Des conditions de mise en œuvre de la responsabilité du franchiseur en matière de comptes prévisionnels

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, 19 juin 2019, n°17/05169 ; Trib. arb., 18 juin 2019, inédit ; Trib. arb., 12 juin 2019, inédit ; CA Versailles, 4 juin 2019, n°17/08398

Plusieurs décisions récentes donnent l’occasion de revenir en détail sur les règles fondamentales relatives à la responsabilité du franchiseur en matière de comptes prévisionnels. Au regard de la jurisprudence, trois séries d’hypothèses doivent être distinguées.

Trois séries d’hypothèses doivent être distinguées, en fonction du rôle effectivement tenu par le franchiseur qui, selon les cas :

  • transmet au franchisé des chiffres-types (ou ratios-types) devant permettre à ce dernier d’établir ses propres comptes prévisionnels (II°),
  • valide a posteriori les comptes prévisionnels établis par le franchisé (III°).

Quelques observations doivent être formulées au titre du préjudice réparable (IV°).

 

I/ Le franchiseur a lui-même établi les comptes prévisionnels qu’il transmet ensuite au franchisé

Cette hypothèse suscite cinq séries d’observations.

Primo, il appartient au franchisé d’établir la preuve que le franchiseur a réalisé les comptes d’exploitation prévisionnels sur la base desquels le franchisé a envisagé la rentabilité du concept ; à défaut, le franchiseur ne peut se voir attribuer la paternité d’un tel document. La charge de la preuve incombe donc au franchisé.

La Cour de cassation vérifie tout au plus sur ce point que, dans le cadre de leur appréciation souveraine, les juges du fond ont motivé leur décision (Cass. com., 5 janvier 2016, n°14-15.710 : « Et attendu, en dernier lieu, qu’après avoir retenu, au terme d’une appréciation souveraine et motivée des éléments de preuve, qu’il n’était pas établi que le franchiseur ait participé à la réalisation du compte d’exploitation prévisionnel sur la base duquel le franchisé a envisagé la rentabilité du concept, l’arrêt relève qu’aucun résultat n’a été contractuellement prévu par le franchiseur ni n’a été garanti »).

A ce titre, la responsabilité du franchiseur ne saurait être mise en cause, les comptes prévisionnels fussent-ils erronés, lorsque celui-ci s’est simplement engagé, au titre de l’assistance, à aider le franchisé dans l’établissement de ses comptes prévisionnels, et à établir en collaboration avec lui une étude de marché (CA Paris, 31 janv. 2002, Juris-Data n°170815), le franchisé restant alors tenu, en sa qualité de commerçant indépendant, d’établir ses propres comptes d’exploitation prévisionnels (CA Douai, 5 déc. 1991, Juris-Data n°052153).

La preuve de ce que telle ou telle partie a elle-même réalisé les comptes prévisionnels peut être contractualisée.

Secundo, lorsque l’écart entre le CA prévisionnel et le CA réel ne dépasse pas 20/25 %, la responsabilité du franchiseur, auteur des comptes prévisionnels, n’a pas lieu d’être, l’aléa commercial devant, dans une certaine mesure, entrer en ligne de compte. La jurisprudence reconnaît cette règle de bon sens (Trib. arb., 12 juin 2019, inédit).

Tertio, la seule constatation d’un écart, serait-il significatif, entre le CA prévisionnel et le CA réel, ne saurait constituer en soi la preuve de l’insincérité ou de l’irréalisme de telles prévisions (CA Paris, 19 juin 2019, n°17/05169 ; CA Paris, 10 avr. 2019, n°17/14169 ; CA Colmar, 10 avr. 2019, n°16/00028 ; CA Paris, 16 janv. 2019, n°16/25655 ; v. aussi, Cass. com., 3 avr. 2012, n°11-16303).

Quarto, lorsque l’écart significatif s’explique par la survenance de facteurs intrinsèques et/ou extrinsèques au franchisé, la responsabilité de l’auteur des comptes prévisionnels n’a pas lieu d’être.

Il en va ainsi lorsque le franchisé n’a pas mis en place les ressources envisagées par les comptes prévisionnels (CA Montpellier, 3 mai 2018, n°16/06747), lorsqu’il a commis des fautes dans la relation client (CA Paris, 4 déc. 2013, n°13/08506), la gestion de son personnel ou la nature des dépenses engagées (CA Paris, 1er févr. 1994, n°659/93) et, de manière plus générale, lorsque les recommandations du franchiseur n’ont pas été appliquées (Cass. com., 5 janv. 2016, n°14-11624). Il en va de même si le local du franchisé a rencontré des difficultés d’accessibilité (CA Versailles, 4 juin 2019, n°17/08398) ou lorsque son activité fait l’objet d’un changement de réglementation (Trib. arb., 18 juin 2019, inédit).

Quinto, lorsqu’un écart significatif ne peut s’expliquer par la survenance de tels facteurs, l’auteur des comptes prévisionnels peut justifier la qualité de sa méthode et/ou la vraisemblance de ses prévisions aux regards de CA comparables au sein du réseau (Trib. arb., 7 mars 2019, inédit), à défaut de quoi sa responsabilité pourrait alors être engagée (Cass. com., 25 juin 2013, n°12-20815).

 

II/ Le franchiseur transmet au franchisé des chiffres-type devant permettre à ce dernier d’établir ses propres comptes prévisionnels

Les chiffres-types ne sont qu’une étape intermédiaire vers la détermination des comptes prévisionnels, qu’il appartient au distributeur, commerçant indépendant, de réaliser lui-même ou de faire réaliser par tout professionnel de son choix. La jurisprudence a bien cerné cette notion d’étape intermédiaire (CA Paris, 9 avril 2009, n°06/14632 : soulignant « que le second document établi par SCORE est intitulé « plan prévisionnel type création centre-ville », ce qui démontre qu’il ne constituait qu’une base de travail pour le candidat » ; v. aussi, en ce sens, CA Montpellier, 12 avril 2011, n°09/07385).

Les comptes-types peuvent varier selon leur objet ; selon les cas, ils porteront en effet sur :

  • l’ensemble des comptes de charges (loyer, salaires, achats de marchandises, publicité, dépenses courantes, etc.) ; dans ce cas, le futur exploitant affine ces éléments en fonction des spécificités de son emplacement ou de son territoire, puis détermine ensuite le chiffre d’affaires qu’il envisage de réaliser ;
  • certains comptes de charges seulement (par exemple : Loyers HT < 8% du CA HT ; Masse salariale < 33% du CA HT).
  • le chiffre d’affaires qui, selon les cas peut être lui-même :
    • un CA déterminable (par exemple : le CA HT / m2),
    • un CA moyen,
    • voire même un CA fixe (par exemple pour les activités dites de « micro-crèches » pour lesquelles le CA est connu d’avance),
  • l’ensemble de comptes de charges ainsi que le chiffre d’affaires ; il s’agit alors d’un « compte d’exploitation type » puisque l’ensemble des postes y sont modélisés, permettant ainsi de faire ressortir un résultat.

Même si cela va de soi, il n’est pas inutile d’indiquer au distributeur, dans le DIP ou tout autre document, que les comptes-types ne constituent pas un compte prévisionnel mais tout au plus une aide à l’établissement du dossier bancaire, impliquant la modification des ratios et montants qu’ils comportent (CA Riom, 22 juillet 2015, n°14/00125 : soulignant que « que le compte prévisionnel type mentionné dans le DIP ne constituait pas un compte d’exploitation prévisionnel tel qu’expressément indiqué mais seulement une aide à l’établissement du dossier bancaire, les futurs franchisés reconnaissant qu’ils devront modifier les ratios et montants ne correspondant pas à leur dossier » ; v. aussi, CA Aix-en-Provence, 21 février 2013, n°10/18237 : soulignant que « cette évaluation théorique doit être confrontée à la réalité de l’exploitation ainsi que le DIP le mentionne »).

Cette hypothèse suscite trois séries d’observations.

Primo, pour que les comptes-types (ou ratios-types) engagent la responsabilité de la tête de réseau, deux conditions cumulatives sont requises ; en effet, les comptes-type doivent être inexacts, et avoir induit le distributeur en erreur en le conduisant à formuler des prévisions exagérément optimistes. Lorsque l’une de ces conditions fait défaut, la responsabilité de la tête de réseau n’a pas lieu d’être.

Secundo, pour engager la responsabilité de leur auteur, les comptes-types doivent être inexacts.

Par nature, les comptes-types établissent une moyenne. Par nature, cette moyenne ne peut manquer de réalisme ; elle est (au contraire) l’expression la plus globale du réalisme, puisqu’elle regroupe par définition des chiffres existants, éprouvés en pratique. A plus forte raison, une moyenne ne peut « manquer de réalisme » par le fait même que l’un des éléments pouvant y participer, ne serait pas « dans la moyenne » (v. pour une analyse similaire formulée à propos de comptes prévisionnels, CA Paris, 24 janvier 2018, n°15/15812 : « Les appelants déduisent de la seule discordance entre les chiffres d’affaires prévisionnels et les chiffres d’affaires qu’ils ont réalisés, une erreur déterminante de leur engagement sur la rentabilité du concept. Or, comme l’ont considéré à juste titre les premiers juges, ils ne démontrent, par la production d’aucune pièce, que les chiffres d’affaires prévisionnels fournis par le franchiseur étaient manifestement disproportionnés, irréalistes et non adaptés, les premiers juges relevant notamment qu’il n’était produit aucun élément susceptible, à cette époque, de remettre en cause la pérennité et la rentabilité du réseau de franchisés et que, de surcroit, les époux PICARD pouvaient être considérés comme suffisamment avertis en raison de leur expérience antérieure en leur qualité d’exploitants d’un fonds de commerce à usage de tabac-presse pendant dix ans »).

Ainsi donc, à moins que leur caractère inexact soit démontré, des comptes-types ne sauraient engager la responsabilité de leur auteur (CA Aix-en-Provence, 21 février 2013, n°10/18237 : relevant que « [l]es allégations du mandataire liquidateur concernant l’absence de sincérité des informations contenues dans le document précontractuel d’information et ses annexes sont dépourvues de fondement dès lors que le compte prévisionnel type figurant en annexe du document pré-contractuel d’information est établi en fonction de la moyenne des magasins en activité »).

Il appartient au franchisé de rapporter la preuve que les informations de cette nature qu’il a reçues du franchiseur sont erronées (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 4 décembre 2013, n°13/08506).

Pour engager la responsabilité de leur auteur, les comptes-types doivent par ailleurs avoir induit le distributeur en erreur en le conduisant à formuler des prévisions exagérément optimistes.

Ainsi, les comptes-types ne peuvent avoir induit le distributeur en erreur lorsque celui-ci :

  • a retenu un CA bien supérieur (CA Montpellier, 2ème ch., 12 avril 2011, n°09/07385 : soulignant qu’« au vu de ce document non personnalisé et du seuil de lavages fixé à 230 par mois dans la convention, bien inférieur à celui envisagé dans le compte prévisionnel, il n’apparaît pas que M. D… ait été trompé (…) ») ;
  • a engagé des dépenses excédant notablement certains comptes de charges (CA Montpellier, 2ème ch., 12 avril 2011, n°09/07385 : soulignant que « l’acceptation, par la suite, d’un loyer annuel de 40 200 euros par an, soit bien supérieur à celui pris en compte dans le document type, démontre, à l’évidence, que ce prévisionnel n’a pas été déterminant du consentement de l’intéressé ») ;
  • retient dans les comptes prévisionnels qu’il a établis des résultats plus avantageux (CA Riom, 2ème ch., 4 mai 2016, n°14/02327 : soulignant que le franchisé a « pour constituer le dossier de financement présenté à la [banque] remis un prévisionnel retraçant des résultats plus optimistes que ceux qui lui avaient été communiqués par le franchiseur [dans les comptes d’exploitation prévisionnels type] »).

Tertio, lorsque le distributeur dispose de compétences comptables, la circonstance que les comptes-types l’aient induit en erreur semble suspecte (CA Riom, 2ème ch., 4 mai 2016, n°14/02327 et, sur pourvoi, Cass. com., 17 janvier 2018 n°16-21.433).

 

III/ Le franchiseur valide les comptes prévisionnels

Primo, il appartient au franchisé de rapporter la preuve que le franchiseur a bien reçu la version définitive des comptes prévisionnels à valider (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 16 septembre 2015, n°13/08191 : « (…) Considérant qu’il n’est nullement justifié par les pièces versées au débat que la version finale du prévisionnel a été validée par la société Ducati, de sorte qu’elle aurait garanti sa réalisation (…) ») et les a effectivement validés (CA Colmar, Chambre 1 A, 10 avril 2019, n°16/00028, n°16/00029, n°16/00030 et n°16/00031).

Secundo, encore faut-il s’entendre sur ce qui constitue (ou non) une « validation ».

Par principe, la validation des comptes prévisionnels par le franchiseur implique un acte positif.

Par exception, cette validation peut résulter du simple silence observé par le franchiseur à réception des comptes prévisionnels lorsque le contrat de franchise stipule que ceux-ci sont élaborés par le franchisé en collaboration avec le franchiseur (CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 7 janvier 2015, n°12/19788 : retenant successivement que « selon l’article 4.3.2 du contrat de franchise, le compte prévisionnel était élaboré par le franchisé en collaboration avec le franchiseur […] », et que « l’élaboration du compte prévisionnel dans ces conditions de collaboration impliquait que la société R, en les recevant sans formuler la moindre observation, les validait nécessairement ». Cette décision a fait l’objet d’une cassation partielle, mais le moyen tendant à critiquer cette solution a été rejeté (Cass. com., 15 mars 2017, n°15-16.406).

Tertio, le franchiseur a l’obligation de faire preuve de sérieux et de prudence lorsqu’il valide les chiffres qui lui sont soumis (Cass. com., 15 mai 2012, n°11-15.573).

Dans certains cas, le franchiseur est tenu par un devoir de mise en garde. Il en va ainsi lorsque les comptes prévisionnels établis par le franchisé lui-même comportent des éléments de nature à alerter le franchiseur ; il doit s’agir d’éléments connus (ou censés être connus) du franchiseur tel que par exemple les charges salariales (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 16 septembre 2015, n°13/08191) ; on songe encore au panier moyen, etc.

 

IV/ Le préjudice réparable

Le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses (Cass. com., 15 mars 2017, n°15-16.406 ; Cass. com., 25 novembre 2014, n°13-24.658. – v. aussi, CA Paris, 20 juin 2018, n°17/16639) et non par celle d’obtenir les

gains attendus (Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10.028 ; Cass. com., 25 novembre 2014, n°13-24.658 ; Cass. com., 31 janvier 2012, n°11-10.834 – v. contra, une décision isolée : CA Angers, 2 juillet 2013, n°11/01519), ou par les pertes subies (Cass. com., 15 mars 2017, n°15-16.406).

Cette jurisprudence inspire trois séries d’observations.

Primo, s’agissant de comptes prévisionnels, il est parfaitement logique que les gains attendus ne soient jamais indemnisés. Il y aurait en effet une contradiction évidente à considérer simultanément que la rentabilité issue des comptes prévisionnels était inatteignable et à solliciter une indemnisation fonction de cette même rentabilité, ce qui reviendrait nécessairement à considérer que ces derniers étaient atteignables.

Autrement dit, de deux choses l’une : soit les comptes prévisionnels sont atteignables et aucune responsabilité n’est alors encourue ; soit les comptes prévisionnels sont inatteignables et le préjudice réparable ne peut être constitué des gains attendus mais, tout au plus, de la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses.

Si les gains attendus ne sont ainsi jamais indemnisés, il a été soutenu devant la Cour de cassation qu’en ne recherchant pas si la conclusion du contrat de franchise annulé n’avait pas placé une société franchisée dans l’impossibilité de conclure un autre contrat qui lui aurait permis d’obtenir des gains similaires à ceux escomptés du contrat annulé, une cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil. La Cour de cassation n’a pas eu à répondre à un tel argument, celui-ci n’a ayant pas été soulevé devant la juridiction d’appel (Cass. com., 21 juin 2016, n°15-10.028).

Secundo, même si la Cour de cassation vise indistinctement, par une formulation identique d’une décision à l’autre, que le préjudice réparable est constitué de la perte de chance « de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses », une distinction s’impose : le préjudice réparable n’est pas le même suivant que le contrat a ou non été annulé.

En effet, lorsque le franchisé a fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat, son préjudice réparable correspond, non à la perte d’une chance de ne pas contracter, mais uniquement à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses (Cass. com., 10 juillet 2012, n°11-21.954, Bull. civ. IV, n°149, LDR 3 septembre 2012). Cette décision s’inscrit elle-même dans le sillage d’un célèbre arrêt rendu par la chambre commerciale le 14 mars 1972, qui avait énoncé, en présence d’un dol, que « les acquéreurs pouvaient invoquer le dol pour conclure seulement à une réduction de prix » (Bull. civ. IV, no 90) et non à l’annulation du contrat. La jurisprudence est sur ce point parfaitement établie, la Cour de cassation ayant jugé à plusieurs reprises que « la victime d’un dol peut, à son choix, faire réparer le préjudice que lui ont causé les manœuvres de son cocontractant par l’annulation de la convention et, s’il y a lieu, par l’attribution de dommages-intérêts, ou simplement par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme de la restitution de l’excès de prix qu’elle a été conduite à payer » (Cass. com., 27 mai 1997, n°95-15930 ; Cass. com., 27 janvier 1998, n°96-13253 ; Cass. 1ère civ., 12 octobre 2004, n°01-14704).

La raison d’être de cette solution est évidente : celui qui fait le choix de continuer à profiter du contrat doit pouvoir obtenir un « rééquilibrage » de son contrat en étant indemnisé de « la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses », mais non la perte de chance de ne pas contracter. Comme l’a observé Mme Guelfucci-Thibierge (C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1992, nos 145 et s.), « lorsque le contrat est annulé, il convient donc de compléter l’annulation par l’allocation de dommages et intérêts destinés à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le contrat n’avait pas été conclu, mais lorsque le contrat n’est pas annulé, il ne saurait être question de rembourser à la victime les frais de conclusion du contrat puisque cette conclusion n’aura pas été vaine, l’acte étant maintenu. Il faudra seulement la rendre indemne des conséquences préjudiciables de la faute commise par l’autre partie lors de la formation de l’acte. À cette fin, il suffira d’effacer les effets de la faute précontractuelle sur cette formation, en recherchant ce qu’aurait été l’acte sans cette faute. Or, celle-ci n’a pas déterminé la conclusion en elle-même mais l’acceptation de certaines conditions désavantageuses pour la partie victime » (C. Guelfucci-Thibierge, préc. no187). M. Lequette note lui aussi que lorsque le contrat est annulé, « il s’agit au fond d’effacer le dommage en faisant comme si le contrat n’avait pas été conclu » alors que lorsque le contrat n’est pas annulé, « la doctrine est unanime : le préjudice résulte de la conclusion du contrat à des conditions moins avantageuses qui n’ont été acceptées qu’en raison de la faute précontractuelle », « parce qu’elle a choisi de maintenir le contrat, la victime du dol ne peut soutenir qu’elle ne l’aurait pas conclu. Tout au plus peut-elle faire valoir qu’elle l’aurait conclu à des conditions plus avantageuses pour elle » (Y. Lequette, « Responsabilité civile versus vices du consentement », in Au-delà des codes, Mélanges en l’honneur Marie-Stéphane Payet, Dalloz, 2011, p. 363 et s., spéc., no11).

Tertio, la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses revient selon nous à déterminer, d’une part, le degré de probabilité de la conclusion, par la société franchisée dûment informée, d’un contrat à des conditions plus avantageuses, et, d’autre part, la valeur des gains que la société franchisée aurait pu espérer percevoir si elle avait signé le contrat à des conditions plus avantageuses (CA Paris, 20 juin 2018, n°17/16639, LDR 3 juillet 2018 :

« il y a lieu de déterminer, d’une part, le degré de probabilité de la conclusion, par la société franchisée dûment informée, d’un contrat à des conditions plus avantageuses, et d’autre part, la valeur des gains manqués du fait de l’absence de conclusion d’un contrat à des conditions plus avantageuses »).

Pour ce qui concerne le premier paramètre (à savoir le degré de probabilité de la conclusion, par la société franchisée dûment informée, d’un contrat à des conditions plus avantageuses), la jurisprudence retient tout d’abord que la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (CA Paris, 20 juin 2018, n°17/16639, LDR 3 juillet 2018 : indiquant en effet sur ce point qu’« il est de principe que […] la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ». Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 9 décembre 2010, Bull. civ. I, n° 255 : « la cour d’appel (…) s’agissant (…) de la réparation d’un préjudice né d’une perte de chance, ne pouvait allouer une indemnité égale au bénéfice que le demandeur aurait retiré de la réalisation de l’événement escompté » ; adde notamment Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1998, Bull. civ. I, n°260)).

La jurisprudence souligne que « seuls les éléments concernant la signature du contrat de franchise doivent être pris en compte et non pas les circonstances intervenues ultérieurement à celles-ci ni relatives à l’exécution dudit contrat » (CA Paris, 20 juin 2018, n°17/16639, LDR 3 juillet 2018). La précision se justifie puisque, par principe, il s’agit de se placer au moment de la conclusion du contrat de franchise. En fin de compte, le coefficient d’incertitude doit donc être fixé en considération de l’incertitude qu’aurait eue la société franchisée de conclure un contrat au contenu plus avantageux, et non en considération de l’incertitude d’avoir obtenu les résultats escomptés.

A rapprocher : Lexique – Comptes prévisionnels

Sommaire

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