L’espérance de gain comme cause d’engagement du franchisé

ZAKHAROVA-RENAUD Olga

Avocat associé - BMGB et Associés

L’espérance de gain est déterminante pour le consentement du franchisé […] L’exploitation en franchise devra permettre au franchisé d’en vivre et de capitaliser sur son fonds de commerce ou son entreprise afin de le revendre, un jour, avec une plus-value.

L’espérance de gain est déterminante pour le consentement du franchisé (Cass. com., 12 juin 2012, 11-19.047).

En effet, si le franchisé s’engage avec un franchiseur, s’il accepte de payer le droit d’entrée souvent important et une partie de son chiffre d’affaires au franchiseur, s’il accepte de respecter les règles fixées par le franchiseur en renonçant à une partie de sa liberté, c’est pour gagner de l’argent, ce n’est pas pour en perdre. L’exploitation en franchise devra permettre au franchisé d’en vivre et de capitaliser sur son fonds de commerce ou son entreprise afin de le revendre, un jour, avec une plus-value.

N’est-ce pas là la finalité recherchée par tout commerçant et tout entrepreneur ?

 

C’est la raison pour laquelle l’investissement initial du franchisé doit être proportionnel à la rentabilité attendue, rentabilité qui doit être projetée, de manière prévisionnelle, pendant la période précontractuelle.

Pour ce faire, la loi met à la charge du franchiseur l’obligation spécifique d’information précontractuelle, déterminée dans les articles L.330-3 et R.330-1 du code de commerce.

Figurent parmi ces informations :

  • la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne que le franchisé engagera avant de commencer l’exploitation ;
  • l’état et les perspectives de développement du marché concerné (art. L.330-3) constitué par une présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché (art. R.330-1).

L’établissement d’un état local du marché avec ses perspectives de développement est indispensable pour se faire une idée sur la rentabilité future de la zone de chalandise choisie pour l’implantation du point de vente franchisé et c’est au franchiseur de le communiquer au franchisé, quitte pour ce dernier à le compléter par une étude plus approfondie.

L’état du marché avec ses perspectives de développement et les éléments spécifiques au concept et au réseau fournis par le franchiseur (ratios de gestion, dépenses spécifiques au concept, montant des redevances, food cost lié à l’approvisionnement exclusif etc.) doivent permettre au franchisé d’établir ses comptes d’exploitation prévisionnels qui mettront en lumière la perspective de gain et la proportionnalité de l’investissement par rapport à la rentabilité attendue.

La jurisprudence rappelle que si le franchiseur n’est pas dans l’obligation d’établir les comptes prévisionnels de son franchisé, lorsqu’il fournit les éléments nécessaires pour leur établissement, ces éléments doivent être sincères, sérieux et véridiques (Cass. com., 13 sept. 2017, n°15-19.740).

A défaut, et dans l’hypothèse où les résultats réels du franchisé se trouveront sensiblement éloignés des résultats prévisionnels, ce dernier peut se prévaloir de l’erreur sur rentabilité justifiant la nullité du contrat (Cass. com, 10 juin 2020, n°18-21536), sans qu’il soit nécessaire de démontrer une intention de tromper de la part du franchiseur, avec pour conséquence, la remise en état antérieur (restitution des sommes versées au franchiseur pour l’exécution du contrat de franchise, remboursement des investissements spécifiques (CA Colmar, 30 sept. 2015, RG n°14/02315 ; Cass. com., 17 mars 2015, 13-24.853 et 14-10.365), voire la condamnation du franchiseur à réparer les pertes comptables subies par le franchisé en liquidation judiciaire (Cass. com., 14 janv. 2014, n°12-28.209).

Le flux financier prévu contractuellement envers le franchiseur (droit d’entrée, redevance de marque, redevance marketing, frais de fonctionnement de la centrale de référencement etc.) doit avoir une contrepartie réelle en termes de savoir-faire transmis, de services apportés, d’assistance, et cette contrepartie doit se traduire par un flux économique du franchiseur vers le franchisé, concrétisé par la capacité de réaliser un chiffre d’affaires et des marges, apportant un avantage concurrentiel en termes de rentabilité.

L’avantage concurrentiel constitue l’essence même du savoir-faire du franchiseur et est un paramètre primordial pour l’espérance d’un gain et donc, pour l’engagement du franchisé.

En période précontractuelle, la démonstration passe par l’information sur l’étendue et l’état du réseau franchisé et notamment, le nombre de franchisés du réseau en cours du contrat et le nombre d’entreprises franchisées qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document d’information précontractuelle, avec précision des causes de leur sortie (art. R.330-1). La jurisprudence va plus loin que la loi et retient l’obligation du franchiseur d’informer le candidat franchisé sur le nombre des franchisés en difficulté financière (en procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, avec les capitaux propres négatifs, en perte depuis plusieurs exercices…) car cette information constitue, avec d’autres, un ensemble d’éléments portant sur la substance même du contrat (CA Toulouse, 2 juin 2010, n°08/03665).

En période contractuelle, l’avantage concurrentiel est lié à l’obligation du franchiseur de faire évoluer son savoir-faire et d’assister les franchisés dans sa bonne application. L’obligation d’assistance est « de l’essence même du contrat de franchise » (CA Paris, 12 janv. 2011, n° 09/07371), « indépendamment de toute stipulation contractuelle spécifique » (CA Paris, 5 juill. 2006, n° 04/09624), consacrée au sein du Code de Déontologie Européen de la Franchise (point 2 du Code de Déontologie).

Toute relation de franchise s’arrêtera un jour et le franchisé sortant voudra vendre son entreprise en réalisant une plus-value ou au moins, en récupérant la valeur des fonds investis. Or, la liberté de cession de l’entreprise franchisée peut être limitée par certaines clauses post-contractuelles, telles que le droit de préemption du franchiseur, voire une promesse unilatérale de vente, et les clauses de non-concurrence ou de non-affiliation post-contractuelles qui auront l’incidence sur la valorisation de l’entreprise et le prix de vente.

Le franchisé sortant risque alors d’être confronté à la situation paradoxale où son entreprise aurait théoriquement plus de valeur avec l’enseigne du réseau, mais où les restrictions de sa liberté de la vendre en minorent le prix. Ces restrictions ne sont pour autant et a priori ni illégitimes ni illégales car justifiées par la nécessité de préserver le périmètre et la pérennité du réseau, à condition qu’elles ne dépassent pas les objectifs inhérents à la franchise et que leur mise en oeuvre ne soit pas abusive (CA Paris, 7 oct. 2016, n°14/23965, CA Paris, 5-4, 3 oct. 2018, n°16-05817). Ces restrictions ne doivent pas empêcher le franchisé ni de sortir du réseau au terme du contrat, ni de vendre son entreprise dans les conditions économiquement viables pour lui, en réalisant un gain attendu.

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