Requalification d’une clause d’astreinte en clause pénale

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. civ. 2ème, 3 septembre 2015, pourvoi n°14-20.431, Juris-Data n°2015-019449

Le juge tient de l’article 12 du code de procédure civile le pouvoir de restituer leur exacte qualification aux actes sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, et peut donc requalifier une clause d’astreinte en clause pénale.

Ce qu’il faut retenir : Le juge tient de l’article 12 du code de procédure civile le pouvoir de restituer leur exacte qualification aux actes sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, et peut donc requalifier une clause d’astreinte en clause pénale.

Pour approfondir : Pour comprendre la portée de cette décision, il convient de rappeler les intérêts pratiques de la distinction entre ces deux types de clauses, d’apprécier dans quelle mesure le juge peut effectivement procéder à la requalification d’une clause d’astreinte en clause pénale, puis d’envisager quelques situations mises en perspective.

I. Intérêts pratiques de la distinction entre ces deux types de clauses

Rappelons tout d’abord que la clause d’astreinte et la clause pénale se différencient essentiellement sur deux points – leur finalité et l’exercice par le juge de son pouvoir modérateur –, qui l’un comme l’autre emportent des conséquences pratiques bien précises.

Quant à leur finalité : la clause pénale remplit une fonction indemnitaire, qui résulte de l’article 1152, alinéa 1er du code civil lui-même (« Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre ») et de la définition qu’en donne régulièrement la cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 10 oct. 1995, n° 93-16.869, Bull. civ., I, n° 347 : la définissant comme « la clause d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée »).

A l’inverse, la clause d’astreinte ne poursuit aucune fonction indemnitaire, comme l’indique d’ailleurs expressément l’article L.131-2, alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution (« L’astreinte est indépendante des dommages-intérêts »).

Cette différence entre les deux notions est importante au plan pratique car le bénéficiaire de la clause pénale peut toujours agir en exécution forcée, dès la simple constatation du manquement du débiteur, alors que le bénéficiaire de l’astreinte doit attendre que celle-ci soit liquidée ; de plus, le bénéficiaire de l’astreinte pourra demander en plus des dommages et intérêts (Cass. civ. 2ème, 2 déc. 1992, n°91-16.618, Juris-Data n°1992-002701).

Quant à l’exercice par le juge de son pouvoir modérateur : le montant de la clause pénale peut être révisé par le juge, conformément à l’article 1152, alinéa 2 du code civil (« Néanmoins, le juge peut même d’office modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite »).

A l’inverse, le montant de la clause d’astreinte ne peut pas être révisé par le juge, seule l’astreinte provisoire pouvant être réduite conformément à l’article L.131-4, alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution (« Le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter »).

Autrement dit, la somme prévue par les parties dans la clause d’astreinte (non provisoire) s’impose tant aux parties qu’au juge (CA Paris, 10 sept. 2008, Juris-data n° 2008-371740), le rôle du juge se limitant en définitive à contrôler que les conditions d’application de la clause sont remplies.

II. Requalification d’une clause d’astreinte en clause pénale

En l’espèce, l’arrêt objet du pourvoi (CA Nîmes, 3 avr. 2014) avait retenu qu’aucune astreinte ne pouvait donner lieu à une mesure d’exécution forcée avant sa liquidation, que cette astreinte soit prononcée par un juge ou qu’elle soit convenue entre les parties dans un acte pour assurer l’exécution d’une obligation de faire.

Selon la deuxième chambre civile de la cour de cassation (Cass. civ. 2ème, 3 sept. 2015, n°14-20.431, Juris-Data n°2015-019449) en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse s’analysait en une clause pénale qu’il lui appartenait de qualifier et d’apprécier, la cour d’appel, investie des pouvoirs du juge de l’exécution, a violé l’article 12 du code de procédure civile et l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution et l’article 1152 du code civil.

III. Perspectives

En présence d’un contrat de distribution, il peut s’avérer particulièrement opportun d’insérer une clause pénale dans plusieurs hypothèses, et notamment en cas :

  • de non-respect par le distributeur de son obligation de non-concurrence post-contractuelle(CA Lyon, 4 déc. 2014, Juris-Data n°2014-03062 ; CA Paris, Pôle 5, chambre 3, 19 nov. 2014, Juris-Data : 2014-028497 ; CA Aix-en-Provence, 24 sept. 1998 : Juris-Data n°1998-046926)
  • de non-respect par le distributeur de son obligation de non-affiliation(CA Paris, 12 sept. 1997 : Juris-Data n°1997-023002),
  • de non-respect par le distributeur de son obligation de cesser l’usage des signes distinctifs postérieurement à la cessation du contrat de distribution (CA Colmar, 30 octobre 2013, RG n°12/03546),
  • de non-respect par le distributeur de son obligation de confidentialité(CA Lyon, 22 janv. 2004 : Juris-Data n°2004-237515),
  • de cession par le distributeur de son contrat de distribution ou de son fonds de commerce en violation de la clause d’agrément(CA Paris, 25 juin 2009 : Juris-Data n°2009-011672),
  • de résiliation du contrat de distribution (CA Caen, 15 janv. 2009 : Juris-Data n°2009-003040).

En présence d’une clause pénale, le pouvoir modérateur du juge reste d’application raisonnable.

Si le montant de la clause pénale est réduit lorsque – le plus souvent – la violation de l’obligation a été réalisée sur une période de temps limitée (v. par ex. : CA Lyon, 11 février 2000, Juris-Data 2000-151453), le juge ne peut user de son pouvoir modérateur que si le montant de la clause pénale est « manifestement » excessif ou dérisoire. Par exemple, le juge (CA Lyon, 4 déc. 2014, Juris-Data n°2014-03062) écarte la demande de révision sollicitée par le franchisé et le condamne, en conséquence, au paiement de la somme de 160.000 euros par suite de la violation de non-concurrence post-contractuelles prévue par le contrat de franchise. De même, le franchisé ayant violé son obligation de non-concurrence en exploitant le fonds sous une autre enseigne du 1er septembre 2010 au 14 avril 2011, se voit-il condamné (CA Paris, Pôle 5, chambre 3, 19 nov. 2014, Juris-Data : 2014-028497) au paiement du montant de la clause pénale, égale à 25 jours de chiffre d’affaires, soit 152.449 euros.

A rapprocher : Cass. soc., 26 juin 2010, n°09-14.123 ; Juris-Data 2010-010738 ; RDC 2011, p. 47, obs. J.-M. Laithier

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