Comptes prévisionnels transmis à titre indicatif, et nullité du contrat de franchise

Cass. com., 13 septembre 2017, n°15-19.740

Si les comptes prévisionnels n’ont pas à figurer dans le document d’information précontractuelle, ils doivent, lorsqu’ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux. Il en va de même, selon la décision commentée, lorsque ces prévisionnels sont transmis « à titre indicatif ».

Ce qu’il faut retenir : Si les comptes prévisionnels n’ont pas à figurer dans le document d’information précontractuelle, ils doivent, lorsqu’ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux. Il en va de même, selon la décision commentée, lorsque ces prévisionnels sont transmis « à titre indicatif ».

Pour approfondir : En l’espèce, la société X, sous-franchiseur sur le territoire de la Réunion, signe le 5 août 2008 avec la société Y un contrat de franchise d’une durée de 9 ans. Ce contrat de franchise prévoit un droit d’entrée de 50.000 euros et une redevance mensuelle à la charge du franchisé égale à 6 % du chiffre d’affaires hors taxes.

La société franchisée est placée en liquidation judiciaire par jugement du 6 octobre 2010. Le 25 juillet 2011, le liquidateur judiciaire de la société franchisée assigne la société X en nullité du contrat de franchise et en paiement de la somme de 443.291,10 euros, correspondant notamment au droit d’entrée, aux redevances versées, aux pertes enregistrées au cours des 13 premiers d’exercice, à la perte du fonds de commerce et à la réparation de son préjudice moral. A titre subsidiaire, il sollicite le prononcé de la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société X et au paiement de la somme de 445.771,68 euros en application de la clause pénale insérée au contrat.

Par jugement du 26 décembre 2012, le Tribunal Mixte de Commerce de Saint-Denis prononce la nullité pour réticence dolosive du contrat signé le 5 août 2008 aux torts exclusifs de la société X, condamne cette dernière à payer au liquidateur ès qualité les sommes de 50.000 euros correspondant au droit d’entrée et de 63.498,10 euros au titre des redevances.

La société X interjette appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Saint-Denis qui, par arrêt du 21 janvier 2015, infirme ce jugement, en considérant que :

« Le prévisionnel communiqué par le franchiseur lors de la signature contrat n’avait qu’un caractère indicatif dès lors qu’il faisait état de redevances directes mensuelles à hauteur de 4% du CA HT alors que le contrat conclu entre les parties prévoyait des redevances mensuelles à hauteur de 6% du CA HT et que le loyer indiqué dans le tableau d’hypothèse d’exploitation faisait mention d’un loyer de 46.000 euros annuel alors que le loyer du franchisé était de l’ordre de 66.000 euros annuel ;
Que le gérant de la société [X], Monsieur M. était un homme d’affaires particulièrement avisé à la tête de plusieurs restaurants, dont deux sous franchise et de plusieurs sociétés, qu’avant de s’engager, il avait rencontré le franchiseur national en juillet /aout 2007 (un an avant la signature du contrat), lors d’un déplacement en métropole avec le sous franchiseur, son beau-père, M. L., déplacement au cours duquel il avait pu recueillir différentes informations sur la franchise ;
Que M M. avait aussi visité l’unité pilote du Port, qu’il avait ainsi pris connaissance de son fonctionnement, qu’il savait que la franchise LA BOUCHERIE venait d’être introduite à la Réunion et que son impact sur la clientèle locale restait à démontrer, que dans ce contexte, même si les dispositions de l’art L330-3 du code de commerce n’ont pas été respectées rigoureusement, la preuve d’une réticence dolosive n’est pas rapportée, qu’il y a lieu d’infirmer le jugement déféré qui a prononcé la nullité du contrat de franchise sur ce fondement ».

Par l’arrêt commenté, la haute juridiction casse l’arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis et retient par une formule catégorique : « Qu’en statuant ainsi, alors que si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d’information précontractuelle, ils doivent, lorsqu’ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux, la cour d’appel a violé les [articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce] ».

Cette solution appelle les observations suivantes.

En premier lieu, lorsque le franchiseur transmet des comptes prévisionnels au franchisé, ceux-ci doivent être sérieux. Cette solution, rappelée par la Cour de cassation, est parfaitement classique.

En deuxième lieu, cette solution s’impose encore lorsque les comptes prévisionnels sont transmis par le franchiseur « à titre indicatif ». En pratique, il arrive en effet que le franchiseur communique des comptes prévisionnels sous la forme d’un document portant l’une des mentions suivantes : « document non contractuel », « prévisionnel indicatif », « document indicatif », etc. Selon la décision commentée, l’apposition de ces mentions est sans portée sur les conditions de mise en œuvre de l’action en nullité du contrat. La solution est tout aussi classique.

En troisième lieu, une nuance peut être apportée à la remarque qui précède. Il ne faut pas se méprendre en effet sur la nature de la transmission « à titre  indicatif » de comptes prévisionnels qui, en pratique, peut correspondre à des situations sensiblement différentes les unes des autres. Lorsque le franchiseur indique avoir établi des prévisionnels correspondant au point de vente du franchisé, c’est-à-dire en connaissance de cause des éléments caractéristiques de ce point de vente (tels que notamment, l’emplacement, la zone de chalandise, le montant du loyer, etc.), cette transmission peut être à l’origine d’un dol, y compris lorsque le franchiseur a pris la précaution d’indiquer que ces prévisionnels étaient établis à titre indicatif.

En revanche, lorsque le franchiseur – situation plus rare en pratique, mais qui se rencontre parfois néanmoins – a établi un prévisionnel ne se rapportant pas spécifiquement au point de vente du franchisé, la formule selon laquelle le document est établi « à titre indicatif » prend alors un sens tout différent. Ici, la formule exprime l’idée selon laquelle le franchiseur n’a pas connaissance des éléments caractéristiques du point de vente du franchisé ; il établit comptes prévisionnels « en aveugle ».

Tel sera également le cas – par exemple – lorsque les comptes prévisionnels sont transmis sans connaissance du point de vente, ou pour un point de vente que le franchisé ne choisit finalement pas. Dès lors que les comptes prévisionnels sont présentés comme ne se rattachant pas au local dans lequel le franchisé exerce effectivement son activité, l’existence d’un vice du consentement paraît plus que douteuse.

A cet égard, la décision commentée nous semble avoir une valeur indicative …

En quatrième lieu, si la Cour d’appel avait motivé sa décision en retenant que les comptes prévisionnels transmis n’ont pu induire le franchisé en erreur – solution que retiendra peut être la cour de renvoi –, la Cour de cassation n’aurait très certainement pas cassé l’arrêt, les juridictions du fond disposant d’un pouvoir souverain dans l’appréciation de la réalité du vice du consentement.

En cinquième lieu, il appartient toujours au franchisé de démontrer, d’une part, le caractère erroné des comptes prévisionnels et, d’autre part, l’existence d’un vice du consentement. Affaire à suivre.

A rapprocher : Le devoir du franchisé de « se » renseigner (Etude d’ensemble – 29 mai 2015)

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