Contrat d’adhésion ou contrat de franchise ?

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GRANDMAIRE Justine

Counsel - Docteur en droit

CA Rennes, 9 mars 2021, n°17/04874

La qualification juridique donnée à un contrat par les parties n’empêche pas le juge de requalifier le contrat afin de restituer son exacte qualification à l’acte.

Le 3 avril 2009, Madame C signe un contrat d’adhésion avec la société C. Le contrat indique notamment que : la société C est une centrale de référencement et non une société de franchise imposant une exclusivité ou une quasi-exclusivité ; que l’adhérent reconnaît connaître la zone de chalandise qui lui est attribuée ; qu’il s’engage à effectuer 70 % minimum de ses achats auprès des fournisseurs référencés ; que la société C concède à ses membres le droit d’utiliser la marque et l’enseigne ; que l’adhérent paie un droit d’entrée et une redevance calculée en considération du chiffre d’affaires réalisé. Madame C a ensuite créé la société F afin d’exercer son activité. Ne réalisant pas le chiffre d’affaires escompté, la société F a finalement été placée en procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire.

C’est dans ce contexte que Madame C, considérant avoir été trompée sur le chiffre d’affaires que la société C lui aurait garanti, a assigné cette dernière devant le tribunal de commerce de Nantes pour obtenir l’indemnisation des préjudices qu’elle considère avoir subis du fait de son adhésion au réseau qu’elle pensait être un réseau de franchise. Le liquidateur de la société F sollicitait de son côté la condamnation de la société C notamment au remboursement des droits d’entrée et des redevances.

En première instance, le tribunal a considéré que Madame C était partiellement fondée, et a débouté le liquidateur de ses demandes. La société C a alors interjeté appel.

Madame C et le liquidateur de la société F sollicitent la requalification du contrat d’adhésion en contrat de franchise, alors que la société C soutient qu’il s’agit d’un contrat de référencement de fournisseurs.

Les juges du fond rappellent les dispositions de l’article 12 du Code de procédure civile qui prévoient que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et aux actes, sans s’arrêter à la dénomination proposée par les parties.

Ainsi, le fait que le contrat n’ait pas été qualifié de contrat de « franchise » mais de contrat « d’adhésion » n’empêche pas les juges du fond, si le contrat présente toutes les caractéristiques d’une franchise, de le requalifier comme tel.

La décision rappelle que le contrat de franchise se caractérise par la réunion de trois éléments cumulatifs : (i) la mise à disposition, par le franchiseur au profit du franchisé, de signes de ralliement de la clientèle matérialisés par une enseigne commune, (ii) l’existence d’une obligation de collaboration entre les parties, (iii) la transmission par le franchiseur d’un savoir-faire au franchisé.

En l’espèce, la société C a concédé l’usage de l’enseigne à la société F ; la première condition est donc remplie.

Ensuite, en signant le contrat, les parties se sont engagées dans une collaboration qui a trouvé à s’exprimer avant l’ouverture du point de vente exploité par la société F (recherches de locaux commerciaux, élaboration des projets de plan du point de vente, assistance dans la passation des commandes pour l’aménagement intérieur), ainsi que pendant la durée du contrat (assistance marketing, juridique, commerciale, comptable et fiscale et délivrance d’une formation). La deuxième condition est donc remplie.

Enfin, reste la condition de la transmission du savoir-faire. Or, même si le contrat évoque la transmission d’un « concept », Madame C ne justifie pas en quoi aurait consisté ce concept, ni en quoi la société C lui aurait transmis une « façon de travailler spécifique et inhérente à la société C ». Les juges du fond relèvent que l’aménagement intérieur du magasin ne relève pas d’un savoir-faire, pas plus que les prétendues « meilleures solutions marketing et publicitaires » que la société C se serait engagée à apporter à l’adhérente (il n’est pas démontré en effet en quoi ces « solutions » relèveraient d’un savoir-faire substantiel, identifié et secret).

Les juges du fond concluent ainsi au fait que le contrat est une simple adhésion à un groupement de personnes qui, affiliées à une même enseigne, mettent en commun leurs forces commerciales pour négocier au meilleur prix l’achat de produits sélectionnés auprès de fournisseurs référencés.

A noter, même si un contrat n’est pas qualifié de contrat de franchise, dès lors que les conditions posées par l’article L.330-3 du Code de commerce sont réunies, s’impose la remise d’un document d’information précontractuelle (l’article L.330-3 du Code de commerce prévoit : « Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause. »).

En l’espèce, s’agissant de l’engagement « d’approvisionnement » prévu dans le contrat d’adhésion : le contrat prévoit que l’adhérent s’engage à suivre les recommandations de la société C à hauteur d’un minimum de 70 % de ses achats auprès des fournisseurs proposés par la société C. Les juges du fond considèrent ainsi que l’adhérent conserve ainsi la liberté de s’approvisionner jusqu’à 30 % de ses achats auprès de fournisseurs de son choix. Du fait de cette liberté, même restreinte, les juges ont considéré que le caractère d’exclusivité, voire de « quasi-exclusivité » visée à l’article L.330-3 du Code de commerce n’était pas rempli, ce qui privait la société C de l’obligation de remettre un DIP.

A rapprocher : Article L.330-3 du Code de commerce

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