L’efficacité des pactes d’actionnaires

Lokotilova Yulia

Juriste

Stabilité du capital et de l’actionnariat, contrôle de l’entreprise ou des modalités de son transmission, tels sont les objectifs le plus souvent poursuivis par les dirigeants dans les pactes d’actionnaires.

Avertissement : depuis la publication de cet article, le 1er décembre 2008, la loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite Loi Macron) a introduit les articles L.341-1 et L.341-2 au code de commerce. Il est interessant d’observer que l’article L.341-1 du code de commerce n’est pas applicable au contrat de société : Cliquez ICI pour une étude d’ensemble des articles L.341-1 et L.341-2 du code de commerce

L’efficacité des pactes d’actionnaires

Introduction

Stabilité du capital et de l’actionnariat, contrôle de l’entreprise ou des modalités de son transmission, tels sont les objectifs le plus souvent poursuivis par les dirigeants dans les pactes d’actionnaires.

Fréquemment, les actionnaires d’une société ou, plus couramment, certains d’entre eux concluent, en dehors des statuts ou au sein de ceux-ci, des conventions, appelées pactes d’actionnaires, par lesquelles ils cherchent à régler, généralement, pour une longue période, le contrôle de la conduite des affaires et de la composition du capital de leur société.

Les pactes extrastatutaires sont légions dans les sociétés. On rencontre ces pactes dans toutes les formes de sociétés mais ils sont plus fréquents dans les sociétés par actions simplifiées (SAS) ou les sociétés en commandite par actions que dans les SARL ou les sociétés de personnes. En effet, dans les sociétés autres que par actions, la personnalité des associés est déjà largement prise en compte par les statuts et les relations entre associés, qui sont souvent peu nombreux et ne nécessitent généralement pas de conventions particulières. Les pactes extrastatutaires se sont développés en réaction à une législation trop pointilliste et rigoureuse laissant très peu de marge de manœuvre aux hommes d’affaires soucieux de contrôler le fonctionnement et la composition du capital de leur société. Pendant longtemps, les pactes extrastatutaires ont été préférés aux pactes statutaires. En effet, les statuts des sociétés commerciales se prêtaient peu aux pactes d’actionnaires. Seule la société civile était fréquemment utilisée en raison de la grande souplesse de ses statuts, mais cette forme sociale est réservée aux activités civiles, à l’exclusion des activités commerciales (art. 1845 C.civ.). Depuis quelques années, on assiste à un renouveau indéniable des pactes statutaires. Le législateur, par son intervention, a favorisé leur essor. En effet, il a introduit dans notre droit la société par actions simplifiée (SAS), propice à la conclusion des pactes statutaires en matière commerciale. Réservées initialement aux grandes entreprises, les conditions d’accès et de constitution des SAS ont été assouplies, notamment par la loi NRE de 2001, permettant ainsi un accès important aux conventions statutaires. Par ailleurs, le régime de la SA a également été amélioré en ce sens. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, la généralisation dans notre droit de nouvelles formes de sociétés (SAS) et de nouvelles techniques (actions de préférence), plus souples et autorisant l’insertion dans les statuts des clauses que l’on trouvait généralement dans les pactes extrastatutaires n’a pas supprimé ces derniers. La supériorité des pactes statutaires, dont le non-respect peut être sanctionné par la nullité, n’a donc pas fait disparaître les pactes extrastatutaires dont la violation se résout, en principe par le versement des dommages et intérêts.

A cela deux raisons principales. En premier lieu, la confidentialité des pactes d’actionnaires extrastatutaires si chère aux hommes d’affaires; en effet pour publier certaines clauses au greffe du tribunal de commerce restera toujours rédhibitoire pour de nombreux chefs d’entreprise. En second lieu, les pactes d’actionnaires n’ont pas forcement vocation à concerner tous les associés d’une société et toutes les formes de sociétés n’autorisent pas la création d’actions de catégories différentes permettant d’obtenir ce traitement différencié. Les pactes extrastatutaires autorisent des accords à géométrie variable que les pactes statutaires ne permettent pas toujours. Les actionnaires disposent donc, au travers des pactes statutaires et extrastatutaires, de modalités complémentaires pour traduire les droits et obligations qu’ils souhaitent accorder ou s’imposer mutuellement. L’utilité des pactes d’actionnaires est aujourd’hui unanimement admise. Ils expriment la vitalité du phénomène contractuel en droit des sociétés. Tout l’intérêt des pactes d’actionnaires réside en effet dans la liberté que la technique contractuelle procure. Aussi leur objet peut-il être fort modeste ou remarquablement ambitieux : organisation d’une opération ponctuelle, aménagement des règles spécifiques à certains associés, exploitation de convergences temporaires, structuration durable d’une stratégie commune ou, dans d’autres circonstances, définition d’un modus vivendi entre groupes rivaux. En pratique, les pactes jouent un rôle essentiel. Ils constituent, le plus souvent en marge des statuts une variable d’ajustement indispensable au bon fonctionnement des sociétés, un ordre sous-jacent, parfois occulte, facilitant les relations entre associés (et, à défaut, la clause compromissoire quasi systématique dans les pactes d’actionnaires ouvre la voie à un mode de règlement des conflits rapide, discret et efficace). Ce remarquable foisonnement ne repose pourtant que sur le simple principe de du consensualisme énoncé à l’article 1134 du code civil. Les instruments juridiques employés sont d’une banalité notable : pactes de préférence, promesses unilatérales, clauses pénales, simples obligations de faire…Ils suffisent cependant à ouvrir un vaste champ expérimental – certes, parfois juridiquement douteux- dont témoigne l’extrême diversité des pactes d’actionnaires.

C’est précisément cette diversité qu’il convient dans un premier temps d’évoquer en dressant une typologie descriptive et dénuée de prétention à l’exhaustivité (I). Le caractère récurrent des principaux mécanismes juridiques employés permettra ensuite d’étudier, de manière relativement unitaire, la licéité et la portée des pactes d’actionnaires (II).

 

I. Diversité des pactes d’actionnaires

La diversité des pactes d’actionnaires permet d’opérer des classifications variées. Mais foncièrement, une ligne de partage se dessine entre les pactes relatifs au capital qui tendent à encadrer l’obtention ou le maintien de la qualité d’associé (§.1) et ceux relatifs aux droits politiques et financiers attachés à cette qualité (§.2).

 

§.1. Pactes relatifs à la qualité d’associé

Certains pactes, les plus fréquents en pratique, définissent les conditions dans lesquelles sont susceptibles de s’opérer les cessions de droits sociaux au sein de la société ou avec des tiers (A). D’autres, plus spécifiques, tendent à encadrer les conditions dans lesquelles un associé réalise la cession de ses titres (B).

 

A. Clauses relatives aux conditions de détention des droits sociaux

Les pactes d’actionnaires permettent d’enserrer la détention du capital dans un maillage contractuel dense. Certaines clauses tendent à cristalliser la répartition des droits sociaux (1), d’autres à exercer un contrôle de leurs mouvements (2)La clause de ratification stipule que tout nouvel associé devra adhérer au pacte. Elle permet d’étendre au dernier vivant le ou les pactes d’actionnaires extrastatutaires conclus antérieurement à son entrée dans la société. Sans cette ratification, les pactes lui auraient été inopposables en vertu de l’effet relatif des conventions (art. 1165 C. civ.). La clause de ratification peut consister en une promesse de porte-fort par laquelle le cédant s’engage à obtenir la ratification du cessionnaire. En amont, elle peut aussi imposer qu’aucune cession n’ait lieu sans ratification préalable du cessionnaire.

 

1) Clauses assurant la cristallisation des participations

Ces clauses ont vocation à figer pendant un laps de temps donné les participations au sein de la société afin d’empêcher toute remise en cause incontrôlée des équilibres pré-établis. Selon les cas, ces clauses ont pour objet soit d’interdire toute cession ou acquisition de titres, soit de prévenir tout dépassement ou tout recul par rapport à un certain niveau de participation.

 

La clause d’inaliénabilité a pour objet d’interdire la cession des titres sur lesquels elle porte. Un actionnaire majoritaire peut ainsi s’engager auprès d’un actionnaire minoritaire à ne pas céder ses titres tant que celui-ci demeure dans la société, sauf accord préalable de sa part.

L’inaliénabilité stipulée peut être totale, elle portera alors sur l’intégralité des actions détenues, ou partielle et ne concerner qu’une partie du bloc d’actions. Cette clause se justifie alors par le fait que la présence de certains actionnaires de référence peut être déterminante pour les minoritaires. Son objectif est alors de leur assurer le maintien d’un groupe majoritaire dans la société pendant une période donnée, voire jusqu’à ce qu’eux-mêmes décident de céder leurs titres.

Toutefois, dans la mesure où cette clause déroge au principe de libre négociabilité des actions, application particulière du droit de disposer de ses biens (art. 544 C. civ.), la clause d’inaliénabilité n’est valable que si elle est temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime (art. 900-1 C. civ.). En pratique, l’engagement d’inaliénabilité est souvent pris pour une période variant de deux à cinq ans. La clause peut aussi bien être extérieure aux statuts que statutaire. Cette dernière hypothèse est d’ailleurs expressément prévue par le législateur pour les SAS. En ce cas, sa durée ne peut excéder dix ans (art. L.227-13 C. com.).

Outre l’intérêt juridique que présente la stabilité de l’actionnariat, une clause d’inaliénabilité temporaire peut permettre à ses signataires de bénéficier du régime fiscal d’exonération partiel d’impôt de solidarité sur la fortune et de droits de mutation à titre gratuit.

 

  • Clause de non-acquisition

La clause de non-acquisition, également dénommée clause de non-agression, est celle par laquelle un actionnaire s’engage à ne pas acquérir d’actions supplémentaires. Elle vise à éviter qu’un actionnaire, souvent déjà majoritaire, n’augmente, directement ou, indirectement, sa participation dans le capital de la société. Les pactes peuvent également s’engager réciproquement à ne procéder à aucune nouvelle acquisition. Une telle clause peut être indifféremment statutaire ou extrastatutaire.

 

  • Clause de plafonnement des participations et clause d’anti-dilution

La clause de plafonnement reprend le principe de la clause de non-acquisition à la différence que le signataire s’oblige à ne pas acquérir d’actions supplémentaires au-delà d’un certain plafond de participation. Cette limitation du pourcentage du capital social détenu concerne généralement l’hypothèse d’une acquisition directe, mais elle peut aussi utilement prévoir le cas d’une acquisition indirecte.

La clause anti-dilution, quant à elle, applique une logique inverse : elle doit permettre à un actionnaire minoritaire de se voir garantir le maintien de son pourcentage de participation dans la société en cas d’augmentation de capital ou de fusion. Concrètement, les autres parties au pacte s’engagent à lui céder le nombre d’actions requis pour maintenir son niveau de participation à un prix égal au prix d’émission des nouveaux titres. Juridiquement, cet engagement prend la forme d’une promesse unilatérale de vente sous condition suspensive d’augmentation de capital ou de fusion.

 

2) Clauses assurant le contrôle des participations

A la différence des clauses précédentes, ces clauses ne visent pas à maintenir le statut quo dans la répartition du capital social et laissent aux actionnaires toute latitude pour céder leurs titres. Elles permettent en revanche d’exercer un contrôle de l’entrée de nouveaux arrivants dans la société et à donner priorité aux cessions endogènes au cercle des actuels associés.

 

L’agrément a pour objet de subordonner la cession de parts sociales ou d’actions à l’accord des associés. Il permet ainsi de contrôler les cessionnaires en filtrant les personnes jugées indésirables. La loi le prévoit expressément pour certaines formes sociales. Pour n’évoquer que les principales, l’agrément dans les SARL, est obligatoire pour les tiers étrangers à la société (art. L.223-14 C.com.). Il n’est que facultatif et doit être prévu par les statuts si le cessionnaire est un coassocié (art. L.223-16 C. com.) ou bien le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant du cédant (art. L.223-13). Dans les sociétés anonymes, les actions sont en principe librement négociables. Toutefois, par exception, l’article L.228-23 du code de commerce permet, uniquement dans les sociétés dont les titres de capital ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, de soumettre à agrément les cessions de titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital. A cet égard, l’ordonnance du 24 juin 2004 a procédé à une extension notable des possibilités d’agrément, si l’on excepte la restriction aux sociétés non cotées qui n’est qu’apparente et existait de longue date en pratique à défaut d’apparaître expressément au sein du code de commerce. D’une part, les actions ne sont plus les seuls titres concernés, l’agrément peut s’appliquer à la cession de toute valeur permettant d’accéder au capital. D’autre part, l’agrément peut ne plus se limiter aux seuls tiers, il est susceptible de s’appliquer aux cessions internes entre actionnaires. La possibilité de les soumettre à agrément incitant souvent au choix de la SAS pour laquelle l’article L.227-14 du code de commerce prévoit avec permissive que «  Les statuts peuvent soumettre toute cession d’actions à l’agrément préalable de la société ». Demeure en revanche curieusement interdit l’agrément pour les cessions familiales (héritier, conjoint, ascendant ou descendant).

Le plus souvent, les clauses d’agrément sont insérées dans les statuts. L’organe chargé de la mise en œuvre peut être le conseil d’administration, le conseil de surveillance ou encore l’assemblée générale. Le caractère statutaire de la clause lui confère une pleine autorité. Le refus d’agrément est une décision souveraine qui n’a pas à être motivée de sorte que le tiers non agréé ne peut invoquer aucun droit à entrer dans la société, sauf abus lequel suppose de démontrer une intention de nuire (CA Paris, 23 avril 1998, Bull. Joly 1998, p.959, note J.-J. Daigre). Surtout, les cessions effectuées en violation d’une clause d’agrément statutaire sont expressément frappées de nullité (SA et SCA: art. L.228-23 al. 4; SAS: art. L.227-15 C. com.).

 

La clause de préemption ou de préférence est un avant-contrat qui engendre l’obligation, pour un associé, dans l’hypothèse où il souhaiterait céder ses parts ou ses actions, de proposer en priorité la conclusion du contrat au(x) bénéficiaire(s) du pacte, de préférence à un tiers. Lorsqu’elle consentie au profit des autres associés, elle constitue un instrument de préservation des équilibres internes. Elle peut figurer dans un pacte extrastatutaire ou dans les statuts. A cet égard, la question avait été soulevée en doctrine de savoir si, au regard du principe d’égalité  entre actionnaires, une clause de préemption statutaire pouvait valablement être réservée à certains d’entre eux seulement. La Cour de cassation semble depuis avoir admis cette possibilité dans un arrêt du 15 février 1994 (Bull. Joly 1994, p.508, note. D. Velardocchio).

A la différence de la promesse de vente, le débiteur ne s’est encore nullement engagé à conclure le contrat. Il conserve pleinement sa liberté de céder ou non ses titres et peux ne jamais le faire ou bien attendre le terme de son obligation. La clause peut se borner à indiquer de manière générale la nature et l’objet du contrat envisagé. La rédaction de la clause constitue son efficacité : aussi importe-t-il de bien préciser la procédure d’information du bénéficiaire du pacte, le délai dont il dispose pour lever l’option ou encore l’éventuelle information du bénéficiaire concernant l’offre d’un tiers après son refus initial. En tant que fait générateur du droit du bénéficiaire d’acquérir, la notification de la décision de céder doit être suffisamment précise : le cédant doit indiquer le nombre d’actions ou de parts, le prix (déterminé ou déterminable suivant certains paramètres), ainsi que les modalités de paiement. Le prix proposé est, en principe, fixé par le cédant, sauf si les parties avaient convenu dès l’avant-contrat. Il est souvent déterminé d’un commun accord, en référence parfois à la proposition d’un tiers. A défaut d’accord, le prix peut être établi par le recours à un expert, conformément à la procédure prévue à l’article 1843-4 du code civil. Enfin, si les bénéficiaires n’exercent pas leur droit de préemption en temps utile, l’associé recouvre la liberté de céder ses droits à un tiers.

 

B. Clauses relatives aux conditions de cession des droits sociaux

Pour louable qu’elle soit, la volonté de préserver les équilibres sociaux ne sauraient évidemment justifier d’entraver tout mouvement au sein du capital. Les cessions de droits sociaux s’inscrivent dans le cours naturel de toute société. Si les clauses précédemment examinées avaient plutôt vocation à assurer un contrôle de la détention du capital, d’autres stipulations tendent plus spécifiquement à définir les modalités suivant lesquelles un associé est susceptible de céder ses titres. Les pactes d’actionnaires permettent soit d’imposer une cession forcée (1), soit d’encadrer une cession volontaire (2), soit d‘organiser une cession coordonnée (3).

 

1) Cession contrainte : clause d’exclusion

La clause d’exclusion permet d’évincer un associé de la société en lui imposant le rachat forcée de ses titres. Elle peut s’avérer fort utile en cas de mésentente des associés ou d’obstruction systématique. Cependant, sa validité est fragile autant que discutée car elle heurte plusieurs droits fondamentaux de l’associé : le droit de rester associé (même si les tempéraments sont prévus par la loi, notamment en cas de risque d’annulation de la société, art. 1844-12 C. civ., de procédures collectives, art. L.621-59 C. com.; ou de retrait obligatoire, Règl. Gén AMF, art. 237-1), le principe d’égalité des actionnaires est, plus généralement, l’article 545 du code civil lequel dispose que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». Toutefois, la clause d’exclusion est expressément admise par la loi dans les SAS (art. L.227-16 C. com.). Dans les autres formes sociales, sa validité ainsi que ses modalités d’exécution dépendent de sa nature statutaire ou extrastatutaire.

  • Clause d’exclusion statutaire

La validité d’une clause d’exclusion contenue dans les statuts est débattue en doctrine mais reconnue par la jurisprudence dès lors qu’elle est incorporée aux statuts initiaux (CA Rouen, 8 février 1974, Rev. sociétés 1974, p.507, obs. Rodier). Cette position se justifie par le fait que l’associé sait dès l’origine qu’il s’expose à une exclusion dans certaines hypothèses. En revanche, l’insertion d’une clause au cours de la vie sociale est plus délicate. Pour le moins ne faut-il l’admettre que dans l’hypothèse où elle a été votée à l’unanimité des associés. Une simple majorité, fût-elle qualifiée, permettrait sinon de l’imposer à un associé qui n’y aurait pas consenti, ce qui pourrait constituer une augmentation de ses engagements. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 mars 2001 admet la validité de la clause sous réserve de son vote à l’unanimité (Bull. Joly 2002, p.89, note H. Le Nabasque; JCP n°2002, 1237, note F.-X. Lucas).

La clause doit préalablement définir les hypothèses et les modalités dans lesquelles l’exclusion s’opérera. Les motifs justifiant une exclusion doivent être objectifs et légitimes afin de parer à tout arbitraire. Il pourra s’agir de la violation d’obligations à la charge de l’associé comme, par exemple, le non respect des statuts, la transgression d’une obligation de non-concurrence, la perte d’une qualité jugée indispensable, ou encore d’un changement des organes de direction d’une société actionnaire ou du contrôle (Cass. com., 13 décembre 1994, RJDA 3/95, p.200, note H. Le Nabasque).En revanche, l’invocation de motifs vagues, tels la perte de confiance de l’associé ou la commission  d’un acte susceptible de nuire aux intérêts de la société, ne saurait être admise, et moins encore une exclusion ad nutum. Le juge saisi d’un recours contre la mise en œuvre d’une clause d’exclusion est tenu d’exercer un contrôle sur la gravité des motifs allégués et ne peut se limiter à constater l’exécution de la clause (Cass. com., 21 octobre 1997, Bull. Joly 1998, p.40, note P. Le Cannu).

La clause doit prévoir la procédure d’exclusion et notamment l’entité chargée de la mettre en œuvre. Ce peut être l’organe de direction ou l’assemblée. Les droits de la défense de l’associé et le principe du contradictoire devront être respectés. Ces éléments font également l’objet d’un strict contrôle judiciaire (Cass. com., 7 juill. 1992, JCP G 1993, II, 3652, n°16, obs. A. Viandier et J.- J. Cassain; Rev. Sociétés 1993, p.109).  Enfin, l’indemnisation de l’exclusion, en réalité les modalités de rachat des titres, doit être clairement définie (prix déterminé ou déterminable; organisation d’un éventuel droit de préférence au profit des autres associé, etc.).

 

  • Clause d’exclusion extrastatutaire

La clause d’exclusion extrastatutaire est valide dès lors qu’elle ne se substitue pas à aux règles statutaires.  Elle ne peut concerner que certains associés. Le plus souvent, cette clause met en place un mécanisme de promesse unilatérale de vente sous condition suspensive. A l’instar de la clause d’exclusion figurant dans les statuts, la clause extrastatutaire doit prévoir les hypothèses et les modalités dans lesquelles l’exclusion est susceptible d’intervenir.

2) Cession volontaire : clause de retrait

Un associé n’a pas vocation à être prisonnier de son titre. La clause de retrait lui offre la possibilité de se retirer de la société au cas où certains éléments se produiraient. Elle vise généralement l’hypothèse d’un changement de contrôle de la société.

Le plus simple est naturellement de vendre directement ses titres à un cessionnaire dûment agréé. Mais cette éventualité n’est pas toujours possible (les acquéreurs potentiels être réticents à entrer dans une société où ils n’auront pas voix au chapitre). Deux modalités de retrait sont alors envisageables : soit le cédant fait racheter ses titres par la société, ils seront alors annulés, ce qui réduira à proportion le capital; soit il les cède à ses coassociés

La clause de retrait peut figurer dans les statuts ou dans un pacte extrastatutaire. Dans ce dernier cas, elle emprunte le mécanisme d’une promesse unilatérale d’achat sous condition suspensive, la condition étant la survenance d’un éventement préalablement défini par les parties.

 

3). Cession coordonnée

Le départ d’un associé majoritaire ou la fin d’une phase de coopération peuvent constituer des moments critiques de la vie de la société. Plusieurs pactes ont pour objet d’aménager par avance soit les implications de la sortie du capital d’un actionnaire de référence (a), soit en période de crise, les modalités de rupture d’une collaboration désormais impraticable (b).

a) Clause de sortie conjointe

La clause de sortie conjointe (ou encore tag along) est celle par laquelle un actionnaire, généralement majoritaire, s’engage à faire acquérir par le cessionnaire de ses actions, les titres détenus par un ou plusieurs autres actionnaires. La cession des titres du bénéficiaire la clause s’effectue normalement aux mêmes conditions financières que celles de l’actionnaire qui s’oblige ; mais il peut arriver que le prix payé au minoritaire subisse une décote, compte tenu du moindre intérêt de sa participation (la liquidité de ses titres est préservée mais alors il ne bénéficie pas ou peu de la prime liée à la cession d’un bloc de contrôle).

L’actionnaire cédant est tenu de notifier au bénéficiaire son intention de céder ses titres. Il devra préciser le cessionnaire, le nombre d’actions concernées, le prix et les modalités de la cession. Le minoritaire est alors libre de céder également ses titres aux conditions qui lui sont proposées.

La clause de sortie conjointe s’analyse classiquement en une promesse de porte-fort prévue par l’article 1120 du code civil. En cas de ratification par le tiers acquéreur, le promettant est libéré de son obligation. Dans le cas contraire, le promettant s’expose à une condamnation à des dommages et intérêts en raison de l’inexécution (ou plus justement de l’exécution de infructueuse) de son obligation. Leur montant est très souvent fixé à l’avance par une clause pénale. Néanmoins, cette répartition risque de ne pas satisfaire le minoritaire embarrassé par ses titres dans la nouvelle répartition du capital. Ainsi est-il souvent préférable de prévoir, par la stipulation d’une promesse unilatérale d’achat sous condition suspensive, le rachat des titres du minoritaire par le cédant / promettant en cas de refus du tiers cessionnaire

La modalité la plus contraignante de la clause de sortie conjointe constitue la clause de sortie forcée encore appelée clause d’entraînement (drag along). Elle permet d’obliger l’autre partie contractante à céder ses actions au tiers cessionnaire en même temps que les siennes et à un prix généralement identique. L’intérêt pour le minoritaire tenu de céder ses titres et d’éviter la décote de sa participation. L’intérêt pour l’actionnaire important ou majoritaire est de pouvoir négocier directement la cession d’un bloc d’actions assurant le contrôle de la société, voire la cession de l’intégralité des titres (sur ces clauses v. X. Vamparys, « Validité et efficacité des clauses  d’entraînement et de sortie conjointe dans les pactes d’actionnaires », Bull. Joly 2005, p.820).

  • Clause de sortie proportionnelle

Variante de la clause de sortie conjointe, la clause de sortie proportionnelle s’en distingue en ce que la cession ne porte pas sur la totalité des actions du bénéficiaire mais seulement sur un pourcentage défini proportionnellement à la cession opérée par le promettant. Foncièrement, le mécanisme de cette clause est donc identique à celui de la lause de sortie conjointe et n’en diffère que par ses modalités. Parmi celles-ci à mi-chemin de la clause de sortie proportionnelle et de la clause de sortie conjointe, il peut être prévu qu’en cas de franchissement à la baisse d’un certain seuil de participation par le majoritaire du fait de la cession, celui-ci s’oblige à faire racheter ou à racheter lui-même la totalité des actions du minoritaire.

 

  • Clause de sortie prioritaire

La clause de sortie prioritaire permet à un actionnaire (généralement un investisseur, une société de capital-risque) de quitter la société par priorité aux autres membres du pacte, lesquels s’engagent à ce qu’un éventuel tiers cessionnaire acquière d’abord les titres du bénéficiaire du pacte. La mise en œuvre de la clause peut être conditionnée par la survenance d’un élément objectif (décision de cession de ses titres prise par l’un des signataires du pacte, proposition d’acquisition émanant du tiers). Cette clause s’analyse soit en une promesse de porte-fort (par ex. lorsqu’un des membres du pacte entend céder ses propre actions), soit en une obligation de faire (sans alors promettre le fait d’un tiers), sorte de promesse de bons offices consistant à rechercher un tiers acquéreur. Là encore, la réparation par allocation des dommages et intérêts risque de s’avérer insatisfaisante de sorte qu’il est fréquent que cette clause se double d’une promesse unilatérale d’achat par les signataires du pacte permettant à son bénéficiaire de lever l’option si aucun tiers acquéreur ne se présente et d’obtenir, au besoin, l’exécution forcée de la vente.

b) Clause de déblocage

Egalement dénommée clause  buy and sell, « clause américaine » ou encore « clause omelette », la clause d’offre alternative est celle par laquelle un actionnaire propose à un autre actionnaire de lui céder ses titres à un prix déterminé ou, à défaut, d’acquérir les siens au prix auquel il était prêt à les lui céder. En soi, cette clause ne peut contraindre le destinataire de l’offre ni à acheter ni à vendre. Aussi requiert-elle souvent une rédaction plus ferme imposant à l’autre partie l’obligation de vendre ses titres au prix proposé, voir à un prix plus élevé. Ce caractère obligatoire de la clause s’analyse juridiquement en deux promesses unilatérales conclues par chacun des signataires: promesse de vente pour celui qui refuse l’acquisition et promesse d’achat pour l’autre partie. En ce cas, l’automaticité même de la clause devient redoutable, de sorte qu’il importe d’en conditionner le déclenchement à une situation objective, telle une mésentente caractérisée, une obstruction systématique, la paralysie des organes de gestion…, et à sa constatation également objective, soit par les parties, soit par un tiers.

Reste que la détermination du prix suscite des doutes sur la validité de cette clause. Elle ne peut être laissée à la volonté arbitraire de l’initiateur de l’offre sous peine de constituer une condition potestative devant entraîner la nullité (art. 1174 C.civ.). Les promesses échangées dans le cadre d’actionnaires doivent préciser sinon forcement le prix, du moins le moyen de le déterminer par référence à des critères échappant à la volonté d’une seule des parties.

 

  • Clause d’impasse

La clause d’impasse (ou de deadlock a pour objet de régler par avance les conditions de la résolution d’un pacte d’actionnaires imposée par la situation d’impasse dans laquelle se trouve la société du fait des dissensions des ses associés. Naturellement une telle hypothèse est tout particulièrement envisageable au sein de filiales communes (joint-ventures) détenues à 50/50. Il importe que la notion d’impasse soit définie par la clause, notamment quant au degré d’intensité requis pour la mettre en œuvre, et qu’une procédure faisant appel à un tiers indépendant soit prévue (désignation, prérogatives…). Tout l’intérêt de la clause est donc de prévoir au temps des jours heureux de la complicité présidant à la conclusion du pacte les modalités de séparation qui s’imposeront au temps conflictuel des jours sombres. Il s’agit de définir les modalités de partage des actifs mis en commun ou réalisées ensemble : titres de participation s’il s’agit d’une holding, actifs à se répartir par lots cohérents en l’absence de filiales. Cet accord peut parfaitement concerner la dissolution de la filiale commune (art. 1844-9 C. civ. Autorise d’ailleurs explicitement le recours à un acte extrastatutaire).

§.2. Pactes relatifs aux droits d’associés

Les pactes d’actionnaires permettent d’aménager soit les droits financiers (A), soit les droits politiques (B).

 

A. Pactes relatifs à l’aménagement des droits d’associés

  • Clauses relatives à la distribution de dividendes

Ces clauses visent à préserver les droits financiers des minoritaires en leur assurant un dividende dès lors que les bénéfices de la société permettent d’en distribuer. Ainsi, les statuts peuvent prévoir, ou les actionnaires majoritaires se portent fort, de distribuer chaque année un premier dividende destiné à assurer aux minoritaires un revenu convenable (art. L.232-16 C. com.). Souvent défini par référence à la rémunération d’autres placements, il s’agit d’un intérêt calculé sur la valeur nominal des actions (mais la clause d’intérêt fixe qui prévoit le versement d’une somme régulière même s’il n’y a pas de bénéfices ou de réserves libres doit être réputée non écrite, art. L.232-15, al. 1er C. com.).

Par ailleurs, les actionnaires peuvent également conclure des pactes ayant pour objet d’aménager la répartition des bénéfices qui pourront, sur cette base, être distribués différemment la répartition résultant des participations respectives dans le capital.

 

  • Clause de non distribution de dividendes

Il s’agit d’une clause originale, destinée à empêcher la distribution de dividendes tant que la société n’a pas atteint une situation financière déterminée. Elle est généralement établie à l’instigation des  établissements de crédit acceptant de financer la société Techniquement, c’est une convention dont l’objet est de bloquer la distribution de bénéfices au stade de l’assemblée générale. Sa licéité n’est pas douteuse, dans la mesure où elle conditionne le crédit octroyé à l’entreprise et permet l’affectation du bénéfice réalisé à l’autofinancement, elle est conforme à l’intérêt social.

 

B. Pactes relatifs à l’aménagement des droits politiques

Par ces pactes les actionnaires cherchent à organiser le pouvoir eu sein de la société. Il peut s’agir de développer une véritable politique commune ou d’assurer la défense d’intérêts communs par l’établissement de consignes de vote. Ces conventions relatives à l’exercice des droits politiques suscitent cependant des difficultés dans le cas d’un démembrement de droits sociaux (1). Sur un autre plan, ces pactes peuvent avoir pour objet de se répartir et de contrôler les leviers de pouvoir (2).

 

1). Clauses relatives à l’exercice des droits politiques

  • Clause d’information

L’actionnaire dispose spontanément d’un droit à l’information permanent (art. L.225-117 C. com.) ou occasionnel, c’est-à-dire préalablement à le tenue de l’assemblée. Ce droit peut toutefois être renforcé au moyen d’une clause d’information prévoyant que la société s’engage, par le biais de ses dirigeants, à fournir à l’actionnaire les renseignements spécifiques qu’il demande. Elle peut aussi s’engager à divulguer spontanément tout fait susceptible de modifier la marche générale de  l’entreprise ou sa situation financière. Une telle clause va être intégrée aux statuts ou figurer dans un pacte extrastatutaire, mais il est nécessaire en ce cas que la société l’ait ratifié.

  • Convention de vote

Attribut essentiel de l’associé, le droit de vote et son corollaire nécessaire que constitue la liberté de vote justifient que les conventions y portant atteinte, comme la cession des droits de vote, soient nulles. La loi sanctionne d’ailleurs pénalement les trafics ou achats de droits de vote (art. L.242-9, 3° C. com.). En pratique, cependant les conventions de vote sont courantes.

Elles se définissent principalement comme l’engagement pris par un associé de voter dans un certain sens. Mais elles peuvent également définir les modalités particulières de vote. Pour certaines décisions importantes les associés peuvent aussi prévoir un accord unanime, une majorité renforcée, des quorums ou encore une renonciation temporaire au droit de vote.

  • Usufruit conventionnel: problème posé par l’attribution du droit de vote

Le démembrement des droits sociaux permet d’attribuer des prérogatives différentes sur un même bien au nu-propriétaire et à l’usufruitier. Souvent d’origine légale (c’est le cas, par exemple, de l’usufruit du conjoint survivant prévu par l’article 757 du code civil), le démembrement peut également être conventionnel (art. 579 C. civ.). Sa situation à la confluence du droit des biens et du droit des sociétés pose toutefois des problèmes spécifiques (v; la récente écure d’A. Pietrancosta, « Usufruit et droit des sociétés », Dr. et patr. Mai 2005, n°137, p.63). Nulle difficulté ne concerne le dividende: en tant que fruit, il est perçu systématiquement par l’usufruitier (Cass. com., 5 octobre 1999, Bull. Joly1999, p.1104, note A. Couret, JCP E 2000, p.29, n°2, obs. A. Viandier et J.-J. Cassain). En revanche, la question de la répartition du droit de vote en cas de démembrement d’actions est l’objet de sérieuses controverses.

La loi fixe pourtant quelques règles n fonction de la forme sociale. Pour les SA (art. L.225-110, al. 1er C. com.) et les SCA (par renvoi de l’art. L.226-1, al. 2 C. com.), la répartition se fonde sur un critère organique : le droit de vote attaché à l’action appartient à l’usufruitier dans les assemblées générales extraordinaires. Pour les autres formes sociales (dont la SAS: art. L.227-1, al. 3, relatif aux SAS écarte  l’application de l’art. L.225-110 de C. com., d’où un renvoi au droit commun des sociétés), l’article 1844, alinéa 3 du code civil se réfère à un critère matériel: « Si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier ». Cependant, ces articles ne sont pas d’ordre public. Ils énoncent eux-mêmes que les statuts peuvent déroger à cette répartition. Il n’est guère douteux que cette possibilité peut également être prévue par acte extrastatutaire et, au premier chef, directement au sein de la convention d’usufruit conclue entre les partes. Il conviendra alors, sous peine d’inopposabilité, de notifier l’existence de l’usufruit et la répartition  convenue à la société.

Toutes les difficultés sont pour autant loin d’être levées.  Le démembrement de droits sociaux conduit à s’interroger sur le degré de liberté laissé aux parties pour répartir entre elles les prérogatives politiques attachées à la qualité d’associé  et sur les effets qui peuvent en découler en termes d’attribution de cette qualité. Sans directement prendre partie sur cette qualification, la Cour de cassation s’est plusieurs fois prononcée sur la validité des conventions attribuant la totalité du droit de vote à une seule des parties. Dans l’arrêt De Gaste du 4 janvier 1994 (Cass. Com., 4 janvier 1994, Bull. civ. IV, n°10, Bull. Joly 1994, p.279, note J. – J. Daigre; JCP E 1994, I, 363, n°4, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain; Defrénois 1994, p.556, obs. P. Le Cannu et Sénéchal; Dr. Sociétés 1994, n°45, obs. Th. Bonneau), la chambre commerciale avait été saisie du point de savoir si le nu-propriétaire pouvait être privé de tout droit de vote de participation et de vote en assemblées générales. Au visa de l’article 1844 du code civil, la Cour de cassation avait censuré l’arrêt ayant admis la validité de la clause, considérant de manière équivoque que si le droit de vote pouvait valablement être attribué à l’usufruitier « aucune dérogation n’est prévue concernant le droits des associés et donc du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives ».

Cette curieuse distinction entre droit de participation aux assemblées et droit de vote a ensuite semblé contredite dans un arrêt Château d’Yquem (Cass. com., 9 février 1999, JCP E 1999, p.724, note Y. Guyon; Rev. Sociétés 1999, p.81, note P. Le Cannu; Bull. Joly 1999, p.566, note J.-J. Daigre; RTD com. 1999, p.902, obs. Y. Reinhard; Defrénois 1999, p.625, note H. Houvasse; Dr. Sociétés 1999, comm, n°67, obs. Th. Bonneau; Dr. et patr. janv. 2000, p.96, obs. J.-P. Bertrel) rendu en 1999 dans une affaire ne concernant pas l’usufruit. Au visa également de l’article 1844, alinéa 1er et 4, du code civil, la Cour a réformé le principe que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter ». En conséquence de quoi, il ne semblait pas permis d’exclure le nu-propriétaire, dont la qualité d’associé n’est pas contestée, de tout droit de voter.

Cependant, un troisième arrêt rendu le 31 mars 2004 (Hénaux) (Cass com., 31 mars 2004, A. Viandier « L’iiréductible droit de voter de l’usufruitier », RJDA  juill. 2004, n°8, p.859; RTD civ. 2004, p.318, obs. Th. Revet) est venu préciser, cette fois sur le fondement du droit des biens, que le droit d’user de la chose et d’en percevoir les fruits est une prérogative essentiel que l’article 578 du code civil attache à l’usufruit et qu’en conséquence, l’usufruitier ne peut être privé du droit de voter des décisions concernant les bénéfices. Enfin, un récent arrêt de la Chambre commerciale du 22 février 2005 (Gérard, Rev. Sociétés 2005, p.353, note P. Le Cannu) achève de semer la confusion en reprenant presque à l’identique la distinction énoncée par l’arrêt  De Gaste en 1994.

Il résulte de ces jurisprudence un paradoxe parfaitement résumé par un auteur: « le droit des biens impose la nullité des clauses déniant tout droit de vote à l’usufruitier – non considéré comme associé – , tandis que le droit des sociétés autorise inversement à priver de droit de vote le nu-propriétaire, pourtant considéré comme associé en titre » (A. Pietrancosta, « Usufruit et droit des sociétés », Dr. et patr. Mai 2005, n°137, p.63)

Dans l’attente d’une ligne jurisprudentielle lisible optant pour la prévalence soit du droit des sociétés soit (au motif que le droit de vote en relève), soit du droit des biens (au motif que l’usufruit, situation extérieure à la société, s’impose à elle). La prudence s’impose aux rédacteurs: pour le moins, le droit de vote doit être nécessairement reconnu à l’usufruitier pour les décisions d’affectation du bénéfice; de l’autre côté, le nu-propriétaire, le seul du « couple » à se voir reconnaître pour l’heure, la qualité d’associé, ne peut à ce titre, être totalement privé du droit de participer aux assemblées.

 

2). Clauses relatives à la répartition du pouvoir

  • Clause relative à la désignation et à la révocation des dirigeants

Les actionnaires peuvent convenir d’une répartition entre eux des postes d’administrateurs ou s’accorder sur le fait de  réserver un ou plusieurs sièges à une catégorie d’actionnaires d’administration ou de surveillance (par. Ex. un actionnaire minoritaire). 

D’autres clauses peuvent organiser les conditions de révocation des dirigeants. Lorsqu’elles ont pour objet d’attribuer des compensations financières importantes, on parle alors de golden parachute (« parachute doré ») (J. El Ahdab, « Les parachutes dorés et d’autres indemnités conventionnelles de départ des dirigeants: approche pluridisciplinaire et comparée », Rev. Sociétés 2004, p.18 _ O. Laouenan, « Les golden parachutes dans les sociétés anonymes », LPA 28 juillet 2004, n°150, p.12). Si en amont ces conventions permettent de recruter et de fidéliser des dirigeants réputés, leur licéité est cependant discutable au regard du principe d’ordre public de révocabilité ad nutum des dirigeants (pour les SA l’art. L.225-47 C. com.). La jurisprudence ne les admet donc que sous la condition que le versement de l’indemnité, par son importance, ne soit pas susceptible d dissuader les actionnaires de procéder à la révocation du dirigeant (Cass. Com. , 4 juin 1996, JCPE 1996, 589, n°14, obs. A. Viandier et J. – J. Caussain).

 

  • Clause relative aux pouvoirs des dirigeants

Certaines clauses peuvent avoir pour effet de limiter les pouvoirs des dirigeants en soumettant certaines opérations de gestion à autorisation préalable. Insérées dans les statuts, elles peuvent imposer qu’une opération obtienne l’autorisation du conseil d’administration, de surveillance ou encore de l’assemblée générale (ex.: vente d’un immeuble, souscription d’un emprunt dépassant un certain montant). Si elles ne sont contenues que dans un pacte extrastatutaire, elles peuvent tendre à soumettre une opération spécifique à l’autorisation  de certains associés (par ex. des minoritaires).

 

II. Licéité et portée des pactes d’actionnaires

§.1. La licéité des pactes d’actionnaires : la validité de principe

La validité des pactes d’actionnaires ne fait plus guère de doute aujourd’hui. Elle s’autorise avant tout du principe fondamental de la liberté contractuelle érigé à l’article 1134 du code civil. Ce patronage prestigieux en définit aussi les limites classiques, celles de l’ordre public qui impose le respect de certaines règles du droit des obligations et du droit des sociétés.

A l’instar de tout contrat, les pactes d’actionnaires sont naturellement soumis aux conditions de validité ordinaires: les signataires doivent avoir la capacité de contracter; le consentement donné doit être valide te ne pas avoir été donné par erreur, extorqué par violence ou surpris par dol; le contrat doit avoir un objet certain et une cause licite. De temps à autre, certains pactes d’actionnaires complexes sont annulés pour avoir omis de respecter ces conditions élémentaires.

Plus spécifiquement, le contexte naturel des pactes d’actionnaires les oblige à respecter les règles propres au droit des sociétés. Première exigence, lorsqu’ils sont extrastatutaires, les pactes ne peuvent être contraires aux statuts. En cas de conflit, les statuts, véritable « constitution » de la société, ont la primauté, ainsi que la Cour de cassation l’a clairement affirmé (Cass. com., 15 février 1994, Bull. Joly 1994, p.508, note D. Velardocchio; RJDA 1994, n°671, p.534). D’autre part, les pactes doivent respecter l’intérêt social et l’ordre public sociétaire. Par exemple, est nulle toute clause ayant pour effet de prémunir un associé contre les aléas de la vie sociale (art. 1844-1 C. civ. répute la clause léonine non écrite), portant atteinte au principe de libre révocabilité des dirigeants (par ex. v. Cass. com., 2 juin 1987, Bull. civ. IV, n°131; Bull. Joly 1987, p.501, note P. Le Cannu) ou encore à la liberté du droit de vote.

Au regard de ce dernier principe, la question de la validité des conventions de vote a longtemps été débattue. L’évolution législative, en autorisant les actions dépourvues de droits de vote,  en se référant par ailleurs aux conventions de vote pour l’appréciation du contrôle conjoint ou de l’action de concert, et dernièrement par l’instauration d’actions de préférence susceptibles d’être créées  sans droit de vote (art. L.228-11 C. com. (ord. n°2004-604, 24 juin 2004, art. 31)- Adde: M. Germain « Les actions de préférence », Rev. Sociétés. 2004, p.597), a contribué à désacraliser le droit de vote et à promouvoir la licéité des conventions de vote. La jurisprudence, qui d’ailleurs ne leur a jamais été totalement hostile, en reconnaît désormais pleinement la validité soue réserve cependant du respect des trois conditions cumulatives.

Tout d’abord, à peine de nullité, l’associé ne doit pas être irrévocablement privé de son droit de vote, lequel est attaché à sa qualité d’associé. Il ne peut donc ni renoncer à son droit de vote ni à le céder (pour la qualification d’un mandat irrévocable en une cession de droit de vote prohibée v. Cass. com., 17 juin 1974, RTD com., 1975, p.534, obs. R. Houin; Les sociétés, Les grandes décisions de la jurisprudence, Puf Thémis, 1988, p.100, note. Y. Chartier et J. Mestre). Cette exigence impose que la convention soit limitée dans le temps. D’autre part, la convention ne doit pas être contraire à l’intérêt social, condition qui nécessite une appréciation, spécifique de la portée de la clause considérée, isolément ou en relation avec les autres. Enfin, l’accord doit être exempt de fraude, il ne peut tendre à contourner une règle d’ordre public.

En pratique, les conventions de vote sont souvent occultes et s’appliquent donc tant que leur licéité n’est pas contestée. En ce cas, les tribunaux prennent alors en considération l’intérêt que la clause présente pour la société (CA Paris, 30 juin 1995, JCP E 1996, II, 795, note J. – J. Daigre) et apprécient la gravité de l’atteinte portée à la liberté du vote.

 

§.2. Portée des pactes d’actionnaires

Il convient d’envisager la portée personnelle (A), la portée formelle (B) et la portée temporelle (C) des pactes d’actionnaires.

 

A) Portée personnelle

La portée personnelle varie selon la nature du pacte.

 

1) Personnes liées par les pactes extrastatutaires

Les pactes d’actionnaires n’ont d’effet qu’entre les parties signataires, conformément au principe d’effet relatif des conventions énoncé à l’article 1165 du code civil.

Toutefois, les pactes se transmettent aux ayants cause universels ou à titre universel des signataires, lesquels seront donc tenus de plein droit par le pacte. Sont aussi bien concernées les personnes physiques (en cas de succession ou de libéralité) que les personnes morales (en cas de fusion, scission, apport partiel d’actif ou encore de dissolution par confusion des patrimoines). Ces personnes pourront cependant se dégager si elles parviennent à démontrer une volonté contraire des parties et notamment le caractère « strictement personnel » du pacte (Cass. 1ère civ., 24 février 1987, Bull. civ. I, n°75; RTD civ. 1987, p.739, obs. J. Mestre).

En revanche, ces accords sont inopposables aux tiers, notamment aux autres actionnaires, dont les nouveaux actionnaires (sauf s’ils ont ratifié le pacte), à la société elle – même ou encore au Fisc (une convention de répartition du bénéfice contraire aux dispositions statutaires lui est inopposable).

2) Personnes liées par les pactes statutaires

Les pactes d’actionnaires incorporés aux statuts sont opposables à tous les actionnaires, y compris aux nouveaux arrivants. Peu importe alors que certaines clauses n’engagent ou ne profitent qu’à quelques actionnaires, les autres n’en sont pas moins tenus de les respecter.

 

B) Portée formelle

1) Publicité des pactes extrastatutaires

En principe, ces pactes ne sont soumis à aucune publicité légale contrairement à ceux statutaires. Cette liberté offre ainsi l’avantage d’une plus grande confidentialité et participe d leur attrait. Toutefois, certains pactes conclus entre actionnaires d’une société cotée sont soumis à une publicité  pour des motifs de transparence et d’efficacité du marché.

2) Publicité des pactes statutaires

Les pactes d’actionnaires insérés dans les statuts bénéficient quant à eux de la publicité légale imposée à ces actes lors de la constitution ou en cas de modification. Ce qui est perdu en confidentialité par rapport aux pactes extrastatutaires est gagné en efficacité par leur plus large opposabilité.

 

C) Portée temporelle

Les pactes d’actionnaires peuvent être conclus pour une durée  déterminée ou indéterminée. Dans le premier cas, leur durée est très variable. Elle peut être courte si l’objet du pacte est limité à la réalisation d’une opération particulière ou au contraire longue lorsqu’il s’agit de pérenniser une ligne politique et stratégique (par ex., 30 ans, v. Pacte Vivendi Universal, décision CMF n°200C 1862, 22 décembre 2000). Ces pactes cessent à l’expiration du terme fixé mais peuvent être prorogés  (en ce cas, l’acte se voit seulement assigner un nouveau terme) ou bien reconduits (il s’agira alors d’un nouveau contrat) par volonté expresse des parties ou tacitement. Une clause prévoit souvent que le contrat se poursuivra par tacite reconduction sauf volonté contraire des parties, mais, en toute hypothèse, la tacite reconduction s’applique spontanément, sauf son exclusion expresse par les parties ou en raison de la nature du contrat. Lorsque le pacte est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie est libre de le résilier à tout moment. Cette résiliation unilatérale suppose toutefois le respect d’un préavis raisonnable et ne doit pas constituer un abus de droit, contraire au principe d’exécution de bonne foi des contrats posé à l’article 1134 du code civil.

Il ressort de la jurisprudence récente de la Cour de cassation qu’un pacte possède une durée déterminée lorsqu’il n’est pas subordonné à la qualité d’actionnaire, mais au terme statutaire de la société, à condition que ce terme soit expressément prévu dans le pacte, le rattachement à la durée de la société ne pouvant pas jouer de plein droit pour déterminer, même implicitement, le terme de cette convention (Cass. com., 6 nov. 2007, n°07-10.620 et 07-10.785 : JCP E 2008, 1280, §.5, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker ; D. 2007, p.3016 ; Dr. sociétés 2008, comm. 10, obs. H. Hovasse ; Bull. Joly Sociétés 2008, p.125, note X. Vamparys ; RJDA 2008, p.149). Cette jurisprudence invite à la rigueur et à la précision dans la rédaction des clauses relatives à la durée des pactes d’actionnaires (Alexis Constantin, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°25, 19 Juin 2008, 1829).

Par ailleurs, qu’il soit à durée déterminée ou non, les pactes peuvent prévoir que certains événements entraîneront sa caducité (fusion, introduction en bourse de la société, franchissement à la baisse du seuil de participation d’un ou de plusieurs actionnaires). Si le pacte ne prévoit pas ces hypothèses, l’analyse de son contenu permettra de déduire quelle fut la commune intention des parties à cet égard.

 

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L’efficacité est sans conteste le talon d’Achille de la plupart des pactes d’actionnaires (H. Le Nabasque, « L’exécution forcée des pactes d‘actionnaires», Dr. Sociétés, Actes pratiques 1994, n°14). Si le non respect de leurs dispositions est parfois envisagé par le législateur, dans la grande majorité des cas, celui-ci est muet à cet égard, renforçant, de la sorte, les incertitudes irradiant cette matière. En outre, compte tenu de l’hétérogénéité des mécanismes auxquels recourent la pratique des pactes, les sanctions de leur violation sont fort diverses. Pour l’essentiel, il est revenu à la jurisprudence de préciser le régime de la sanction des pactes. Par ailleurs, les sanctions diffèrent selon la nature du pacte. En effet, dans la mesure où les pactes extrastatutaires ont une valeur inférieure aux clauses statutaires, les sanctions applicables en cas de violation d’une clause extrastatutaire seront beaucoup moins dissuasives, que celles applicables en cas de violation d’une disposition statutaire. Devant la faiblesse des sanctions légales n’assurant qu’imparfaitement leur rôle dissuasif (Chapitre 1), la pratique a souvent recourt à des sanctions conventionnelles plus adaptées (Chapitre 2)

 

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CHAPITRE 1 : LES SANCTIONS LÉGALES

Au-delà de leur extrême diversité, les pactes d’actionnaires reposent sur des techniques éprouvées. Aussi, la sanction de leur non respect emprunte-t-elle à des régimes connus du droit des obligations (§.1). Toutefois, ces mesures n’équivalent pas à l’exécution forcée  (§.2).

§.1. Sanctions empruntées au droit des obligations

Les sanctions empruntées au droit des obligations se révèlent  inadaptées (A) ou contestables (B).

 

A. Sanctions inadaptées

La violation d’un pacte d’actionnaires entraîne la sanction classique du droit des obligations, au premier rang desquelles se trouve la condamnation à des dommages et intérêts (1). Toutefois, lorsque la nullité est possible, elle constitue une sanction de l’inexécution du pacte plus utile que la seule indemnisation (2).

 

1) Attribution de principe des dommages et intérêts

Si l’intérêt pratique des pactes extrastatutaires ne fait pas de doute, encore faut-il, pour qu’ils soient efficaces, que les parties puissent avoir la garantie que, dans l’hypothèse où l’une d’entre elles refuserait de respecter les engagements souscrits, son cocontractant puisse obtenir que le contrevenant  se conforme aux engagements contractualisés. Or c’est précisément là qu’une difficulté apparaît. Dans la plupart des cas en effet, la victime de la violation du pacte devra se contenter de simples dommages et intérêts, les juges faisant application de l’article 1142 du code civil aux termes duquel « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur » (a). Cette situation n’est pas satisfaisante. L’analyse de la jurisprudence révèle par ailleurs que les parties ont, le plus souvent, les plus grandes difficultés à obtenir une indemnisation, faute de pouvoir faire un état de leur préjudice et d’être en mesure de le chiffrer à sa juste valeur (b).

a) Le champ d’application de la règle formulée par l’article 1142 du code civil

Le champ d’application de la règle est limité tant en ce qui concerne les engagements non exécutés (a-1) que les personnes responsables (a-2).

 

a-1) Les obligations de faire ou de ne pas faire

Les règles du droit des obligations limitent la possibilité d’agir en exécution forcée de sorte que la sanction de l’inexécution consiste le plus souvent en une condamnation à des dommages et intérêts.

S’il est indispensable de respecter et de faire respecter la force exécutoire du lien d’obligation, il est encore plus fondamental de ne pas porter atteinte aux droits intangibles de toute personne à son intégrité physique et à sa liberté. Tel est le fondement de la règle que formule l’article 1142 du code civil et qu’exprime également l’adage « Nemo praecise cogi potest ad factum » (Nul ne peut être contraint à l’accomplissement d’un fait).

L’idée communément partagée est que ces pactes font naître à la charge des parties des obligations de faire qui ne pourraient se résoudre, nous dit-on, qu’en dommages et intérêts en cas d’inexécution, conformément à l’article 1142 du code civil. Cette sanction purement pécuniaire a été qualifiée de « faiblesse congénitale des pactes d‘actionnaires » (M. Jeantin, note sous Cass.com., 7 mars 1989).

L’indemnisation pourra être demandée si la violation a entraîné une délibération sociale de type décision de l’assemblée générale ou du conseil d’administration, ou si elle a été suivie par la conclusion d’un contrat. Mais dans le même temps, on ne peut manquer de relever le peu d’efficacité de cette sanction qui n’est pas de nature à assurer le respect de la parole donnée. Pour exemple, l’allocation des dommages et intérêts a été retenue dans un cas où la violation du pacte a entraîné une impossibilité pour l’un des signataires de devenir associé égalitaire d’une filiale commune créée dans le cadre d’un contrat de collaboration interentreprises (CA Paris 21 janvier 2005, n° 02-20546) et dans un cas où un actionnaire a refusé de souscrire à l’augmentation de capital à laquelle il s’était engagé (CA Paris, 1er  octobre 2004, n° 03-21420).

 

a-2) Les responsables

L’indemnisation pourra être réclamée à tous les auteurs de la violation du pacte. Les associés pourront être poursuivis sur le fondement de la responsabilité contractuelle (a – 2.1), les tiers sur le fondement de la responsabilité délictuelle (a – 2.2), excepté dans le cas où ils pourront apporter la preuve de leur absence de faute (absence du connaissance du pacte) ou de leur absence de mauvaise foi (absence de connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir). L’indemnisation pourra même être réclamée à la société si elle a incité à l’acte.

 

a-2.1) Effet relatif: responsabilité contractuelle de l’auteur de la violation

En droit privé, le contrat n’a en principe d’effets qu’à l’égard  des individus  qui l’ont voulu, car des volontés particulières ne peuvent commander à d’autres volontés particulières. L’article 1165 du code civil l’exprime en une formule qui en fait l’un des textes les plus connus : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes…». C’est-ce que l’on a coutume d’intituler le principe de l’effet relatif des conventions.

En effet, le contrat ne crée de liens d’obligation qu’entre les parties cocontractantes. Seules les parties au contrat peuvent devenir créancières ou débitrices par l’effet de celui-ci. La formule de l’article 1165 du code civil est directement inspirée de l’adage latin « res inter alios acta aliis neque nocere neque prodesse potest » (les actes conclus par les uns ne peuvent ni nuire, ni profiter aux autres). Une décision de la Cour d’appel de Paris illustre l’application de ce principe :

« La convention de préemption violée par un actionnaire à l’occasion de l’acquisition d’actions, institue seulement une obligation de faire et une créance de nature personnelle, de sorte que le bénéficiaire de ce droit, en application de l’article 1142 du code civil, ne dispose que d’un droit à  des dommages et intérêts et seulement à l’encontre de la partie au pacte d’actionnaires, débitrice de cette obligation de faire  sans pouvoir solliciter ni l’annulation de la cession, ni l’exécution forcée de la cession à son profit  » (CA Paris, 12 avril 2002, Cts Falgayrettes, JurisData, n° 175601 à propos du refus d’ordonner l’exécution de la clause de préemption stipulée dans le pacte d’actionnaire).

Jugé aussi que pacte de préférence constituant une créance de nature personnelle, le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucun droit à des dommages et intérêts à l’encontre du tiers acquéreur pour inexécution d’un pacte auquel ce dernier n’était pas partie (Cass.3e civ., 24 mars 1999, n° 611 RBP).

Dans ce cadre, il est essentiel de conserver présent à l’esprit qu’en vertu de l’effet relatif des conventions (art.1165 C.civ.), la société doit être considérée, en principe,  comme un tiers aux pactes extrastatutaires. Il en résulte comme conséquence immédiate, l’inopposabilité de ces pactes à la société. Aussi, la méconnaissance d’un tel pacte par l’une des parties ne saurait rejaillir sur la vie interne de la société.

L’indemnisation est également possible en cas de violation de pactes s’analysant en une promesse de porte-fort, telles certaines clauses de sortie. Si le tiers pressenti pour acquérir les titres des actionnaires minoritaires est naturellement libre refuser de ratifier l’engagement, l’article 1120 du code civil prévoit que le promettant engage alors sa responsabilité envers le bénéficiaire du pacte.

Le principe de la relativité des conventions n’impliquent pas que le contrat ne puisse avoir, à l’égard des tiers, aucune répercussion. Et, de fait, le contrat crée une situation juridique dont les tiers, même s’ils ne sont pas personnellement  liés. Afin d’exprimer cette réalité, on dit que le contrat est opposable aux tiers.

 

a-2.2) Opposabilité du contrat aux tiers: responsabilité délictuelle de l’auteur d’une violation

La situation juridique que le contrat crée entre les parties peut être opposée aux tiers par les parties (a-2.2.1) ou aux parties par les tiers (a-2.2.2).

 

a-2.2.1) Opposabilité du contrat aux tiers par les parties

L’effet relatif des conventions s’oppose en principe à toute action à l’encontre du tiers acquéreur, présumé de bonne foi (Cass. 3e civ., 24 mars 1999, RJDA 5/99, n° 536).

Cependant, si le tiers avait eu connaissance de l’existence du pacte, l’élément qui caractérise sa mauvaise foi, il pourra être tenu de verser des dommages et intérêts à la victime en raison de la faute délictuelle (art. 1382 C.civ.) que constitue sa complicité dans la violation d’une obligation contractuelle (v. par ex. , concernant une tierce société ayant incité des actionnaires à violer un pacte de préférence: CA Versailles, 29 juin 2000, SA Halisol, JCP E 2001, p.181, note A. Couret ; Bull. Joly 2000, p.1149, note P. Le Cannu ; D. 2000, AJ, p.384, obs. A. Lienhard).

En l’espèce, bien que tiers au pacte, l’auteur d’une prise du contrôle d’une SA, qui avait incité de manière déloyale les actionnaires à violer le pacte destiné à éviter la réalisation de l’opération, en leur promettant une indemnisation en cas de litige, et qui s’était fait agréer comme nouvel actionnaire par un conseil d’administration dont avait été évincé frauduleusement l’administrateur opposé à l’opération, a été condamné, avec les actionnaires qui avaient participé à la fraude, à payer des dommages et intérêts à la société cible.

Dans un cas particulier où le président de la SA s’était engagé dans le pacte à organiser des réunions périodiques avec le groupe d’investisseurs durant lesquelles il devait fournir des information sur le marché des affaires sociales, un actionnaire a justifié d’un préjudice moral pour n’avoir pas pu faire valoir son point de vue dans le cadre des réunions prévues par le pacte (CA Paris, 27 mars 2007, n°05-19.892).

Il est important de préciser que cette solution est surprenante. En effet, la société a été condamnée à réparer le préjudice moral causé à l’actionnaire alors qu’elle n’était pas, en principe, partie au pacte. Cette solution ne se comprend que si son président ne s’est engagé à organiser des réunions, non pas en tant qu’actionnaire partie au pacte, mais en tant que représentant légal.

Il vaut mieux prévoir dans le pacte lui-même la sanction de sa violation, par exemple, une clause résolutoire.

a-2.2.2) Opposabilité du contrat aux parties par les tiers

En revanche, la société, non partie à l’acte, peut engager, sur le fondement du principe de l’opposabilité des conventions par les tiers la responsabilité délictuelle de l’actionnaire ayant violé ses engagements (Cass.com., 18 décembre 2007, JurisData n° 042109). Dans cette affaire il s’agissait de la violation d’une clause d’exclusivité figurant dans un pacte d’actionnaires. La Cour d’appel de Versailles avait rejeté l’action de la société en dommages et intérêts dirigée contre l’ancien président et actionnaire de la société. La Cour de cassation a censuré la décision des juges du fond, au motif que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuelle dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

La solution adoptée par la Cour de cassation est l’expression d’une jurisprudence bien établie en droit des obligations. Elle n’en est pas moins particulièrement bien venue en l’espèce. En effet, la violation de la clause d’exclusivité contenue dans le pacte extrastatutaire cause moins un préjudice individuel aux actionnaires parties à ce pacte qu’un préjudice social.

Dans tous les cas, l’octroi des dommages et intérêts suppose que la preuve du préjudice causé par la violation du pacte soit rapportée.

 

b) L’appréciation du préjudice

 Le préjudice conditionne l’existence du droit à réparation. En matière de pactes d’actionnaires, il y a une vraie difficulté d’apprécier le préjudice en fonction des   conséquences réelles de l’inexécution de ceux-ci (b-1), ce qui entraîne fréquemment le refus d’accorder les dommages et intérêts (b-2).

 

b-1) Les difficultés d’évaluation du préjudice

La violation d’un pacte d’actionnaires entraîne la sanction classique du droit des obligations, en premier lieu desquelles se trouve la condamnation à des dommages et intérêts. Cette première affirmation peu réjouissante est encore aggravée  par le constat que, le plus souvent, le préjudice est difficile à évaluer. Comment réparer sous formes des dommages et intérêts celui qui résulte de non respect d’une convention de vote, d’un pacte de préférence ou encore d’une promesse de vente d’actions? A supposer que l’on tienne pour un dommage réparable la perte d’une chance d’acquérir des actions, l’évaluation du montant de la réparation sera bien délicate et l’on peut craindre qu’elle demeure symbolique et, en tout cas, sans rapport avec les enjeux pour les protagonistes.

L’analyse de la jurisprudence révèle que la preuve du préjudice est souvent délicate à administrer, d’autant plus que le bénéfice attendu d’un pacte d’actionnaires dépasse parfois largement des considérations pécuniaires. Cette difficulté témoigne du caractère peu satisfaisant de la réparation par équivalent monétaire: l’indemnisation ne permet pas de remédier à la perte de l’avantage attendu de l’exécution du contrat, ni de faire obstacle à la rupture des équilibres préétablis. Sous cet angle, la préférence jurisprudentielle pour l’indemnisation au détriment de l’exécution en nature constitue souvent une prime au mépris délibéré des engagements souscrits dans le pacte d’actionnaires.

 

b-2) L’insuffisance de l’inexécution du pacte pour fonder l’octroi d’une réparation

Non sans avoir pu hésiter (Cass. 3e civ., 13 novembre 1997, Bull. civ. III, n°202, RTD civ. 1998, 124, obs. P. Jourdain, 696, obs. P.-Y. Gautier), la Cour de cassation s’est nettement prononcée, décidant que l’inexécution d’une obligation contractuelle ne suffit pas à fonder l’octroi d’une réparation (Cass. 1er civ., 9 juillet 2003, RTD civ. 2003, 709, obs. J. Mestre et B. Fages, JCP 2003. I . 163, n°4, obs. G. Viney).

Un arrêt de la Cour de cassation apporte une illustration de ce principe en matière de pactes statutaires (Cass.com., 9 avril 2002, JCP G 2003, II, 10067, note J. – M. Tengang).

Dans cette affaire, trois actionnaires avaient signé un pacte aux termes duquel ils se consentaient mutuellement un droit de préemption sur les actions dont-ils étaient ou pourraient devenir propriétaires. Sans respecter des obligations résultant de cette convention, l’un des actionnaires a cédé ses actions à un tiers.

Les autres actionnaires l’ont alors assigné en paiement de dommages et intérêts. Ils invoquaient notamment le fait que cette vente isolée avaient contrarié leur projet de céder, en une seule fois, l’ensemble des actions à un cessionnaire unique en contrepartie d’une substitution de caution.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui avaient rejeté cette demande, en retenant qu’au moment de la cession litigieuse, les deux demandeurs cherchaient à vendre leurs actions et non à acquérir une participation supplémentaire dans la société, et qu’ils n’étaient pas en mesure d’acheter des actions du cédant au prix fixé par la convention de cession ni même à un prix fixé à dires d’expert. De plus, ils n’établissaient pas qu’ils auraient été, du fait de l’actionnaire ayant cédé ses actions, empêchés  de vendre, de leur côté, leurs actions avec une substitution de caution. Dès lors, la Cour de cassation estime que les juges du fond en ont souverainement déduit que la preuve du préjudice allégué n’était pas rapportée.

En l’espèce, la haute juridiction a donc jugé que la violation du pacte de préférence  n’était pas suffisante  pour entraîner la responsabilité de l’auteur de la violation, aucune sanction n’est donc prononcée. Les articles 1142, 1147 et 1184 du code civil sont ici exclus du raisonnement du juge, lesquels se focalisent sur l’intention des parties et la preuve du préjudice.

Aux termes de cette décision, si les parties ne peuvent pas démontrer leur préjudice, la violation d’un pacte de préemption n’entraîne pas de sanction.

Cette solution est certes, acceptable en droit de la responsabilité civile délictuelle, mais reste peu conforme aux principes du droit des contrats et notamment aux articles 1142 et 1184 du code civil.

L’efficacité  des pactes de préférence est donc encore réduite aux termes de cette décision et le raisonnement des juges pourraient, s’il devait être repris dans d’autres décisions, aboutir à la constatation de la totale inefficacité des pactes d’actionnaires, lesquels seraient réduits à une prose sans réelle force obligatoire.

Toutefois, la jurisprudence écarte la solution de l’allocation des dommages et intérêts au profit de l’annulation de l’acte lorsqu’il y a collusion frauduleuse entre le débiteur du pacte et un tiers.

 

B. Nullité des actes réalisés en violation du pacte

Le non  respect des pactes d’actionnaires conduit en principe à la condamnation à l’allocation des dommages et intérêts. Cette sanction peu intimidante, devrait opportunément pouvoir être complétée par la nullité de l’acte contrevenant à ces dispositions. La nullité se caractérise par deux traits fondamentaux: quant à sa cause, elle sanctionne l’inobservation d’une condition de formation du contrat; quant à ses effets, elle anéantit rétroactivement le contrat et le prive ainsi de toute efficacité. L’application de la nullité diffère en fonction de la nature du pacte. En effet, si la nullité des pactes statutaires  obéit, dans une certaine mesure, aux dispositions légales (1), celle de pactes extrastatutaires est essentiellement régie par la jurisprudence (2).

1) Nullité des pactes statutaires

La nullité des pactes statutaires peut être ordonnée pour sanctionner la violation de dispositions légales (a) et des situations caractérisant une fraude ou un abus de droit (b).

 

a) Nullité pour la violation des dispositions d’un pacte statutaire

 L’application de la nullité nécessite à opérer une distinction entre les dispositions légales qui prévoient expressément la nullité (a-1), de celles qui sont silencieuses à cet égard (a-2).

 

a-1) Nullité expresse

 La sanction de la nullité d’un acte contrevenant à une clause statutaire sera acquise lorsque le texte de loi dispose expressément que la violation de la disposition est sanctionnée par la nullité. Ce procédé, rare en droit des sociétés, trouvera à s’appliquer en matière d’agrément. En effet, en matière de SA, l’article L.228-23 du code de commerce dispose que « toute cession effectuée en violation d’une clause d’agrément figurant dans les statuts est nulle ».

 

a-2) Dispositions impératives

Lorsque la loi ne prévoit pas expressément la nullité comme sanction de la violation d’une disposition, la question se pose de savoir si cette sanction peut être envisagée.  En matière d’actes ou de délibérations ne modifiant pas les statuts, la loi se contente du non  respect d’une disposition impérative de la loi relative aux sociétés commerciales ou aux lois qui régissent les contrats (art. L.235-1, al.2 C.com.) dont la doctrine s’accorde à reconnaître qu’elles représentent un domaine restreint. C’est donc au cas par cas que la jurisprudence décide de sanctionner de la nullité la violation d’une telle ou telle stipulation des statuts, qu’elle soit ou non d’origine légale, dès lors que sa mise en œuvre viendrait heurter les principes essentiels sur lesquelles reposent le fonctionnement d’une société.

Pour la doctrine majoritaire,  la violation d’une clause statutaire se traduisant  par une délibération sociale ne constitue pas la violation d’une disposition impérative du droit des sociétés ou du droit des contrats excepté dans le cas où cette clause statutaire serait la reprise d’une règle impérative du droit des sociétés. Les délibérations prises en violation de règles statutaires ne pourront donc pas être annulées et ne donneront droit qu’à des dommages et intérêts excepté si la violation est reconnue comme une modification implicite des statuts et que la décision a été prise sans respecter les conditions de la majorité requises pour toute décision de l’assemblée générale extraordinaire. La décision sera alors nulle pour défaut de pouvoir (Cass. 3e civ., 22 novembre 1994, Bull. Joly 1995. 196, note B. Saintourens).

 

b) Sanction de la fraude et d’abus de droit

b-1) Fraude

 L’adage frausomnia corrumpit est apprécié comme un principe général du droit (b-1.1). Lorsque la fraude est rapportée (b-1.2), l’acte doit être annulé.

b-1.1) Principe de fraude

Au sens large, la fraude désigne toute espèce de turpitude, par exemple celle qui consiste à tromper l’autrui à l’occasion de la conclusion d’un contrat. Dans un sens plus étroit, elle vise un comportement plus subtil, qui permet de profiter des imperfections de l’ordre juridique en utilisant une règle de droit afin de paralyser l’application d’une autre règle de droit. Un principe non écrit, mais traditionnel tend alors à corriger les imperfections du système. La fraude corrompt tout, y compris l’application normale des règles de droit. On dit encore – ce qui est plus significatif – que la fraude fait exception à toutes les règles.

Ainsi, dans l’affaire Rivoire et Carret-Lustucru, les Hauts magistrats ont pu décider que deux opérations apparemment licites n’ayant toutefois pour finalité que d’échapper à l’application d’une clause d’agrément étaient entachées de fraude et devaient, dès lors, être annulées (Cass. com., 27 juin 1997, Bull. Joly 1989, p.815, note P. Le Cannu, D. 1990, jurispr. p.314, note Bonnard, RTD com. 1990, p.50, note Y. Reinhard, JCP E 1990, II, 15784, obs. Viandier er J. – J. Caussian).

Rendue à une époque où la violation d’une clause d’agrément n’était pas sanctionnée par la nullité, cette solution doit être étendue à toutes les stipulations contractuelles reconnues valables, telles les clauses statutaires de préemption, qui seraient méconnues à raison d’un concert frauduleux organisé par ceux qui veulent s’en affranchir.

 

b-1.2) La preuve de la fraude

Les juges ont décidé que  la cession réalisée en violation d’une clause statutaire de préemption ou de préférence se résout en dommages et intérêts, excepté en cas de collusion frauduleuses du tiers (Cass. com., 7 mars 1989, Bull. Joly 1989, 245). La cession ne pourra être annulée que si la mauvaise foi du tiers est établie, c’est-à-dire que si le tiers connaissait à la fois l’existence de la clause et l’intention des bénéficiaires de se prévaloir de leur droit (Cass. 3e civ., 26 octobre 1982, Bull. civ. III, n°208). L preuve de la réunion de ces deux éléments incombe au bénéficiaire de la clause. Une cession de titres sociaux au profit d’un tiers  de bonne foi opérée au mépris d’une clause statutaire ne permettra au bénéficiaire de la clause que d’obtenir des dommages et intérêts. Le tiers bénéficiaire sera considéré de bonne foi s’il connaissait la clause mais qu’il ignorait l’intention de son bénéficiaire de s’en prévaloir.

 

b-2) Abus de droit

Le non respect d’une stipulation statutaire par l’assemblée peut encore être annulé si le vote émis par la collectivité des associés est constitutif d’un abus de majorité. Selon une jurisprudence constante, l’abus de majorité se définit comme la résolution prise « contrairement à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité » (Cass.com., 18 avril 1961, JCP G 1961, II, 12164).

Le recours à cette voie d’annulation des délibérations sociales sera privilégié lorsque, sans méconnaître les clauses statutaires constitutives d’un avantage au profit d’un ou plusieurs actionnaires, l’assemblée ne sert pas cet avantage dans le seul dessein de nuire à ses bénéficiaires. L’avantage n’étant octroyé légalement que s’il sert l’intérêt de la société – car à défaut il y aurait atteinte au principe d’égalité des actionnaires -, ne plus le servir revient à le méconnaître (v. pour un refus d’agrément jugé abusif car « discrétionnaire », CA Lyon, 17 mai 2001, JCP E 2002, p.640, obs. D. Mainguy, cependant cassé par Cass. com., 2 juillet 2002, RTD com; 2002, p.494, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard, au motif que la Cour d’appel n’a pas tenu compte des motifs avancés même tardivement par le concédant).

Le recours à la nullité en matière de pactes extrastatutaires est plus limité.

2) La nullité des pactes extrastatutaires

Lorsque la preuve de la mauvaise foi est rapportée la nullité permet d’anéantir l’acte passé en violation des dispositions du pacte (a). Cependant, en principe, elle ne permet pas au bénéficiaire du pacte d’obtenir l’exécution de celui-ci à son profit (b).

 

a) La preuve de la mauvaise foi

Par principe, la nullité d’un acte passé en violation d’un pacte d’actionnaires extrastatutaire n’est pas admise (CA Paris, 12 avril 2002, JurisData n° 2002-175601). La nullité n’est envisageable qu’en cas de mauvaise foi du tiers, encore que la jurisprudence opère une distinction selon la qualification du pacte concerné, plus précisément selon qu’il s’agit d’une promesse unilatérale de vente (a-1) ou d’un pacte de  préférence (a-2).

 

a-1) Promesse unilatérale de vente

Pour les pactes concernant une promesse unilatérale de vente ou une obligation de ne pas céder ses titres, la mauvaise foi du tiers acquéreur  suffit à entraîner l’annulation de la cession réalisée à son profit. Celle-ci s’entend alors de la connaissance par le tiers de l’existence d’un engagement de vendre ou, s’il s’agit d’une clause d’inaliénabilité, d’un engagement de ne pas vendre.

a-2) Pacte de préférence

S’il s’agit d’un pacte de préférence, la mauvaise foi, seule est insuffisante. L’acte ne peut être annulé que lorsqu’il existe une collusion frauduleuse entre les parties auteurs de l’acte pris en violation du pacte:  « Doit être annulée une cession d’actions consentie au mépris d’un pacte de préférence dès lors qu’elle a résulté d’une collusion frauduleuse entre les parties, caractérisée, d’une part, par la connaissance que le tiers acquéreur a eue de l’existence de ce pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir et, d’autre part, par la volonté des parties d’ignorer les droits de ce dernier » (CA Versailles, 20 juin 2003, RJDA 12/2003 , n°1189, p.1032).

L’annulation suppose donc l’existence d’une collusion frauduleuse laquelle requiert  de rapporter une double preuve: le tiers acquéreur doit avoir eu connaissance non seulement de l’existence du pacte mais également de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (Jurisprudence constante : Cass. 3e civ., 26 octobre 1982, Bull. civ. III, n°208 – Cass. 3e civ., 10 février 1999, Bull. civ. III, n°37; RTD civ. 1999, p.616, obs. J. Mestre et RTD civ. 1999, p.856, obs. P.-Y. Gautier- Cass. com., 7 janvier 2004, Bull. Joly 2004, p.544, note P. Le Cannu). Par conséquent, la preuve de la collusion frauduleuse est  particulièrement  difficile à rapporter en pratique. Elle suppose que la partie qui recherche la nullité soit en mesure de  fournir au juge des éléments de fait, que les auteurs de la violation auront certainement pris soin de garder secrets.

Mais cette position restrictive de la jurisprudence n’exclut pas, parfois, une évidente souplesse dans l’admission de la preuve de la connaissance du tiers de la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du pacte de préférence (Cass. com., 12 mars 2002, Dr. et patr. 2003, n° 112, note D. Poracchia).

En tout état de cause, et même dans l’hypothèse où le bénéficiaire du pacte de préférence arriverait à surmonter cette difficulté, la nullité de l’acte passé en violation du pacte de préférence n’a pas forcement d’intérêt si elle ne permet pas l’exécution forcée de la stipulation du pacte violée au profit de la partie lésée, par substitution de cette dernière au tiers.

 

b) La substitution du bénéficiaire lésé au tiers

Après avoir refusé d’admettre la substitution de la partie lésée au tiers (b-1), la Cour de cassation a récemment évolué (b-2).

 

b-1) Le refus d’admettre  la substitution

Dans  l’arrêt du 4 mars 1957, la première Chambre civile de la Cour de cassation a adopté la position suivante : « Si les juges du fond appelés à statuer sur un pacte de préférence ont la liberté d’accorder le mode de réparation qui leur paraît le plus adéquat au dommage subi, ils ne sauraient cependant autoriser le bénéficiaire du pacte à se substituer purement et simplement au tiers acquéreur dans les droits que celui-ci tient de l’aliénation qui lui en a été faite par le promettant » (Cass.1ère civ., 4 mars 1957, Bull. civ. I, n° 197).

Or, si la nullité anéantit l’acte réalisé en violation du pacte, elle ne permet pas nécessairement au bénéficiaire d’obtenir l’exécution du pacte à son profit. En effet, le retour des titres dans le patrimoine du débiteur ne signifie pas que l’on retourne exactement au statu quo ante (sauf le cas particulier des obligations de ne pas faire : par exemple, l’annulation de la cession suffit à restaurer pleinement l’efficacité d’une clause d’inaliénabilité).

Aussi, la possibilité d’une substitution au profit du bénéficiaire du pacte de préférence a-t-elle pu être envisagée en lieu et place d’une simple annulation. Pendant longtemps, la jurisprudence s’est résolument opposée à cette éventualité que nul texte ne prévoit (Cass. com., 7 mars 1989, Schwich et Baizeau, Bull. civ. IV, p.52; JCP G 1989, II, 21316, conclu M. Jéol, note Y. Reinhard; Rev. Sociétés 1989, p. 478, note L. Faugérolas ; RTD civ. 1990, p. 70, obs. J. Mestre) et ce même en cas de collusion frauduleuse avérée entre le promettant et le tiers cessionnaire (Cass. 3e civ., 30 avril 1997, Bull. civ. III, n° 96, D. 1997, p.203, note C. Atias et p.475 note D. Mazeaud; RTD civ. 1997, p. 685, obs. P.-Y. Gautier; Contrats conc. consom 1997, n°128, obs. L. Leveneur).

Cependant, la jurisprudence a récemment évolué sur ce point.

 

b-2) L’admission de la substitution

Depuis l’arrêt du 26 mai 2006 de la chambre mixte de la Cour de cassation, il en va autrement : « le bénéficiaire du pacte est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur». (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376 et 03-19-495 : JurisData n° 2006-033690: Bull. civ. 2006, ch. mixte n° 4 ; JCP G 2006, II, 10142, note L. Leveneur).

La formule employée par la Cour de cassation est suffisamment générale pour s’appliquer à tous les pactes de préférence et non pas seulement à ceux ayant pour objet un immeuble.

En revanche, en matière de promesses unilatérales de vente, l’exécution forcée n’est pas admise (l’exécution forcée sera étudiée plus loin).

Comme la nullité, la résolution entraîne, en principe, l’anéantissement rétroactif du contrat. Mais elle a un fondement différent. Alors que la nullité sanctionne une irrégularité commise au moment de la formation du contrat, la résolution frappe un contrat, régulièrement conclu, en raison de la survenance postérieurement à sa formation de certains faits, notamment  l’inexécution par une des parties de ses obligations.

B. Sanction discutable : la résolution judiciaire

Le principe de la résolution judiciaire du contrat est posé de façon générale par le code civil. Aux termes de l’article 1184 code civil : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisferait point à son engagement » (al.1er ). « Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix, ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts » (al.2). « La résolution doit être demandée en justice… » (al.3).

Il convient d’envisager les conditions de la mise en œuvre de la résolution judiciaire (1) ainsi que l’application jurisprudentielle de celle-ci en matière de pactes d’actionnaires (2).

 

1) Conditions de la mise en œuvre de la résolution judiciaire

L’alinéa 1er de l’article 1184 du code civil dispose : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques (a), pour le cas où l’une des deux parties ne satisferait point à son engagement » (b).

 

a) La condition résolutoire est sous-entendue dans les contrats synallagmatiques

La résolution judiciaire des contrats synallagmatiques a son origine, non pas dans le droit romain, mais dans le droit canonique. Les canonistes ont mis en lumière le lien qui unit les obligations réciproques engendrées par les contrats synallagmatiques et ils en ont déduit cette règle que le contractant qui ne tient pas sa promesse perd le droit d’exiger l’exécution de celle qui lui a été faite en retour : Frangenti fidem non est fides servanda (à celui qui rompt la foi, la foi n’est pas due). De cette règle, ils ont conclu que le contractant qui ne pouvait obtenir l’exécution de la prestation de son adversaire avait le droit, non seulement de ne pas exécuter la sienne (exceptio non adimpleti contractus), mais aussi de demander la résolution du contrat. Seulement, pour obtenir cette résolution, le contractant devait s’adresser à la justice, car seul le tribunal pouvait le délier de sa propre obligation.

Les pactes d’actionnaires sont par essence des contrats synallagmatiques.

 

b) L’inexécution de l’obligation par l’une des parties

S’il n’est pas nécessaire, pour que la résolution soit obtenue, que le créancier ait subi un préjudice, encore faut-il qu’il y ait eu inexécution de l’obligation du débiteur (b-1). Mais pareil solution ne saurait être admise de manière trop absolue (b-2).

 

b-1) La suffisance de l’inexécution de l’obligation

L’inexécution de l’obligation du débiteur est condition suffisante; il n’est pas requis, en effet, que cette inexécution soit fautive, ni qu’elle soit totale. Il suffit donc que l’inexécution soit  simplement partielle. Cependant, l’anéantissement rétroactif du contrat qu’entraîne la résolution peut, en effet, se révéler disproportionné par rapport au manquement. Appelé à prononcer la résolution (et non pas à la constater simplement), le juge dispose d’un assez large pouvoir d’appréciation. Il lui donc appartient de vérifier si les manquements du débiteur sont suffisamment graves pour justifier la résolution. A cet effet le juge doit prendre en compte « toutes les circonstances de la cause intervenues jusqu’au jour de la décision » (Cass. 3e civ., 5 mai 1993, Contrats, conc., consom. 1993, n°173, obs. L. Leveneur).

b-2) L’appréciation par le juge de l’opportunité de la résolution

 En règle générale, le juge prononce la résolution s’il estime que l’altération du lien contractuel est telle que le demandeur n’aurait pas contracté s’il l’avait prévue. En d’autres termes, il doit s’assurer que la prestation non exécutée constitue bien la cause de l’obligation du demandeur (Cas. civ., 31 octobre 1962, D. 1963. 363).

En pratique, le juge tient compte aussi des circonstances économiques qui peuvent rendre la résolution plus ou moins opportune, ainsi que de l’importance d’une faute commise par le débiteur (Cass. Req., 13 novembre 1928, DH 1928, 589), bien que la résolution judiciaire ne soit pas subordonnée  à la preuve de la mauvaise foi de celui-ci.

Appréciant souverainement s’il y a lieu de prononcer la résolution du contrat, le juge peut, s’il s’y refuse, prendre d’autres mesures. Le juge peut notamment, tout en rejetant la demande en résolution, accorder au demandeur des dommages et intérêts (Cass. civ., 5 mai 1920, S. 1921. 1. 298). Le juge peut également prononcer une résolution partielle, en réduisant la prestation due (Cass. civ., 1er avril 1924, S. 1925. 1. 37). On objecte à cette dernière solution qu’elle constituait une véritable modification judiciaire de la convention.

2) L’application jurisprudentielle de la résolution en matière de pactes d’actionnaires

Ainsi, la résolution judiciaire du pacte n’est pas ouverte à la partie lésée puisque les juges exigeront, pour la prononcer, que l’inobservation de la clause soit d’une gravité suffisante (a). Toutefois, afin d’éviter le refus de prononcer la résolution judiciaire, certaines solutions peuvent être proposés (b).

a) L’exigence d’une gravité suffisante de l’inobservation des stipulations du pacte

Une décision de la Cour d’appel de Paris  illustre parfaitement  l’exigence d’une gravité suffisante de l’inobservation des stipulations du pacte  (CA Paris, 27 mars 2007, RG n° 05/19892). En l’espèce, un actionnaire minoritaire avait subordonné son entrée au capital social à la signature d’un pacte extrastatutaire lui garantissant  un accès renforcé à l’information sur la gestion sociale. Compte tenu du défaut de l’exécution de ce pacte, il se plaignait de ce que l’information qui lui avait été promise ne lui avait pas été communiquée et, faisant valoir que la garantie d’un accès à l’information constituait la condition essentielle de son investissement, il demandait la résolution du pacte. CA refuse la résolution demandée au motif que « l’inobservation de la clause n’est pas d’une gravité telle qu’elle justifierait la résolution du pacte ».

L’affirmation est impressionnante. Au contraire de ce que décide la Cour, on pouvait penser que, pour un minoritaire, l’objet essentiel d’un pacte lui accordant un droit d’accès renforcé à l’information et précisément cette amélioration de son information, de sorte que la méconnaissance des obligations créées à ce titre par le pacte devrait constituer la violation d’une obligation  essentielle de nature à emporter la résiliation du pacte. En décidant le contraire, la Cour laisse entendre qu’il convient, pour apprécier le caractère essentiel ou non d’une obligation, d’avoir du pacte une vision globale. Une vue d’ensemble de l’accord aboutit en effet à considérer que les droits  reconnus à tel ou tel minoritaire signataire du contrat  ne peuvent pas en constituer l’objet essentiel et constituer une clause dont la méconnaissance serait d’une gravité suffisante pour justifier la résolution du pacte en son entier.

Afin d’éviter le refus de la mise en œuvre de la résolution judiciaire, deux solutions sont envisageables.

b) Les solutions permettant d’éviter le refus de prononcer la résolution judiciaire

Les parties ont le choix. Elles peuvent contractualiser le caractère essentiel et déterminent de l’engagement (b-1). Elles peuvent également recourir à un palliatif contractuel en stipulant une clause de résolution de plein droit (b-2).

 

b-1) La qualification expresse de l’engagement d’essentiel et de déterminent

Il est permis de considérer que dans l’arrêt en question (CA Paris, 27 mars 2007, précité) la solution aurait ainsi été différente si le pacte avait expressément stipulé que les engagements pris en matière de communication de l’information étaient essentiels et qu’ils avaient été déterminants du consentement de l’actionnaire minoritaire à contracter (v. en ce sens, F.-X. Lucas, Bull. Joly sociétés, 1er septembre 2007, n° 9, p.1002).

 

b-2) La stipulation d’une clause résolutoire

Il est plus opportun d’insérer une clause résolutoire, laquelle permettra la résolution de plein droit du pacte st privera ainsi le juge de son pouvoir d’appréciation (la clause résolutoire sera étudiée d’une manière plus détaillée plus loin).

Toutes ces mesures  n’équivalent pas à l’exécution forcée. Notamment,  en cas de violation d’une clause de rupture, celui qui est en droit d’acheter des actions souhaitent obtenir le transfert forcé de ces actions à son profit.

 

§.2. L’admission limitée de l’exécution forcée

 En droit positif, l’exécution forcée occupe une place de choix parmi l’ensemble des sanctions de l’inexécution du contrat. L’accès à l’exécution forcée a progressivement été élargi par la jurisprudence, à tel point d’ailleurs qu’en droit comparé, le droit français est présenté comme l’un de ceux qui favorisent le plus cette sanction au monde. Peut-on aller au-delà et prononcer l’exécution forcée d’un pacte d’actionnaires renfermant une obligation de faire ou de ne pas faire? Traditionnellement, l’on enseigne que  les obligations de faire ou de ne pas faire concrétisant un droit de créance personnel, toute exécution forcée de ces pactes semble donc a priori exclue. La solution, outre qu’elle n’est pas heureuse, n’est de surcroît pas certaine. En effet, un principe traditionnel du droit français veut que le juge dispose des pouvoirs les plus larges  pour choisir la réparation la plus adéquate. Or, il ne fait nul doute que ni la simple allocation des dommages et intérêts, ni même l’annulation de l’acte passé en méconnaissance des droits du bénéficiaire du pacte ne constituent des réparations adéquates. Cette situation est d’autant plus critiquable que, comme on le sait, les cas dans lesquels la demande d’exécution forcée en nature est rejetée au profit d’une condamnation aux dommages et intérêts  sur le fondement de l’article 1142 sont devenues exceptionnels et sont cantonnés aux hypothèses où l’exécution en nature risquerait de porter atteinte à une liberté jugée essentielle du débiteur (A). En effet, l’impossibilité de faire exécuter de force une obligation de faire ou de ne pas faire se conçoit que si elle implique par trop l’intervention personnelle de son débiteur (Cass. civ., 14 mars 1900: DP 1900, 1, p.497, à propos d’un auteur). En dehors de cette hypothèse, l’exécution forcée de l’obligation, c’est-à-dire son exécution par le débiteur au profit  de son créancier, doit être prononcée (Cass.com., 21 mars 1984, Bull. civ. IV, p.96, contraignant un fournisseur à livrer la marchandise). C’est d’ailleurs en ce sens que se prononcent certaines juridictions de fond décidant que le créancier d’un pacte d’actionnaires portant une obligation de faire a le droit d’en réclamer l’exécution forcée chaque fois que celle-ci est possible (B).

 

A. L’élargissement de l’accès à l’exécution forcée

L’élargissement de l’accès à l’exécution forcée est frappant (1), mais incomplet comme le montre le régime applicable à l’inexécution de la promesse unilatérale de vente (2).

1) L’ampleur de l’élargissement

A première vue, le principe selon lequel « toute obligation de faire ou de ne pas faire  se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur » (art.1142 C.civ.) est simple et définitif. Concrètement, le créancier victime de l’inexécution doit se contenter de dommages et intérêts. C’est ce résultat que la jurisprudence a modifié, avec l’approbation d’une majorité de la doctrine. On ne compte plus en effet les exemples de condamnations à l’exécution en nature dans les recueils de décisions: condamnations à refaire les travaux, à fermer un fonds de commerce, à restituer la chose promise, à cesser une activité, à livrer un bien, etc.

Le nombre des exceptions est tel que l’on peut légitimement se demander si le principe n’est pas renversé: « Le juge a progressivement mis entre parenthèses les termes de l’article 1142 pour faire du droit à l’exécution forcée le principe » (J. Mestre, « Le juge face aux difficultés d’exécution du contrat», in Le juge te l’exécution du contrat, PUAM 1993, p.91s.). 

En effet, si  l’importance de la règle ne peut être déniée, il faut se garder cependant d’en exagérer la portée. Moyennant une systématisation outrancière, on a pu imaginer que tout débiteur d’une obligation autre que de somme d’argent disposerait d’une option entre l’exécution volontaire et  la simple indemnisation créancier, celui – ci ne pouvant le contraindre à l’exécution en nature. Si une telle conclusion était formée, un rude coup serait porté au principe de la force obligatoire, en particulier en matière contractuelle (art.1134 C.civ.). Le fondement même de la règle formulée par l’article 1142 du code civil permet à la Cour de cassation d’en tracer les limites (a). Pour être un peu plus complet, il faut ajouter que dans le même temps, la Haute juridiction a élargi la portée des exceptions à l’article 1142 (b).

 

a) La neutralisation du principe légal formulé par l’article 1142 par la Cour de cassation

L’élargissement du domaine de l’exécution forcée a été rendu possible par le dépassement de l’article 1142 du code civil. Disons-le clairement : la Cour de cassation ignore ou feint d’ignorer le sens littéral de ce texte parce que, pris à la lettre, il aboutit à des conséquences qu’elle juge néfastes. Pour mieux illustrer la tendance actuelle, arrêtons-nous sur quelques décisions récentes et remarquées. Par l’arrêt du 26 mai 2006 la Cour de cassation a admis l’exécution forcée d’un pacte de préférence tout en subordonnant celle-ci à une double preuve (a-1). La possibilité de rapporter cette dernière est illustrée par l’arrêt du 14 février 2007 (a-2). Enfin, l’arrêt du 16 janvier 2007 apporte quelques précisions supplémentaires relatives à la mise en œuvre de l’exécution forcée (a-3).

 

a-1) L’admission de l’exécution forcée d’un pacte de préférence subordonnée à une double preuve : l’arrêt rendu le 26 mai 2006 par la chambre mixte de la Cour de cassation

La première décision est l’important revirement opéré le 26 mai 2006 par une chambre mixte de la Cour de cassation à propos de l’inexécution d’un pacte de préférence (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376 et 03-19-495: JurisData n° 2006-033690: Bull. civ. 2006, ch. mixte n°4 ; JCP G 2006, II, 10142, note L. Leveneur).  Comme chacun sait, jusqu’à cette date, le bénéficiaire lésé ne pouvait en principe obtenir que des dommages et intérêts, en application de l’article 1142 du code civil. Depuis l’arrêt du 26 mai 2006, il en va autrement : « le bénéficiaire du pacte est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur».

La formule employée par la Cour de cassation est suffisamment générale pour s’appliquer à tous les pactes de préférence et non pas seulement à ceux ayant pour objet un immeuble. Désormais, l’exécution forcée (qui prend la forme d’une substitution de personnes en l’occurrence) l’emporte sur la compensation pécuniaire. Mais c’est à une condition posée par le même arrêt : le bénéficiaire doit établir que le tiers avait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, d’une part, de l’existence du pacte de préférence, et d’autre part, de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Sans le dire expressément, il s’agit de démontrer la tierce complicité entre le promettant et le tiers acquéreur, condition qui n’était pas remplie en l’espèce.

Ce revirement a été diversement apprécié. D’abord, il n’est pas très logique d’admettre la substitution dans les droits d’un cocontractant dont le contrat a été annulé et qui est donc censé n’avoir jamais existé. Il aurait été préférable de déclarer la vente inopposable au bénéficiaire et de résoudre le conflit au profit de ce dernier s’il rapporte la preuve exigée par la Cour de cassation (V. en ce sens, R. Libchaber, obs. ss Cass. 3e civ., 31 janv. 2007, n° 05-21.071 et Cass. 3e civ., 14 févr. 2007, n° 05-21.814 : Defrénois 2007, art. 38624, p.1048. – JurisData n° 2007-037159 : JCP G 2007, IV, 1476 ; JurisData n° 2007-037358; JCP G 2007, II, 10143, note D. Bert.). Ensuite et surtout du point de vue qui nous retient, si certains se sont félicités de la place accordée à l’exécution forcée, ils ont craint parallèlement que la condition posée par la Cour de cassation rende théorique l’accès à cette sanction (V. par ex., P.-Y. Gautier, note ss Cass. ch. mixte, 26 mai 2006,  préc.: D. 2006, p. 1861). Selon eux, la charge de la preuve serait trop accablante. La suite devait démontrer le contraire.

 

a-2) L’illustration de la réunion des conditions posées par l’arrêt du 26 mai 2006 : l’arrêt rendu le 14 février 2007 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation

Quelques mois plus tard à peine, le 14 février 2007, la troisième chambre civile a rendu un arrêt illustrant une substitution du bénéficiaire au tiers acquéreur, signe que la condition posée n’est pas impossible à remplir (Cass. 3e civ., 14 févr. 2007, n° 05-21.814: JurisData n° 2007-037358; Bull. civ. 2007, III, n° 25; JCP G 2007, II, 10143, note D. Bert). Mais il est vrai malgré tout que la preuve, non pas de la connaissance du pacte, mais de la connaissance de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir sera en général difficile à rapporter.

On constate que la Cour de cassation  a neutralisé l’article 1142. Par conséquent, seules doivent être exclues les atteintes directes à la liberté de la personne du débiteur. Tous autres moyens légitimes de le faire venir à résipiscence peuvent être mis en œuvre, soit en menaçant ses intérêts patrimoniaux, soit en se dispensant de son intervention. Ainsi, le procédé de contrainte indirecte que constitue l’astreinte trouve-t-il là son domaine de prédilection.

A ce titre, une  affaire retient l’attention (Cass. 1re civ., 16 janv. 2007, n° 06-13.983 : JurisData n°2007-036916 ; Bull. civ. 2007, I, n°19 ; Chronique Droit des obligations : JCP G 2007, I, 161, obs. M. Mekki; JCP G 2007, IV, 1360).

a-3) Les précisions complémentaires relatives à l’exécution forcée : l’arrêt rendu le 16 janvier 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation

Ce litige opposait deux éditeurs. L’un avait cédé à l’autre le droit d’exploiter une oeuvre dans la collection « Livre de poche » et s’était par ailleurs engagé à ne pas publier ou à ne pas laisser publier cette oeuvre dans une collection qui puisse faire une trop forte concurrence au cessionnaire. Plus tard, apprenant que le cédant s’apprêtait à violer cet engagement, le cessionnaire demande en référé l’interdiction sous astreinte de la poursuite des actes de commercialisation ainsi que le retrait des exemplaires déjà mis sur le marché. Faisant une application littérale de l’article 1142 du code civil, la cour d’appel de Paris rejette la demande du cessionnaire et condamne simplement le cédant au versement de dommages et intérêts. Elle ajoute que le pouvoir de prononcer des mesures d’interdiction n’appartient qu’au juge des référés en vertu de la loi (code de procédure civile). Le pourvoi formé contre cet arrêt est accueilli.

Si l’arrêt rendu le 16 janvier 2007 mérite d’être évoqué ici, c’est au moins pour deux raisons.

La première raison est qu’il énonce clairement que l’exécution forcée est une faculté pour le créancier lorsqu’elle est possible. Certes, ce n’est pas en soi une nouveauté. Il y a des précédents et après tout, la Cour de cassation ne fait que répéter à sa manière les termes de l’article 1184 alinéa 2 du code civil. Dans la mesure où l’exécution forcée est considérée par la Cour de cassation comme un « droit » ou une « faculté » appartenant au créancier, plusieurs conséquences en découlent. Le créancier étant maître de la situation, cela signifie qu’il peut demander l’exécution forcée mais qu’il ne peut pas la subir. Autrement dit, le débiteur défaillant ne peut pas la lui imposer. Dans le même ordre d’idées, l’exécution forcée ne peut pas non plus être imposée au créancier par le juge. Pour pouvoir être ordonnée, l’exécution forcée doit avoir été demandée. Si le créancier préfère des dommages et intérêts, le juge ne peut pas passer outre la demande. La solution découle du principe « dispositif » auquel fait d’ailleurs allusion l’arrêt du 16 janvier 2007 en visant l’article 4 du code de procédure civile.

Ce qui est particulièrement intéressant dans cet arrêt, c’est que l’article 1142 est visé. Il est donc clair qu’en l’espèce la Cour de cassation a neutralisé le principe légal.

Mieux, elle le renverse: en principe, dit-elle, le créancier peut demander l’exécution forcée, alors que le texte visé dit très exactement le contraire.

La seconde raison d’évoquer cet arrêt est qu’il indique que le prononcé de mesures d’interdiction et de retrait destinées à assurer l’exécution de l’obligation contractuelle entre dans les pouvoirs des juges du fond et non pas seulement dans les pouvoirs du juge des référés. Ce faisant, la Cour de cassation renforce l’effectivité du droit qu’elle reconnaît à tout créancier de demander l’exécution forcée de son obligation contractuelle.

La Cour de cassation a étendu  par ailleurs le domaine des exceptions à l’article 1142.

 

b) L’élargissement de la  portée des exceptions légales à l’article 1142 du code civil

Tout en neutralisant la portée de l’article 1142, la Cour de cassation a élargi celle des articles 1143 et 1144 qui sont dans le code civil des exceptions à l’article 1142. En effet, ils apparaissent désormais comme des applications spéciales du droit d’accès à l’exécution en nature permettant directement au créancier d’obtenir le résultat escompté en se passant de l’intervention personnelle (ou de l’abstention) du débiteur. Les articles 1143 (b-1) et 1144 (b-2) en donnent des illustrations, qu’il n’y a pas lieu de considérer comme limitatives (b-3). 

b-1) Destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation de ne pas faire: l’article 1143 du code civil.

Chaque fois que cela est possible, « le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait en contravention de l’engagement soit détruit ». Si le débiteur n’obtempère pas, le créancier « peut se faire autoriser à détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu ».

Ce premier correctif ne vaut cependant que pour une catégorie limitée d’obligation de ne pas faire.

 

b-2) Faculté de remplacement: l’article 1144 du code civil

Lorsque l’obligation est de faire et chaque fois que cela est possible, « le créancier peut aussi …être autorisé à faire exécuter lui – même l’obligation aux dépens du débiteur », qui «  peut être condamné à faire l’avance des sommes nécessaires à cette exécution ».

La portée de cette exception est à l’évidence plus large que la précédente. Sa mise en œuvre suppose seulement que l’exécution en nature présente encore un intérêt et qu’elle soit possible par un autre que le débiteur, ce qui exclut les obligations marquées d’un fort intuitu personae ou ayant pour objet un bien déterminé, non fongible. Comme le texte l’indique, une autorisation judiciaire est nécessaire, sauf cependant en cas d’urgence et, en vertu de l’usage en matière commerciale, permettant au créancier de mettre en œuvre la faculté de remplacement, après une simple mise en demeure du débiteur.

 

b-3) Constatation judiciaire d’un acte juridique

 Lorsque l’obligation de faire est celle de passer un acte juridique, il est parfois possible d’y suppléer par une décision judiciaire. Tel est le cas, en particulier, pour les ventes immobilières passées par acte sous seing privé, qui requièrent pour leur pleine efficacité l’accomplissement des formalités de la publicité foncière, donc un acte authentique.

La même solution devrait être appliquée dans l’hypothèse où la levée de l’option par le bénéficiaire d’une promesse unilatérale a rendu la vente parfaite (Civ.3e , 8 novembre 1968, Bull. civ. III, n° 457). Cependant dans les arrêts les plus récents la Cour de cassation se prononce en sens contraire, au  motif que l’auteur de la promesse n’est tenu, jusqu’à la levée de l’option, que d’une obligation de faire (Cass.3e civ.,15 décembre 1993, Cruz c/ Godard,  n° 91-10.199 : Bull. civ. 1993, III, n° 174 – Cass. 3e civ., 27 mars 2008, n° 07-11.721, FS D, Sté Ogic c/ SCI Foncière Costa et a. : JurisData n° 2008-043404).

 

2) Le cas d’une promesse unilatérale de vente

Le vent d’efficacité qui souffle actuellement sur le droit des contrats et, notamment, sur les avant-contrats, ne fait pas évoluer la jurisprudence de manière homogène. Après avoir provoqué un revirement spectaculaire dans le domaine du pacte de préférence (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, précité), il inspire une décision nuancée et corrélativement discrète s’agissant de la promesse unilatérale de vente (Cass.3e civ.,15 décembre 1993, précité – Cass. 3e civ., 27 mars 2008, précité). Fournissant au créancier l’objet précis de la prestation promise sans porter une atteinte insupportable à la liberté individuelle du débiteur, l’exécution forcée ne devrait pas par principe être exclue en cas d’inexécution d’une promesse unilatérale de vente. Telle n’est pourtant pas la position de la Cour de cassation (a). Cette situation suscite de nombreuses interrogations relatives à l‘éloignement excessif du pacte de préférence (b).

 

a) La position de la Cour de cassation : le refus de prononcer l’exécution forcée d’une promesse unilatérale de vente.

Malgré les critiques doctrinales, la Cour de cassation a maintenu la position prise dans l’arrêt du 15 décembre 1993 (a-1). En effet, un arrêt très récent s’inscrit dans le courant jurisprudentiel affirmant que le promettant peut revenir utilement sur son engagement   (a-2).

a-1) L’arrêt de principe rendu le 15 décembre 1993 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation

 Dans cette affaire bien connue, le promettant s’est rétracté avant que les bénéficiaires d’une promesse unilatérale de vente ne lèvent l’option. Une fois l’option levée, la réalisation forcée de la vente est demandée. La Cour d’appel de Paris déboute les bénéficiaires au motif que l’obligation du promettant est une obligation de faire qui se résout, en cas d’inexécution, en dommages et intérêts. Le pourvoi, dans lequel le demandeur soutient que l’obligation du promettant est une obligation de donner susceptible d’exécution forcée, est rejeté.

Selon la Cour de cassation, tant que les bénéficiaires n’ont pas déclaré acquérir, l’obligation du promettant n’est qu’une obligation de faire et la levée de l’option, postérieure à la rétractation, exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. Dans l’ensemble, cet arrêt a été critiqué tant pour ses motifs que pour sa solution. Les motifs, tout d’abord, n’ont pas convaincu. Certains auteurs ont soutenu que l’obligation du promettant n’est pas une obligation de faire comme le dit la Cour de cassation, mais une obligation de ne pas faire (ne pas faire obstacle à la levée de l’option). Mais du point de vue de l’article 1142, cette observation ne change rien à la solution puisque ce texte vise indifféremment les obligations de faire et de ne pas faire. D’autres auteurs ont soutenu que le promettant est tenu d’une obligation de donner (il promet de transférer la propriété); ce que contestent ceux qui dénient à la promesse un caractère translatif. C’est ensuite et surtout la solution qui a été critiquée. Car au fond, que l’obligation soit de faire, de ne pas faire ou de donner n’est plus déterminant en droit positif. Le domaine de l’exécution forcée ne dépend plus de la nature de l’obligation mais de la possibilité de sa mise en œuvre. Or les auteurs font observer qu’il n’y a pas d’obstacle matériel, ni d’obstacle tenant au respect de la liberté individuelle du débiteur, qui puisse justifier de manière aussi générale la mise à l’écart de l’exécution forcée.

La Cour de cassation a pourtant  maintenu sa position.

a-2) Le maintien du principe

La Haute juridiction a réaffirmé sa position non seulement avant que l’exécution forcée d’un pacte de préférence ne soit pas admise par l’arrêt du 26 mai 2006 (a-2.1), mais elle maintient encore sa position dans la jurisprudence postérieure à cette date (a-2.2).

a-2.1) L’arrêt rendu le 28 octobre 2003 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation

En dépit de ces critiques fortes et répétées, et de la tentative de minimiser la portée de l’arrêt de 1993 au motif que le promettant était une personne âgée que la Cour de cassation aurait voulu protéger, la jurisprudence de la Cour de cassation n’a pas varié. Dix ans plus tard, le 28 octobre 2003, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a maintenu son analyse (Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, n°02-14.459 : JurisData n°2003-020753  ; RDC 2004, p.270, obs. D. Mazeaud) : dans une affaire comparable à celle de 1993, elle décide que l’obligation du promettant est une obligation de faire qui ne peut se résoudre, en cas d’inexécution, qu’en dommages et intérêts.

Depuis le 28 octobre 2003, l’évolution de la jurisprudence concernant la sanction de la violation des pactes de préférence a changé. Certains avaient espéré que le revirement du 26 mai 2006 ne serait qu’une première étape et que la Cour de cassation étendrait bientôt par analogie aux promesses unilatérales la solution qu’elle retient désormais en matière de pacte de préférence.

L’espoir d’extension de l’exécution forcée à l’inexécution des promesses unilatérales de vente n’était pas dénué de tout fondement : après tout, les raisons justifiant le prononcé de l’exécution forcée en général et son prononcé aux pactes de préférence en particulier ne sont pas moins valables ici. L’opportunité de cette sanction n’est pas inférieure sous prétexte que le contrat violé est une promesse unilatérale. Quant au fait que la promesse unilatérale de vente n’emporte pas par elle-même transfert de propriété, on peut répondre que l’exécution forcée n’est pas réservée aux contrats translatifs de propriété. Précisément, le pacte de préférence n’est pas translatif, ce qui n’a pas empêché la Cour de cassation d’admettre son exécution forcée à certaines conditions.

En somme, les raisons d’étendre l’exécution forcée à l’inexécution des promesses unilatérales de vente paraissaient solides. Pourtant, la Cour de cassation a réaffirmé sa position dans un arrêt du 27 mars 2008.

 

a-2.2) L’arrêt rendu le 27 mars 2008 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation

Dans cette affaire (Cass. 3e  civ., 27 mars 2008, n° 07-11.721, FS D, Sté Ogic c/ SCI Foncière Costa et a. : JurisData n° 2008-043404) le bénéficiaire d’une promesse unilatérale, précisant notamment que l’engagement de vendre était « ferme et définitif », avait levé l’option en dépit de la « rétractation » préalable du promettant qui refusait consécutivement de signer l’acte authentique. Le bénéficiaire avait prétendu en vain devant la cour d’appel que les stipulations de la promesse lui permettaient de solliciter non plus seulement des dommages et intérêts, mais l’exécution forcée du contrat, c’est-à-dire la constatation judiciaire de la vente.

Pour  rejeter le pourvoi, qui reprochait à la Cour d’appel d’avoir dénaturé la promesse en jugeant qu’elle ne contenait pas de clause en ce sens, la Cour de cassation affirme :

« Ayant retenu que si les parties à une promesse unilatérale de vente étaient libres de convenir que le défaut d’exécution par le promettant de son engagement de vendre pouvait se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la vente, force était de relever que les actes conclus entre (les parties) n’avaient pas stipulé que l’inexécution par le promettant de son engagement ferme et définitif de vendre se résoudrait par une autre voie que celle prévue à l’article 1142 du code civil, la Cour d’appel, sans dénaturation, en a exactement déduit que le bénéficiaire n’était pas fondé à prétendre à une exécution en nature et que (le promettant) devait réparer le dommage que l’inexécution de son obligation de vendre avait pu causer au bénéficiaire ».

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’exécution de la promesse obéit sans justification évidente à des règles très différentes de celles du pacte de préférence.

 

b) L’éloignement excessif du pacte de préférence

La doctrine considère que ce qui vaut pour le pacte de préférence devrait valoir a fortiori pour la promesse unilatérale de vente dans laquelle le consentement à l’opération finale a d’ores et déjà été donné par le promettant. En effet, on ne voit pas très bien pourquoi «la priorité de celui à qui on a promis de vendre [serait] moins bien protégée que la priorité de celui à qui on ne l’a pas promis » (F. Collart-Dutilleul, obs. ss Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376, précité : RDC 2006, p.1131, spéc., p. 1133).

La promesse unilatérale de vente et le pacte de préférence ont tous deux pour finalité d’offrir à leur bénéficiaire un accès préférentiel à la propriété d’un bien donné. La différence tient seulement à ce que, dans la promesse, un pas supplémentaire est accompli dès l’origine par le promettant en direction de la vente.

Malheureusement, cette avancée a été appréhendée au moyen du concept d’obligation avec les difficultés d’exécution qui en découlent. La chance du pacte aura été d’être plus insaisissable. La préférence qu’il met en place a été consacrée comme telle, ce qui lui permet d’échapper désormais, sans l’aide d’aucune clause, à l’article 1142 du code civil (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, précité.). Il est regrettable que ce qui devait faire de la promesse unilatérale de vente un accès au bien plus direct que le pacte de préférence est aujourd’hui ce qui fait d’elle le moins efficace de ces deux avant-contrats. Dans l’un et l’autre cas, il faut admettre que la préférence accordée ne découle pas d’une obligation.

Dans cette perspective et dans le fil d’une distinction désormais célèbre (P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat : RTD civ. 1999, p. 711), le juge n’est pas appelé à forcer le promettant à exécuter la promesse unilatérale, mais à appliquer la préférence contractuelle comme il appliquerait la loi, en tenant compte de la présence éventuelle d’un tiers acquéreur. On observe à cet égard que les articles 1106, alinéa 3, et 1106-1, alinéa 3, de l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription soumettent la promesse et le pacte au même traitement, en privant leur violation d’effet sous réserve de la bonne foi du tiers éventuellement impliqué.

La question ne s’étant pas posée dans l’arrêt du 27 mars 2008, rien n’est dit des effets de la clause d’exécution en nature en présence d’un tiers acquéreur. Sa mauvaise foi devrait rester déterminante. Elle pourrait être suffisamment caractérisée par la simple connaissance de la promesse de vente. Exiger en outre que le tiers complice ait connu l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir n’a de sens qu’en présence d’un pacte de préférence dont on sait qu’il peut être dépourvu de terme sans que l’écoulement d’un délai de prescription n’en provoque l’extinction. C’est alors qu’il importe de ne pas imposer aveuglément une préférence que son bénéficiaire a pu lui-même perdre de vue.

En somme, les raisons justifiant le prononcé de l’exécution forcée aux pactes de préférence ne sont pas moins valables ici.

Elles le sont peut-être moins pour les promesses unilatérales de contrats à exécution successive, c’est-à-dire des contrats dans lesquels la relation entre les parties s’étale dans le temps et pour lesquels l’absence de confiance est assez préjudiciable (V. en ce sens, G. Viney, obs. ss Cass. 3e civ., 14 févr. 2007, n°05-21.814 et Cass. 1re civ., 16 janv. 2007, n°06-13.983 : RDC 2007, p.741, spéc., p.743).

 

B. Limites de l’exécution forcée des pactes d’actionnaires

En dépit de la force obligatoire des conventions, l’exécution en nature des pactes d’actionnaires est souvent entravée par des considérations propres soit au droit des sociétés, comme en matière de conventions de vote (1), soit au droit des obligations, comme c’est le cas des pactes relatifs aux cessions des titres (2).

 

1) Exécution forcée des conventions de vote

Longtemps, le contentieux relatif aux conventions de vote s’est focalisé sur leur validité, coupant court à la question de leur exécution forcée. La jurisprudence en ce domaine est donc assez rare et, de plus, délicate à systématiser. Néanmoins, deux axes se dessinent selon que l’exécution en nature sollicitée est antérieure (a) ou postérieure (b) à l’assemblée au cours de laquelle le vote a été émis contrairement au sens prévu par la convention. Cette ligne de partage résulte du principe d’intangibilité des délibérations sociales qui s’oppose notamment à leur remise en cause (V. A. Mignon-Colombet, « L’exécution forcée en droit des sociétés », préf. Y. Guyon, Economica, 2004, n°240; Y. Reinhard, « Exécution en nature des pactes d’actionnaires », RDC 2005, p.115 s.)

 

a) Avant la tenue de l’assemblée

Les tribunaux ont admis parfois le principe des mesures préventives. La voie de référé est alors la seule adaptée pour agir à bref délai. Le juge des référés tient des articles 872 et 873 du code de procédure civile le pouvoir de prescrire les mesures que justifie l’existence d’un différend ou qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent.  Celles-ci peuvent être très diverses. La Cour de cassation a pu ainsi confirmer le bien fondé de la nomination d’un contrôleur de gestion ayant pour mission de surveiller les agissements d’un cessionnaire, lequel, par acte extrastatutaire, s’était engagé à maintenir la pérennité de l’entreprise, de son activité et de la situation de son personnel (Cass. Com., 10 janvier 1972, Bull. civ. IV, n°13; JCP 1972, II, 17134, note Y. Guyon). La nécessité de faire respecter le pacte se confondait ici avec pleinement avec la défense de l’intérêt social.

A titre conservatoire, le juge des référés peut également désigner un séquestre judiciaire des droits sociaux du débiteur sur le fondement de l’article 1961 du code civil (Cass. Com., 15 février 1983, Bull. civ. IV, n°67). Selon les cas, le séquestre peut être autorisé par le juge à voter à l’assemblée.

De manière autrement plus grave pour le fonctionnement régulier de la société, le juge des référés peut encore décider d’ajourner l’assemblée. Le seul risque de violation d’une convention de vote ne saurait justifier une telle mesure. L’intérêt social doit être menacé par la décision susceptible d’être adaptée au mépris de la convention de vote (CA Paris, 8 décembre 1988, Rev. Sociétés 1989, p.227, note P. Le Cannu; T. com. Paris, 1er décembre 1992? JCP E 1993 II, 384, note A. Viandier).

Dans ces diverses hypothèses, la principale difficulté sera souvent d’ordre probatoire : encore faut-il pouvoir justifier de la ferme intention du débiteur de ne pas voter dans le sens convenu. L’existence d’un précédent pourra parfois en constituer un indice.

 

b) Après la tenue de l’assemblée

Cette difficulté ne se pose évidemment plus une fois que l’assemblée s’est tenue, le sens du vote étant alors connu. En revanche, l’existence d’une décision sociale régulièrement adoptée constitue un obstacle quasi insurmontable à l’exécution en nature de la convention de vote (b-1). Toutefois, certaines décisions ont admis l’exécution en nature d’obligations de voter dans un sens convenu (b-2).

 

b-1) Le principe d’intangibilité des délibérations sociales

L’intangibilité des délibérations sociales prime sur le respect d’une convention particulière et s’oppose à ce que le tribunal puisse remettre en cause une résolution  qui n’est entachée d’aucune irrégularité sous l’angle du droit des sociétés.

 Un jugement du tribunal  de commerce de Paris, a clairement exprimé cette logique: « quels qu’aient pu être les engagement antérieurs qu’a pus prendre l’associé,  il reste libre de modifier son vote jusqu’à la dernière seconde sauf éventuellement à engager sa responsabilité personnelle par rapport à ses engagements contractuels antérieurs et qui sont étrangers aux dispositions légales applicables aux décisions des assemblées » (T. com. Paris, 12 février 1991, Bull. Joly 1991, p.592, note M. Jeantin). 

Les règles gouvernant la nullité des délibérations sociales (art. L.235-1, al. 1er et 2 C.com.) excluent donc par principe toute annulation fondée sur la violation d’une convention de vote.

A titre exceptionnel, cependant, certaines décisions se sont départies de cette rigueur pour admettre l’exécution en nature d’obligations de voter dans un sens convenu.

 

b-2) L’assouplissement du principe

 En effet, exceptionnellement, certaines décisions admettent l’exécution en nature d’obligations de voter dans un sens convenu. Dans le cas d’un cédant qui avait voté contre l’agrément de son cessionnaire, la Cour de cassation a approuvé la désignation par les juges du fond d’un administrateur provisoire chargé de convoquer l’assemblée générale de la société et de tenir pour favorable, quel qu’en soit le sens, le vote du vendeur sur l’admission de l’acquéreur (Cass. 3e civ., 17 février 1970, Bull. civ. III, n°123; RTD civ. 1970, p.785, n°20, obs. Y. Guyon).

C’est de manière plus directe qu’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 juin 1995 a prononcé l’inexécution en nature d’une convention de vote (Sté Metaleurop, JCP G 1995, II, 795, note J. – J. Daigre; RTD civ. 1996, p.893, obs. J. Metre; Dr. Sociétés 1995, comm. n°195, note D. Vidal). Il s’agissait d’un actionnaire ayant refusé de voter une augmentation de capital alors même qu’il s’était engagé par un acte extrastatutaire à y souscrire. Considérant que « si, aux termes de l’article 1142 du code civil, l’obligation de faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur, il résulte des dispositions suivantes que le créancier a néanmoins le droit de réclamer l’exécution en nature, chaque fois que cette exécution est possible, ce qui est le cas en l’espèce », », la Cour a condamné cet actionnaire à souscrire la somme convenue  (et implicitement à voter en faveur de l’augmentation) lors d’une nouvelle assemblée.

Il convient de rappeler que lorsqu’en application d’une convention de vote licite, l’associé s’est pourtant prononcé en assemblée générale dans un sens contraire à l’engagement souscrit, la validité de l’assemblée ne s’en trouve pas altérée et ce vote est considéré comme valable. La sanction ne concerne donc que l’associé votant qui s’expose à une condamnation en dommages et intérêts (T com. Paris, 12 février 1991 précité).

Donc, une exécution en nature serait privilégiée toutes les fois qu’elle ne heurterait pas le principe de l’intangibilité des décisions collectives.

C’est là un moyen habile, mais isolé, d’admettre l’exécution forcée de la convention de vote sans heurter de front le principe d’intangibilité des délibérations collectives.

2) Exécution forcée des pactes relatifs à la cession de titres

Conformément au droit commun des obligations, l’exécution forcée des pactes d’actionnaires est fonction de la nature de l’obligation souscrite. La distinction classique s’opère entre obligation de faire ou de ne pas faire et obligation de donner. Suivant cette vue très schématique, les obligations de donner, du mois celles que n’affecte pas un terme ou une condition, peuvent faire l’objet d’une exécution forcée alors que les obligations de faire (ou de ne pas faire) n’entraînent, en principe,  qu’une exécution par équivalent. De manière plus précise, on note surtout que la jurisprudence tend désormais à distinguer selon que le pacte, par son objet, est  (a) ou non  (b) translatif de propriété (Sur cette distinction v. A. Mignon-Colombet, L’exécution forcée en droit des sociétés, préf. Y. Guyon, Economica, 2004, n°280 s.).

a) Pacte translatif de propriété : obligation de donner.

En matière de pactes translatifs de propriété la jurisprudence traditionnellement admet l’exécution forcée. Toutefois, il convient de préciser qu’il ne s’agit pas de l’exécution forcée du pacte lui-même, mais soit d’une vente (lorsque la levée de l’option est intervenue avant la rétractation) (a-1) soit d’une cession des titres (lorsque le promettant a informé le bénéficiaire du pacte de préférence de son projet de cession) (a-2).

 

a-1) Promesse d’une vente : la levée de l’option valable

 Qu’il s’agisse d’une promesse unilatérale (a-1.1) ou réciproque de vente (a-1.2), celle -ci est parfaite dès lors que la levée de l’option est valable.

 

a-1.1) Promesse unilatérale de vente

 Lorsque les parties au pacte ont définitivement consenti au transfert de la propriété, le juge peut en imposer l’exécution forcée. Tel est le cas lorsque le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente a levé l’option en temps utile. La rencontre des consentements rend la vente parfaite de sort que le promettant ne peut plus se rétracter. En cas de difficulté, le bénéficiaire peut assigner le cédant en vue d’obtenir la réalisation forcée de la vente (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, Bull. civ. III, 1996, n° 165; D. 1997, somm., p. 169, obs. D. Mazeaud; JCP N, 1997, II, 909, note D. Stapylton-Smith).

Il convient également d’appliquer cette analyse à une autre décision (CA Paris, 4 octobre 1991, Salmon dit Darmon, Bull. July 1991, p.1131, §.393, note P. Le Cannu). Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris avait jugé que la rétractation d’un promettant était inefficace lorsqu’elle intervenait après que le bénéficiaire de la promesse ait levé l’option. Ainsi avait-elle, en présence de promesse de cession de parts sociales, décidé que « la vente devient parfaite, dès lors qu’il y a eu accord sur la chose et sur le prix, et que le cessionnaire, associé de la société, fait connaître à l’intérieur du délai consenti et dans les formes prévues par les promesses, sa volonté de lever les options ». Elle en avait déduit que « la cession à une tiers personne intervenant postérieurement à la signification de la levée de l’option est nulle ».

Une telle exécution forcée n’avait toutefois rien de spectaculaire En effet, si le bénéficiaire a levé l’option, la vente est formée et ce n’est plus l’exécution forcée du contrat de promesse mais celle de la vente elle-même.

 

a-1.2) Promesse réciproque de vente

La décision  du Tribunal de commerce de  Paris du 17 octobre 2006 (T. com. Paris, 17 octobre 2006, JurisData n° 2006-332037) s’inscrit dans la même logique. Il s’agissait d’un pacte d’actionnaires comprenant une promesse réciproque d’achat ou de vente de leurs actions, ou clause d’offre alternative, sous la condition suspensive d’une prise de décision par l’un d’entre eux ayant pour conséquence un changement substantiel de la politique de la société et entraînant un profond désaccord entre les actionnaires contractants. L’une des parties, arguant de la survenance d’une telle condition, demanda en conséquence  l’application dudit pacte et la vente forcée à son profit des actions détenues par l’autre actionnaire. Le Tribunal saisi fait droit à sa demande. Il  constate la réalisation de la condition suspensive et prononce l’exécution forcée d’une telle vente, au regard de l’article 1142 du code civil, en l’absence d’impossibilité pour le cédant d’y procéder.

Mais ici, la difficulté d’avoir à imposer l’exécution forcée n’existait pas à vrai dire. En effet, une fois que l’on parvient à la conclusion qu’une option a été valablement levée (avant la rétractation), il faut en déduire que le bénéficiaire de la promesse de vente est devenu propriétaire des actions par l’effet de la cession qui s’est bel et bien réalisée. Il ne s’agit plus alors d’exécuter la promesse mais la cession, c’est-à-dire l’obligation de livrer les titres et d’en payer le prix. C’est-ce que fait le tribunal en imposant la remise des ordres de mouvement afférant aux actions cédées. On découvre une fois de plus que la difficulté d’avoir à assurer le respect d’une promesse d’achat ou de vente ne se présente plus lorsque l’option a été levée et que, la vente s’étant formée, la propriété du bien objet de la promesse a été transmise à l’acquéreur (F.-X. Lucas, Bulletin Joly Sociétés, 1er janvier 2007n°1,p.72).

Concrètement, le juge pourra contraindre le débiteur à transférer ses titres au cessionnaire et, le cas échéant appliquer les solutions classiques du refus de délivrance des droits sociaux (jugement valant ordre de mouvement et injonction à la société d’inscrire les actions en compte).

a-2) Pactes de préférence : l’information du bénéficiaire avant la cession des titres à un tiers

La même logique s’applique  également aux pactes de préférence lorsque le promettant a informé le bénéficiaire de son « projet de cession » à un tiers (notion dont la jurisprudence retient avec raison une acceptation extensive). Cette information vaut offre de vente au bénéficiaire lequel est libre d’exercer son droit de préemption. Le promettant n’a alors aucune faculté de rétractation.

Deux décisions rendues en des termes identiques ont clairement affirmé cette solution (CA Paris, 14 mars 1990, La Cinq, RTD com., 1990, p.413, obs. Y. Reinhard; Bull. Joly 1990, p.325, note P. Le Cannu, « Validité et effets d’une clause statutaire de préemption dans une société anonyme non cotée »; JCP E 1990, II, 15784, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain; JCP E 1991, I, 49, note M. Jeantin; CA Lyon, 15 novembre 1990, Schwich et Baizeau, RTD com. 1991, p.228, obs. Y. Reinhard; Bull. Joly 1991, p.54): « l’exercice de la faculté de préemption comprise dans le pacte fondamental réglant le fonctionnement de la société, auquel les actionnaires ont librement adhéré, emporte de plein droit transfert de propriété des titres, objet du projet de cession, sans que l’article 1142 du code civil puisse faire obstacle aux effets de ce droit… ».

En revanche, les décisions de justice qui  admettent l’exécution forcée lorsque le pacte ne génère qu’une simple obligation de faire (ou de ne pas faire) sont encore peu nombreuses.

b) Pacte non translatif de propriété : simple obligation de faire

Les décisions de justice qui admettent l’exécution forcée sont encore peu nombreuses. Celle-ci a toutefois été admise à plusieurs reprises par des cours d’appel, dans des cas où l’exécution « ne se heurtait pas à une impossibilité matérielle, juridique ou morale », c’est-à-dire, notamment, dans des cas où aucune cession à un tiers n’était intervenue.

C’est ainsi que l’exécution forcée a été prononcée à l’encontre de l’actionnaire majoritaire ayant refusé au minoritaire l’exercice de son droit de sortie prévue en cas de cession totale ou partielle (CA Versailles, 12e ch. sect. A, 14 oct. 2004, Peignot c/ SA Alliance développement et conseil : BRDA 7/2005, p.3). La Cour d’appel a notamment précisé que si l’obligation découlant de la convention d’actionnaires s’analysait comme une obligation de faire, il n’était pas établi que l’exécution forcée de cette obligation se heurterait à une impossibilité matérielle, juridique ou morale; elle a en conséquence condamné l’actionnaire majoritaire à racheter les actions du minoritaire, au prix auquel il avait lui-même cédé ses actions.

Elle a également été prononcée à l’encontre d’un groupe d’actionnaires majoritaires qui s’était engagé à racheter les actions du groupe minoritaire dans le cas où celui-ci perdrait  sa minorité de blocage (CA Paris, 10 décembre 1998, JurisData n°213554).

L’obstacle à l’exécution forcée des obligations de faire ou de ne pas faire résulte de l’article 1142 du code civil aux termes duquel «  Tout obligation de faire ou d ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur ». En principe, ce texte n’a qu’une portée restreinte: il ne vise qu’à interdire l’exercice d’une mesure de contrainte qui porterait une atteinte grave  à la liberté individuelle du débiteur.

La jurisprudence la plus récente tend à neutraliser la portée de cet obstacle légal à l’exécution forcée. En effet, la Cour de cassation a admis l’exécution en nature en cas de l’aliénation des titres au mépris d’un pacte de préférence (b-1). En revanche la Haute juridiction refuse d’admettre l’exécution forcée  en matière de promesses unilatérales de vente lorsque le bénéficiaire a levé l’option après la rétractation du promettant (b-2).

 

b-1) Le cas de l’aliénation des titres au mépris d’un pacte de préférence

Auparavant, il a été admis que la vente pouvait être annulée si la loi le permettait (cas par exemple de l’article L.227-15 du code de commerce concernant les SAS) ou si le bénéficiaire démontrait la collusion frauduleuse des parties, c’est-à-dire s’il prouvait la connaissance par le tiers acquéreur non seulement de l’existence du pacte de préférence ou du droit de préemption mais aussi de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (Cass.com., 27 mai 1986, n° 395 S, Bull. Joly 1986 p. 687).

Toutefois, même dans ce cas, le bénéficiaire était réputé ne pouvoir ni se substituer au tiers acquéreur ni demander l’exécution forcée de la cession à son profit car, au moment où il avait manifesté sa volonté d’acquérir, son cocontractant en vendant à un tiers, avait déjà manifesté sa volonté de ne pas lui vendre des parts ou action faisant l’objet de son engagement (Cas.com., 27 mai 1986, précité) de sorte qu’il n’y a pas eu l’échange de consentements requis pour toute vente.

Il est désormais acquis que l’exécution forcée peut être obtenue en cas d’aliénation des titres au mépris d’un pacte de préférence ou d’un droit de préemption. La chambre mixte de la Cour de cassation a en effet jugé que le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, à condition toutefois que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, précité). Cette solution est énoncée en matière de vente d’immeuble mais transposable au droit de préemption portant sur la cession de parts ou actions.

Dans un cas particulier, la Cour d’appel de Paris a jugé que la cession d’actions incriminée n’était pas dans le champ d’application du droit de préemption figurant dans le pacte d’actionnaires et en conséquence rejeté la demande d’annulation posée par le bénéficiaire du droit de préemption (CA Paris, 4 décembre 2007, n° 06-12554).

Il est important de noter qu’un pacte d’actionnaires contenant un droit de préemption doit être interprété restrictivement dès lors qu’il est une limite à la libre négociation des actions (en ce sens, CA Paris, 18 février 2000, n° 99-16771, et sur pourvoi, Cass.com., 28 avril 2004, n° 00-15.003).

Par ailleurs, l’existence d’un pacte de préférence ne rend pas incessible les actions sur lesquelles il porte; en dépit d’un tel pacte, un associé peut présenter à l’agrément de la société concernée une offre émanant d’un tiers (Cass.com., 26 avril 1994, n° 983 P).

L’exécution forcée admise en matière de pactes de préférence n’a pas été étendue aux promesses unilatérales de vente.

 

b-2) Promesse unilatérale de vente

Il convient de rappeler que, contre l’avis de la doctrine majoritaire, dans le cas d’une promesse unilatérale de vente, la jurisprudence considère, de manière contestable, que le promettant n’est tenu que d’une obligation de faire jusqu’à la levée de l’option. Sa rétractation avant que le bénéficiaire ait déclaré acquérir est donc efficace et empêche la rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. Dès lors, la vente ne s’étant jamais formée, sa réalisation forcée ne peut être admise (Cass. 3e civ., 15 décembre 1993 précité).

La position de la Cour de cassation a  été contestée avec vigueur par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 décembre 2001 (CA Paris, 21 décembre 2001, SA Banque de Vizille, Bull. Joly 2002, p. 509, note Le Nabasque; RDC 2003, p. 165, note crit. F.-X. Lucas; Rev. Sociétés 2002, somm. 89, obs. Y. Guyon; Dr. Sociétés 2002, comm. 137, note D. Vidal). Il s’agissait de ce que l’on appelle une clause de sortie permettant aux parties  à un acte de mettre fin à leur aventure commune en organisant leur séparation. Précisément cette clause s’apparentait à une clause dite « buy or sell » ou encore « clause d’offre alternative », instituant un mécanisme par lequel un associé peut être mis devant l’alternative d’avoir à vendre ses titres ou d’avoir à acquérir ceux des autres signataires du pacte: si on lui propose de vendre ses titres à un certain prix, le signataire du pacte doit les céder aux conditions offertes, sauf à acquérir les titres de son interlocuteur aux mêmes conditions que celles que l’on lui propose (sur ces clauses, cf. H. Le Nabasque, Les clauses de sorties dans les pactes d’actionnaires, Dr. Sociétés, Actes pratiques, 5/1992, n°56 et s., p.13).

Dans cette affaire le débiteur se retranchait classiquement derrière les dispositions de l’article 1142 du code civil pour s’opposer à l’exécution forcée de son obligation de faire. Mais les magistrats parisiens l’avaient condamné à respecter l’engagement souscrit et avaient ordonné l’exécution forcée de la promesse de cession. Pour eux, les dispositions de l’article 1142 du code civil « n’interdisent pas de recourir à l’exécution forcée lorsque, comme en l’espèce, aucune impossibilité matérielle, juridique ni morale ne lui fait obstacle, le débiteur de l’obligation étant demeuré propriétaire des titres ».

On peut noter que la Cour relève incidemment que le débiteur n’avait pas encore aliéné ses titres. Dans le cas contraire, indépendamment de la question de l’article 1142 du code civil, l’acquisition des titres par un tiers de bonne foi aurait de toute façon constitué un obstacle insurmontable à l’admission de l’exécution forcée.

Certains auteurs ont trouvé la position de la Cour d’appel de Paris critiquable. En effet, selon eux, contrairement à ce que décide la cour, il existerait une impossibilité juridique tenant à ce que le consentement du vendeur avait disparu. Or, « si le juge peut beaucoup, il ne peut pas ressusciter un consentement qui s’est dissout dans le mépris pour la parole donnée » (François – Xavier Lucas, Revu des contrats, 1er décembre 2003 n°1, p.165).

Les autres ont considéré qu’il n’y avait pas de raison de condamner fermement cette décision.  En effet, il ne s’agissait pas dans la présente espèce, d’une banale promesse de vente mais d’une promesse de conclure un contrat de vente avec un tiers (lui vendre des actions) pour le cas où les autres signataires du pacte auraient, à la majorité, accepté l’offre d’achat émanée de ce tiers ou, à défaut, pour les minoritaires, d’acheter les titres des majoritaires sortants. Ici, le tiers bénéficiaire, non désigné dans le pacte, n’est pas partie au contrat de promesse. La Cour de Paris n’hésite pas à appliquer à l’inexécution de la promesse le régime conforme à celui que l’on applique à l’inexécution d’une stipulation pour autrui qui permet au stipulant d’agir contre le promettant soit en exécution de ses obligations, soit en responsabilité contractuelle (H. Le Nabasque, Bull. Joly Sociétés, 1er avril 2002, n°4, p.509).

Il ne reste qu’à rappeler que récemment la Cour de cassation a réaffirmé que le promettant peut revenir utilement sur son engagement (Cass. 3e civ., 27 mars 2008, précité).

Faute de pouvoir contraindre directement le débiteur à exécuter en nature ses obligations, il est possible de l’atteindre dans ses intérêts patrimoniaux, en lui infligeant une pénalité telle qu’il s’expose, en s’obstinant dans son refus d’exécuter son obligation, à éprouver un préjudice considérable. L’astreinte est la technique remplissant cet office.

 

§3. Exécution forcée indirecte : l’astreinte judiciaire

 L’astreinte consiste dans la condamnation du débiteur à payer au créancier, à titre de peine privée, telle somme d’argent fixée par le juge de manière globale ou, plus fréquemment, par jour (ou semaine, ou mois…) de retard, s’il s’agit d’une obligation de faire, ou par infraction constatée s’il s’agit d’une obligation de ne pas faire. Il convient de rappeler les caractères principaux de l’astreinte (A)  avant d’envisager son domaine (B).

 

A. Caractères principaux de l’astreinte

 L’astreinte présente deux traits majeurs. Elle a une vertu comminatoire (1) et elle indépendante des dommages et intérêts (2).

 

1) Caractère comminatoire

Le trait majeur de l’astreinte réside dans sa vertu comminatoire. Il s’agit d’une mesure licite d’intimidation, tendant à l’obtention d’une exécution volontaire. Son efficacité est donc fonction du choix de son montant librement fixé par le juge. Ce montant doit être manifestement supérieur à l’avantage que procure au débiteur l’inexécution de son obligation, sanas être disproportionné par rapport à ses facultés distributives. Elle est donc essentiellement variable en fonction des circonstances et de la situation du débiteur.

2) Indépendance par rapport à des dommages et intérêts

Pure création prétorienne au lendemain de la promulgation du code civil, la technique d’astreinte n’a cessé de gagner du terrain, en dépit d’un vif débat doctrinal et de quelques hésitations en jurisprudence.

La difficulté permanente a porté sur la distinction entre astreinte et indemnisation. L’astreinte est une peine privée que le débiteur doit au créancier abstraction faite et en plus des dommages et intérêts réparant son préjudice (L. 9 juillet 1991, art. 34: « l’astreinte est indépendante des dommages et intérêts »).

 

B. Domaine de l’astreinte

« Tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision » (L. 9 juillet 1991, art. 33). En l’absence de toute autre restriction, le législateur ne pouvait définir plus largement le champ d’application de l’astreinte. Elle peut ainsi être mise en œuvre dans le but d’obtenir l’exécution de toute espèce d’obligation, pourvu qu’elle soit exécutoire. Son domaine de prédilection est constitué par les obligations de faire ou de ne pas faire, en raison de la règle de l’article 1142 du code civil. L’astreinte est exclue lorsque l’exécution en nature est devenue impossible ou lorsqu’il s’agit d’obligations très personnelles, mettant en jeu la liberté individuelle.

La Cour de cassation se refuse également à mettre en œuvre la technique de l’astreinte pour contraindre celui qui a promis de vendre de tenir son engagement (Cass. 3e civ., 15 décembre 1993 précité). En revanche, la Cour d’appel de Paris n’a pas hésité à assortir d’une astreinte la condamnation à exécution forcée d’un pacte d’actionnaires (CA Paris, 21 décembre 2001, précité).

Seules les astreintes répondant à la définition ci-dessus données et prononcées par le juge méritent cette qualification.

Il est parfois fait état cependant à une autre forme d’astreinte: l’astreinte conventionnelle. Elle consiste en une clause stipulant le paiement de telle somme par jour (ou toute autre période) de retard. Elle est encore appelée pénalité de retard. Il s’agit n réalité, d’une variété de clause pénale, soumise au régime de la  révision prévu à l’article 1152 du code civil. Compte tenu des faiblesses des sanctions légales applicables et des incertitudes jurisprudentielles, les parties ont tout à gagner en organisant conventionnellement les conséquences de l’inexécution du pacte.

 

*****

  

CHAPITRE 2 : L’ORGANISATION CONVENTIONNELLE DE L’INEXÉCUTION

L’impossibilité d’obtenir dans de nombreux cas l’exécution en nature des pactes d’actionnaires justifie que les sanctions légales se doublent de sanctions contractuelles   (§.1). Les parties peuvent en outre prévoir divers palliatifs destinés à accroître l’efficacité du pacte (§.2).

 

§.1. Sanctions contractuelles

Les parties peuvent organiser conventionnellement l’exécution forcée directe : clause d’exécution forcée (A). Elles peuvent également prévoir des modalités d’exécution  indirecte : clause pénale, astreinte conventionnelle, résolution (B).

A. Les modalités conventionnelles d’exécution forcée directe : clause d’exécution forcée

La clause la plus efficace reste la clause d’exécution forcée. Une telle clause ne se heurte à aucune disposition d’ordre public (1) et sa validité a même été récemment reconnue par la Haute juridiction dans une affaire où elle été stipulée dans une promesse unilatérale de vente (Cass. 3e civ., 27 mars 2008, pourvoi n° 07-11.721) (2).

 

1) Validité de principe de la clause d’exécution forcée : la clause de renonciation à l’application de l’article 1142 du code civil

Il est loisible aux partie de convenir de clauses  ou de procédures visant à garantir l’exécution du pacte ou, à défaut, à contrer certaines conséquences de son inexécution. Pour les pactes générant les obligations de faire, les cocontractants peuvent chercher à s’assurer de l’irrévocabilité de l’engagement du promettant en écartant par avance l’application de l’article 1142 du code civil au profit d’une exécution forcée permettant de constater  la vente en justice (v. la formule proposée par J. Huet, Les principaux contrats spéciaux, 2e éd., LGDJ, 2001, n°11508-1).

Il est permis de considérer que cette clause est parfaitement licite. En effet, les nombreuses exceptions à l’article 1142 du code civil attestent qu’il ne s’agit pas d’une disposition impérative, ou du moins qu’elle ne l’est que de manière résiduelle pour préserver des atteintes à la liberté individuelle; au surplus, la renonciation explicite à l’article 1142 au profit de l’exécution en nature peut s’autoriser du principe Volenti non fit injura (on ne fait tort à qui consent).

La Cour de cassation a récemment validé le recours à la clause d’exécution forcée.

 

2) Consécration jurisprudentielle de la clause d’exécution forcée : l’arrêt rendu le 27 mars 2008 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation

Il convient de rappeler les faits de cette affaire. Le bénéficiaire d’une promesse unilatérale, précisant notamment que l’engagement de vendre était « ferme et définitif », avait levé l’option en dépit de la « rétractation » préalable du promettant qui refusait consécutivement de signer l’acte authentique. Le bénéficiaire avait prétendu en vain devant la cour d’appel que les stipulations de la promesse lui permettaient de solliciter non plus seulement des dommages et intérêts, mais l’exécution forcée du contrat, c’est-à-dire la constatation judiciaire de la vente.

Le débat ne portait donc pas directement sur la nature de l’engagement du promettant, mais sur la possibilité pour les parties d’écarter conventionnellement l’application de l’article 1142 du code civil.

Pour rejeter le pourvoi, qui reprochait à la cour d’appel d’avoir dénaturé la promesse en jugeant qu’elle ne contenait pas de clause en ce sens, il suffisait à la Cour de cassation de constater que les parties s’étaient bornées à préciser le caractère ferme et définitif de la promesse sans prévoir expressément son exécution forcée. Ce n’était objectivement pas la même chose. En choisissant d’énoncer en outre que les juges du fond en avaient « exactement déduit » que le preneur n’était pas fondé à solliciter une exécution en nature, la Haute juridiction semble être allée plus loin et avoir montré pour la première fois qu’elle est favorable au jeu des clauses imposant l’exécution en nature.

Si l’on considère que la Cour de cassation a bien admis la constatation judiciaire de la vente en présence d’une clause prévoyant cette sanction, elle a alors instauré une efficacité optionnelle de la promesse unilatérale de vente. En effet, l’efficacité de ce contrat singulier dépend désormais des prévisions des parties : celles-ci sont libres d’écarter l’article 1142 du code civil (a), pour imposer l’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale de vente (b).

 

a) L’éviction conventionnelle de l’article 1142 du Code civil

Pour répondre aux critiques dirigées contre la jurisprudence initiée en 1993 (Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, précité), la Cour de cassation pouvait suivre deux voies très différentes. Elle pouvait admettre que l’engagement du promettant n’est pas réductible à une obligation au sens propre du terme (en ce sens, F. Collart Dutilleul, Durée et formation du contrat : RDC 2004, p. 18) et, opérant un revirement, juger en conséquence que l’article 1142 du code civil ne lui est jamais applicable. Elle pouvait à défaut maintenir sa jurisprudence tout en consacrant l’efficacité des clauses que la pratique avait imaginées pour en limiter les conséquences fâcheuses. C’est cette voie que la Cour de cassation emprunte en jugeant que l’article 1142 ne s’impose qu’à défaut de stipulation contraire. L’efficacité de la promesse relève désormais de la responsabilité des parties, libres d’imposer son exécution en nature. C’est parce qu’elles n’auront pas pris cette précaution que ce texte conservera son empire. On voit bien l’avantage qu’il y a pour la Cour de cassation à renvoyer les bénéficiaires déçus à leur propre négligence. Cela revient néanmoins à imposer aux parties une très grande vigilance et à laisser coexister des promesses d’intensité variable.

À suivre l’arrêt, l’article 1142 du code civil ne pourrait être écarté que par une déclaration expresse de volonté en ce sens. Contrairement à ce que soutenait le pourvoi, il ne suffit pas de préciser que la promesse est « ferme » ou encore que l’engagement du promettant est « ferme et définitif ». Il est ici clairement jugé, sans examen de la volonté réelle des parties, que ces formules ne doivent pas être comprises comme imposant une exécution en nature. Restent donc inefficaces les clauses qui se borneraient à interdire toute « rétractation » de la promesse, ou qui la déclareraient par avance sans conséquence.

b) L’exécution forcée de la promesse unilatérale

 Pour ceux qui auront valablement évincé l’article 1142 du code civil et qui seront alors en mesure de demander « la constatation judiciaire de la vente », le progrès accompli est remarquable. Il était pour le moins attendu. L’octroi de dommages et intérêts ne peut satisfaire tous les bénéficiaires déçus par l’inefficacité de l’option levée (contra, D. Mainguy, L’efficacité de la rétractation de la promesse de contracter : RTD civ. 2004, p. 18). En effet, la personne qui attendait de son contrat un accès privilégié et sûr à la propriété d’un bien singulier, auquel elle peut d’ailleurs être attachée, ne voit pas dans l’allocation d’une somme d’argent l’exact équivalent de l’avantage perdu.

L’arrêt du 27 mars 2008 participe d’un mouvement jurisprudentiel favorable à l’exécution forcée des contrats (V. not. Cass. 1ère  civ., 16 janv. 2007, précité ). Conformément aux prévisions de l’article 1184, alinéa 2 du code civil et à une idée également admise à l’échelle internationale (V. Principes d’Unidroit, art. 7.2.1, et s. ; Principes du droit européen des contrats, art. 9.101, et s.), l’exécution en nature est, pour le créancier, un droit que l’on s’attache à rendre effectif sans pour autant l’ériger au rang de principe. C’est ce que parviendrait à réaliser la clause examinée.

À la différence de la cour d’appel, qui avait énoncé de manière ambiguë que l’inexécution pouvait se « résoudre en nature », ce qui semblait antinomique, la Cour de cassation évoque bien une « exécution en nature » distincte d’une simple mesure de réparation. Il faut en déduire que le juge saisi d’une demande en ce sens devra constater la vente sans pouvoir apprécier l’opportunité de cette mesure. La clause apporterait ainsi une véritable sécurité au bénéficiaire en raison de l’automaticité avec laquelle elle imposera la prestation promise et ce, quelle que soit la forme que prend la défaillance du promettant.

On observe en effet que la Cour de cassation vise le « défaut d’exécution », sans distinguer selon que la promesse a été « rétractée », comme en l’espèce, ou violée au profit d’un tiers acquéreur. On pourrait s’en étonner dès lors que, fondée sur la volonté d’empêcher une emprise trop précoce du bénéficiaire sur le bien du promettant, la jurisprudence aurait pu protéger plus fortement celui qui ne vend pas à un tiers mais semble manifester sa volonté de rester propriétaire – pour un temps au moins – en notifiant au bénéficiaire sa volonté de revenir sur son engagement.

En réalité, la distinction des deux hypothèses se révélerait rapidement impraticable. Il serait en outre incompréhensible que l’article 1142 du code civil ait un caractère supplétif ou s’impose au contraire selon la manière dont le débiteur viole son obligation. En revanche, le contenu de l’obligation peut être déterminant. La clause d’exécution en nature est un procédé efficace chaque fois que le jugement apporte par lui-même le fait promis. Tel est le cas des jugements valant acte qui donnent véritablement satisfaction au créancier. En revanche, la clause paraît inadaptée en présence d’une véritable obligation de faire, imposant au débiteur une action très personnelle.

Cela laisse penser que la solution a été exclusivement conçue pour répondre à moindre frais aux demandes des bénéficiaires de promesses unilatérales de vente. Le problème est alors qu’en se tournant vers l’aménagement contractuel de l’exécution des obligations pour faire l’économie d’un franc revirement, la Cour de cassation s’éloigne, sans justification évidente,  des règles  du pacte de préférence. Les parties peuvent également organiser conventionnellement les modalités d’exécution indirecte.

B. Les modalités conventionnelles de l’exécution indirecte

Les modalités conventionnelles de l’exécution indirecte consistent soit à obtenir l’exécution forcée indirecte de l’engagement souscrit (1), soit à prévoir  les modes alternatifs d’exécution du pacte (2).

 

1) Les modalités conventionnelles d’exécution forcée indirecte

Les parties pourront aussi  stipuler une clause pénale (a) et /ou une astreinte conventionnelle (b)  permettant d’atteindre les intérêts pécuniaires du débiteur.

 

a) Clause pénale

 Conformément au droit commun des contrats, les parties sont libres d’insérer une clause pénale prévoyant le montant des dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution de ses obligations. Il convient de présenter successivement l’intérêt de la clause pénale (a-1) ainsi que les conditions de son efficacité (a-2).

 

a-1) L’intérêt de la clause pénale

 La clause pénale est celle par laquelle une personne, pour s’assurer l’exécution d’une convention, s’engage à quelque chose en cas d’inexécution (art. 1226 C.civ.). Elle est fréquente dans les pactes où, le plus souvent, les parties évoluent forfaitairement la somme qui sera due à l’autre partie à titre de dommages et intérêts en cas de violation du pacte.

Elle présente ainsi deux caractères: 1° elle tient lieu de dommages et intérêts; 2° elle est un forfait.

La clause pénale, en tant qu’elle fixe par anticipation le montant de l’indemnité due par le débiteur défaillant, présente divers avantages :

  • elle permet d’éviter les contestations sur l’appréciation du préjudice, souvent délicate en cas de violation d’un pacte d’actionnaires, en fixant un montant forfaitaire ;
  • elle évite au créancier les lenteurs et les difficultés qu’entraîne la fixation des dommages et intérêts: le créancier n’a pas à prouver la réalité même du dommage ;
  • en convenant un montant modéré (mais non dérisoire), la responsabilité du débiteur pourra être allégée  par le jeu de la clause pénale ;
  • la clause pénale permet, à l’inverse, aux parties de donner à leur accord une force obligatoire accrue, en stipulant pour le cas d’inexécution, une peine élevée (sans pouvoir être excessive): le débiteur aura  le plus grand intérêt à respecter ses engagements, dont l’inexécution risquerait d’être lourde pour lui. Ainsi, la clause pénale peut avoir une incontestable dimension dissuasive;
  • la clause pénale est parfois aussi utilisée, avec un caractère comminatoire de véritable peine. 

Les parties peuvent aussi  prévoir d’autres sanctions comme l’obligation de céder ses droits sociaux. Si ces avantages de la clause pénale ne sont pas douteux, elle peut présenter des dangers.

a-2) Conditions d’efficacité

L’efficacité de la clause suppose notamment que :

  • son objet soit expressément spécifié  comme étant de réparer les dommages et en aucun cas de constituer un dédit permettant à une des parties de se dégager du contrat en versant son montant;
  • les causes des dommages entraînant sa mise en jeu soient précisées;
  • son montant ne soit pas excessif car le juge a toujours la faculté de le réduire; en effet, l’alinéa 2 de l’article 1152 du code civil autorise le juge, même d’office, « de modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle manifestement excessive ou dérisoire »;
  • son sort soit précisé en cas d’exécution partielle des obligations du pacte.

Les parties au pacte peuvent ainsi s’engager à exécuter leurs obligations sous astreinte conventionnelle. Elle constitue un second moyen de pression destiné à amener le débiteur à résipiscence.

 

b) Astreinte conventionnelle

L’astreinte consiste à prévoir le paiement d’une certaine somme par jour (ou toute autre période) de retard d’exécution.

Par exemple, un actionnaire peut s’engager à céder une partie de ses actions à un autre à une date déterminée, sous astreinte d’une certaine somme à verser à son cocontractante pour chaque jour de retard.

Les juges analysent toutefois souvent l’astreinte  comme une  clause pénale.

Par conséquent, en cas de stipulation d’une astreinte conventionnelle, la sécurité juridique n’est pas totale puisque le juge pourra toujours réduire la peine s’il l’estime manifestement excessive. En effet, l’astreinte conventionnelle, tout comme la clause pénale  est soumise au pouvoir modérateur du juge sur le fondement de l’article 1152 alinéa 2 du code civil (Cass.3e civ., 6 novembre 1986, Bull. civ. III,n°150). Pour tenter de prévenir ce risque de révision, les parties peuvent préciser que la clause n’a pas un objectif indemnitaire, mais comminatoire.

Pour être comminatoire, les pénalités de retard doivent être d’un montant nettement supérieur à l’avantage que procure au débiteur l’inexécution  (mais elle doit cependant demeurer en rapport avec ses facultés  contributives). Dans ces conditions, l’astreinte équivaut à une véritable exécution forcée indirecte.

2) Les modes alternatifs d’exécution du pacte

Lorsque le pacte comprend des engagements à la charge des deux parties, il peut être opportun d’insérer une clause résolutoire, qui permettra la résolution de plein droit, sans décision judiciaire en cas d’inexécution des obligations visées par la clause (a)Les parties peuvent également organiser un droit de retrait (b) ou encore prévoir une clause de dédit (c).

 

a) Clause résolutoire

 La résolution est toujours sous-entendu dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l’une des parties n’exécute pas ses obligations, mais, sauf mention expresse, cette résolution n’est pas de droit; elle doit être demandée en justice (art. 1184 C.civ.). Pour faciliter la mise en jeu de la résolution, les signataires d’un pacte peuvent donc prévoir que celui-ci sera résolu de plein droit en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties (a-1). Toutefois, le juge dispose d’un pouvoir modérateur limité permettent d’apprécier l‘opportunité de la résolution (a-2).

a-1) La résolution de principe de plein droit

Il convient tout d’abord présenter brièvement les conditions de la mise en œuvre de la clause résolutoire (a-1.1), avant d’envisager les conditions de son efficacité (a-1.2).

 

a-1.1) Conditions de la mise en œuvre

Le désire des contractants de favoriser la résolution du contrat en cas d’inexécution peut se traduire par l’insertion d’une clause dans le contrat qui prive la résolution de son caractère judiciaire et la rend plus ou moins automatique. Ces clauses résolutoires prévoient qu’en présence de manquements à la foi contractuelle la résolution interviendra de plein droit. Le rôle du juge en sort singulièrement réduit: il ne lui appartient plus de rechercher si la gravité de la défaillance justifie ou non le prononcé de la résolution. Tout au plus lui revient-il, en cas de contestation, de constater que la résolution s’est opérée automatiquement après avoir vérifié que les conditions posées par la clause sont réunies.

Pour que la résolution opère, il faut qu’elle soit invoquée non par le débiteur défaillant mais par le créancier de l’obligation inexécutée. Celui-ci conserve, en effet, une liberté de choix aussi bien entre la résolution et l’exécution forcée qu’entre la résolution judiciaire et la résolution contractuelle.

Permettant d’éviter les inconvénients inhérents à l’intervention judiciaire – frais à engager, attente plus ou moins longue, relatif aléa quant à l’issu de l’instance – les avantages de la clause sont évidents.

Sur le plan stratégique, prévoir la résolution rapide du pacte d’actionnaires s’avère particulièrement utile dans le cadre d’une société cotée: les parties retrouvent leur liberté d’action ce qui leur permet d’intervenir sur le marché pour tenter d’établi à leur profit de nouveaux équilibres.

 

a-1.2)  Conditions de l’efficacité de la clause résolutoire

La clause doit énoncer sans équivoque possible qu’il s’agit d’une résolution de plein droit sanctionnant « un manquement à une stipulation expresse » du contrat (Cass. 3e civ., 8 janvier 1985, Bull. civ. III, n°6).

La clause doit mentionner les événements dont la survenance entraînera l’extinction du contrat, elle peut aussi préciser que son exécution nécessitera une mise en demeure préalable mais ce n’est pas une obligation. Elle peut aussi prévoir la résolution partielle du contrat.

Les parties doivent être précises lorsqu’elles énoncent les causes de résolution du pacte. Pour illustrer cette observation, il suffit de noter que  la Cour de cassation a censuré la décision d’une cour d’appel qui avait ajouté au pacte un cas de résolution unilatérale que celui-ci ne prévoyait pas (Cass. com., 3 novembre 2004, Vuillecard c/ Caisse régionale de crédit agricole de la Martinique: RJDA 2/05 n° 153).

Le juge n’a pas de pouvoir d’appréciation, mais il conserve le droit de vérifier l’inexécution et d’interpréter la clause.

 

a-2) L’appréciation limitée par le juge de l’opportunité de la sanction

L’intérêt de la clause résolutoire est d’éviter l’aléa d’un recours judiciaire en écartant par avance le pouvoir d’appréciation du juge quant à la gravité de la défaillance. Les parties peuvent ainsi définir librement la nature et l’intensité des manquements justifiant la résolution. Toutefois, en retirant au juge le pouvoir d’apprécier l’opportunité de la sanction, les clauses résolutoires ne sont pas sans présenter certains dangers. Notamment, il y a lieu de craindre que dans les rapports entre contractants, la partie dominante n’impose à l’autre des clauses prévoyant une sanction automatique qui peut se révéler disproportionnée par rapport au manquement constaté. Aussi bien les tribunaux se sont-ils efforcés de conserver un certain contrôle de la résolution en interprétant restrictivement les clauses  (a-2.1 ) et en faisant appel à la bonne foi ( a-2.2 ).

 

a-2.1) L’interprétation restrictive

Elle se manifeste de plusieurs façons. Si les parties se bornent à stipuler la résolution à défaut d’exécution, il ne s’agit que d’un simple rappel de la faculté donnée par la loi de demander la résolution : il faut alors une demande en justice et le juge dispose des pouvoirs découlant de l’article 1184 du code civil (Cass. 3e civ., 12 octobre 1994, JCP 1994. I. 3828, n°13, obs. Jeamin; 24 février 1999, contrats, conc., consom. 1999, n°85, obs. L. Levener).

Pour que la clause opère de plein droit, sans recours au juge, il faut que la clause l’ait prévu de manière non équivoque et qu’elle sanctionne « un manquement à une stipulation expresse » du contrat (Cass. 3e civ., 8 janvier 1985, Bull. civ. III, n°6, p.5). Encore la mention « résolution de plein droit » ne dispense-t-elle pas le créancier d’adresser au débiteur défaillant une mise en demeure lui rappelant l’existence de la clause et lui précisant les manquements reprochés et les délais dont il dispose pour se mettre en règle.  La nécessité de mise en demeure ne disparaît que si les parties ont stipulé que la résolution opérera « de plein droit et sans sommation » en cas d’inexécution à l’échéance du terme (Cass. 3e civ., 29 juin 1977, Bull. civ. III, n°293, p.223).

Par ailleurs, le juge a la faculté de neutraliser la clause lorsqu’elle mise en jeu de mauvaise foi.

 

a-2.2) La bonne foi

Selon la formule retenue par la Haute juridiction, « si les clause résolutoires s’imposent aux juges, leur application reste néanmoins subordonnée aux exigences de la bonne foi, par application de l’article 1134 du code civil » (Cass. 1er civ., 16 février 1999, D. 1999, inf. rap. 75). En d’autres termes, les juges du fond peuvent refuser de constater la résolution du contrat invoqué par le créancier lorsque celui-ci est de mauvaise foi, c’est-à-dire lorsqu’il a été animé par une intention malveillante.

Là s’arrête pour instant le pouvoir modérateur des juges: ceux-ci se refusent en effet, en absence de texte, à pratiquer un contrôle de proportionnalité entre la résolution et les manquements qui la justifient (Cas. 3e civ., 20 juillet 1989, Bull. civ. III, n°172, p.93 déclarant l’article 1152 du code civil inapplicable). 

 

b) Clause de sortie

Il peut être organisé un droit de retrait de la société au profit de la victime de la violation du pacte, ou, à l’inverse, l’exclusion de l’auteur de la violation. La clause doit indiquer avec précision  les causes de sorties et ses modalités, nuitamment quant au prix de rachat des droits sociaux de l’associé sortant. Les parties peuvent envisager le  recours à une expertise dont le résultat les liera. Les parties peuvent prévoir qu’en cas de refus du tiers cessionnaire de ratifier l’acte, le promettant sera personnellement tenu d’acquérir les titres des minoritaires aux conditions initialement convenues (ces clause de sortie peuvent s’analyser en promesse de porte-fort).

Sur le champ d’application d’une clause par laquelle un actionnaire salarié s’engageait à rester dans la société un certain temps et promettait de vendre ses actions  à un euro en cas de rupture anticipé du contrat (CA Paris, 14 décembre 2004, Vendrand c/ Gilliand, n°03-21818).

Enfin, le pacte peut prévoir une clause d’impasse destinée à réglementer sa résolution et à organiser la séparation  de ses membres en facilitant la distribution des éventuels actifs mis en commun ou acquis ensemble (H. Le Nabasque, P. Dunaud et P. Elsen, Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires, Dr. Sociétés, Actes pratiques 1992, n°5, p.15 et s.). Une telle disposition est particulièrement utile dans les accords entre deux actionnaires à 50/50, pour éviter qu’une éventuelle mésentente oblige à saisir le juge.

 

c) Clause de dédit

Les parties peuvent également insérer dans le pacte une clause de dédit qui fixera le montant de l’indemnité due si l’une d’elles souhaitait se libérer de ses obligations. Une telle clause est dans l’intérêt du débiteur qui  a seul le choix entre l’exécution et le retrait du contrat.  Une telle faculté ne constitue pas une véritable dérogation à la règle formulée à l’article 1134, alinéa 2: la partie qui se rétracte use d’un droit que le contrat lui a reconnu.

Elle est ainsi différente de la clause pénale qui est relative à l’inexécution du contrat, et, surtout, qui est faite dans l’intérêt du créancier. La faculté de dédit échappe donc à la révision des clauses pénales excessives (Cass.com., 22 octobre 1996, D 1998. 511, note D. Arlié).

Les parties peuvent prévoir les palliatifs contractuels destinés à renforcer l’efficacité du pacte.

 

§ 2. Palliatifs contractuels destinés à renforcer l’efficacité du pacte

 Les parties ont le choix. Elles peuvent renforcer la stabilité du pacte (A) ou organiser la gestion du pacte par un tiers (B).

 

A. Clauses permettant de renforcer la stabilité du pacte

 Pour renforcer la stabilité du pacte, deux solutions sont envisageables : l’extension de son opposabilité (1) et la nullité partielle (2).

1) Extension de l’opposabilité du pacte

Certaines procédures permettent d’accroître sensiblement l’efficacité des pactes en assurant son opposabilité aux tiers et à la société. Les moyens permettant de rendre le pacte opposable aux tiers diffèrent selon que la société est (a) ou non (b) cotée.

a) Opposabilité du pacte dans les sociétés cotées

L’opposabilité du pacte résulte de sa publicité. Par le lacis d’obligations qu’ils définissent, las pactes d’actionnaires établissent un ordre parallèle à celui qui résulte du contrat de société. Cette réalité, parfois occulte, s’avère souvent indispensable  à une juste compréhension de la réalité du fonctionnement social. Mais au sein de sociétés cotées, l’existence de tels pactes est susceptible d’affecter plus ou moins souterrainement le jeu normal des règles du marché. Leur divulgation est donc imposée par la loi. La connaissance de l’existence et du contenu des pactes permet alors, le cas échéant, de caractériser une éventuelle action de concert entre les parties.

Pour les sociétés cotées, les pactes comportant des conditions préférentielles de cession ou d’acquisition d’actions doivent être transmis à l’Autorité des marchés financiers (art. L. 233-11 C. com.). Dans l’hypothèse d’une cession en violation d’un pacte de préférence, cette publicité permet d’en établir connaissance par le tiers. Son intérêt reste cependant limité dans la mesure où la jurisprudence exige également, pou prononcer l’annulation (ou l’exécution forcée depuis l’arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 26 mai 2006), la connaissance par celui-ci de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.

 

b) Opposabilité des pactes dans les sociétés non cotées

 Pour les sociétés dont les actions ne sont pas cotées, on peut envisager de mentionner les pactes d’actionnaires dans le rapport de gestion ou le procès verbal d’assemblée générale, ce qui permettrait de faciliter la preuve la connaissance du pacte par un tiers acquéreur (E. Brochier, « L’exécution en nature des pactes entre actionnaires: observations d’un praticien », RDC 2005, p.125).

Suivant la même logique, la diligence du bénéficiaire lui permettra parfois de surmonter cette difficulté: s’il vient à sa connaissance que des négociations ont lieu entre son débiteur et un tiers en vue d’une cession, il peut signifier à  ce dernier par huissier l’existence du pacte et l’intention de s’en prévaloir. Dans l’optique d’une procédure d’annulation de la cession, ce procéder permet de préconstituer la preuve de la mauvaise foi du tiers s’il persiste dans son projet d’acquisition (pour une application v. Cass. com., 7 janvier 2004, Bull. Joly 2004, p.544, note P. Le Cannu).

D’une manière générale, la meilleure garantie d’efficacité est celle qui résulte de l’insertion du pacte dans les statuts. Le pacte est ainsi opposable non seulement à la société, mais également aux tiers, les statuts devant être publiés au registre du commerce et des sociétés.  Outre que l’existence du pacte est connue de tous, l’intérêt est de le faire accéder à la protection prévue pour la violation des statuts: en cas de cession réalisée au mépris du pacte, l’inscription en compte devra lui être refusée, le tiers acquéreur ne pourra donc obtenir la qualité d’associé, ni aucun des droits y attachés (pour le refus du président du conseil d’administration procéder à l’inscription sur sommation du bénéficiaire du pacte: CA Versailles, 28 mai 1998, Bull. Joly 1998, p.1055, note F.-X. Lucas).

Plus encore, dans le cas d’une SAS, l’article L.227-15 du code de commerce prévoit même la nullité de la cession intervenue  en violation d’une clause statutaire.

En revanche, lorsque le pacte est extrastatutaire, la dernière ligne de défense réside dans le formalisme conditionnant l’opposabilité de la cession irrégulière  à la société. Certaines procédures permettent d’entraver  l’inscription en compte des titres du tiers. Ainsi, l’opposabilité du pacte à la société, par sa notification notamment, peut être dissuasive. La question est de savoir si cette opposabilité oblige la société à refuser l’inscription au titre de sa complicité  dans la violation d’une obligation  contractuelle.

 

2) Nullité partielle

Il peut être prudent de prévoir que l’annulation d’une clause n’entraînera pas la nullité du pacte si, malgré cette annulation, l’équilibre te l’économie générale du contrat peuvent être maintenus Cette clause revêt de l’intérêt notamment quand le pacte comporte des conventions de vote ou des clauses d’inaliénabilité, la validité de celles-ci pouvant parfois être mise en cause.

Les parties peuvent aussi s’engager, en cas d’annulation d’une clause, à négocier de bonne foi la conclusion d’une clause de remplacement.

L’organisation conventionnelle de la gestion du pacte constitue un moyen efficace de prévenir les difficultés relatives à son inexécution.

 

B. Prévision d’une clause de gestion du pacte

 Au regard de l’incertitude qui affecte l’opposabilité du pacte extrastatutaire à la société, l’option la plus avisée consiste à insérer une clause de gestion du pacte par un tiers (v. M. Henry et G. Bouillet-Cordonnier, Pactes d’actionnaires et privilèges statutaires, EFE, 2003, n°226 s.). Lorsque le pacte contient des clauses relatives à l’actionnariat et au contrôle des cessions, elles peuvent désigner un séquestre (1) ou un mandataire commun (2) chargé de la gestion du pacte.

1) Clause de désignation d’un séquestre

Cette clause garantit le respect des pactes portant sur des titres en confiant  le registre des transferts des titres à un séquestre qui ne reportera sur le registre que les transferts conformes aux stipulations du pacte.

Il  recevra, outre les registres de mouvements de titres, les comptes individuels d’actionnaires. Une mention relative à l’existence du compte séquestre figurera alors  dans ces comptes et dans ces registres. La convention de séquestre précisera que les  mouvements devront se faire dans le strict respect du pacte d’actionnaires et éventuellement que seul un ordre donné conjointement par les parties au pacte permettra de réaliser une opération sur les titres.

Le pacte peut également prévoir le rachat ou la cession forcée des titres à un tiers séquestre qui détiendra le registre des titres et ne reportera  sur le registre que les transferts conformes aux stipulations du pacte.

2) Clause organisant la nomination d’un mandataire

Cette disposition permet de confier à un tiers la bonne exécution du pacte et tout particulièrement les opérations d’inscription en compte. Le gestionnaire du compte est soit un mandataire désigné par la société pour la tenue de ses comptes de titres soit un intermédiaire habilité désigné par les parties au pacte. Dans ce dernier cas l’actionnaire s’oblige à ne plus donner d’ordre qu’à l’intermédiaire, lequel aura pour mission de ne procéder à aucun mouvement en violation des dispositions du pacte. Outre la précédente hypothèse du « nominatif administré », les parties peuvent encore décider de confier la gestion du pacte à un mandataire ad hoc. Celui-ci sera seul habilité à recevoir les ordres de mouvement des titres et à les transmettre au teneur du compte.

Pour améliorer l’efficacité des stipulations conventionnelles, il est possible d’insérer une clause organisant la nomination d’un gestionnaire du pacte. Ce mandataire, partie ou non à la convention, sera « garant du bon déroulement des relations entre actionnaires et sera responsable de la mise en œuvre efficace du pacte d’actionnaires ».

Si le pacte porte sur des titres, les parties pourront choisir de charger le mandataire de les administrer.

Les titres de sociétés cotées pourront être confiés à un intermédiaire financier, habilité par le ministre de l’Economie, des finances et du budget (établissement de crédit, entreprise d’investissement, entreprise d’assurance) et le mandat prévoira d’administrer les titres en compte chez l’émetteur (Décr. 2 mai 1983, art. 1er, al. 2 et 3). Let titres sont alors dits au « nominatif administré ».Les parties au pacte conféreront à l’intermédiaire habilité la mission de n’accepter que des ordres de mouvement autorisés en vertu des dispositions du pacte.

Si le pacte porte sur des titres de sociétés non cotées, les parties pourront les confier à un mandataire qui aura pour mission de recevoir les ordres de mouvement et de passer les écritures nécessaires dans les comptes d’actionnaires et sur les registres de mouvements de titres qui lui auront été remis. Ce mandataire aura l’obligation de n’agir que dans le strict respect des dispositions du pacte d’actionnaires.

En somme, il existe des moyens conventionnels efficaces de palier l’insuffisance légale et jurisprudentielle de la sanction des pactes d’actionnaires.

 

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La Cour de cassation renforce l’obligation de dépôt des comptes annuels auprès du greffe
En cas d’absence de dépôt des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, tout intéressé peut demander au président du tribunal d’enjoindre sous astreinte à une société par actions de procéder à ce dépôt, sans que ne puisse être…
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Absence de responsabilité personnelle du dirigeant dont la démission n’a pas été publiée
L’administration fiscale ne peut invoquer l’inopposabilité de la démission non publiée d’un dirigeant pour rechercher sa responsabilité, sauf à démontrer une gestion de fait de ce dernier.
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Un membre du conseil de surveillance n’exerce pas une fonction de direction
Une interdiction de gérer n’est pas incompatible avec l’exercice d’un mandat de membre du conseil de surveillance d’une société anonyme car les membres d’un conseil de surveillance n’exercent qu’une mission de contrôle de la gestion de la société, et...
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Etat d’urgence sanitaire et assouplissement des règles de réunion et de délibération des organes dirigeants et des assemblées
Pour aider les entreprises, le gouvernement a subséquemment adopté une ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-321 permettant un assouplissement des règles de réunion et de délibération des organes dirigeants et des assemblées pour permettre et faciliter la...