De l’interprétation des clauses de non-concurrence

Evolutions jurisprudentielles

Durant plusieurs années, les clauses de non-concurrence étaient interprétées par la jurisprudence sur la base d’un principe d’interprétation stricte.

1. Durant plusieurs années, les clauses de non-concurrence étaient interprétées par la jurisprudence sur la base d’un principe d’interprétation stricte (Cf. J. Mestre et D. Velardochio, Lamy sociétés commerciales, 2008, n° 1031).

Cette méthode résultait de ce que la stipulation portant limitation de concurrence était exclusivement envisagée en tant que restriction à différentes déclinaisons de la liberté, variables selon le contexte et les situations : liberté du travail, liberté du commerce et de l’industrie, liberté d’entreprendre, liberté de concurrence. Dans ce système, les tribunaux s’en tenaient à une lecture littérale des clauses, leur office consistant à donner la portée la plus étroite aux termes employés pour déterminer les actes et activités interdits par la clause, ainsi que le territoire et la durée d’efficacité ; et quand cette méthode ne leur paraissait pas suffisante pour préserver un espace minimum aux déclinaisons évoquées de la liberté, ils annulaient, totalement ou partiellement (réduction), l’interdiction de concurrence.

2. A partir des années 1980, la jurisprudence a engagé une évolution consistant à ordonner l’interprétation de la clause à partir de l’identification préalable de la finalité en vue de laquelle elle a été stipulée : les clauses de non concurrence ayant pour fonction « d’assurer la protection de la clientèle de leurs créanciers ou le savoir-faire par eux détenus, la portée que le juge assigne à l’interdiction doit assurer cet objectif » (M. Gomy, Essai sur l’équilibre de la convention de non concurrence, préface Y. Serra, Presses Universitaires de Perpignan, 2000, p. 167). L’avènement de l’interprétation téléologique des engagements de non concurrence (S. Schiller, « Les clauses de non concurrence dans les cessions de droits sociaux », Droit des sociétés, mars 2002, p. 9, n° 30.) est le résultat d’un souci accru d’efficacité de la protection du bénéficiaire de ces engagements (M. Gomy, op et loc cit ; S. Schiller, précit., p. 9, n° 29 : « Les juges doivent interpréter les contrats en recherchant l’intention des parties et ils s’efforceront donc de donner aux clauses de non-concurrence un effet plus important que la simple interdiction de pratiques déloyales ».). Ce souci est particulièrement marqué en droit des sociétés, ce qui conduit à relever que l’interprétation finaliste s’y manifeste et s’y développe plus que dans d’autres secteurs (« … l’interprétation des clauses de non-concurrence reste plus extensive en droit des sociétés que dans les autres matières, les juges y poursuivant une plus grande recherche d’efficacité » (S. Schiller, préc., p. 9, n° 31).). Désormais, la détermination de la portée d’un engagement de non concurrence, c’est –à- dire des types d’agissements qui entrent dans le champ de l’interdiction, est réalisée à partir du critère de la protection de la clientèle ou du savoir faire : tel acte du débiteur de l’engagement de non concurrence relève de la clause s’il est de nature à porter atteinte à la clientèle ou au savoir faire du créancier de cet engagement ; il sera d’autant plus couvert par l’interdiction que l’atteinte à la clientèle ou au savoir-faire sera grave ou caractérisée. L’interprétation finaliste, ou téléologique, se distingue donc de l’interprétation purement littérale en ce qu’elle n’a pas pour point de départ la lettre de la clause de non concurrence, mais sa raison d’être. Il s’ensuit que la détermination de son domaine d’autorité et d’efficacité n’est pas limitée au domaine que désignent, dans une lecture première ou immédiate, les seuls termes de la stipulation : « au-delà des termes employés, il s’agit, pour les tribunaux, en se basant sur la commune intention des parties, de donner à la convention de non concurrence une pleine efficacité, et ce aussi bien en matière sociale qu’en matière commerciale et civile » (M. Gomy, op et loc cit.). Sur cette base, il a, par exemple, été jugé que la clause de non concurrence faisant interdiction au cédant de parts sociales de solliciter directement ou indirectement, durant trois ans et sur le territoire métropolitain, les clients de la société dont il cédait les parts, prohibe non seulement les démarches positives de clientèle, mais encore la sollicitation indirecte consécutive à l’établissement de prix inférieurs de 15 % à ceux de la société dont les parts ont été cédées (Versailles, 1° juill. 1999, Kwadwo c/ SARL Arod, RJDA 1/99, n° 1171 ; D. 2000, Somm. P. 318, obs. Y. Picod).

3. Cette évolution a pour corollaire l’avènement et le développement de la condition de proportionnalité entre les interdictions que l’obligation de non concurrence fait à son débiteur et le bénéfice qu’en retire le créancier. D’une façon de plus en plus décisive (« Le critère de proportionnalité constitue aujourd’hui la condition de validité déterminante de la clause de non-concurrence » (Y. Serra, « Concurrence (Obligation de non concurrence) », Répertoire Commercial Dalloz, 2003, n° 99)), la validité de la clause de non concurrence dépend de l’existence d’un équilibre suffisant entre l’atteinte à la liberté du débiteur et la protection de l’intérêt du créancier (V. not. Cass. Com. 4 janv. 1994, n° 92-14121 ; Cass. Com. 16 déc. 1997, n° 96-10859; Cass. Civ. I°, 11 mai 1999, RJDA 8-9/99, n° 880 ; Cass. Com. 4 juin 2002, n° 00-15790 ; Cass. Com. 9 juillet 2002, n°00-18311 ; Cass. Com. 12 mars 2002, n° 99-762 ; Cass. Com. 17 déc. 2002, n° 99-14308).

Cette condition ne peut que rejaillir sur l’interprétation de la clause, dans le cadre de la méthode désormais dominante de l’interprétation finaliste. Lorsque les intérêts du créancier d’un engagement de non concurrence seraient gravement atteints par tel acte de concurrence du débiteur (au sens où ces intérêts s’entendent ici, à savoir la préservation de la clientèle ou du savoir-faire, non seulement l’existence du rapport de proportionnalité entre ces intérêts et la restriction de liberté du débiteur serait avérée, mais encore, l’acte considéré devrait nécessairement être inclus dans le champ de la prohibition. La condition proportionnalité joue bien un rôle dans l’interprétation finaliste de la clause de non concurrence.

4. L’évolution de la méthode d’interprétation et des conditions des clauses de non concurrence doit être également mise en relation avec les sanctions encourues en cas de violation. Ainsi qu’il a été relevé à propos des clauses de non concurrence dans les cessions de droits sociaux, « comme le régime de leur interprétation, les sanctions des violations de clauses de non concurrence en matière de cession de droit sociaux visent à assurer le maximum d’efficacité à ces clauses » (S. Schiller, précit., p. 9, n° 35). C’est pourquoi « la jurisprudence a très vite admis la possibilité de réaliser une exécution forcée en cas de violation d’une obligation (…) de non concurrence » (S. Schiller, précit., p. 9, n° 33).

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