Autorité de la chose jugée et intuitu personae

Cass. com., 30 mai 2018, n°17-15.437

Tout jugement a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche.

Selon la décision commentée, les sociétés Z… et Carrefour font grief à l’arrêt (CA Montpellier, 29 novembre 2016) de dire que les demandes de la société Z… tendant à voir constater l’impossibilité d’exécuter le contrat de franchise ainsi que l’ordonnance de référé du 21 janvier 2014, rendue par le président du tribunal de commerce de Lyon, confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris le 10 février 2015, et constater la caducité dudit contrat de franchise étaient irrecevables alors, selon le moyen :

  1. que le moyen qui oppose à une demande l’autorité de la chose jugée attachée à un jugement afin qu’elle soit déclarée irrecevable, par défaut de droit d’agir, constitue une fin de non-recevoir ; que cette recevabilité s’apprécie à la date à laquelle la demande a été formée, et non pas à la date à laquelle le juge a statué, le droit d’agir du demandeur ne pouvant pas être remis en cause par l’effet de circonstances postérieures ; qu’en l’espèce, la société Z… Distribution a saisi le tribunal de commerce de Carcassonne de ses demandes le 24 juin 2014, tandis que le jugement du tribunal de commerce de Lyon, dont l’autorité de chose jugée lui est opposée, a été rendu postérieurement, le 24 juin 2014 ; qu’il s’ensuit que l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision ne pouvait pas être opposée aux demandes de la société Z… Distribution ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile, ensemble l’article 1351 ancien (devenu 1355) du code civil ; 
  2. qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ; qu’il n’est cependant pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu’en l’espèce, la société Z… Distribution , pour s’opposer devant le tribunal de commerce de Lyon à la demande forcée du contrat de franchise présentée par la société Distribution Casino France, avait alors fait usage d’un moyen relatif au défaut d’agrément ; que, devant le tribunal de commerce de Carcassonne, si la société Z… Distribution a fait usage du même moyen, a présenté une demande distincte, à savoir le prononcé de la caducité du contrat de franchise et la condamnation de la société Distribution Casino France au paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de l’article 1382 ancien du code civil qu’ainsi, à identité de moyens, les demandes étaient différentes, ce qui interdisait à la cour d’opposer à la demande de caducité, nouvelle dans cette procédure, l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu le 24 juin 2014 par le tribunal de commerce au nom du principe de la concentration des moyens ; qu’en jugeant dès lors que ce principe était opposable à la demande de caducité, la cour d’appel a violé l’article 1351 ancien (devenu 1355) du code civil, ensemble ce principe lui-même ; 

Ce faisant, la décision commentée retient :

  • Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir retenu que le jugement du tribunal de commerce de Lyon, rendu entre les mêmes parties, prises en la même qualité, avait fait droit à la demande de poursuite forcée du contrat de franchise sous astreinte et rejeté le surplus des prétentions et moyens des parties, après s’être expliqué sur ces moyens, tirés de l’impossibilité d’une reprise des relations contractuelles pour perte de l’intuitu personae et pour défaut d’agrément du nouveau dirigeant et associé de la société Z…, l’arrêt relève que cette dernière invoque les mêmes moyens dans l’instance engagée contre la société Casino, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, outre une exception de caducité du contrat de franchise ; qu’ayant constaté que l’ensemble de ces moyens était invoqué au soutien d’une même demande tendant à voir constater l’impossibilité de reprendre les relations contractuelles, et par suite l’impossibilité d’exécuter l’ordonnance de référé du 21 janvier 2014, le jugement du 24 juin 2014 et l’ordonnance du 20 juin 2014 ayant liquidé l’astreinte, c’est à bon droit que la cour d’appel a opposé l’autorité de chose jugée et retenu, par application du principe de la concentration des moyens, que la société Z… n’était pas recevable à invoquer la caducité du contrat de franchise, dès lors qu’il lui appartenait de soulever, devant le tribunal de commerce de Lyon, le moyen tiré de la caducité du contrat de franchise pour s’opposer à la demande de la société Casino en poursuite du contrat de franchise sous astreinte.
  • Et attendu, en second lieu, que tout jugement a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche ; qu’ayant constaté que le jugement au fond rendu par le tribunal de commerce de Lyon avait été prononcé le 24 juin 2014, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, c’est à bon droit que la cour d’appel a statué comme elle a fait et ce, peu important que le tribunal de Carcassonne ait été saisi préalablement.

A rapprocher : Intuitu personae

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