L’influence du « tiers » dans l’application de l’article L.442-6 du Code de Commerce

Cass. com., 3 mai 2016, n°15-10158 ; CA Paris, 24 mai 2016, n°15-11053 ; CA Paris, 20 mai 2016, n°13-12457

L’article L.442-6-5° du Code de commerce, qui engage la responsabilité de l’auteur de la rupture brutale des relations commerciales établies, pose la question de la place du tiers lorsqu’il intervient ou influence cette relation commerciale…

Ce qu’il faut retenir : L’article L.442-6-5° du Code de commerce, qui engage la responsabilité de l’auteur de la rupture brutale des relations commerciales établies, pose la question de la place du tiers lorsqu’il intervient ou influence cette relation commerciale. Il pose la question au juge, de l’existence de la « relation commerciale établie », de sa durée, et du caractère brutal de la rupture lorsqu’elle est due à un tiers. Il faut ainsi retenir de ces arrêts récents que le repreneur d’un fonds ne reprend pas la relation, et que la rupture d’une relation due à un tiers ne peut légitimer des dommages et intérêts pour le partenaire.

Pour approfondir : L’article L.442-6 du Code de Commerce, récemment modifié par la Loi LME du 4 août 2008, laisse décidément libre cours à l’interprétation. Si la jurisprudence n’est toujours pas exactement fixée sur l’interprétation de ses termes, elle l’est peut-être encore moins lorsque des circonstances et des acteurs extérieurs viennent s’y immiscer. Selon le 5° du I de l’article en question, engage la responsabilité de l’auteur, toute rupture partielle ou brutale des relations commerciales établies ; le flou juridique réside alors dans la détermination de cette  notion de « relation commerciale établie », et la question de sa durée.

Quand la relation commerciale peut-elle être jugée établie ? En cas de cession de fonds de commerce, la relation doit-elle être considérée comme se poursuivant entre le fournisseur et le cessionnaire, ou une nouvelle relation est-elle présumée démarrer ?

  • Pas de reprise de la relation par un tiers

Dans l’arrêt de la Cour de Cassation en question (Cass. Com., 3 mai 2016, n°15-10158), la Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait octroyé au cessionnaire des dommages et intérêts au titre de la rupture des relations, sur le fondement de l’article L.442-6-5°. Une société, cédante, à laquelle la société Expeditors avait confié un volume d’affaire depuis 2003, cède une partie de son fonds de commerce à une autre, cessionnaire, fin 2007. Sur quoi la cessionnaire se voit notifier par Expeditors la réduction immédiate des commandes. La cessionnaire l’assigne donc en rupture brutale des relations commerciales. La Cour d’appel souligne « la reprise du flux d’affaire de la société [cédante] avec la société Expeditors et qu’il s’agit d’une prestation identique, sans qu’il y ait eu interruption entre les deux flux d’affaire ». Que de plus, celle-ci avait connaissance de la cession du fonds de commerce et que les commandes d’Expeditors étaient mentionnées dans l’acte de cession. De là, elle juge que la cessionnaire est en droit de recevoir des dommages et intérêts, au titre d’une relation ayant commencé en janvier 2003.

Si l’on peut donc supposer que les critères de détermination de la durée et de l’existence d’une relation commerciale, lorsqu’un tiers devient partie, comprennent la continuité du flux des commandes, la stabilité de la relation (CA Rouen, ch. civ. et com., 9 déc. 2010, no RG 10/00274), la nature de la prestation, la connaissance par le distributeur de l’insertion de ce tiers dans l’équation, il convient de souligner que la Cour de cassation, in fine, juge que ce sont « des motifs impropres à établir que la société [cessionnaire], simple acquéreur d’un fonds de commerce, pouvait se prévaloir, à l’encontre de la société Expéditors de la durée de la relation commerciale initialement nouée entre cette société et le cédant du fonds ». Ainsi sonne finalement le glas pour les tiers qui auraient voulu bénéficier de la durée des relations antérieurement établies par le cédant, dans le calcul de leurs dommages et intérêts, mais aussi celui du préavis nécessaire à la rupture des relations.

Le repreneur de fonds n’est pas considéré comme repreneur de la relation (voir également CA Paris, 12 sept.2013, RG n°11/20191, et notre commentaire).

L’enjeu pour ces derniers est de taille puisque, toujours sur le fondement de l’article L.442-6-5°, les juges corrèlent la durée du préavis à respecter en vue de rompre les relations, à la durée de cette relation.

D’où l’enjeu, puisque la jurisprudence a pu aller jusqu’à condamner des sociétés qui avaient respecté le préavis conventionnellement prévu, sur le fondement de la responsabilité délictuelle sur ce fondement (Cass. com., 6 mars 2007, no 05-18.121)! Sans compter que « lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur ».

De la même manière, il semble qu’en cas de location-gérance, le propriétaire du fonds est dessaisi de l’exploitation, et les relations commerciales qu’ils avaient pu établir ne sont pas considérées comme se poursuivant (CA Paris, 13 mai 2016, n°14-06140).

La relation commerciale, pour être considérée comme « établie », doit en fait être directe entre l’une et l’autre partie. Ainsi, le tiers qui ne se prévaut que de la relation indirecte qu’il a avec une société ne peut alléguer une quelconque rupture des relations avec cette dernière (CA Paris, 6 mai 2016, n°15-13.802). En l’espèce, l’appelant « ne rapporte pas la preuve de l’existence, entre les parties, d’une relation commerciale établie, la mention de l’enseigne (…) sur certains connaissements ne démontrant pas la réalité des relations directes avec la société de transport ». Ainsi, la Cour le déboute de sa demande. Après une lecture extensive de l’article L.442-6 du Code de commerce, la jurisprudence vient (enfin ?) poser des limites à son application (voir aussi CA Paris, 13 avril 2016, n°14-23.718).

  • Rupture de la relation due au tiers

Le second enjeu qui peut être soulevé, lorsque des tiers interviennent au milieu d’une relation commerciale, concerne l’impact du tiers sur la rupture de la relation elle-même. Dans un arrêt du 24 mai 2016, la Cour d’appel de Paris juge en effet que la rupture des relations commerciales due au fait d’un tiers ne peut être considérée comme fautive. En l’espèce, la Cour juge que si Carrefour, client d’un des partenaires commerciaux, est responsable effectivement de la rupture des relations des deux partenaires, alors celui assigné « n’est en rien responsable d’une quelconque rupture » (CA Paris, 24 mai 2016, n°15-11053).

Pareillement, dans le cas d’un contrat de sous-traitance signé en vertu d’un second contrat principal avec un autre acteur, si ce dernier est résilié, peut-il vraiment y avoir rupture brutale des relations dans le cadre du contrat de sous-traitance ? La Cour d’appel de Paris répond par la négative dans un arrêt du 20 mai 2016, dans lequel Free avait missionné Alcatel de missions d’installation de matériel. Suite à la résiliation de ce contrat, la Cour a jugé irrecevable la demande du sous-traitant d’Alcatel, qui a vu de ce fait ses relations s’arrêter avec ce dernier (CA Paris, 20 mai 2016, n°13-12457).

A rapprocher : Cass. com., 25 septembre 2012, pourvoi n° 11-24.301, et notre commentaire ; Cass. com., 15 septembre 2015, pourvoi n°14-17.964, et notre commentaire ; Cass. Com., 7 octobre 2014, n°13/20390

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