opposable aux franchisés qui ont accepté cette cession et continué d’exécuter le contrat de franchise.

Ce qu’il faut retenir : La société qui reprend la tête d’un réseau de franchise a valablement la qualité de franchiseur puisqu’elle a été créée à cette fin par les dirigeants de l’ancien franchiseur. Même sans les formalités de l’article 1690 du Code civil, la cession des contrats de franchise au nouveau franchiseur est opposable aux franchisés qui ont accepté cette cession et continué d’exécuter le contrat de franchise.

Pour approfondir : Une société qui exerçait une activité d’expertise et de création depuis 2003, a commencé à développer un réseau de franchise en 2006. En 2009, ses dirigeants (et associés) ont toutefois souhaité séparer leur activité d’expertise et de création de celle de franchiseur ; à cet effet, ils ont créé une nouvelle société pour gérer le réseau de franchise qui comprenait près d’une quinzaine de franchisés. En 2010, les contrats de franchise ont été cédés par l’ancienne société franchiseur à la nouvelle société créée pour cela et cette cession a été notifiée à tous les franchisés par LRAR. En 2011, l’un des franchisés du réseau a lui aussi souhaité se réorganiser : les associés de la société franchisée ont cédé leurs parts à une société tierce et les dirigeants de la société-mère sont également devenus les dirigeants de la société franchisée. Toutefois, le contrat de franchise en cause, signé en 2006, contenait plusieurs clauses affectées par ce changement structurel, dont une clause d’intuitu personae à l’égard du franchisé (ou plus exactement de la personne de la société franchisée, de ses associés et de ses dirigeants). Respectant les droits du franchiseur, l’acte de cession de parts de la société franchisée (qui évoquait l’existence du contrat de franchise et la nécessité d’obtenir l’agrément du franchiseur pour modifier les éléments sur lesquels portaient l’intuitu personae) contenait en annexe l’agrément – donné par l’ancien franchiseur et le nouveau franchiseur – à la cession de parts et au changement de dirigeants du franchisé.

Les difficultés sont apparues en 2012 lorsque le franchiseur a découvert que son franchisé semblait violer son obligation de non-concurrence et a résilié le contrat de franchise pour faute du franchisé avant de l’assigner. Pour se défendre, le franchisé a (notamment) soulevé deux arguments en lien avec la cession des contrats de franchise de l’ancien franchiseur au nouveau franchiseur : (i) l’absence de validité de la cession pour défaut d’expérience et de savoir-faire du nouveau franchiseur et (ii) l’inopposabilité de la cession pour non-respect des formalités de l’article 1690 du Code civil (signification au franchisé), et absence de date certaine faute d’enregistrement. La Cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement de première instance en rejetant ces deux arguments.

Sur la validité de la cession des contrats de franchise au nouveau franchiseur

La Cour a considéré que la nouvelle société pouvait valablement être le nouveau franchiseur du réseau dès lors que :

  • ses dirigeants et associés étaient les mêmes que ceux de l’ancienne société franchiseur ;
  • ces dirigeants associés ont animé la nouvelle société franchisée dès son immatriculation et lui ont ainsi fait bénéficier du savoir-faire et de l’expérience de l’ancienne société franchiseur ;
  • elle avait été constituée justement pour être le nouveau franchiseur et ainsi s’inscrire dans la volonté des dirigeants de scinder leurs activités ;
  • elle avait le même siège social que l’ancien franchiseur ;
  • elle a exercé son activité sous le nom commercial du réseau de franchise dès son immatriculation.

Sur l’opposabilité de la cession au franchisé

La Cour a considéré que, en dépit du fait que la cession n’ait été ni enregistrée, ni signifiée au franchisé, elle était pour autant opposable au franchisé dès lors que :

  • l’économie du contrat de franchise, la situation juridique et/ou économique du franchisé n’ont pas été modifiées ;
  • le franchisé a poursuivi sa relation commerciale avec le successeur de l’ancien franchiseur ;
  • la cession du contrat de franchise a été notifiée au franchisé par LRAR ;
  • en annexant à la cession de parts sociales de la société franchisée, une attestation de la nouvelle société franchiseur agréant ladite cession de parts, le franchisé a accepté de façon certaine et non-équivoque la cession du contrat de franchise au nouveau franchiseur ;
  • le franchisé a poursuivi l’exécution du contrat de franchise envers le nouveau franchiseur, notamment en lui réglant sa redevance ;
  • le franchisé s’est adressé au nouveau franchiseur dans le cadre des relations commerciales liées à la franchise.

Certes, dans cette affaire, les moyens de défense du franchisé n’avaient que peu de chance d’aboutir au regard des faits de l’espèce et des nombreux éléments, qui, pris ensemble, viennent affaiblir la position du franchisé.

Toutefois, cet arrêt a tout de même le mérite de mettre en évidence les différents indices susceptibles d’être pris en compte par les juridictions pour considérer que la cession du contrat est valable et opposable au franchisé cédé.

Reste à savoir si certains de ces critères pris isolément seraient toujours suffisants pour permettre d’aboutir à la même conclusion.

A rapprocher : Article 1690 du Code civil

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