Clause de non-concurrence : les activités de restauration rapide de pizzas et de hamburgers sont concurrentes

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

CA Paris, 13 décembre 2017, n°15/20195

La décision commentée permet de comprendre pourquoi une clause de non-concurrence peut valablement interdire à un franchisé exerçant une activité de restauration rapide de hamburgers d’exercer parallèlement une activité de restauration rapide de pizzas, et de mieux appréhender la rédaction des clauses de non-concurrence (contractuelles et post-contractuelles) pouvant ainsi figurer dans un contrat de franchise.

Ce qu’il faut retenir : une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de franchise peut valablement interdire à un franchisé d’exercer une activité identique, substituable ou similaire à celle objet du contrat. La commercialisation de produits ou services (restauration rapide de vente de pizzas) présentant un caractère « substituable » à ceux constituant l’objet du contrat (restauration rapide de vente de hamburgers) relève donc de l’interdiction érigée par la clause de non-concurrence. Il nous semble que la solution ainsi retenue, parfaitement justifiée, vaut tout aussi bien pour une clause de non-concurrence post-contractuelle (F.-L. Simon, La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution : Panorama de jurisprudence et Prospective).

 

Pour approfondir :

 

1. Données du litige : Pour bien comprendre la portée de l’arrêt commenté, il convient tout d’abord de rappeler le contexte et les termes de la clause de non-concurrence dont le champ d’application était contesté.

Au cas présent, les faits de l’espèce sont simples : le contrat de franchise porte sur l’exploitation de l’enseigne de restauration rapide « Quick », principalement axée sur la vente de hamburgers. Le 1er septembre 2005, la société S… et son gérant, M. L…, ont signé un contrat de franchise et un contrat de location gérance portant sur l’exploitation d’un restaurant situé à Terville (57180) pour une durée initiale de 10 ans. L’article 28 du contrat de franchise comprend une clause de non-concurrence faisant interdiction à la société franchisée et à son gérant, pendant toute la durée du contrat de franchise, d’exercer une activité concurrente dans la restauration rapide :

« Pendant toute la durée du présent contrat, le franchisé et l’intervenant s’interdisent de créer, participer, exploiter ou s’intéresser d’une quelconque manière, directement ou indirectement, par eux-mêmes ou par personne interposée, seul ou conjointement avec une autre personne, entreprise ou société, en quelque qualité que ce soit et notamment en qualité d’actionnaire, administrateur, dirigeant de droit ou de fait, mandataire, gérant, salarié ou associé, à toute entreprise, société ou commerce ayant une activité identique, substituable ou similaire et qui serait dès lors concurrente de celle de l’une des unités du réseau Quick en franchise ou non relevant de la restauration rapide avec vente au comptoir et/ou à emporter et/ou livraison à domicile quelle qu’elle soit, et notamment à une entreprise, société ou commerce qui serait adhérent du SNARR (Syndicat national de l’Alimentation et de la Restauration Rapide), sauf accord préalable écrit du franchiseur qui répondra dans les 30 jours de la demande. ».

La clause prévoit par ailleurs qu’en cas de non-respect, le franchisé doit payer au franchiseur, à titre d’indemnité de clause pénale, une somme de 150.000 euros HT, sans préjudice de la possibilité pour le franchiseur de rompre le contrat aux torts exclusifs du franchisé.

Par avenant du 30 mars 2013, les parties prorogent le contrat de franchise et le contrat de location-gérance jusqu’au 31 août 2017 avec une possibilité pour le franchisé de poursuivre l’exécution du contrat jusqu’au 31 août 2019.

Le franchiseur par la suite que M. L…, gérant de la société franchisée, détient (directement et indirectement) le contrôle d’une société R…, exploitant un restaurant sous enseigne « Pizza Hut » situé à Metz.

C’est dans ce contexte que le franchiseur saisit le Tribunal de commerce de Paris afin qu’il constate la violation de l’engagement de non-concurrence et ordonne la résiliation du contrat de franchise aux torts du franchisé.

 

2. Jugement : Par jugement du 7 octobre 2015, les premiers juges (Trib. Com. Paris, 7 octobre 2015, n°2014/021074 et n°2014/036096) ont :

  • dit nul et de nul effet le membre de phrase suivant figurant dans le premier alinéa de l’article 28 du contrat de franchise « et notamment à une entreprise, société ou commerce qui serait adhérent du SNARR » ;
  • dit que le premier alinéa de l’article 28 du contrat de franchise doit s’entendre ainsi ; « pendant toute la durée du contrat, le franchisé et l’intervenant s’interdisent de créer, participer, exploiter ou s’intéresser d’une quelconque manière, directement ou indirectement, par eux-mêmes ou par personne interposée, seul ou conjointement avec une autre personne, entreprise ou société en quelque qualité que ce soit et notamment en qualité d’actionnaire, administrateur, dirigeant de droit ou de fait, mandataire, gérant, salarié ou associé à toute entreprise, société ou commerce ayant une activité identique, substituable ou similaire, et qui serait dès lors concurrente à celle de l’une des unités du réseau Quick en franchise ou non relevant de la restauration de type rapide avec vente au comptoir et/ou à emporter et/ou livraison à domicile quelle qu’elle soit, sauf accord préalable écrit du franchiseur qui répondra dans les 30 jours de la demande » ;
  • constaté que tant la société S… en tant que société franchisée, que M. L… en tant qu’intervenant partie audit contrat ont violé délibérément la clause de non-concurrence figurant au premier alinéa de l’article 28 du contrat de franchise,
  • condamné la société S… à payer au franchiseur la somme de 150.000 euros en application des dispositions de l’article 28 du contrat de franchise,
  • prononcé la résiliation du contrat de franchise signé entre la société franchiseur et la société S… et M. L…, aux torts exclusifs de ceux-ci, à compter de la date de signification du présent jugement,
  • constaté la résiliation, à compter de la date de signification du présent jugement du contrat de location gérance du fonds de commerce de Terville, aux torts de la société S… le preneur,
  • enjoint à la société S…, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de huit jours suivant la signification du présent jugement, de :
    • cesser l’exploitation du restaurant Quick de Terville,
    • fournir à Quick la liste du personnel attaché au fonds de commerce,
    • fournir à Quick la liste de tous les contrats commerciaux conclus aux fins de l’exploitation du fonds de commerce,
    • restituer à Quick l’enseigne, le matériel publicitaire ainsi que tous documents, notamment le manuel général d’exploitation, remis aux défendeurs à titre de dépôt pour l’exploitation du restaurant,
    • modifier l’adresse du siège social de Sirgel,
  • dit que l’astreinte sera effective pour une durée de 60 jours, délai au-delà duquel il sera à nouveau statué, débouté pour le surplus des demandes d’astreinte,
  • débouté la société S… et M. L… de toutes leurs demandes,
  • ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,
  • dit les parties mal fondées en leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent jugement et les en déboute.

 

3. Prétentions des parties : En cause d’appel, la société franchisée et son dirigeant soutiennent que :

  • la clause de l’article 28 du contrat de franchise limite l’interdiction, d’une part, à la vente d’autres hamburgers mais pas aux pizzas, en ce qu’une pizza n’est pas un produit substituable à un hamburger, et, d’autre part, aux activités concurrentes du réseau Quick, que n’est pas l’activité de livraison de pizzas commandées par téléphone ;
  • la composition du produit et la formation des employés ne sont pas les mêmes pour commercialiser des pizzas et des hamburgers ;
  • l’interdiction visant les adhérents du SNARR (syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide) est abusive et anticoncurrentielle, au motif que la société France Quick ne peut cloisonner le marché à son profit.

De son côté, le franchiseur fait valoir que :

  • par cette clause de non concurrence, le franchiseur entend protéger son savoir-faire compte-tenu de la proximité des formules des activités de restauration rapide ;
  • la clause ne limite pas la clause de non concurrence pendant la seule durée du contrat aux seules activités de vente de hamburgers ;
  • les enseignes Quick et Pizza Hut relèvent toutes deux du marché de la restauration rapide, sur place ou à emporter, les caractéristiques de base étant les mêmes, et que, bien qu’il comprenne des sous-segments, ce marché est traité comme un marché concurrentiel unique, par opposition au marché de la restauration traditionnelle à table ;
  • l’interdiction visant les adhérents du SNARR est valable, en ce qu’elle n’est pas le critère de la violation de l’obligation de non-concurrence, qu’elle est uniquement une illustration quant à la portée de la clause ;
  • la mention au SNARR qui vise l’activité globale de la restauration rapide démontre la commune intention des parties sur la portée de la clause ;
  • en tout état de cause, quand bien même l’interdiction visant les adhérents du SNARR était déclarée nulle, la portée dudit article n’est pas modifiée.

4. Solution de l’arrêt : Les activités de restauration rapide de pizzas et de hamburgers sont concurrentes dès lors que le consommateur final, faisant le choix du secteur de la restauration rapide et de ses particularités – à savoir les prix et les modes de distribution –, peut donc choisir un hamburger indifféremment d’une pizza.

Reprenons alors, paragraphe par paragraphe, la motivation de l’arrêt pour mieux en comprendre la portée.

 

5. Motivation de l’arrêt : L’arrêt indique tout d’abord qu’il convient de déterminer si la vente de pizzas et de hamburgers sont des activités substituables ou similaires, dans le cadre de l’activité de la restauration rapide, l’absence de caractère identique entre les deux produits n’étant pas contestée par les parties.

L’arrêt relève ensuite, à fort juste titre, qu’il est « de principe qu’une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observe rarement ; ainsi sont considérés comme substituables et comme se trouvant sur un même marché, les produits ou services, dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Il convient à cet égard de procéder à l’examen des caractéristiques objectives du produit en cause mais aussi aux conditions de concurrence et de structure de la demande et de l’offre ».

Nous y sommes : la substituabilité, critère de l’application de la clause considérée, englobe l’ensemble des « moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande » ; et, point fondamental, les critères du critère qu’est la substituabilité sont :

  • les caractéristiques objectives du produit ;
  • les conditions de concurrence et de structure de la demande et de l’offre.

Pour ce qui concerne les caractéristiques objectives du produit, leurs différences sont évidentes.

En revanche, pour ce qui concerne les conditions de concurrence et de structure de la demande et de l’offre, de nombreux points de similitudes – non contestés par les parties – sont relevés par la Cour d’appel de Paris, à savoir :

  • un service presque instantané,
  • un produit à faible coût,
  • des choix de menus limités et standardisés,
  • des articles avec des spécificités et une qualité constante, élaborés avec des produits alimentaires semi-élaborés ou finis,
  • des ventes aux comptoirs avec des produits (nourriture et boissons) pouvant être consommés sur place ou à emporter,
  • des horaires d’ouverture larges,
  • des méthodes ou systèmes pouvant être mis en œuvre par une main d’œuvre semi-qualifiée.

Ce faisant, la Cour d’appel de Paris retient à juste titre que les différences invoquées par le franchisé et son dirigeant, « concernant la composition du produit, le mode de fabrication (grill ou four) et le mode de consommation (à la main pour le hamburger et à emporter pour la pizza) ne suffisent pas à distinguer les deux activités, la clientèle, les motivations de celle-ci, les prix, et le mode de distribution » et qu’ainsi « le consommateur fera le choix du secteur de la restauration rapide et de ses particularités, à savoir les prix et les modes de distribution, pouvant donc choisir un hamburger indifféremment d’une pizza ».

L’arrêt ajoute que les deux activités dont il est question étant concurrentes, et dont il n’est pas contesté qu’elles relèvent du domaine de la restauration rapide, il n’y a pas lieu de considérer la mention contestée dans la clause « et notamment à une entreprise, société ou commerce qui serait adhérent du SNARR (Syndicat national de l’Alimentation et de la Restauration Rapide) » comme étant illégale car anticoncurrentielle, alors qu’elle ne vise qu’à illustrer l’exercice d’une activité de restauration rapide par l’appartenance au syndicat national de ce secteur.

 

6. Portée de l’arrêt : La portée de cette décision est importante car sa motivation limpide montre que l’appréciation du caractère concurrent (ou non) de deux activités dépend du seul critère de la substituabilité et, à travers lui, des conditions de concurrence et de structure de l’offre et de la demande et – de manière finalement assez accessoires (du moins en l’espèce) – des caractéristiques des produits ou services considérés. Il nous semble aussi que la solution ainsi retenue vaut tout aussi bien pour une clause de non-concurrence post-contractuelle.

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