De la bonne foi et de la loyauté au stade précontractuel dans les relations franchiseur-franchisé

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Réforme du droit des contrats

En s’interrogeant sur le thème (essentiel) : « De la bonne foi et de la loyauté au stade précontractuel », la réflexion peut s’organiser en deux volets…

En s’interrogeant sur le thème (essentiel) : « De la bonne foi et de la loyauté au stade précontractuel », la réflexion peut s’organiser en deux volets, à savoir :

  • le premier : le contrat de franchise est-il de gré à gré ou d’adhésion ? Ce qui nous conduira à envisager la notion de contrat d’adhésion, son régime, et l’influence que cette notion et ce régime devraient avoir sur le comportement du franchiseur et du franchisé dans la phase précontractuelle ;
  • le second : qui pose la question plus générale, de savoir si la réforme du droit des contrats modifie ou non, et si oui dans quelle mesure, la relation franchiseur-franchisé au stade précontractuel, ce qui nous conduira à examiner les problématiques liées à la bonne foi et à l’obligation générale d’information.

 


I/ LE CONTRAT DE FRANCHISE : DE GRÉ À GRÉ OU D’ADHÉSION ?

Il convient d’envisager les notions de contrat de gré à gré et de contrat d’adhésion, avant de souligner les particularités du régime du contrat d’adhésion.


A. LES NOTIONS DE CONTRAT DE GRÉ À GRÉ ET DE CONTRAT D’ADHÉSION

 

  • Nouvelles définitions légales (Article 1110 nouveau du code civil) :

« Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties.

Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».

La réforme introduit dans le code civil un article 1110 nouveau, qui distingue le contrat d’adhésion du contrat de gré à gré : « le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties » ; « Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».

Cette distinction est nouvelle dans le code civil, puisque le code napoléon n’envisageaient que les contrats de gré à gré ; le contrat d’adhésion, d’origine doctrinale, est apparu avec la révolution industrielle, pour appréhender les hypothèses – alors de plus en plus nombreuses – des contrats standardisés, dont le contenu émane d’un seul contractant, qui ne laisse à l’autre que la possibilité d’accepter ou de refuser en bloc son contenu.

Avant la réforme de 2016, l’inadéquation croissante entre le code napoléon – qui ignorait le contrat d’adhésion – et la prolifération de ces mêmes contrats a été comblée, pour partie, par le droit spécial (droit de la consommation ou droit de la concurrence) qui a édicté des dispositions d’ordre public destinée à protéger le contractant n’ayant pas rédigé le contrat d’adhésion.

Avec la réforme de 2016, il s’est agi de prendre la mesure du recours grandissant au contrat d’adhésion, en l’érigeant au rang des principales catégories du droit commun des contrats.

 

  • Les critères d’identification du contrat d’adhésion

Ce bref rappel étant fait, la question posée – le contrat de franchise est-il un contrat d’adhésion ou de gré à gré ? – conduit à reprendre les trois critères propres à distinguer le contrat d’adhésion du contrat de gré à gré, tels qu’ils sont aujourd’hui suggérés à l’article 1110 nouveau du code civil. Il convient de mettre de côté, tout en le signalant, les modifications que les sénateurs envisagent actuellement d’apporter à ce texte.

  • 1er critère : L’existence de « conditions générales »,
  • 2ème critère : La détermination des conditions générales du contrat par l’une des parties,
  • 3ème critère (complexe) : La soustraction des conditions générales du contrat à la négociation.

 

  • 1er critère : L’existence de « conditions générales »

Ce critère est au cœur de la définition de contrat d’adhésion.

Le contrat d’adhésion doit comporter des « conditions générales », mais la loi n’en donne aucune définition, pas plus d’ailleurs que le Rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance de 2016.

S’il appartiendra à la jurisprudence de définir ce que les « conditions générales » recouvrent au sens de ce texte, il paraît justifié de considérer, au regard de la ratio legis, que l’expression « conditions générales » inscrite à l’article 1110 nouveau du code civil :

  • ne désigne pas les « conditions générales » au sens formel, issue de la pratique, et qui ont donné lieu à une jurisprudence désormais codifiée à l’article 1119 nouveau du code civil,
  • mais s’entendent plutôt des « dispositions principales du contrat », c’est-à-dire des stipulations qui en concernent les aspects les plus fondamentaux. Telle est l’interprétation (à juste titre) consacrée par la doctrine.

 

  • 2ème critère : La détermination à l’avance des conditions générales du contrat par l’une des parties

Ce critère ne pose pas de difficulté significative, en tout cas pour ce qui concerne le contrat de franchise, lequel est rédigé par le franchiseur, qui le transmet au franchisé, avec le document d’information précontractuelle.

 

  • 3ème critère : La soustraction des conditions générales du contrat à la négociation

Ce critère est le plus complexe : les conditions générales du contrat doivent avoir été dit le texte « soustraites à la négociation ». Autrement dit, pour que le contrat soit d’adhésion, la négociation ne doit pas seulement être absente, elle doit être volontairement exclue. Cette nuance conduit à deux types de difficulté : L’une concerne le choix de la méthode à appliquer pour apprécier ce critère (a) ; l’autre concerne la charge de la preuve (b).

 

a) Les méthodes envisagées par la doctrine (qui emportent des conséquences pratiques importantes)

 

1ère méthode : l’application « en bloc » de l’article 1110 nouveau du code civil au contrat

La méthode : Selon cette 1ère méthode, le contrat (ici de franchise), il est considéré « en bloc » comme relevant soit de la catégorie du contrat d’adhésion, soit de celle du contrat de gré à gré. Autrement dit, l’entier contrat de franchise relève de l’une ou l’autre de ces deux catégories. Et pour faire le choix entre ces deux catégories, il est alors proposé d’appliquer l’adage Major pars trahit ad se minorem.

Par exemple, lorsque le franchisé a effectivement modifié des conditions majeures (ou centrales), il sera considéré que le contrat de franchise tout en entier participe d’un contrat de gré à gré, car la présence des autres clauses (non négociées) ne peut pas signifier que l’adhérent n’ait pas été en situation de pouvoir les discuter, puisque – précisément – il est avéré qu’il a effectivement exercé le pouvoir de négocier les clauses les plus décisives.

A l’inverse, lorsque le franchisé n’a effectivement modifié que des conditions mineures (ou périphériques), les partisans de cette méthode considèrent que le contrat de franchise est en bloc d’adhésion.

Critique/Faiblesses de la méthode : Le recours à cette méthode me semble critiquable, en tout cas discutable, à deux égards : i) tout d’abord, les critères distinguant les conditions majeures des conditions mineures sont flous ; et, on imagine déjà les parties se disputer sur le caractère « majeur » ou « mineur » de telle stipulation du contrat qui aura été négociée pour le faire entrer (ou l’exclure) de la notion de contrat d’adhésion ; ii) ensuite, l’adage Major pars trahit ad se minorem paraît injustifiée lorsque le franchisé n’a effectivement modifié que des conditions mineures, car il sera impossible de démontrer – dans cette hypothèse – que l’absence de modification des clauses majeures résulte d’une impossibilité de les négocier, en particulier lorsque le rédacteur de l’acte n’aura pas formellement exprimé un refus de négocier.

 

2nde méthode : l’application distributive de l’article 1110 nouveau du code civil

La méthode : Selon cette 2nde méthode, la qualification de contrat d’adhésion ou de contrat de gré à gré ne doit plus être attribuée – comme précédemment – en bloc au contrat. Le juge procède à une application distributive de l’article 1110 nouveau du code.

Ainsi, les stipulations négociées (modifiées) du contrat participent du contrat de gré à gré, tandis que les stipulations du contrat qui n’ont pu être négociées relèvent du contrat d’adhésion.

Bien-fondé de la méthode : Cette méthode nous semble préférable ; c’est la plus raisonnable au regard du régime du contrat d’adhésion.

 

b) La difficulté probatoire

Quelle que soit la méthode appliquée, une difficulté subsistera toujours sur le terrain probatoire.

Difficulté probatoire : En effet, si la qualification ne sera pas compliquée pour ce qui concerne les clauses effectivement négociées et les clauses qui n’ont pu être négociées, la qualification sera plus délicate pour ce qui concerne toutes les autres clauses : celles qui n’ont pas été modifiées, mais dont rien ne prouve qu’elles ne pouvaient l’être. Or, on l’a dit, pour que le contrat soit d’adhésion, la négociation ne doit pas seulement être absente, elle doit être volontairement exclue.

S’agissant des clauses qui n’ont pas été modifiées mais dont rien ne prouve qu’elles ne pouvaient l’être, appartiendra-t-il au rédacteur de l’acte (le franchiseur) de prouver que la négociation aurait pu s’exercer sur les conditions non négociées du contrat ; ou appartiendra-t-il – au contraire – au destinataire de l’acte (le franchisé) de prouver que la négociation était exclue ?

Il appartiendra ici encore à la jurisprudence de répondre à cette question. Il est permis d’émettre une opinion personnelle. Deux remarques : 1°/ Il me semble objectivement que l’absence de négociation ne peut signifier pas que la négociation était exclue ; il appartiendrait alors au franchisé de prouver qu’il n’a pas pu négocier telle ou telle clause du contrat ; et il pourra le faire par tous moyens. Mais l’on pressent également qu’il en faudra probablement peu pour parvenir à cette preuve, compte tenu de la nature du contrat de franchise. 2°/ il faut rédiger le contrat de franchise de manière claire et équilibrée, comme s’il était promis à être considéré comme un contrat d’adhésion ; et il le sera sans doute dans le plus grand nombre de cas.

→ Observation pratique : au regard de ce qui vient d’être dit sur ce troisième critère, les méthodes envisageables, et la question de la charge de la preuve et même si nous sommes encore dans une forme de prospective, ne partons donc pas de cette affirmation (que je crois fausse) que le contrat de franchise serait de gré à gré par le seul fait que le franchiseur aurait négocié telles ou telles clauses du contrat de franchise.

Les uns suggèrent de négocier le contrat, les autres suggèrent de feindre de le négocier. Je ne suis pas sûr que tout cela mène à grand-chose.

→ Observation pratique : En corolaire, le contrat d’adhésion ne doit pas être appréhendé comme un épouvantail ; un contrat ou un écueil à éviter.

Il est probable que, le plus souvent, le contrat de franchise sera un contrat d’adhésion ; il suffira alors de rédiger le contrat correctement, en considération du régime spécifique du contrat d’adhésion que nous allons maintenant aborder, à travers les deux facettes qu’il recouvre : la règle d’interprétation in favorem, et le caractère non écrit des clauses abusives qui toutes deux peuvent être maitrisées :

Le rédacteur d’acte devrait alors davantage, selon moi, de se focaliser sur elles, les traiter, en rédigeant un contrat clair et de nature à éviter la sanction du déséquilibre significatif.

 

B. LES PARTICULARITÉS DU RÉGIME DU CONTRAT D’ADHÉSION

Evoquons à présent le régime du contrat d’adhésion et – aussi – les conséquences pratiques que ce régime doit avoir sur le comportement des parties. 

 

  • L’interprétation in favorem (art. 1190 nouveau du code civil)

L’article 1190 nouveau prévoit que « dans le doute, (…) le contrat d’adhésion [s’interprète] contre celui qui l’a proposé ».

Cette règle n’était pas exprimée dans le Code civil, mais c’est tout de même la solution à laquelle était parvenue :

  • la jurisprudence (Cass. civ. 1ère, 22 oct. 1974, n°73-13.482) au terme d’une interprétation (parfois contestée) de l’ancien article 1162 du code civil, selon lequel : « Dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »
  • le droit spécial  (v., C. consom., art. L.211-1, al.2.).

Et, comme l’a déjà souligné le professeur Thierry Revet, cette règle n’est pas véritablement une règle d’interprétation, mais bien plutôt une règle de contrôle indirect du contenu du contrat d’adhésion. Ce texte devrait offrir au juge une possibilité d’en réécrire et compléter certaines stipulations.

 

→ Observation pratique : il convient, le cas échéant, de se ménager la preuve de l’existence et du contenu de la négociation du contrat de franchise.

→ Observation pratique : ce texte doit conduire à une rédaction plus détaillée des contrats relevant de la catégorie des contrats d’adhésion ou susceptibles d’y entrer, afin d’exclure le « doute », que l’article 1190 nouveau du code civil pose en condition préalable de la règle selon laquelle le contrat s’interprète contre celui qui l’a rédigé.

 

  • Le caractère non écrit des clauses abusives (art. 1171 nouveau du code civil)

Alinéa 1er

L’article 1171 alinéa 1er nouveau dispose : « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

Cette disposition est d’ordre public. Les critères d’appréciation du déséquilibre sont inspirés de ceux fixés dans le code de la consommation et résultent de la transposition de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives.

Le contrôle des clauses abusives, jusqu’alors limité au droit de la consommation (C. consom, art. L.132-1) et au droit de la concurrence (C. com., art. L.442-6), participe désormais du droit commun.

Le texte de l’ordonnance remplace la « suppression » de la clause abusive, présente dans le projet présenté en 2015, par le recours au « réputé non écrit », en réponse aux critiques de la doctrine arguant le caractère vague de la notion de suppression. De plus, alors que le projet initial prévoyait en l’alinéa 1er de son article 1169 qu’« une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée », l’article 1171 issu du texte définitif précise désormais que cette disposition ne s’applique que « dans un contrat d’adhésion ».

Le caractère abusif et la qualification de contrat d’adhésion sont deux conditions cumulatives du recours à l’article 1171 de la réforme (S. Gaudemet, Quand la clause abusive fait son entrée dans le Code civil, CCC n°5, mai 2016, p.27-31). Faisant droit aux critiques à juste titre formulées par la doctrine (Y. Lequette, Y aura-t-il encore en France, l’an prochain, un droit commun des contrats ?, RDC, 2015/3, p.620), la Chancellerie est ici revenue aux propositions déjà envisagées par les projets Terré et Catala : le juge ne dispose du pouvoir de réputer la clause non écrite, que lorsque cette clause n’a pas été négociée. Selon un principe similaire, la réforme limite ce pouvoir du juge aux clauses abusives des contrats d’adhésion, qui, par définition, ne sont pas négociés. Se pose alors ici une interrogation : qu’en est-il lorsque le contrat d’adhésion comporte quelques clauses qui ont pu être négociées, et que ce sont ces clauses qui, précisément, sont abusives ?

Les projets Catala et Terré précisaient que la clause, pour être réputée non écrite dans ce cadre, ne devait pas avoir été négociée. Selon l’ordonnance de 2016, dès lors que le contrat est qualifié « d’adhésion », toute clause de ce contrat semble pouvoir être réputée non écrite par le juge, sur le fondement de l’article 1171 du nouveau code civil. Il nous semble toutefois que la question pourra donner lieu à interprétation par la jurisprudence, par l’application distributive du texte de l’article 1110 nouveau du code civil, évoquée plus haut.

Alinéa 2ème

L’alinéa 2 de l’article 1171 nouveau du Code civil précise que l’appréciation du déséquilibre significatif « ne peut porter ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation », et ce afin d’éviter de sanctionner la lésion sur le fondement de cet article. Lésion que l’article 1168 nouveau du code civil : « Cette exclusion du contrôle du juste prix s’inscrit dans la lignée du refus de l’admission de la rescision pour lésion formulé au nouvel article 1168 ». Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement.

Les clauses traitant de l’objet du contrat ou du prix ne peuvent donc être écartées par le juge. Autrement dit, ces deux éléments, en effet, sont considérés comme ayant nécessairement été acceptés par l’adhérent.

Concours avec l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce : l’application de ce texte a vocation à écarter celle de l’article 1171 nouveau du Code civil.

→ Observation pratique : Toujours est-il que les clauses pouvant (potentiellement) relever de la catégorie des clauses créant un déséquilibre significatif (entre les droits et obligations des parties) doivent être MOTIVÉES, afin d’en  expliciter la RAISON D’ETRE, de manière didactique, et d’éviter la qualification injustifiée de déséquilibre significatif.

Exemple : la clause dite d’intuitu personae non réciproque

  • Contenu : il s’agit de la clause par laquelle il est indiqué, d’une part, que le contrat de franchise a été conclu en considération de la personne de la société franchisée, de son actionnaire et dirigeant et, d’autre part, à l’inverse, que le contrat de franchise n’a pas été conclu en considération de la personne de la société franchiseur, de son actionnariat ou de la personne de son dirigeant.
  • En présence d’une telle clause, le dirigeant de la société franchisée ne peut céder le contrôle sans l’accord du franchiseur, alors que l’inverse n’est pas vrai.
  • Certains considèrent encore, en dépit de la jurisprudence, qu’une telle clause ne serait pas valable en raison de l’absence de réciprocité.
  • Or :
    • Non seulement une telle clause n’est pas déséquilibrée car – en matière de franchise – le franchiseur a choisi un homme pour devenir franchisé, ce choix a été fait en fonction de sa capacité à dupliquer le savoir-faire ; le franchisé, quant à lui, a choisi une marque, une enseigne et un savoir-faire, qui survivent à la personne morale qu’est le franchiseur ou à celle de son actionnaire.
    • Mais elle est même protectrice des intérêts des franchisés qui demeurent dans le réseau, dans la mesure où ceux-ci appartiennent alors – grâce à la clause d’intuitu personae – à un réseau qui conserve en son sein des franchisés capables de dupliquer le savoir-faire et de respecter le concept.

 


II/ LA RELATION PRÉCONTRACTUELLE FRANCHISEUR-FRANCHISÉ

La réforme du droit des contrats introduit les articles 1112, 1112-1 et 1112-2 nouveaux au code civil qui concernent la phase précontractuelle. Il convient alors d’articuler le propos en envisageant successivement la bonne foi et l’obligation générale d’information. 


A. LA BONNE FOI


  • Textes

L’exigence de bonne foi a été étendue à l’ensemble de la phase précontractuelle.

Avant la réforme de 2016, l’article 1134 du code civil limitait l’exigence de bonne foi à la seule exécution du contrat : « Les conventions doivent être exécutées de bonne foi ».

L’ordonnance de 2016 l’a étendu :

  • d’une part, à la phase de négociation et de formation du contrat (C. civ., art. 1104 nouveau).

L’alinéa 1er de l’article 1104 nouveau du code civil dispose en effet : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

Conformément à la jurisprudence (Pour une vue d’ensemble, S. Tisseyre, Le rôle de la bonne foi en droit des contrats, PUAM, 2012. Adde, La bonne foi, Travaux de l’Association H. Capitant, 1994), l’ordonnance soumet à ce devoir impérieux tant la négociation du contrat que sa formation, au sens strict comme la phase de rencontre des volontés.

L’ordonnance étant supplétive de volonté, sauf disposition contraire, le 2ème alinéa de l’article 1104 (nouveau) du code civil ajoute aussitôt que le devoir de bonne foi est une disposition d’ordre public : « Cette disposition est d’ordre public ». En ce sens, cette précision évoque les Principes du droit européen du contrat (art. 1:202 (2), les Principes d’Unidroit (art. 1.7. (2)), les principes contractuels communs AHC-SLC (art. 0:301 al. 2) et, en son temps, l’une des versions du Projet de réforme Terré, qui comportait un article 5 énonçant que « les parties ne peuvent exclure ni limiter ce devoir ».

  • et, d’autre part, à la rupture des pourparlers (C. civ., art. 1112 nouveau).

L’article 1112 (nouveau) du code civil retient que « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres » et qu’« ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».

Ce faisant, la jurisprudence dégagée en matière de pourparlers se trouve consacrée : liberté d’initiative, de déroulement et de rupture des négociations sous réserve du respect du principe de bonne foi. La même remarque vaut pour les dispositions relatives à l’offre et à l’acceptation (art. 1113 à 1123 nouveaux).

L’exigence de bonne foi est désormais requise au titre de l’ensemble de la phase précontractuelle, au travers du triptyque : négociation du contrat, formation du contrat, et rupture des pourparlers.

 

  • Remarques

Quatre remarques s’imposent.

→ Remarque n°1 : « En droit pur, rien de nouveau » : la portée de ce texte peut paraître relative dans la mesure où l’ordonnance ne fait que figer dans la loi les principes que la jurisprudence appliquait jusqu’alors.

Le droit de la distribution et le droit de la franchise n’avaient évidemment pas échappé à ce mouvement général. Ainsi, par exemple, dans le droit de la distribution, la construction jurisprudentielle issue des arrêts Huard (Cass. com., 3 nov. 1992, Bull. civ. IV, n 338 ; JCP G 1993, II, 22164, note G.-J. Virassamy ; RTD civ., 1993, p. 124, n 7, obs. J. Mestre ; Juris-Data n 002431) et Chevassus-Marche (Cass. com., 24 nov. 1998, RTD civ., 1999, p. 98, obs. J. Mestre ; Defrénois, 1999, p. 371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, I, 143, obs. Ch. Jamin ; Juris-Data n 004489) et les décisions rendues dans les affaires General Motors (Com. 29 janvier 2008, F-P+B, pourvoi n 06-17.748) et Nouvelles Frontières (Trib. com. Bobigny, 29 janv. 2008, RG n 2007/F00373) ont montré toute la vigueur de cette notion. De même, par exemple, dans le droit de la franchise, la chambre commerciale de la Cour de cassation a reconnu de longue date l’existence d’une telle obligation dans la phase précontractuelle depuis un arrêt du 20 mars 1972 (Cass. com., 20 mars 1972, Bull. civ. IV, n 93 ; RTD civ., 1972, p. 779, note G. Durry). Cette solution a plusieurs fois été confirmée par la Haute juridiction (Cass. com., 8 nov. 2005, Juris-Data n 030701) et les juridictions du fond (CA Aix-en-Provence, 14 janvier 1997, Juris-Data n 040104), tout en étant approuvée par les auteurs (J. Ghestin, La responsabilité délictuelle pour rupture abusive des pourparlers, JCP G, 2007, I, 155 ; D. Mazeaud, La genèse des contrats : un régime de liberté surveillée, Dr. et patrimoine, juill.-août 1996, pp. 44 s., n 13 ; M.-J. Grollemund-Loustalot-Forest, L’obligation d’information entre contractants dans les contrats de distribution, RJ. com. 1993, pp. 58 suiv., n° 3 ; F.-L. Simon, Les manquements du franchisé à son obligation de bonne foi, LDR mai-juin 2009).

→ Remarque n°2 : l’exigence de bonne foi est stabilisée : l’exigence de bonne foi ne résulte plus de la jurisprudence, par nature susceptibles d’infléchissement voire de revirement. Consacrées par le code civil, ces solutions sont désormais stabilisées.

→ Remarque n°3 : l’exigence de bonne foi est davantage visible : inscrite dans le code civil lui-même, l’exigence de bonne foi devient plus visible, et son influence sera sans doute que plus grande.

→ Remarque n°4 : Certains aménagements contractuels restent utiles avec la réforme :

Je songe notamment à :

  • l’obligation d’exclusivité de négociation : par laquelle le candidat franchisé déclare avoir sollicité la remise du DIP de bonne foi, notamment sans intervenir pour le compte d’un tiers exerçant une activité de prospection et/ou de commercialisation de services. A compter de la date de remise du DIP, le Candidat s’oblige à n’engager aucune négociation avec tout tiers (personne physique ou morale) exerçant une activité de similaire à celle du franchiseur.
  • l’obligation de confidentialité : par laquelle le candidat franchisé est tenu à une stricte obligation de confidentialité. Il s’oblige à ne pas utiliser et/ou divulguer, de quelque manière que ce soit, les informations non publiques contenues dans le DIP et ses annexes à des fins autres que l’appréciation de l’opportunité de signer ou non le Contrat. En tout état de cause, le Candidat s’oblige à respecter lui-même et à faire respecter la confidentialité du DIP et de ses annexes par ses conseils, y compris dans l’hypothèse où le Contrat ne serait pas signé.

A noter que l’article 1112-2 Nouveau du code civil énonce désormais : « Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun ».

  • l’obligation de restitution : par laquelle le candidat franchisé s’oblige à restituer sans délai l’ensemble des informations constituées par le DIP et ses annexes, sans en avoir au préalable conservé tout ou partie en copie dans l’hypothèse où le Contrat de franchise ne serait pas signé. Cette obligation de restitution prendra effet le jour où l’une des parties aura indiqué à l’autre son intention de ne pas signer le Contrat.

 

B. L’OBLIGATION GENERALE D’INFORMATION


  • Texte

Est introduite l’existence d’un devoir général d’information (article 1112-1), d’ordre public. Une telle obligation précontractuelle d’information étant déjà largement admise en jurisprudence et diverses obligations d’information spécifiques figurant dans des lois spéciales (notamment en droit de la consommation), il est apparu opportun de consacrer dans le code civil de manière autonome, indépendamment du devoir de bonne foi, ce principe essentiel à l’équilibre des relations contractuelles, et d’en fixer un cadre général.

Selon l’alinéa 1er de ce texte, « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Quant à l’information concernée, qui est celle qui a une « importance déterminante », est davantage définie. L’alinéa 5ème de ce texte précise : « Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ». Le dernier alinéa précise que le manquement à ce devoir est sanctionné par l’engagement de la responsabilité de celui qui en était tenu, et qu’il peut également entraîner la nullité du contrat s’il a provoqué un vice du consentement – erreur ou dol : « Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».

Ainsi, les rédacteurs du texte ont considéré opportun d’intégrer dans le code civil, de manière autonome et indépendamment du devoir de bonne foi, une telle obligation précontractuelle d’information, essentielle à l’équilibre des relations contractuelles, qui était au demeurant déjà admise en jurisprudence.

 

  • Remarques

4 remarques s’imposent.

→ Remarque n°1 : « En droit pur, rien de nouveau » : sont simplement intégrées au code civil les solutions jusqu’alors dégagées par la jurisprudence. 

Remarque n°2 : L’information précontractuelle due par le franchiseur au franchisé.

Les franchisés disposent déjà, à travers les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, d’un texte spécial en vertu duquel une obligation générale d’information pèse sur les franchiseurs, s’y ajoute désormais ce texte général ; ces deux textes (général et spécial) ont vocation à se superposer.

Les franchisés pourraient ainsi se prévaloir d’une violation par le franchiseur :

  • du texte spécial ;
  • et/ou du nouveau texte général, ce d’autant que le texte général est d’application plus large que le texte spécial ; le texte général ne vise pas seulement les informations limitativement énoncées à l’article R. 330-1 du code de commerce mais, plus largement, toute information « dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » et ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er et 3ème (nouveau)).

Observation pratique : le contenu du DIP doit, en tant que de besoin, tenir compte de cette superposition des textes.

Remarque n°3 : Le devoir du franchisé de « se » renseigner

En visant l’adverbe « légitimement », l’alinéa 1er de l’article 1112-1 consacre le devoir de se renseigner qui pèse sur le cocontractant, ici le franchisé. Dans une précédente version, l’ordonnance prévoyait une obligation de donner à l’autre partie l’information que l’autre partie « connaît ou devrait connaître », ce qui revient finalement au même. La jurisprudence relative au devoir de se renseigner des franchisés (F.-L. Simon, Le devoir du franchisé de « se » renseigner (Etude d’ensemble), LDR 29 mai 2015) se trouve donc entérinée, et même renforcée.

Observation pratique : Le franchiseur fera bien de :

  • d’indiquer dans le DIP les coordonnées des membres du réseau ;
  • de laisser au franchisé le temps suffisant pour effectuer ses propres diligences et se renseigner ;
  • recommander au franchisé de réaliser une étude de marché.

Trois démarches à accomplir pour permettre au franchisé de se renseigner et, corrélativement, au franchiseur de se protéger durant la phase précontractuelle.

Remarque n°4 : L’information précontractuelle due par le franchisé au franchiseur

Tout franchiseur dispose désormais, dans le code civil, d’un texte de nature à justifier une action en responsabilité ou en nullité du contrat lorsque le franchisé ne lui a pas transmis une information « dont l’importance est déterminante pour » la tête de réseau et ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er et 3ème (nouveau)).

A signaler que le Code européen de déontologie de la franchise, évoque le devoir de loyauté pesant sur le franchisé quant aux informations qu’il fournit au franchiseur en vue d’être sélectionné ; selon le point 4) de ce code « le franchiseur sélectionne et n’accepte que les franchisés qui, d’après une enquête raisonnable, auraient les compétences requises (formation, qualités personnelles, capacités financières) pour l’exploitation de l’entreprise franchisée ». Selon la note (11) de ce code : « Le futur franchisé se doit d’être loyal quant aux informations qu’il fournit au franchiseur sur son expérience, ses capacités financières, sa formation, en vue d’être sélectionné ».

Il se pourrait que la jurisprudence rendue en application du nouvel article 1112-1 soit toutefois plus protectrice pour les franchiseurs.

Avant la réforme, le franchiseur butait trop souvent sur une question de preuve, en ne parvenant pas à prouver que l’information dont il avait été privé était véritablement déterminante de sa volonté de conclure le contrat de franchise. Et l’on sait bien qu’à cet égard les juridictions du fond peuvent considérer que telle ou telle information communiquée par le franchisé au franchiseur durant la phase précontractuelle n’entre pas nécessairement dans le champ contractuel, en particulier lorsque la teneur de cette information ne figure pas dans le contrat de franchise ou l’une de ses annexes (Trib. Com., Quimper, 20 février 2009, inédit).

Avec la réforme, il sera désormais possible au franchiseur d’engager utilement une action en responsabilité ou en nullité du contrat à l’encontre du franchisé qui n’aurait pas communiqué une information ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

Observation pratique : L’utilité des clauses de déclarations préalables subsiste : Ce dispositif nouveau ne fera pas disparaître la nécessité pour le franchiseur d’avoir recours aux clauses de déclarations préalables, notamment dans les réseaux de franchise (F.-L. Simon, La clause de « déclarations préalables » dans les contrats de franchise (Réflexion d’ensemble), LDR Mars-Avril 2015).

Il est vivement recommandé d’annexer au contrat de franchise les déclarations :

  • du franchisé, de son dirigeant, voire au besoin de ses actionnaires,
  • d’indiquer que ces déclarations ont une « importance déterminante » pour le consentement du franchiseur,
  • en rappelant que ces informations présentent « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

 

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