Les mystères de la clause d’« objectif minimum »

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Dans tout contrat de distribution, les parties peuvent insérer une clause d’« objectif minimum » qui consiste à imposer à son débiteur la réalisation d’un objectif et à prévoir certaines conséquences.

Dans tout contrat de distribution, quelle qu’en soit la nature, les parties peuvent insérer une clause d’« objectif minimum » qui consiste à imposer à son débiteur la réalisation d’un objectif, et à prévoir certaines conséquences, variant selon que le résultat a été atteint ou non : cette clause a une vertu incitative à la recherche de la performance.

Ces clauses sont fréquentes dans les contrats internationaux. L’analyse de la jurisprudence, dont il sera ici question, permet d’alimenter la réflexion du praticien – qu’il soit rédacteur d’acte ou opérationnel –, de cerner les améliorations pouvant être apportées à la rédaction des clauses figurant dans les contrats en cours ou, a fortiori, d’inciter l’insertion de telles clauses dans les contrats qui n’en comprendraient pas.

Pour avoir les idées claires, et présenter les choses de la manière la plus simple qui soit, sans dénaturer le sens et la portée des nombreuses décisions rendues en la matière, il convient d’organiser notre propos en distinguant les conditions nécessaires à leur mise en œuvre (I) et les conséquences qu’elles sont susceptibles d’engendrer (II). Enfin et surtout, ce rappel conduira à mieux comprendre les principes essentiels issus de la technique contractuelle, qui permettent d’optimiser l’efficacité des clauses d’« objectif minimum » appelées à figurer dans les contrats de distribution (III).

I. Les conditions nécessaires à la mise en œuvre des clauses d’« objectif minimum »

Il convient de distinguer les deux catégories de conditions nécessaires à la mise en œuvre des clauses d’« objectif minimum » : envisageons tout d’abord les conditions de validité, qui s’apprécient lors de la conclusion du contrat, puis les conditions d’applicabilité, qui s’apprécient au moment où les parties entendent en faire application.

Pour ce qui concerne les conditions de validité, la jurisprudence est relativement ancienne : la validité de principe de la clause d’objectif minimum a été admise par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts (Cass. com., 7 déc. 1993 : n° 91-21.711 ; Cass. com., 21 mai 1996 : n° 94-17.452).

La validité d’une telle clause nécessite toutefois la réunion de trois caractéristiques :

– en premier lieu, l’objectif minimum à atteindre inséré dans le contrat doit être prévu par les parties conformément à l’article 1174 du Code civil, selon lequel « Toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ». Autrement dit, il ne peut appartenir à une seule personne de fixer les conditions d’une opération contractuelle ;

– en deuxième lieu, les objectifs à atteindre doivent également être « atteignables ». En effet, la validité de ces clauses suppose que les objectifs soient raisonnables (Cass. com., 13 mai 1997, n°95-14.035, Juris-Data n°1997-002082) et appliqués de manière non discriminatoire (Cass. com., 1er févr. 1994, n°92-16.021). La jurisprudence sanctionne les clauses de minimum quand elles apparaissent comme disproportionnées (Cass. com., 13 mai 1997, Juris-Data n°1997-002082). De même, la Cour de cassation dans un arrêt du 29 janvier 2008 a sanctionné la clause d’objectifs au visa de l’article 1112 du Code civil, sur le fondement du vice de violence : la Chambre commerciale a jugé que devait encourir la cassation l’arrêt qui condamne un franchisé à des dommages et intérêts pour non-réalisation des objectifs contractuels, alors qu’aurait dû être recherché, ainsi que cela avait été demandé, si les objectifs commerciaux n’avaient pas été imposés au distributeur exclusif de façon abusive et disproportionnée eu égard à l’importance du territoire concédé (Cass. com., 29 janv. 2008, n°06-20.808, Juris-Data n°2008-042625) ;

– en troisième lieu, ce résultat minimum à atteindre doit être déterminé de manière objective (Cass. com., 7 avr. 1998, n° 96-15.303 ; Cass. com., 16 déc. 1997, n 96-14.515 ; Cass. com., 7 févr. 1995, n°93-11.378, Juris-Data n°1995-000177). Ainsi, a-t-il été jugé par exemple qu’un objectif indéterminé ne pourrait donner lieu à sanction dès lors qu’il ne serait pas certain (CA Paris, 20 avril 2000, Juris-Data n°2000-112577).

La réunion de ces conditions de validité ne suffira parfois pas à autoriser la mise en œuvre de telles clauses. En effet, la clause d’« objectif minimum » ne pourra être appliquée dans certaines hypothèses particulières, à savoir notamment lorsque :

– la tête de réseau a empêché la réalisation des objectifs (Cass. com., 9 oct. 2007, pourvoi n°05-14.118) ;

– les objectifs auraient dû être redéfinis en raison de l’évolution particulière de la conjoncture (CA Paris, 29 mars 2012, Juris-Data n°2012-009002 (solution discutable)) ;

– le contrat a été renouvelé malgré la non-réalisation des objectifs. La résiliation d’un contrat pour non-réalisation des objectifs de vente peut être injustifiée lorsque le contrat a été renouvelé alors que les objectifs n’avaient pas été atteints (CA Paris, 4 mai 2000, inédit).

II. Les conséquences engendrées par les clauses d’« objectif minimum »

Lorsqu’il est ainsi acquis que la clause d’« objectif minimum » peut s’appliquer, il convient alors d’envisager les deux catégories de conséquences pouvant en résulter ; il s’agit de conséquences « négatives », lorsque la non-atteinte des objectifs est créatrice de droit pour le créancier de l’obligation, et de conséquences « positives », lorsque l’atteinte des objectifs est créatrice de droit pour le débiteur de l’obligation. Plusieurs types de sanctions peuvent être prévus par le contrat pour le cas où l’objectif à réaliser n’a pas été atteint :

– la résiliation anticipée, sanction relativement classique (Cass. com., 16 déc. 1997 : n° 96-14.515 ; Cass. com., 21 mai 1996 : n°94-17.452),

– le non-renouvellement du contrat (un tel dispositif, quoiqu’il se rencontre parfois en pratique, ne constitue pas véritablement, en tant que tel, une sanction, dans la mesure où, dans tout contrat à durée déterminée, les parties disposent du droit (fondamental) de ne pas être contraintes de le renouveler),

– l’octroi de pénalités, généralement égales à un pourcentage de la différence entre l’objectif minimum et le résultat effectivement atteint,

– la perte d’exclusivité ou la réduction du territoire exclusif (v. en ce sens, CJCE 30 avr. 1998, aff. C-230/96, Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA c/ Arnor Soco SARL),

– le rachat du distributeur défaillant, entendons :

  • soit du fonds de commerce,
  • soit des parts sociales composant le capital social de la société distributrice, ce qui implique, pour le créancier de l’obligation, de bénéficier d’un call, prévu dans les statuts de la société ou dans un pacte d’associés.

De même, plusieurs types d’avantages peuvent être conférés au distributeur par le contrat lorsque l’objectif à réaliser a été atteint ; on évoquera notamment :

– l’extension de la zone donnée en exclusivité,

– la réduction de la redevance,

– la prorogation ou le renouvellement automatique du contrat.

III. Le rôle de la technique contractuelle

Le rédacteur d’acte devra veiller au respect des principes ainsi dégagés par la jurisprudence. Surtout, pour permettre à la tête de réseau de disposer d’une grande souplesse dans l’application de la clause, plusieurs réflexes doivent guider la rédaction ; citons trois règles parmi d’autres :

1°) La tête de réseau doit pouvoir disposer du choix de la sanction applicable ; il est par exemple souvent inopportun de prévoir que la rupture anticipée du contrat constituera l’unique sanction applicable, celle-ci ayant le plus souvent un impact négatif sur les deux partenaires ; la tête de réseau devra, au contraire, pouvoir mettre en œuvre, à son choix, la sanction la plus adaptée à la situation du moment. La rédaction de la clause doit donc lui permettre d’effectuer un tel choix.

2°) Le contrat doit offrir une certaine cohérence ; lorsque le distributeur dispose de la faculté d’ouvrir un grand nombre de points de vente, il sera recommandé de prévoir un plan de développement, auquel sont associés plusieurs catégories de sanctions, distinctes et proportionnées à l’ampleur de l’échec constaté.

3°) Le contrat doit offrir une certaine efficience ; il sera recommandé d’assortir les sanctions ainsi envisagées de garanties suffisantes pour en permettre l’application effective.

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