Baux commerciaux : la saga de l’annulation des clauses d’indexation

ZELL Camille

Stagiaire

ZELL Camille

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Cass. civ. 3ème, 6 février 2020, n°18-24.599, Publié au bulletin

Seule la stipulation régissant ponctuellement et spécialement la première révision du loyer est réputée non écrite lorsque les dispositions de la clause d’indexation litigieuse applicables aux révisions postérieures ne prévoient pas une période de variation de l’indice supérieure à la durée écoulée entre lesdites révisions.

Par cet arrêt, la troisième chambre civile de la Cour de cassation définit les limites de l’annulation d’une clause d’indexation et retient le caractère dissociable de la première révision de loyer du reste de la clause qui n’est pas annulée.

***

Le 16 avril 2007, un bail commercial est consenti sur un bâtiment à usage de bureaux à compter du 15 janvier 2008.

La clause d’échelle mobile prévoyait une indexation « pour la première fois le 15 janvier 2009 par variation de l’indice INSEE du 4ème trimestre 2006 à l’indice INSEE du 4ème trimestre 2008 ».

Le locataire se prévaut du caractère illicite de la clause d’indexation insérée au bail, considérant que la période de variation de l’indice (2 ans : 2006 – 2008) ne correspond pas à la variation de l’indexation qui est annuelle (15 janvier 2008 – 15 janvier 2009) et saisit le tribunal aux fins de voir déclarer l’intégralité de la clause réputée non écrite aux fins de condamnation de la société bailleresse à restituer des sommes versées au titre de l’indexation.

Les juges du fond déclarent la clause d’échelle mobile non écrite en son entier aux motifs que ladite clause conduirait à la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée écoulée depuis la prise d’effet du bail, de sorte qu’elle n’était pas conforme aux dispositions d’ordre public de l’article L.112-1 du Code monétaire et financier.

La société bailleresse se pourvoit en cassation et invoque deux moyens :

  • Premièrement, elle estime que l’article L.112-1 du Code monétaire et financier ne s’applique pas à la première révision du loyer, mais seulement à la période contractuelle à venir.
    La Cour de cassation rejette ce moyen et confirme que l’article L.112-1 du Code monétaire et financier s’applique dès la première indexation.
  • Ensuite, elle relève que les dispositions de la clause d’indexation litigieuse applicables aux révisions postérieures ne prévoyaient pas une période de variation de l’indice supérieure à la durée écoulée entre lesdites révisions. Dès lors, elle considère que seule la stipulation régissant ponctuellement et spécialement la première révision du loyer devait être réputée non écrite.
    La Cour de cassation retient ce moyen et censure les juges du fond.

Ainsi, la troisième chambre civile casse la décision des juges d’appel au visa de l’article L.112-1 du Code monétaire et financier. Elle juge que « seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite » et que la cour d’appel, qui a constaté que la clause n’engendrait une telle distorsion que lors de la première révision, a violé le texte susvisé.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation juge de manière constante qu’une clause d’indexation insérée dans un bail commercial ne doit pas engendrer de distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire et la durée écoulée entre les deux révisions (Cass. civ. 3ème, 11 décembre 2013, n°12-22.616 ; Cass. civ. 3ème, 9 février 2017, n°15-28.691).

Elle a depuis récemment dissocié les stipulations de l’indexation du loyer créant la distorsion prohibée, des autres indexations à suivre et réputé non écrite exclusivement la partie de clause litigieuse (Cass. civ. 3ème, 29 novembre 2018, n°17-23.058, Publié au bulletin).

On croit comprendre que l’objectif poursuivi initialement par le rédacteur du bail était de « rattraper » le montant de loyer en valeur connue au moment de la signature du bail (avril 2007) par rapport à la date de prise d’effet de la première indexation qui ne s’effectue que 20 mois plus tard (15 janvier 2009).

Les parties auraient-elles pu prévoir un mécanisme de variation du prix de loyer parfaitement valable ? La réponse est oui ! Car au lieu d’organiser une distorsion au titre de la première indexation, les parties auraient pu, par exemple, convenir par avance de faire varier le loyer, lors de la prise d’effet du bail, par la stipulation d’une clause d’actualisation puis ensuite de lui appliquer l’indexation à la date anniversaire.

La différence fondamentale entre ces deux types de clauses repose dans leur objet. Tandis que la clause d’actualisation est une modalité de fixation du prix initial, la clause d’indexation vise à maintenir la valeur du loyer au fil du temps et ne se confondent pas (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 1er février 2012, n˚10/00 319). A vos clauses !

A rapprocher : Article L.112-1 du Code monétaire et financier ; Cass. civ. 3ème, 11 décembre 2013, n°12-22.616 ; Cass. civ. 3ème, 9 février 2017, n°15-28.691 ; Cass. civ. 3ème, 29 novembre 2018, n°17-23.058, Publié au bulletin ; CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 1er février 2012, n˚10/00 319

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