Non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle

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GRANDMAIRE Justine

Counsel - Docteur en droit

Cass. com., 4 décembre 2019, n°17-20.032

La Cour de cassation rappelle, au travers de cette décision, le principe selon lequel les responsabilités contractuelle et délictuelle ne peuvent se cumuler dès lors que les demandes de réparation du préjudice subi portent sur le même objet.

Monsieur G conclut le 1er mars 2003, un premier contrat de prestation de services avec la société A expirant le 31 décembre 2003. Le 18 novembre 2003, les parties concluent un second contrat de prestation de service d’une durée d’un an à compter du 1er janvier 2004 et expirant le 31 décembre 2004. Le 23 avril 2004, Monsieur G crée la société G, laquelle poursuit la relation avec la société A. Les relations entre les parties se poursuivent jusqu’à ce que la société A notifie à la société G, le 24 février 2010, la fin des relations au 30 avril 2010 au titre de manquements dans l’exécution de la prestation. Monsieur G a assigné la société A devant le conseil de prud’hommes en vue d’obtenir la requalification de sa relation en contrat de travail et le paiement de diverses sommes au titre de la rupture sans cause réelle et sérieuse de son contrat de travail. Le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce. La société G est intervenue volontairement à l’instance devant le tribunal de commerce et a sollicité, avec Monsieur G, le paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie (sans toutefois viser expressément l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce), et, à titre subsidiaire, l’indemnisation de leur préjudice moral et le paiement de prestations de services restant dues en exécution du contrat jusqu’au 31 décembre 2010.

Les juges du fond ont déclaré les demandes de dommages et intérêts formées par Monsieur G et la société G irrecevables et relèvent que les demandes d’indemnisation étaient formées sur le double fondement de la responsabilité contractuelle (en application de l’article 1147 du Code civil) et de la responsabilité délictuelle (en application de l’article 1382 du Code civil), tout en évoquant la responsabilité tirée de la rupture brutale de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce (même si l’article n’était pas expressément visé). Les juges du fond soulignent que Monsieur G soutient, d’une part, qu’il existait des relations commerciales entre lui et la société A, auxquelles cette dernière a mis fin le 24 février 2010 avec un préavis de deux mois, mais que ce délai de préavis était trop court au regard des dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, et, d’autre part, que les manquements qui lui étaient reprochés par la société A ne pouvaient constituer des manquements suffisants et manifestes dans l’exécution du contrat pour justifier la rupture de la relation.

Les juges du fond concluent au fait que « la responsabilité civile encourue par l’auteur d’une rupture brutale de relations commerciales établies est de nature délictuelle ; que la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle reçoit application dans les rapports entre contractants, ce qui est le cas en l’espèce, les parties étant liées par des contrats (…) ; que les demandes de Monsieur G et de la société G ne sont pas distinctes ; qu’en conséquence, les demandes de Monsieur G et de la société G doivent être déclarées irrecevables en application de la règle de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle ».

Monsieur G et la société G ont formé un recours contre la décision rendue par la cour d’appel.

Les demandeurs au pourvoi invoquent notamment que le fait d’avoir visé deux fondements juridiques distincts au soutien de leurs demandes ne saurait suffire à justifier que soit prononcée l’irrecevabilité des demandes et que, même si ces fondements juridiques étaient incompatibles, cela ne constituait pas en soi une cause d’irrecevabilité dès lors qu’il n’existait aucun doute sur la teneur des prétentions formulées et qu’il n’en résultait aucun préjudice pour la partie adverse. Selon les demandeurs, le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, des règles de responsabilité délictuelle ; il n’existerait aucune contradiction à contester, sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, les manquements invoqués par la société A dans l’exécution des prestations contractuelles qui lui avaient été confiées et à solliciter, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, l’indemnisation des préjudices résultant de la résiliation par la société A des relations établies entre les parties.

 

La Haute Cour rappelle que les juges du fond ont souligné que les demandes d’indemnisation formées par la société G et par Monsieur G ont été formées sur le double fondement des responsabilités contractuelle et délictuelle, tout en évoquant une rupture brutale de la relation commerciale établie au titre de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce sans que ce texte soit expressément visé, et que la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle s’applique dans les relations entre cocontractants, comme en l’espèce, et que les demandes de Monsieur G et de la société G ne sont pas distinctes. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que les demandes de dommages et intérêts dont elle était saisie, visant de manière indifférenciée tant Monsieur G que la société G, étaient formées sous le double fondement des responsabilités contractuelle et délictuelle et qu’elles étaient irrecevables. Le pourvoi est ainsi rejeté.

A rapprocher : Pratiques restrictives de concurrence et non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ; Cass. civ. 1ère, 28 juin 2012, n°10-28.492 

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