La renonciation du franchiseur aux droits qu’il tient du contrat

Photo de profil - RICHARD Sandrine | Avocat associée | Lettre des réseaux

RICHARD Sandrine

Avocat associée

CA Lyon, 3 décembre 2015, n°15/05020 ; CA Amiens, 3 décembre 2015, n°15/02184

La renonciation du franchiseur à un droit qu’il tient du contrat de franchise ne se présume pas et doit être non équivoque (deux arrêts). Il est néanmoins vivement recommandé d’insérer une clause de tolérance  dans le contrat de franchise pour protéger le franchiseur contre certaines situations que la jurisprudence ne lui permet pas d’appréhender.

Ce qu’il faut retenir :

La renonciation du franchiseur à un droit qu’il tient du contrat de franchise ne se présume pas et doit être non équivoque (deux arrêts). Il est néanmoins vivement recommandé d’insérer une clause de tolérance dans le contrat de franchise pour protéger le franchiseur contre certaines situations que la jurisprudence ne lui permet pas d’appréhender.

Pour approfondir :

Parfois, pour s’affranchir de ses obligations, le franchisé soutient, en guise d’axe de défense, que le franchiseur a renoncé à l’exercice d’un droit qu’il tient du contrat de franchise. En pratique, l’argument est généralement avancé lorsque la validité de la clause considérée ne prête pas à discussion et que le franchisé n’a finalement pas d’autre choix que de soulever la renonciation du franchiseur à se prévaloir de son droit ; l’argument peut encore être soutenu alors même que la validité de la clause serait remise en cause, les deux types d’arguments n’étant pas exclusifs l’un de l’autre. La question est d’autant plus importante en pratique que le contrat de franchise comprend un nombre important de droits au bénéfice des deux parties, qui peuvent, au moins potentiellement, permettre au franchisé d’envisager un tel axe de défense dans toutes les hypothèses qui s’y rapportent. A titre d’exemple, et sans que cette liste soit limitative, le franchisé peut tenter d’invoquer la renonciation du franchiseur au bénéfice d’une clause non-concurrence applicable pendant le contrat (s’il exerce une activité similaire en marge du réseau), d’une clause non-concurrence post-contractuelle (s’il a décidé de rejoindre une enseigne concurrente), d’un droit de préemption (s’il cède son activité à un tiers), d’une clause d’arbitrage (si le franchisé préfère saisir les juridictions étatiques). La liste est longue.

I. Dans le premier arrêt commenté (CA Lyon, 3 décembre 2015, n°15/05020), le franchisé soutenait que le franchiseur avait renoncé au bénéfice d’une clause d’arbitrage. La décision commentée (CA Lyon, 3 décembre 2015, n°15/05020) retient fermement que la renonciation du franchiseur à un droit qu’il tient du contrat de franchise ne se présume pas et doit être « non équivoque ». Cette décision est intéressante à trois égards : elle est parfaitement fondée, et s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence trop souvent méconnue.

En droit, la renonciation est une manifestation de volonté unilatérale, par laquelle une personne éteint un droit dont elle est titulaire (Cass. civ. 1ère, 3 oct. 2000, n° 98-22132). L’existence de la renonciation, qui suppose une volonté abdicative, ne se présume pas et doit être non équivoque. Le caractère unilatéral de la renonciation et la perte qu’elle entraîne pour son auteur, expliquent que la renonciation ne se présume pas (Cass. civ. 1ère, 3 oct. 2000, n° 98-22132). Ces mêmes considérations justifient la nécessité que la volonté de renoncer soit exprimée « sans équivoque » (Cass. civ. 2ème, 20 juin 2002, n° 99-15135 ; Cass. civ. 1ère, 3 février 2004, n° 01-16083 ; Cass. com. 5 octobre 2004, n° 03-17757). Il y a là un principe (Cass. civ 2ème, 10 mars 2005, n° 03-11302) régulièrement appliqué par les juridictions du fond (CA Lyon, 16 sept. 2011, RG n° 10/07711 ; CA Chambéry, 7 juill. 2011, Juris-data n° 2011-015719 ; CA Paris, 24 févr. 1986, Juris-Data n°1986-021391).

Il ne s’ensuit pas que la renonciation ne puisse qu’être expresse : la jurisprudence admet la renonciation tacite, mais impose alors que la volonté de renoncer soit non équivoque (Cass. civ. 1ère, 3 février 2004, n° 01-16083 : « Vu l’article 1134 du Code civil ; Attendu que la renonciation à un droit ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté expresse ou tacite de renoncer ». Cette dernière exigence réduit les cas d’admission des renonciations tacites. La Cour de cassation impose aux juges du fond d’asseoir sur des circonstances précises, multiples et suffisamment révélatrices d’une volonté abdicative la décision de renoncer à un droit.

Ainsi, le seul fait d’être « resté taisant pendant trois années » ne suffit pas à établir une renonciation tacite (Cass. civ. 3ème, 1er avril 1992, Bull. civ. III, n° 115). N’est pas plus caractéristique d’une renonciation tacite « l’abstention prolongée pendant seize ans de toute réclamation amiable ou contentieuse alors [que le créancier] disposait d’un titre exécutoire qui lui aurait permis de procéder au recouvrement forcé » : la volonté non équivoque de renoncer suppose des « actes positifs » (Cass. civ. 2ème, 20 juin 2002, n° 99-15135 ; Cass. civ. 1ère, 3 février 2004, n° 01-16083 ; Cass. com. 5 octobre 2004, n° 03-17757).

II. Dans le second arrêt commenté (CA Amiens, 3 décembre 2015, n°15/02184), le franchisé soutenait également que le franchiseur avait renoncé au bénéfice d’une clause d’arbitrage.

La solution retenue est (logiquement) inverse à la précédente (d’où l’intérêt de ce commentaire groupé), dans la mesure où dans cette espèce, le franchiseur avait saisi la juridiction consulaire d’un litige entrant dans le champ d’application de la clause compromissoire, réalisant ainsi un acte positif propre à exprimer sa volonté abdicative : « Une jurisprudence constante admet que la renonciation à la convention d’arbitrage est licite et irrévocable sauf nouvel accord de volonté des parties. En l’espèce, alors que les clauses compromissoires insérées dans les contrats de franchise et d’approvisionnement visent notamment les litiges liés à l’exécution des dits contrats, CARREFOUR PROXIMITE France et CSF France ont assigné DISTRI-DORENGTS en paiement de redevances prétendues impayées devant la juridiction consulaire et la défenderesse s’est abstenue de soulever in limine litis l’exception d’incompétence tirée des clauses compromissoires. La saisine de la juridiction consulaire, nonobstant les clauses compromissoires et l’abstention par la défenderesse de soulever l’exception caractérisent l’intention des parties d’y renoncer. CARREFOUR PROXIMITE France et CSF France ne sauraient valablement prétendre que la saisine de la juridiction consulaire aux fins de recouvrer de simples créances commerciales n’impliquait pas de renonciation aux clauses compromissoires puisque un tel litige concerne l’exécution des contrats de franchise et d’approvisionnement et relevait des dites clauses. La circonstance que CARREFOUR PROXIMITE France et CSF France ont soulevé l’exception d’incompétence, en leurs qualité de défenderesse à l’action exercée par DISTRI-DORENGTS et Monsieur ROUSSEL est sans effet sur leur renonciation devenue irrévocable dans les deux procédures introduites à leur initiative et ce bien que le tribunal de commerce eut ordonné la jonction des trois procédures ».

III.Il est recommandé d’insérer dans le contrat de franchise une « clause de tolérance » par l’effet de laquelle il est précisé que :

  • la renonciation d’un droit par le franchiseur ne peut être qu’expresse (ajout utile si l’on rappelle que la jurisprudence admet la renonciation tacite dès lors que la volonté de renoncer est non équivoque (supra II°)) ;
  • le non-exercice par le franchiseur d’un recours contre le franchisé auquel il a droit en vertu du contrat de franchise n’affecte nullement son droit d’exercer le ou les recours auxquels il a droit en vertu du contrat de franchise pour tout autre manquement subséquent du même ordre ou différent, ou même pour celui qui n’a pas fait l’objet d’un recours ou d’une réclamation immédiate ;
  • la renonciation d’un droit par le franchiseur auprès d’un tiers (par exemple un autre franchisé), à la supposer établie, ne saurait valoir renonciation  au profit du franchisé.


Sommaire

Autres articles

some
La Minute des Réseaux #23 – La rupture brutale des relations commerciales imputable à l’ensemble des membres d’un même réseau de distribution
La rupture brutale des relations commerciales imputable à l’ensemble des membres d’un même réseau de distribution   La faute tirée de la rupture brutale des relations commerciales établies peut être attribuée à un ensemble de sociétés. Cette solution influe sur…
some
La Minute des Réseaux #22 – Le « Drop shipping » selon les nouvelles lignes directrices du 30 juin
Le « Drop shipping » selon les nouvelles lignes directrices du 30 juin   A la différence des anciennes lignes directrices de 2010, les nouvelles lignes directrices du 30 juin 2022 s’intéressent pour la première fois au mécanisme du « drop shipping…
some
La Minute des Réseaux #21 – La « Distribution duale » dans le nouveau règlement d’exemption n°2022/720 du 10 mai 2022
La « Distribution duale » dans le nouveau règlement d’exemption n°2022/720 du 10 mai 2022   La « distribution duale » correspond à l’hypothèse dans laquelle une tête de réseau vend des biens ou des services en amont, mais aussi en aval,…
some
La Minute des Réseaux #20 – Réseaux de distribution et places de marché selon le nouveau Règlement d’exemption n° 2022/720 du 10 mai 2022
Réseaux de distribution et places de marché selon le nouveau Règlement d’exemption n° 2022/720 du 10 mai 2022   Dans son arrêt Coty, la Cour de justice avait estimé qu’une interdiction de recourir à une place de marché ne constitue…
some
La Minute des Réseaux #19 – La publicité en ligne dans le nouveau Règlement d’exemption n° 2022/720 du 10 mai 2022
La publicité en ligne dans le nouveau Règlement d’exemption n° 2022/720 du 10 mai 2022   Dans le sillage de sa jurisprudence, la Commission consacre des développements volumineux intéressant la publicité en ligne (Comm., 17 déc. 2018, Aff. AT.40428 (Guess)).…
some
La Minute des Réseaux #18 – Le règlement d’exemption 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022
Le règlement d’exemption 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022   Le nouveau Règlement d’exemption (n°2022/720) de la Commission est entré en vigueur le 1er juin 2022 (Règlement d’exemption n°2022/720, art. 11, Publié au JOUE du 11 mai 2022).…