Absence de responsabilité de la société coopérative pour les agissements de ses adhérentes

ASTRUC Julie

Avocate

Cass. com., 27 janvier 2021, n°18-14.774, inédit

Faute de démontrer l’existence d’un lien de subordination juridique quelconque entre la société coopérative et ses adhérents, la responsabilité de la première ne peut être engagée au titre des agissements des seconds du seul fait de leur appartenance à un réseau commun…

…En application des articles L.124-1 à L.124-16 du Code de commerce, les sociétés adhérentes à une société coopérative de commerçants détaillants disposent d’une autonomie certaine par rapport à la société coopérative, en sont juridiquement indépendantes et toute subordination ainsi que tout contrôle, au sens juridique, des commerçants indépendants exerçant sous cette enseigne, est exclu.

 

***

Dans les faits ayant donné lieu à cet arrêt, la société Optical Center exerçant, soit en succursales soit en franchise, une activité de vente au détail d’équipements d’optique, reproche à l’une de ses concurrentes, la société coopérative Atol (« Atol SA »), ainsi qu’à la centrale d’achat de celle-ci et à quatre sociétés exerçant sous l’enseigne, des pratiques qu’elle juge constitutives de concurrence déloyale. Celles-ci consisteraient en une fausse facturation qui imputerait frauduleusement la charge maximale de l’achat des produits à la mutuelle complémentaire, pour mieux convaincre le client d’acheter et l’attirer à son détriment.

Optical Center fait grief à Atol SA d’avoir initié ou encouragé ces pratiques frauduleuses et souhaite ainsi voir sa responsabilité engagée. Pour ce faire, Optical Center affirme notamment que les pratiques commerciales du groupe Atol sont unifiées et organisées au plus haut niveau, que Atol SA est l’animatrice de ce réseau et que l’interdépendance des sociétés permettrait de considérer que le Groupe Atol constitue une entité économique unique, nonobstant son statut de société coopérative.

La Cour d’appel de Versailles a rejeté la demande d’Optical Center, en écartant l’action en responsabilité formée contre Atol SA. Elle confirme les conclusions du tribunal de commerce de Nanterre selon lesquelles :

  • La notion d’unité économique est inapplicable au cas d’espèce entre la coopérative Atol SA et ses adhérents, de même que la théorie de l’apparence et de celle de la confusion des patrimoines ;
  • Les adhérents du réseau ne sont pas des filiales d’Atol SA, de sorte que la théorie de l’imputabilité à la mère de la responsabilité des agissements de sa filiale est inopérante ;
  • Atol SA ne s’est pas immiscée dans la gestion des commerçants indépendants adhérant à la coopérative ;
  • Les actions préventives et d’informations développées par Atol SA contre la pratique des arrangements de facture excluent toute négligence fautive ;
  • Optical Center ne rapporte la preuve d’aucun acte de concurrence déloyale personnellement imputable à Atol SA.

Optical Center a alors formé un pourvoi en cassation. Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation relève que l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles a, par motifs adaptés, fait ressortir que :

  • « La société Atol n’exploite elle-même aucun magasin et que, constituée sous la forme d’une société coopérative de commerçants détaillants à capital variable, elle est régie par les articles L.124-1 à L.124-16 du Code de commerce et par ses statuts, desquels il résulte que les opticiens de l’enseigne Atol disposent d’une autonomie certaine par rapport à la société Atol, en sont juridiquement indépendants et que toute subordination ainsi que tout contrôle, au sens juridique, des commerçants indépendants exerçant sous cette enseigne, est exclu. »
  • « L’appartenance à un réseau est insuffisante pour justifier la responsabilité de la coopérative et énonce que cette responsabilité ne peut résulter que d’un fait personnel, la notion d’entité économique unique, propre au droit de la concurrence, ne trouvant pas application en matière de responsabilité civile délictuelle de droit commun fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du Code civil, dont relève la concurrence déloyale. »

L’arrêt retient ensuite que la société Optical Center ne justifie pas d’éléments de nature à justifier de l’existence d’un lien de subordination quelconque entre la société coopérative et ses adhérents : pas d’immixtion dans la gestion, les adhérents sont propriétaires des stocks de verres et de montures vendus aux clients, ils le vendent eux-mêmes, en fixent les prix, etc.

La Cour en déduit que « ni la loi, ni les statuts de la société Atol n’instituaient une subordination juridique entre la société coopérative et ses adhérents, mais seulement une faculté d’organiser une coopération financière ». Ainsi, elle a pu retenir que « les agissements de certains des membres du réseau Atol, pénalement répréhensibles, ne pouvaient relever que de leur fait personnel » et que « la société Atol, qui n’était responsable d’aucune négligence ou passivité fautive, n’avait commis aucun acte de concurrence déloyale ».

A noter que la société Optical Center avait déjà tenté, quelques années auparavant, de voir condamner, en raison de faits qu’elle jugeait constitutifs de concurrence déloyale, plusieurs sociétés appartenant à un autre groupe dans le secteur de la distribution de produits d’optiques, dont la coopérative de commerçants indépendants et la société animatrice du réseau de franchise sous l’enseigne, ce « en raison de leur appartenance à une entité économique unique ».

De la même manière la Cour, pour écarter la responsabilité des sociétés du groupe retient :

  • La notion d’entité économique autonome n’est pas applicable en matière de concurrence déloyale :

    « Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant énoncé exactement que la notion d’entité économique, propre au droit de la concurrence, ne trouve pas application en matière de responsabilité civile délictuelle de droit commun, fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, et que la responsabilité civile d’une personne juridique ne peut être retenue, sur la base de l’existence d’une entité économique, pour des actes commis par d’autres personnes, la Cour d’appel en a exactement déduit que la société Lissac enseigne et le GIE Audioptic Trade Services devaient être mis hors de cause »

    La Cour de cassation rappelle ainsi que la notion d’entité économique propre au droit de la concurrence ne s’applique pas en matière de responsabilité civile extracontractuelle de droit commun, fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil (devenus les articles 1240 et 1241). La responsabilité civile d’une personne juridique ne peut donc pas être retenue, sur la base de l’existence d’une entité économique, pour des actes commis par d’autres personnes, tels que des actes de concurrence déloyale.

  • Une coopérative de commerçants détaillants ne peut, en cette seule qualité, être tenue pour responsable des agissements des membres de son réseau :

    « Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir retenu que la société Gadol, titulaire de la marque « Optic 2000 » est une coopérative de commerçants indépendants, assurant, en qualité de centrale d’achat, la fourniture de produits et services nécessaires à la profession d’opticien, et qu’elle n’exploite pas personnellement de magasin d’optique, la Cour d’appel en a exactement déduit qu’elle ne peut, en sa seule qualité de coopérative, être tenue pour responsable des agissements des membres de son réseau ; ».

A rapprocher : Cass. com., 14 février 2018, n°16-24.619, F-D

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