L’obligation d’apprécier le caractère manifestement excessif d’une clause pénale dans son entièreté

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SAADOUN Claire

Avocat

Cass. com., 15 mai 2019, n°18-11.550

Dans le cadre d’un contrat de location financière, dans l’exercice de son pouvoir modérateur d’une clause pénale, pour apprécier son caractère manifestement abusif ou dérisoire, le juge doit prendre en compte l’entièreté de la clause pénale composée à la fois du montant des loyers restant à échoir postérieurement à la résiliation du contrat ainsi que d’une pénalité égale à 10 % de cette somme.

Dans cette affaire, le locataire a souscrit auprès d’un établissement financier un contrat de location financière d’une durée de soixante-six mois, portant sur des matériels informatiques.

Invoquant le non-paiement des loyers par le locataire, l’établissement financier a assigné le locataire devant le tribunal de commerce de Paris en prononcé de la résiliation du contrat à ses torts, en restitution des matériels loués et en paiement des loyers échus et d’une indemnité contractuelle de résiliation stipulée dans le contrat de location financière. Cette dernière était composée du montant des loyers restant à échoir postérieurement à la résiliation assortie d’une pénalité égale à 10 % de cette somme.

En défense, le locataire a demandé, à titre principal, l’annulation du contrat de location, aux motifs que les matériels livrés n’étaient pas neufs et, subsidiairement à ce que soit déclaré abusive et nulle, la clause l’imposant d’avoir à régler le coût des loyers restant à courir jusqu’au terme du contrat et la clause pénale, en tant qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L.132-1 du Code de la consommation.

Sur le premier point, le tribunal de commerce de Paris a débouté l’établissement financier de sa demande en résiliation du contrat aux torts du locataire au motif qu’en ne livrant pas un matériel neuf en totalité, l’établissement financier a manqué gravement à ses obligations.

Sur le deuxième point, qui nous intéresse plus particulièrement, le tribunal jugera que le locataire n’était pas fondé à se prévaloir du bénéfice des dispositions de l’article L.132-1 du Code de la consommation puisqu’il a loué le matériel dans le cadre de son activité professionnelle.

Suite à l’appel interjeté par l’établissement financier, la cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement sauf en ce qu’il a jugé que les dispositions du Code de la consommation ne s’appliquent pas au contrat de location. Elle considère que le locataire n’apportait pas la preuve que le matériel dont il a passé commande était un matériel entièrement neuf et que cette qualité était déterminante à son consentement.

Elle estime alors que le contrat devait être résilié aux torts du locataire et le condamne à payer l’intégralité des sommes demandées à l’exception d’une seule : la pénalité contractuelle égale à 10 % des sommes susvisées.

Elle affirme que « la locataire est (…) condamnée au paiement des sommes demandées dont à déduire la pénalité contractuelle (…) qui revêt le caractère d’une clause pénale manifestement excessive ».

Saisie d’un pourvoi, la chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré sur ce point l’arrêt d’appel au visa de l’article 1152, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016.

Selon Haute juridiction, « la majoration de la charge financière pesant sur le débiteur, résultant de l’anticipation de l’exigibilité des loyers prévus jusqu’au terme du contrat dès la date de la résiliation, a été stipulée à la fois comme un moyen de contraindre le débiteur à l’exécution et comme l’évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le loueur du fait de la résiliation, de sorte qu’elle constitue une clause pénale susceptible de modération en cas d’excès manifeste ».

Par cette décision, la Cour de cassation affirme que le caractère manifestement abusif de la clause pénal doit être apprécié par le juge en tenant compte de l’ensemble de ce qu’elle stipule, à savoir, non seulement la pénalité, mais également l’exigibilité des loyers à échoir postérieurement à la résiliation du contrat prévue contractuellement et qui revêt le caractère d’une clause pénale, dans la mesure où elle constitue à la fois un moyen de contraindre le débiteur à exécuter ses obligations contractuelles, et l’évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice subi.

En dépit que les juges ont refusé l’application des dispositions relatives aux clauses abusives, nous voyons ici que par le truchement de l’article 1152 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du Code civil, ils procèdent tout de même à un examen global de l’équilibre contractuel dans la stipulation d’une clause pénale.  

Cette solution est protectrice des intérêts du débiteur de la clause et se situe dans la tendance juridique actuelle de permettre au juge d’apprécier le déséquilibre dans les contrats.

A rapprocher : Article 1152 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du Code civil ; Article 1231-5 du Code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2016-131 du Code civil

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